mercredi 11 février 2009

"LA SUERTE DE PICAR" vue par CLAUDE POPELIN. "Le taureau et son combat"

Les problèmes de la pique, ce "mal nécessaire", comme il qualifiait la vara, ne datent pas d'aujourd'hui, puisque Claude Popelin a publié son livre, -dont sont extraites ces quelques considérations-, en 1952.
C'est dire que la pique traduit toujours un des maux récurrents - ils sont très nombreux- dont souffre la corrida, et la génération montante des jeunes aficionados a du pain sur la planche, si tant est qu'elle veuille en prendre conscience, non pas en s'immergeant dans le bouillon démago de "l'observatoire" (?) des cultures et des traditions, mais en refusant de cautionner des spectacles que sont les pseudos corridas avec des animaux sans force et sans corne.
Il faut et il faudra sans cesse et toujours débusquer et dénoncer la fraude et les fraudeurs . Il n'y a pas de trêve, ni circonstance atténuante. Sinon, comment s'étonner des attaques extérieures que subit la corrida si l'on ne mesure pas le mal dont elle souffre en son sein ?
Aujourd'hui, je vous livre ces lignes écrites il y a près de 60 ans : qu'est-ce qui a changé ? En mieux ? En pire ? Postez vos commentaires, pour animer la réflexion et le débat.
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....."Avec l'apparition du toreo moderne, dont il est troublant de constater qu'il va de pair avec la dégénérescence de la suerte de pique, les cavaliers ne s'en sont pas tenus là ( vriller la lance et passer la rondelle de la pique dans la plaie). Ils ont pris l'habitude de viser en arrière du garrot, et, chaque fois, dans la même blessure, de façon à l'approfondir. Ils acculent leur monture à la barrière pour la mieux caler.
Ou, encore, ils franchissent la ligne blanche, tracée sur l'arène comme une limite à leur avance. Entrant ainsi dans le terrain du taureau, ils lui ferment sa sortie, et l'assassinent plus sûrement. Même, il leur arrive de tourner autour de l'animal en un mouvement qu'on a baptisé la "carioca", du nom d'une figure de la danse brésilienne. Ces procédés n'ont d'excuse que dans le cas d'un taureau qui ne se laisserait pas piquer.
Existe-t-il des remèdes à de tels abus, en dehors des amendes infligées aux picadors par le Président, et qui s'avèrent inopérantes parce que les matadors les prennent à leur charge ?

Assurément.

Le premier, et le plus élémentaire, consisterait à modifier le fer de la lance, puisque sa nocivité doit être en rapport inverse de la résistance du cheval et de la durée de l'application de la pique. Inutile de dire que les professionnels s'opposent à une semblable réforme. On a cependant réussi à leur imposer une petite barette de métal - " cruceta " - qui limite partiellement l'entrée de la pointe.


Le second serait que les spectateurs s'en prennent aux responsables directs du mal.

Les matadors n'ont jamais que les picadors qu'ils veulent avoir et, au surplus, se font les complices conscients de leurs excès, en retardant au-delà de toute mesure raisonnable l'exécution des "quites". Il est vraiment paradoxal d'entendre la même foule conspuer un picador sortant d'assassiner un taureau, et applaudir, aussitôt après, un matador qui ne satisfait ses goûts que parce que le taureau a été assassiné ( par le matador lui-même, sous entendu).
Ici se pose une question grave. Le public croit-il possible de concilier la noblesse et la beauté de la corrida, avec la recherche, à tout prix, de l'émotion facile que lui donnent quelques "manoletinas", une série de plus de passes naturelles de la gauche ou un raccourcissement invraisemblable de la distance entre l'homme et la bête ? Sans doute aujourd'hui , torée-t-on davantage et d'unemanière plus sensationnelle, mais c'est souvent, il faut le reconnaître, parce que l'on a préalablement fait du taureau un véritable invalide. S'il n'en était ainsi, le torero pourrait-il se placer aisément à la pointe de la corne pour pratiquer le toreo de profil ?
Il appartient au public de savoir ce qu'il veut, et de ne pas poursuivre , simultanément, deux fins qui sont, en réalité, opposées.
Longtemps, la corrida a eu pour objet de montrer un taureau sauvage en liberté, et de le faire combattre par un homme.
Aujourd'hui, elle tendrait plutôt à mettre en vedette un homme et à lui faire combattre l'ombre d'un taureau."