jeudi 24 février 2011

LA FIESTA BRAVA VA DE MAL EN PIS.... MAIS PEUT-ON OUBLIER L'ORAGE QUI GRONDE AUTOUR DE NOUS?

LA LYBIE, QUELQUES DONNÉES IMPORTANTES
par Danielle Bleitrach
Publié 24 février 2011 Dernière minute , Economie , Histoire , L'Afrique , Maghreb , méditerranée , Moyen Orient

Bref historique et que se passe-t-il actuellement ?
Cette analyse tente d’expliquer ce que l’on dit rarement sur le système lybien, ses choix d’un Etat Providence, et nettement progressistes en particulier sur la question féminine. Et comment ce système basé sur la rente énergétique et sur l’équilibre avec les tribus par l’organisation de la redistribution s’est-il corrompu ? Qu’en est-il aujourd’hui des antagonismes ? Ce qui se passe au Moyen-orient n’est pas étranger à notre monde, non seulement parce qu’il s’agit de la Mediterranée proche, mais parce que nous sommes confrontés à travers chaque cas à la crise du capitalisme mais aussi comment celle-ci peut déboucher sur la plus violente des réactions, notre responsabilité à tous, et cela commence par l’analyse de ce qui a échoué, et aussi de ce qui nous a été présenté depuis comme la modernité post-communiste. Une réflexion sur la démocratie, la vraie, celle POUR et PAR le peuple est nécessaire, elle passe dans l’immédiat par le respect des peuples, la non-ingérence.
Il est clair que le système Khadafi, depuis quelques années en plein revirement, est en train d’exploser sous les tensions sociales, la répression très dure des manifestations a déclenché une déflagration sociale d’une grande ampleur que nous analysons ici. Mais on ne peut pas exclure les interventions étrangères dans le contexte d’une recomposition du Moyen-orient où se développe un grand jeu entre les Etats-unis et l’Iran comme principaux protagonistes. Les zones pétrolières ou les « bases » comme Barhein (1)rendent plus violents les affrontements et les menaces d’affrontement. L’Europe suit mais risque de se trouver entraînée dans des interventions y compris militaires qui peuvent conduire à une crise dont nous ne mesurons pas les conséquences. Quelle que soit l’issue, il faut laisser le peuple lybien mener la transformation sociale.
Khadafi et les tribus.

En 1951, la Lybie a été le premier pays africain à accéder à l’indépendance. En 1969, Muamar Khadafi, se réclamant de l’inspiration de Nasser prend le pouvoir et devient le guide de la Révolution, c’est un jeune militaire.En 1977, La Lybie devient République Arabe de Lybie populaire et Socialiste.
Le modèle de Nasser est un modèle d’indépendance nationale. Est organisée la nationalisation des ressources qui sont distribuées à la population, mais c’est un modèle autoritaire basé sur les forces de sécurité, l’armée en particulie; sont réprimés vigoureusement communistes et islam politique. Mais la société lybienne n’est pas l’Egypte, c’est une société tribale.
En fait Khadafi a à la fois soumis les tribus, mais leur a laissé un rôle social et même dans les forces de sécurité. La Lybie comme d’autres pays du Golfe sous-traite la sécurité et a des mercenaires, mais les forces de sécurité sont divisées sur le modèle des tribus et dirigées par des généraux militaires ou des responsables au sein des ministères qui représentent plus ou moins ces tribus.
Il y a là tous les facteurs d’une explosion et d’un affrontement qui semblent être à l’oeuvre. Dans l’est du pays, en révolte et désormais indépendant, c’est la tribu des Al-Zaouya dont le chef paraît jouer un rôle important a décidé de couper les importations de pétrole vers l’occident. La tribu Al Warfalla, qui est implantée à Benghazi, a dénoncé à son tour l’alliance et déclaré que « Khadafi n’était plus un frère ».
La dure répression contre les manifestants, menées par des mercenaires, parfois d’origine africaine, a été considérée comme la rupture du pacte des tribus.
Est-ce qu’il y a une influence étrangère c’est possible et même vraisemblable. La zone est est proche de l’Egypte dont on sait que l’armée qui tient toujours les rènes du pouvoir est très proche des Etats-Unis. Ceux-ci sont en train de tenter d’installer dans toute la région un système qui combinerait islam politique modéré et armée, une solution à la Turque ou à la Pakistanaise.
Un système de rentes, ses succès et ses crises.

Mais les tribus ont surtout un rôle social. la Lybie vit quasiment exclusivement du pétrole et en arrivant au pouvoir Khadafi a institué un système du « tout gratuit ».
La Lybie, memebre de l’OPEP, est le quatrième pays producteur de pétrole en Afrique, a aussi développé sa production de gaz naturel, c’est un secteur dans lequel il a des réserves estimées à 1, 540 milliard de de m3, selon l’OPEP. Le pays a doublé ses exportations de gaz naturel en trois ans. De 5.400 millions de m3 en 2005,il est passé à plus de 10.000 millions de m3 annuels, toujours selon les statistiques de l’OPEP. Son principal client est le trust gazier ENI italien (Suez Gaz de france est dans le sillage). Quand Tony Blair a négocié l’oubli des acte terroristes et l’intégration de Khadafi dans la « respectabilité » ce fut en obtenant d’importants avantages pour BP.
Ce système pendant un temps a connu d’importants succès : actuellement la Lybie a l’espérance de vie la plus haute d’Afrique de 74 ans. Le pays a le PIB le plus élevé du continent africain et le premier indice de développement humain en Afrique, et il peut être comparé au PIB de l’Argentine ou du Mexique.
La crise actuelle vue par un chercheur.

Écoutons plutôt ce qu’en dit dans l’Epress Jean-François Daguzan, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique :

"Par des organisations collectives, de la solidarité, des dispositifs de cohésion sociale et de redistribution, les tribus ont su se rendre indispensables. Alors, quand Kadhafi est arrivé en 1969 et qu’il a mis en place son système social du « tout gratuit », la concurrence avec les chefs de tribus s’est vite installée.
Surtout que cet Etat-Providence assez singulier en Afrique a lentement conduit Kadhafi à sa chute actuelle, puisque le manque de recettes budgétaires a privé la Libye des investissements dont elle aurait eu besoin pour sa croissance."
Les chefs de tribus ont-ils toujours eu cette position de "concurrents" face à Kadhafi?

"Ce qui a contribué au succès de Kadhafi au début, c’est sa volonté d’installer un équilibre entre les forces en place. Tout le monde devait y trouver son compte: les tribus, les commerçants des grandes villes très puissants, le peuple, et la Senoussi – une sorte de grande confrérie religieuse et tribale, présente en Libye mais aussi ailleurs en Afrique du Nord. Kadhafi, à l’époque, ce n’était pas Ben Ali ou Moubarak: il se présentait comme un réel arbitre entre les groupes de pouvoir.
Sauf que peu à peu, l’équilibre s’est disloqué, pour n’avantager que le clan Kadhafi [qui appartient à la tribu des Kadhafa, implantée au centre du pays, ndlr] Même si un certain nombre de tribus ont plutôt profité du système Kadhafi [comme la MaKarha, implantée à l'ouest et alliée du régime, ndlr], d’autres ont fait les frais de l’enrayage des rapports de force au sein du système."
- La tribu religieuse des Senoussis dont vous parlez a-t-elle joué un rôle particulier?

"En publiant son Livre Vert en 1977, le colonel Kadhafi a profondémment choqué les chefs religieux du pays.
Cette tribu religieuse était considérée, à l’époque d’Idriss Ier [Roi de Libye de 1951 à 1969, ndlr], comme le seul lien entre les différentes tribus qui composent le pays. Mais elle a beaucoup pâti de l’arrivée de Kadhafi au pouvoir.
Lorsque le colonel a publié son Livre Vert en 1977, il a donc choqué tout le monde. Qu’un pays musulman prône le féminisme et le socialisme, c’était inconcevable pour les religieux Senoussis, encore présents aujourd’hui. Et ces critiques sont aujourd’hui beaucoup reprises par les islamistes anti-Kadhafi.
Par ailleurs, alors qu’ils perdaient de plus en plus de pouvoir au sein du système libyen, les Senoussis ont aussi été privés de toutes les recettes financières dégagées des pélerinages et du commerce des caravanes, réalisé avec les pays voisins où les communautés religieuses étaient bien implantées."
- Vous parliez des commerçants: comment se positionnent-ils par rapport à la contestation?
"Je suis sûr que les commerçants libyens ont été parmi les premiers à se soulever dans l’est du pays .Pour comprendre leur rôle, il faut rappeler que ces commerçants libyens, assez puissants dans le pays, étaient en relation permanente avec le voisin égyptien pour des raisons économiques et financières. Alors lorsqu’une guerre s’est engagée entre les deux pays, les commerçants l’ont payé cher, et en ont voulu au pouvoir en place.
De plus, quand la famille Kadhafi a commencé à s’approprier les recettes du pétrole, de la même façon les commerçants ont manifesté leur mécontentement. C’est pourquoi je suis sûr qu’ils ont été parmi les premiers manifestants à se soulever contre le régime, à l’est du pays, à Benghazi.
Conclusion rapide :
. Il s’agit bel et bien d’une économie de rente qui s’est corrompue et est devenue la propriété d’un clan familial. Les structures antérieures qui n’ont jamais tout à fait disparu, tribales et religieuses,sont rentrées dans l’opposition à mesure que les ressources se faisaient plus chiches.
Le socialisme arabe dont le modèle était l’Egypte de Nasser a connu avec Khadafi des dérives importantes mais elles étaient sans doute contenues dès le début dans les aspects non démocratiques, la tentative de s’assurer l’assentiment du peuple par la redistribution. La volonté d’indépendance nationale était bien réelle et exaltée mais sans citoyenneté. Il était question de socialisme arabe dans le même temps où la majorité du peuple était privée de possibilités d’intervention démocratique. Seules les forces les plus archaïques de ce fait continuaient à structurer la société civile tandis qu’au sommet le guide et ses proches croyaient la tenir en ayant éliminé toute expression de contestation. En apportant de surcroit d’indéniables acquis en matière d’éducation, ce qui a développé une jeunesse ici comme ailleurs non seulement au chômage mais rêvant de l’occident, du mirage consummériste autant que démocratique.
Très logiquement sa résistance à l’impérialisme a suivi un modèle comparable, la défiance envers les masses et l’encouragment des aventures terroristes les plus meurtrières. Puis un revirement à 180 ° vers l’occident pour jouer la survie.
Avec l’effondrement de l’URSS, la grande vague néo-libérale, la corruption, l’appropriation des ressources par un clan a été la base de la « modernité ».
Khadafi en devenant « respectable », intégré à l’occident et se présentant non sans raison comme l’homme de la lutte contre Al Qaida, a également transformé son pouvoir de socialiste, de redistributeur en accapareur, avec ses fils qui se présentaient comme la modernité capitaliste.
Comme le note Alain Gresh dans un récent interview, il ajoute : Le directeur-adjoint du Monde Diplomatique rappelle que le régime Kadhafi est en place depuis 40 ans et qu’il a complètement changé de politique au fil des années.
« Kadhafi s’est réclamé du nassérisme et du nationalisme arabe d’abord, ensuite il s’est affronté à Sadate, ensuite il a dit qu’il abandonnait le monde arabe pour se consacrer à l’Afrique. Il était dans une position très hostile aux Occidentaux et puis après 2003, il a négocié avec les Américains l’abandon de son programme nucléaire et les relations avec l’Europe et les États-Unis se sont améliorées".

La question en ce qui concerne Khadafi est qu’il est capable de tout et de tous les revirements, et on ignore plus ou moins quelle est la base de masse qui lui reste. Le fait est qu’il a choisi une terrible répression. Est-ce que nous devons, parce que visiblement les Etats-Unis ont choisi de s’en débarrasser alors même qu’ils soutiennent la répression au Barhein, considérer que les forces qui manifestent sont réactionnaires? Il ne faut pas confondre les grandes manoeuvres de l’Occident avec ce qui secoue le monde arabe, il faut respecter la volonté populaire, et le premier respect est d’empêcher que nos propres pays interviennent dans un sens ou dans un autre.
La solution qui interviendra peut être l’islam politique, voir la monarchie, mais plus ce sera l’oeuvre du peuple lui-même plus il sera en capacité ultérieurement d’exiger que se réalise le contenu réel de ses aspirations, et ici comme ailleurs elles sont démocratiques, vivre mieux dans la dignité.
Quelle que soit l’issue de ce bras de fer sanglant, les pays occidentaux, dont le notre, doivent laisser les peuples mener leur choix jusqu’au bout. L’intervention occidentale ne peut que rendre encore pire une situation déjà marquée par la manière dont les pays occidentaux ont empêché toute solution progressiste et attisé hier comme aujourd’hui les corruptions et les guerres civiles dans les pays arabes, faisant souvent de la manne pétrolière un véritable drame pour les peuples.
Une intervention de l’OTAN comparable à celle qui s’est déroulée en Irak ou en Afghanistan doit être exclue à jamais qu’il s’agisse de la Lybie ou de tout autre lieu, le Conseil de Sécurité lui-même n’est plus une garantie, seule l’Assemblée générale de l’ONU pourrait être un recours mais jusqu’à ce jour les Etats-Unis et leurs alliés l’ont complètement paralysée et vidée de son poids politique pourtant indispensable. La crise est non seulement financière, économique, énergétique, alimentaire, elle est en toute circonstances crise des institutions démocratiques parce que tout a été fait pour empêcher l’intervention des peuples.
Que ce drame de l’ingérence s’arrête et que les peuples opèrent la reconquête de leur souveraineté.
Danielle Bleitrach
(1) Le 22/02/11The New York Times a révélé des détails sur le dossier américain des abus contre les droits de l’homme commis par le gouvernement de Bahréin. Selon le journal, les contacts dans le gouvernement américain du militant des droits de l’homme très connu Nabeel Rajab, ont reçu l’ordre d’interrompre toute communication avec les chiítas bahreiníes, qui faisaient campagne contre la discrimination exercée par la famille sunite régnante.