mercredi 6 février 2013

LE MAL PROFOND DE LA CORRIDA: L'ART A TOUT PRIX




Il y a déjà longtemps que la tauromachie a commencé à avancer avec les pieds nus, sur les terrains caillouteux de l'art, empruntant un sentier étroit et tortueux qui l'a conduit jusqu'au podium de la culture. Elle a aujourd'hui les mains liées, elle est à genoux devant la clique des taurinos et les chiourmes antis, qui partagent la responsabilité du déclin ambiant, les uns et les autres assénant leurs coups sur la nuque de l'aficion,  afin de d'anéantir efficacement chez ses adeptes toute analyse efficace de la situation. Inconscients du chaos actuel dans le domaine de la corrida ainsi que des lois de la nature qui les entoure, ces créatures sont exclusivement préoccupées du sort des bêtes de somme et de celui des légumes; elles gardent perpétuellement braqués sur nous leurs armes chargées des munitions fumeuses de leur moralité et de la prétendue justesse de leur combat animaliste; alors qu'ils bavent comme des verrats en rut, leur cible reste la nuque de la bécasse taurine résignée 
 Ces derniers mois, avec leur défilé en fanfare les saltimbanques du G10 se sont chargés d'accomplir la dernière étape, pour que le désastre soit complet. Leur délégué s'adressa à un ministère en conciliateur modéré, dans l'intérêt de son équipe de figuras, pour court-circuiter les prétentions de l'autorité  taurine - histoires de gros sous de la télé-, chargée, chaque jour avec moins de volonté, de défendre cette fable qu'ils nomment " intérêts de l'aficion". L'addition de politique, de propagande, de mensonges, tout cela  a donné un compte rendu aussi confus que le coeur d'un néflier de la Bernarde, ils ont prétexté un vote de confiance d'un secteur majoritaire du public, et non d'aficionados, et, comme il n'est pas permis, garanti l'impunité totale aux chroniqueurs taurins totalement à leurs ordres.
Le ruedo est passé au second plan, délaissé au profit d'internet, des disputes et des chamailleries entre empresas, c'est peu dire que la situation n'est pas brillante. Un courant avant-gardiste a vu le jour, conduit par un leader du mouvement pour la " corrida culture", Manzanarès fils, auteur du premier indulto exigé par un membre de sa corporation de toreros: tout appartient à la même enseigne, ARTE S.L., qui est le supermarché taurin qui approvisionne les arènes  en temps  de crise, avec ses petits toros sur mesure provenant des élevages autorisés et soumis à leurs exigences, avec son service des abats, sa charcuterie, le  Mercadona qui remit sur pied l'intrépide et courageux étalon, le nouveau messie taurin spécialiste des Miuras, le zénith du mini toro artiste, qui fait que la Maestranza Sévillana continue de perpétuer, comme Saturne dévorant ses fils, son  légendaire chant noir dans le silence  des horloges
La mode moderniste  a délaissé ces règles de tauromachie établies au 18 ° siècle, enrichies ensuite elles mêmes par la pratique du toreo,  qui sans cela n'en serait resté qu'à ses balbutiements. Le toro est une motte d'argile que le sculpteur humain a peu à peu modelé à son goût. Depuis sa sélection dans le tentadero, où le ganadero cesse de prendre des notes sur son carnet dès qu'il comprend que l'animal qui court dans le ruedo risque de faire faire un flop à la réputation de son élevage, jusqu'au sorteo, dans les corrales de l'arène, le jour J, où il y a toujours possibilité pour arranger quelque excédent de trapio ou de force, qui pourrait empêcher que la corrida n'obtienne  le degré artistique recherché. Ainsi, le spectacle devient-il plus cruel que jamais, le combat entre la sauvagerie animale et l'homme, la nature violente naturelle contre la capacité à comprendre et s'adapter, où chacun doit combattre avec ses propres armes, a été progressivement réduit à ses deux derniers tiers, mais la balance a été profondément déséquilibrée, au point que les limites ont été atteintes et que l'on puisse désormais parler de torture.  A cause de l'absence récurrente de présence physique imposante, de caste, et de force des toros de combat, la vérité authentique du toreo a été réduite au tercio de muleta, que plus personne n'appelle tercio de mort, où aujourd'hui la coutume est venue d'épuiser le toro avec des derechazos à la chaine, et où l'on voit dans la plupart des cas le torero s'adonner à ses naturelles comme un joueur de billard vêtu de tabac et d'or, dans une attitude empruntée, nonchalante et ridicule, en tout cas indigne du rôle que s'assignaient en leur temps LAGARTIJO et FRASCUELO.
Si nous avons la chance tant espérée qu'une varlope dotée de caste, de jambes, et de forces, sorte un jour des chiqueros, nous verrons ceci: pour calmer sa fougue et éteindre sa flamme,  le picador, bardé comme un général sur sa monture imposante, s'acharner à piquer, charcuter, percer, inciser pour découper en tranches les filets, et le paleron, à défaut d'atteindre le but jamais recherché et jamais atteint: piquer dans le morillo.
Sauvagerie que subit l'animal et dont souffrent les aficionados, comme gage au caprice moderniste de la sublimation esthétique du toreo.
Ne serait-il pas plus beau, tout au moins plus méritoire, de dominer le toro, de le réduire, le consentir, le soumettre, qu'il se rende, le tromper et le vaincre enfin, plutôt que d'égrener une quantité incalculable de passes gracieuses mais sans risque, comme avec un rameau fané à un charreton, qui va et vient comme la cloche qui sonne l'élévation? Le doute offense. Exactement comme offense l'abandon des règles classiques du toreo et de la lidia, qui font que, dans et hors de l'arène, les petites figuras trafiquent avec leur nouvel opium, gage de la culture et de la léthargie flemmarde artistique. Les canons ne sont pas la loi, mais les mépriser revient à nier cette étoile polaire de l'authenticité qui doit éclairer chaque fait de la corrida, commander et coordonner chaque suerte, arrêter, templer, commander, charger, jouer cette carte maitresse des règles de base indispensables à la connaissance du toreo, pour que continue de crépiter la flamme de l'art de bien toréer, cette chose qui a été retirée du catalogue de la tauromachie, comme une version trop ancienne, une version éculée et surannée de la lidia.

Conséquence de cette "modernité":  les publics, pas ou mal éduqués par l'absence de  journalistes critiques pédagogues qui pourraient leur apprendre le mystère du toreo, et par les professionnels qui préfèrent se cramponner au rêve d'un triomphalisme identique à celui du foot, ces publics ne comprennent rien à ce qu'ils voient: quand ils achètent leur billet non plus, ils savent ce qu'ils voudraient voir, mais ce qui est le plus grave, quoi que ce soit qu'ils voient, quel que soit le bilan de la tarde, ils quitteront leur banc de pierre avec l'idée, caressée depuis qu'ils avaient quitté leur maison, d'avoir assisté à un spectacle sublime, spécialement conçu pour eux, afin de combler leurs palais sophistiqués de fins gourmets de la corrida.
Ils mangent l'art comme le pain.