vendredi 4 septembre 2015

CITOYENS: LAÏQUES ET FRATERNELS.....

Nous citoyens, laïques et fraternels ?, par André Tosel

Publié par Pierre Hayat
Le philosophe André Tosel propose dans son dernier livre de repenser la laïcité « à la hauteur des défis de la mondialisation ». Le monde produit par le capitalisme globalisé et financiarisé met aujourd’hui à mal la trilogie républicaine française, en détruisant méthodiquement l’état social et national de droit qui s’est constitué au siècle dernier en Occident. La « contre révolution de la mondialisation capitaliste » qui ravage depuis trente ans les conditions de vie et de travail, engendre aujourd’hui un double fanatisme : le fanatisme du capitalisme financier et le fanatisme théologico-politique de l’intégrisme chrétien et de la violence islamiste. La « déprivatisation des religions », qui tend aujourd’hui à s’imposer, est la face inversée d’une « reprivatisation des services publics, de ces biens communs, résultats de luttes laïques de civilisation ». Ceci permet à Tosel d’observer que les communautarismes religieux sont paradoxalement entretenus par un État mis au service de la logique entreprenariale, et de souligner que « l’intériorité de la foi n’augmente pas en proportion de cette tentative des Églises d’intervenir dans la politique par le moyen de l’espace public »........

...C’est précisément dans un espace public aux enjeux directement politiques, que s’affirme aujourd’hui avec force la revendication d’une manifestation sociale des religions. La reconnaissance de ce droit est assurément un élément de la laïcité, dès lors que cette exigence de visibilité s’exerce dans le respect de la laïcité de l’État. Si l’on se place sur un plan socio-politique, et non plus seulement juridique, on conviendra volontiers avec Tosel qu’en certaines circonstances, les religions renforcent des résistances à des oppressions, des dominations et au « néo-darwinisme social » du capitalisme, de même que le rationalisme et l’athéisme ont souvent fortifié des mouvements émancipateurs. Mais il serait naïf d’ignorer que l’investissement de l’espace public par les groupements religieux au nom d’une « post-sécularité » ne serait jamais l’occasion de détournements au bénéfice de communautarismes exclusifs. Il serait en conséquence illusoire d’imaginer un espace public purement irénique et consensuel. On ne partage pas l’optimisme de Tosel lorsque celui-ci semble ne voir aucun problème à ce que les religions fassent valoir leur foi, dans les débats publics, sans avoir « obligation de recourir à une argumentation seulement discursive comme c’est le cas des non-croyants ». C’est ainsi que les instances religieuses exposeraient, sans dommage pour les débats démocratiques, leurs « jugement religieusement fondé » et feraient valoir leurs « ressources identitaires de sens », sans recourir au raisonnement. Tosel semble moins exigeant en matière de laïcité que Ricoeur et Habermas, pourtant peu suspects de « laïcité exclusive », lorsque ceux-ci attendent des croyants, comme des non croyants, un effort constant d’argumentation dans le débat public. Mais en dispensant les religions de l’obligation intellectuelle à s’exposer rationnellement dans l’espace public, on encourage les courants religieux obscurantistes et identitaires, au détriment notamment des courants religieux laïques. À force de se méfier d’un universalisme laïque tenté d’ « exclure le marqueur religieux », on ne se défie plus d’un espace public tenté d’exclure « les marqueurs » athée et agnostique. Un espace public qui tend à évincer « le marqueur » athée cesse d’être laïque, parce qu’il présume qu’une option spirituelle serait en elle-même contestable. Sous couvert de « post-sécularité » encore nommée « sécularisation de la sécularisation », on dé-sécularise l’espace public qui n’est plus alors qu’un espace d’inclusion inter-confessionnelle. On rend alors la laïcité impossible, ou on la coupe de sa base sociale pour la contraindre de se caricaturer en raison d’État ou en identitaire nationaliste.......

....En dépit de ses hésitations et de ses contradictions, l’ouvrage de Tosel contribue aux débats laïques et à la reconstruction permanente de la laïcité dans une perspective sociale et matérialiste. La souplesse dialectique de la laïcité autorise un ressourcement récurrent dans ses fondamentaux émancipateurs, parmi lesquels les droits de l’homme et la devise de la République française.
André TOSEL, Nous citoyens, laïques et fraternels ? Dans le labyrinthe du complexe économico-politicio-théologique.
Suivi de La laïcité au miroir de Spinoza, Kimé, 2015, 26 €.

Extraits tirés de ReSPUBLICA 

Le journal de gauche, républicain, laïque et social