samedi 8 décembre 2012

Michel Naudy, mort embarrassante d’un journaliste embarrassant

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Pionnier de la critique interne de la télé, et placardisé à France 3 depuis 17 ans
Michel Naudy, journaliste et militant communiste, avait lancé en 1995 une éphémère émission de critique télé sur France 3 Île-de-France, Droit de regard. Salarié par la chaîne mais placardisé depuis dix-sept ans, il a été retrouvé mort à son domicile le 2 décembre à l’âge de soixante ans. La gendarmerie privilégie l’hypothèse du suicide.
Pas une seule réaction officielle de France Télévisions, pas une mention à l’antenne: jusqu’à sa mort, Michel Naudy aura illustré la difficulté de la télévision à parler d’elle-même, et de la dureté, parfois, de ses rapports de force internes. Agé de soixante ans, Naudy a été retrouvé mort, atteint d’une balle dans la tête, dimanche 2 décembre à son domicile d’Ascou (Ariège). Ancien chef du service politique du quotidien l’Humanité puis cofondateur et rédacteur en chef de l’hebdomadaire Politis, Naudy avait été journaliste à France 3 à partir de 1981 puis rédacteur en chef de la rédaction nationale. Il avait été, en 1995, à la tête d’une des premières émissions de critique média sur France 3 Île-de-France : « Droit de regard ». Mais cette année-là, une de ses émissions avait été censurée. Il avait alors démissionné avant de revenir à France 3 où il se retrouva « placardisé », comme l’explique à @si un responsable du SNJ-CGT de la chaîne.
Naudy avait conservé le statut de rédacteur en chef national, sans affectation. Régulièrement, il demandait un poste à sa direction. La CGT envoyait aussi chaque année un courrier à la DRH, auquel on répondait qu’aucun poste ne correspondait à sa fonction de rédacteur en chef national. En 2008 ou 2009, alors qu’un poste de chef du service politique national de France 3 se libérait, il postula avec le soutien de la CGT devant la commission paritaire. « La commission a été très violente« . On lui aurait alors signifié qu’il ne pouvait avoir ce poste en raison de sa proximité avec le parti communiste, comme l’indique ce communiqué du SNJ-CGT publié sur Acrimed. « Il s’agit d’une discrimination professionnelle et politique » souligne notre source. Selon l’AFP, Naudy avait effectivement des engagements politiques. Il s’était présenté – sans succès – aux législatives de 2007 dans l’Ariège sous la bannière du PCF.
Le syndicat des journalistes CGT de France Télévisions a salué sa mémoire : « Michel faisait honneur au journalisme d’investigation, au journalisme d’analyses et d’éditos, enfonçant les clous là où ça faisait mal. Le lutteur a décidé d’en finir. » Le syndicat déplore d’ailleurs le silence de la direction de France 3 après sa mort. « D’habitude, lorsqu’un ancien salarié de France 3 décède, on en parle à l’antenne, là, rien. »
Pas de maladie incurable

Il faut dire que le cas Naudy a tout pour embarrasser la direction de France Télévisions. Sa longue placardisation l’a-t-elle conduite au suicide? « Il en parlait tout le temps, il vivait très mal cette mise à l’écart« , assure-t-on au SNJ-CGT. A l’inverse, le site de France 3 Midi-Pyrénées a évoqué l’hypothèse d’une maladie : « Selon un proche de Michel Naudy interrogé par France 3 Midi-Pyrénées, celui-ci était très fatigué ces derniers temps et se savait malade. » Naudy aurait-il souhaité mettre fin à ses jours pour éviter de plus amples souffrances ? L’info a été reprise dans plusieurs articles, comme ici. Pourtant, il semblerait qu’il n’en soit rien. La source de France 3 Midi-Pyrénées est Jean-Pierre Petitguillaume, un ancien proche de Naudy. Ensemble, ils avaient fondé le Cercle Lakanal, un groupe ayant pour objectif de dénoncer la corruption de certains élus ariègois. Il explique à @si que le journaliste du site de France 3 Midi-Pyrénées, avec qui il avait évoqué cette maladie, n’a pas bien compris ses propos. « Il ne s’agissait pas d’une maladie incurable« , assure-t-il. « Cette maladie ne peut en rien expliquer le suicide de Naudy. »
Autre hypothèse: Naudy devait comparaître le 4 décembre devant le tribunal correctionnel de Foix, pour diffamation envers Francis Dejean, directeur général des services du Conseil général. Dejean poursuivait le journaliste, notamment pour avoir écrit qu’il avait été condamné pour violences sur un terrain de rugby. Mais Petitguillaume se refuse à y voir une cause de son geste. « C’était un homme debout, très combatif, qui n’esquivait pas les problèmes. » Petitguillaume refuse d’ailleurs de croire à la thèse du suicide, privilégiée pour l’heure par la gendarmerie. Naudy lui aurait lancé : « Si un jour tu apprends que je me suis suicidé, demande une enquête. » Une autopsie devrait être effectuée dans les prochains jours.
Avec le Cercle Lakanal, Michel Naudy avait dénoncé à plusieurs reprises l’irrégularité de la gestion du conseil général socialiste.France 3 Midi-Pyrénées l’interrogeait à ce sujet en octobre dernier
Une émission de Critique média censurée.

Naudy s’était illustré en 1995 pour avoir été à la tête, sur France 3 Île-de-France, d’un magazine critique sur les médias intitulé « Droit de regard ». Cette même année, une de ses émissions, consacrée au traitement de l’élection présidentielle par France 2, avait été déprogrammée deux heures avant sa diffusion. Xavier Gouyou-Beauchamp, directeur de France 3, considérait qu’elle était « critique » et "déséquilibrée vis-à-vis de France 2" , précisait à l’époque un article du Monde.
L’émission censurée critiquait notamment les journalistes Alain Duhamel (France 2), et Guillaume Durand (TF1). Naudy soulignait qu’ils étaient devenus des « chronométreurs officiels d’une République en quête de convenable ». Le magazine commentait aussi une soirée électorale où « l’on se tapait sur les cuisses aux exploits motorisés de porte-micros lancés aux basques du vainqueur ». Intitulé « Télé-beauf », un montage dénonçait les blagues lourdes du duo Daniel Bilalian-Bruno Masure, perpétuellement hilares, rappelle Le Monde. Un exemple : « Je viens de voir passer une très jolie chiraquienne, toutes considérations politiques mises à part », lançait l’un d’eux, tandis qu’à plusieurs reprises ils faisaient remarquer au correspondant de France 2 qui, place de la Concorde, tendait le micro à des jeunes filles : « Vous êtes toujours sur les bons coups (…). Vous êtes toujours bien placé sur ces coups-là. » L’émission avait finalement été diffusée la semaine suivante, après que Michel Naudy eut présenté sa démission. Elle n’avait pas été reconduite à la rentrée 1995.

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