Afghanistan : quelques perles. Voici ce qu’ils écrivaient et déclaraient dans les années 1980.
Extraits. Source : « Le Monde diplomatique ».
Revenir
sur le discours général et sur les images d’Epinal, pléthoriques dans
la presse française — du Figaro Magazine au Nouvel Observateur —, permet
de mesurer à quel point presque tout ce qui suscitait hier l’admiration
quand il s’agissait de populariser le combat contre l’« empire du Mal »
(l’Union soviétique selon Ronald Reagan) est devenu depuis source
d’exécration et d’effroi. Entre 1980 et 1988, on applaudissait les
exploits des « combattants de la foi » contre l’Armée rouge.
« Le monde est fantastique. Leur âme se lit sur leur visage », photoreportage de Julio Donoso, texte de Guy Sorman avec la collaboration de Pascal Bruckner, Le Figaro Magazine, 20 septembre 1986.
Le
3 février 1980, quelques semaines après l’intervention militaire de
l’Union soviétique en Afghanistan M. Zbigniew Brzezinski, conseiller
pour les affaires de sécurité du président américain James Carter, se
rend au Pakistan. S’adressant aux moudjahidins réfugiés de l’autre côté
de la frontière, il leur promet : « Cette
terre, là-bas, est la vôtre. Vous y retournerez un jour parce que votre
combat va triompher. Vous retrouverez alors vos maisons et vos
mosquées. Votre cause est juste. Dieu est à vos côtés. »
Le discours médiatique français relatif à l’Afghanistan va alors favoriser l’objectif géopolitique américain.
Devoir d’ingérence
«
Il faut penser, il faut accepter de penser que, comme tous les
résistants du monde entier, les Afghans ne peuvent vaincre que s’ils ont
des armes, ils ne pourront vaincre des chars qu’avec des
fusils-mitrailleurs, ils ne pourront vaincre les hélicoptères qu’avec
des Sam-7, ils ne pourront vaincre l’armée soviétique que s’ils ont
d’autres armes (...) que celles qu’ils parviennent à ravir à l’Armée
rouge, bref, si l’Occident, là encore, accepte de les aider. (...) Je
vois que nous sommes aujourd’hui dans une situation qui n’est pas très
différente de celle de l’époque de la guerre d’Espagne. (...) En
Espagne, il y avait un devoir d’intervention, un devoir d’ingérence.
(...) Je crois qu’aujourd’hui les Afghans n’ont de chances de triompher
que si nous acceptons de nous ingérer dans les affaires intérieures
afghanes. »
Bernard-Henri Lévy, journal télévisé de la nuit de TF1, 29 décembre 1981
Comme au temps de la Résistance en France
«
Pour permettre aux Afghans de parler aux Afghans, comme, pendant
l’occupation en France, les Français parlaient aux Français, le Comité
droits de l’homme a décidé d’aider la résistance afghane à construire
une radio sur son territoire : Radio-Kaboul libre. Il y a un an et demi,
le 27 décembre 1979 (...). Les vieux fusils sortent des coffres, les
pistolets de dessous les bottes de paille. Mal armée, la résistance se
lève. »
Marek Halter, Le Monde, 30 juin 1981
Le combat de toutes les victimes du totalitarisme
« Le combat des Afghans est celui de toutes les victimes des totalitarismes communistes et fascistes. »
Jean Daniel, Le Nouvel Observateur,
Préserver une société d’hommes libres
«
Un regard d’une fierté inouïe qu’on aurait du mal à rencontrer ailleurs
dans le monde et qui donne une exacte mesure de la farouche volonté des
Afghans de se débarrasser de l’occupant soviétique, même si leurs
moyens peuvent paraître dérisoires. »
Patrick Poivre d’Arvor, journal d’Antenne 2, 8 juillet 1980
« Ce qui meurt à Kaboul, sous la botte soviétique, c’est une société d’hommes nobles et libres. »
Patrice de Plunkett, Le Figaro Magazine, 13 septembre 1980
Comme les Brigades internationales, les « Afghans » de l’Hexagone
«
C’est cela, l’amitié franco-afghane : un ami qui aide son ami. (...)
François a appris le persan, comme Isabelle. Cet été, la frontière
franchie, il a marché à pied pendant six jours, de jour et de nuit,
parfois dans la boue, à un rythme assez soutenu. »
Claude
Corse consacre à son tour un reportage du Figaro Magazine, le 19
décembre 1987, aux médecins, agronomes et ingénieurs français qui aident
les Afghans. Avec une référence à la Résistance française.
«
Barbes, turbans et même l’œil farouche : ces Afghans typiques sont des
Français. Parmi eux, un marin breton spécialiste des vents de Polynésie,
qui s’est fait agronome montagnard par goût pour un peuple qui vit vent
debout ! (...) Précieuse ressource vivrière, cet arbre de vie [un
châtaigner] symbolise l’espérance d’un peuple d’irrédentistes uni contre
l’envahisseur communiste, comme les bergers corses de la Castagniccia
le furent jadis contre les armées d’occupation. »
Exotisme et jolis paysages
Vaincre
le communisme soviétique ne constituait pas un objectif universellement
populaire en France. Pour que la cause des Afghans, patriotique mais
aussi traditionaliste, dispose d’appuis plus nombreux, les grands médias
l’associent à un désir d’aventure, à un paradis perdu. C’est d’autant
plus facile que le combat afghan se déroule dans un cadre géographique
enchanteur, avec des lacs purs qui accrochent le regard. Le pittoresque
des paysages (et des traditions) de l’Afghanistan renvoie toute une
génération occidentale devenue adulte dans les années 1960 au pays dont
ont rêvé les routards et qu’ils ont parfois traversé pour se rendre à
Katmandou. Retour à la nature, aux vraies valeurs, aux « montagnes
cruelles et belles ». L’Afghanistan comme antithèse de la civilisation
moderne, matérialiste et marchande.
« Ici Radio- Kaboul libre… », par Bernard-Henri Lévy, Le Nouvel Observateur, 12 septembre 1981.
« On oublie que c’est la guerre tellement c’est beau »
«
Cela commence comme une histoire d’amour. Ils sont presque tous allés
en Afghanistan. Dès le premier voyage, c’est l’attirance définitive. Ils
décrivent “l’endroit par excellence où l’on est loin : pas de chemin de
fer, pas d’industrie”. L’espace et la liberté : “Un Afghan ne vous
regarde pas, ne vous importune pas.” Isabelle dit aussi : “Par moments,
on oublie que c’est la guerre tellement c’est beau.” »
Danielle Tramard, Le Monde, 19 décembre 1984
« Leur barbe noire, leur nez busqué et leur regard
«
Impressionnants avec leur barbe noire, avec leur nez busqué et leur
regard aigu, ils font penser à des rapaces. Ce sont des guerriers-nés,
indifférents à l’effort, au froid, à la fatigue. Ce sont des êtres à
part, insensibles à la solitude, à la faim, à la mort. Armés de vieux
fusils Enfield, modèle 1918, ils font mouche à 800 mètres. L’histoire a
démontré qu’aucune armée venue d’ailleurs, ni même de l’intérieur, n’a
pu les mater. (...) C’est cette accumulation de triomphes, c’est cette
hécatombe des ennemis, c’est leur orgueil, c’est leur fierté qui,
aujourd’hui, permettent encore à 17 millions d’Afghans de croire que,
bientôt, tapis dans leurs repaires du Toit du monde, là où Kipling a
fait vivre son Homme qui voulut être roi, leurs défenseurs seront encore
triomphants. »
Jérôme Marchand [avec Jean Noli], Le Point, 21 janvier 1980
« Qu’est devenu ce cavalier enturbanné cheminant dans la neige ? »
«
Que sont devenus ces caravaniers pachtounes, sirotant leur thé vert
dans une maison de thé, leur fusil près d’eux ; ce berger de l’Hindou
Kouch près d’un point d’eau ; ce cavalier enturbanné cheminant dans la
neige ? (...) Les dunes géantes que le vent sculpte en vagues, les rues
de Herat où l’odeur des roses que respire un vieillard vous entête, où
les portes cloutées, d’un bleu paradis, des maisons des riches vous
intriguent, où vous surprend inopinément le mollet gainé de blanc d’une
femme complètement cachée sous le tchador plissé et dont le regard
filtre à travers le grillage d’une broderie... »
Nicole Zand, Le Monde, 9 décembre 1980
Un islam sans « politisation extrême comme en Iran, ni surchauffe »
«
Ne mélangeons pas les genres. A Téhéran, l’intégrisme correspond à une
folle libération du petit peuple des villes après vingt années de
mégalomanie, de gâchis et d’occidentalisation criarde. En Afghanistan,
il ne s’agit que de tradition, et rien que de tradition. Pas de
politisation extrême comme en Iran, ni de surchauffe. La ferveur est de
toujours. (...) Les montagnards et maquisards de Dieu ont la foi. »
Pierre Blanchet, Le Nouvel Observateur, 7 janvier 1980
«
Je crois que la révolution islamique de Khomeiny rend un mauvais
service à la cause afghane. Mais la résistance afghane n’a pas la
radicalité des mouvements révolutionnaires iraniens, et les courants qui
présentent un caractère sectaire y sont très minoritaires. »
Jean-Christophe Victor, Les Nouvelles d’Afghanistan, décembre 1983
Indisciplinés, vaniteux, bavards, mais courageux
« Leur islam vaut bien le communisme à la soviétique »
«
Il y a l’opposition, indirecte et perfide, de ceux qui se demandent si
les résistants valent mieux que les occupants : si leur islam n’est pas
“primitif et barbare” ; si, en définitive, il faut bien risquer de
“mourir pour Kaboul”. C’est à cette démission qu’on nous convie de toute
part tandis que les Afghans se font tuer et appellent à l’aide. Devant
leur SOS, il faut alors proclamer bien haut que la résistance des
Afghans contre les occupants soviétiques est juste comme toutes les
guerres de libération. (...) Outre que leur islam vaut bien le
communisme à la soviétique et que le premier est aussi “globalement
positif” que le second, il est scandaleux de s’interroger sur leur
civilisation au moment où ils la défendent avec le plus d’héroïsme. »
Jean Daniel, Le Nouvel Observateur, 16 juin 1980
Un journaliste du « Figaro Magazine » embrasse « de bon cœur » le Coran
«
Avant toute attaque, la prière : une prière rapide par laquelle chacun
recommande son âme à Allah. Les résistants passent ensuite sous un
drapeau tendu dans lequel est déposé un petit Coran. Certains
l’embrassent, d’autres s’inclinent en signe de ferveur. Anayatollah a
insisté pour que j’accomplisse moi aussi le rituel. Je l’ai fait de bon
cœur. C’est effectivement dans l’islam que ce peuple afghan maintient sa
cohésion et puise la force morale qui lui permet de résister. Le djihad
(guerre sainte) et le caractère islamique de cette résistance peuvent
effrayer mais, à de rares exceptions près, on ne leur connaît pas de
forme fanatique. »
Stan Boiffin-Vivier, Le Figaro Magazine, 5 décembre 1987