"Affaire du voile" : une autocritique à relire dans le contexte de "l'affaire Mila"
Face à certaines provocations il faut réagir avec prudence et même avec ruse si l'on ne veut pas être entrainé très loin de la route qu'on voulait suivre ... et le principe élémentaire, c'est d'éviter d'y répondre. Quand un supérieur ou un patron vous invite à parler franchement, c'est le moment de ne pas le faire, et quand on vous interpelle sur le mode du "sors dehors, si t'es un homme", c'est le moment de ne pas sortir. "On perd toujours à sortir de l'amniguïté" (Cardinal de Retz).
A chaque saison les médias jettent dans le débat public de grandes "causes" et de scandaleuses "affaires", et voilà chacun qui se met à courir comme après un ballon de football, en plantant là ses actions en cours et en négligeant ses responsabilités les plus criantes. Lors de la polémique sur le port du voile à l'école, au début des années 2000, on a vu des protagonistes opposés surgir au sein même des groupes communistes les plus durs et les plus purs. Les arguments pleuvaient, chacun était imparable et sans réplique et le point de Godwin était atteint presque immédiatement. Les adversaires se traitaient mutuellement de fascistes, racistes, (j'ai été à l'occasion le "Doriot" de service) etc.
Quelques fussent les bonnes raisons invoquées, l'hystérisation du débat en devenait inévitable. Rétrospectivement, n'est-il pas clair qu'il ne fallait ni défendre ni attaquer le port du voile, et non plus ni défendre ni attaquer la laïcité, car ces enjeux étaient factices. Le voile a perdu à l'école (et il a gagné dans les rues) mais inexorablement l'école publique a continué son naufrage bien tranquille pendant la polémique.
A l'époque je me suis beaucoup engagé contre le port du voile à l'école. Et au bout du compte pour m'apercevoir que dans l'affaire de la guerre civile syrienne qui n'est certes pas secondaire, quant à elle, les cartes ont été complètement rebattues ! Je n'aurais jamais cru me retrouver un jour dans le même camp que l'Iran ou le Hezbollah. Et c'est pourtant le cas aujourd'hui.
Ni défendre ni attaquer signifie aussi qu'il ne faut pas s'en prendre personnellement à ceux qui s'enfoncent dans l'hystérisation du débat, même lorsqu'ils passent les bornes. Critiquer le débat c'est y entrer. Il faut le déplacer en silence en portant attention aux luttes sociales qui continuent pendant ce temps là, et soudain il se dissipe comme un brouillard de poussière: comme la lutte contre la loi El Khomry en 2016 a soudain fait disparaitre la chape de plomb des attentats.
Il faut perdre cette pulsion que nous avons de prendre position sur tout, à commencer sur tout ce que nous ne comprenons pas bien. Sinon, jamais nous ne gagnerons tant de guerres !
Mais je ne veux pas dire par là qu'il ne faut pas se mouiller.
Voici un cas d'espèce pour comprendre la différence entre un faux débat médiatique où il faut bien se garder d'entrer, et une cause réelle d'engagement : avant même le début de la fausse révolution syrienne, j'avais compris ce qui se passait dans ce pays, en décodant les annonces médiatiques. L'Occident, en ses groupes dirigeants, avait décidé d'attaquer un pays souverain pour renverser son gouvernement, pour le punir de sa politique internationale indépendante, en utilisant les médias globaux, et un mercenariat international d'un type nouveau, particulièrement redoutable. On y voyait opérer à découvert l'alliance impérialiste mondiale, toutes idéologies confondues, dans toutes ses ramifications. Laisser faire, c'était accepter partout l'ingérence permanente et universelle des impérialistes qui gouvernent notre partie du monde, c'était reconnaître l'Empire et s'y soumettre.
Dans un cas pareil, devant la gravité planétaire de l'enjeu, il est politiquement et moralement nécessaire de se ranger dans le camp de la vérité et de mettre en jeu sa crédibilité sans s'étonner d'avoir ensuite à encaisser insultes et amalgames. Mais de telles occasions d'engagement sont rares : il est rarissime que l'ennemi s'avance aussi imprudemment à découvert. Mais dans le où il le fait, peu importe les risques d'être calomnié, mal accompagné, ou discrédité, il faut y aller. Et on reconnait ce genre de situation au fait qu'on s'y trouve, en fait, fort peu accompagné.
GQ, 28 janvier 2017 - octobre 2019
PS
Quant au "point de Godwin" qui consiste à hystériser la discussion en assimilant la position de son adversaire aux idées hitlériennes, je n'y tend pas car je vais à l'opposé : mon but n'est pas d'assimiler les différentes idées développées en apologie du capitalisme à une représentation vague du fascisme réduit à un repoussoir émotionnel, mais de replacer l'hitlérisme dans sa banalité, comme ce qu'il est, un des paroxysmes répressifs de l'histoire générale et banale du capitalisme.