vendredi 12 février 2010

TORTILLA DE PATATAS SIN HUEVOS NI PATATAS

Les cartes de rationnement en vigueur jusqu'en 1952, étaient séparées en trois catégories, suivant les possibilités d'achat de leurs titulaires. Leurs attributions étaient variables : selon la catégorie, on avait droit à 125 grammes de viande, 1/4 de litre d'huile, 250 g. de pain noir, 100 g. de riz, 100 g. de lentilles ou de pois chiches, une tranche de jambon, et un oeuf. En principe cette nourriture était insuffisante, et les gens se débrouillaient pour faire face à la pénurie. Les chats sont devenus des lièvres, ( donner un chat pour un lièvre), il y avait la patate du pauvre, les patates "à l'Aviòn" (patates bouillies, du laurier, et une pointe de colorant de marque "el Aviòn"), le lait coupé d'eau, le ragoût aux glands et aux châtaignes, la chicorée en guise de café.
Mais le plus curieux de tous ces plats, c'était "l'omelette aux pommes de terre, sans pommes de terre ni oeufs". La partie blanche de l'orange, comprise entre la peau et les quartiers du fruit- je ne sais comment çà s'appelle -, était séparée, macérée, puis découpée comme pour les patates. Les oeufs étaient remplacés par une mixture formée de quatre cueillères de farine, dix c. d'eau, une c. de bicarbonate, du poivre moulu, de l'huile, et du sel, enfin un colorant censé donner la couleur du jaune d'oeuf.
Aussi anciens que la tauromachie elle-même, les abonos sont classés en différentes catégories, selon les possibilités de chacun. Le soleil et l'ombre font le tri, la plaza séparée en deux parties distinctes, parfois trois. Barrera, contrabarrera, tendido, grada et andanada, créent des séparations, qui cassent la monotonie du lieu, éloignant ou rapprochant le spectateur des acteurs du ruedo. Bien que le centre de l'arène soit le même pour tous, la perception de ce qui s'y déroule peut-être différente, selon l'endroit d'où l'on regarde. Ainsi, aux endroits où frappent le soleil et les mouches, on peut apercevoir un beau toro, et un torero artiste, alors que ceux qui sont assis plus bas, à l'ombre, sont les témoins d'une énorme tricherie, avec au centre, un imposteur. Et pour que tous ces gens soient d'accord, il faudrait accorder à chacun une page du journal.
L'absence de caste et de bravoure que connaissent depuis des lustres la majeure partie de nos élevages, fait que le toreo finit par ressembler à "l'omelette aux patates sans oeufs ni patates." Les marmitons qui s'habillent de lumières usent de tous les artifices, ruses, singeries, pour pallier au manque de bravoure et de poder de leurs opposants. Par exemple, devant le manque d'agressivité, devant la fragilité et la soumission débile de l'animal, le matador parvient à obtenir des triomphes, grâce à des kilomètres de faenas, truffées de chicuelinas, gaoneras, manoletinas, bernardinas, et statuaires, sans compter les dernières luquesinas et lopesinas; des sauts, des cabrioles, fuites en débandade pour les banderilleros, les piqueros sourds pour la pluspart, vrillent leur fer avec acharnement dans les épaules, et font mine de savoir si leur chef leur crie " ¡ vale! " ou " ¡ dale !" - , c'est-à-dire "çà suffit !" ou " continue de le massacrer ! "-. Les présidents sont plus généreux que les Rois Mages, les vétérinaires certifient comme valable tout ce qui porte des cornes, du moment que c'est noir et que çà fait "Muuuuuuùùù", et les aficionados demeurent bien seuls, les seuls qu'on peut continuer à voler et à escroquer mille et une fois, sans cesse, sachant bien qu'ils reviendront, comme des paroissiens fidèles, sans rechigner, trouvant normal de continuer à se faire truander.
Apparemment,le résultat final est le même:le spectacle a duré plus de deux heures, les chiqueros
se sont ouvert au moins 6 fois, bal des mouchoirs blancs, dizaines de muletazos, et quantité de coups d'épée, aplausos, sifflets, silence, trois cuadrillas et trois toreros, un paseillo. tout y était. Mais la saveur n'a plus le goût d'antan, il manque les ingrédients, remplacés par un excès de clinquant.
SOURCE : "LOS AÑOS DEL MIEDO" de JUAN ESLAVA GALÃN
Traduit avec l'aimable autorisation de Sr Antonio DIAZ
Blog"HASTA EL RABO TODO ES TORO"
Con el agradecimiento de Pedrito