Après la guerre d'Ukraine, un monde multipolaire? ou un
monde socialiste?
15 Janvier 2024
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Rédigé par Réveil Communiste
Publié dans
#Impérialisme,
#lutte contre l'impérialisme,
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#Russie,
#Chine,
#Ukraine,
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#GQ,
#Mille raisons de regretter l'URSS
Le monde cartographié par l'Occident vers 1820 quand il lui a imposé irréversiblement sa civilisation.
La
Russie finira par gagner la guerre en Ukraine, mais l’hécatombe va
continuer jusqu’à ce que les États-Unis se soient résignés à accepter
cette réalité.
La
querelle ne sera pas vidée par la bataille d’Ukraine pour autant car le
monde multipolaire qu’elle appelle de ses vœux ne va pas se concrétiser
tout de suite.
Il
risque d’ailleurs de ne jamais voir le jour, même si l’Occident comme
je le souhaite est contraint à modérer ses ingérences meurtrières et
chaotiques sous prétexte de droits de l’homme et de démocratie dans les
autres continents car en réalité le monde capitaliste est déjà très
largement unifié culturellement en ce qui concerne ses élites et sa
classe moyenne, autour de « valeurs » communes, si on peut les nommer
ainsi : l'accumulation de dollars, la consommation d’ostentation, la
violence morbide, l’exhibitionnisme et le sexe, bref les critères de la
liberté individuelle telle que la conçoit l’idéologie de
l’individualisme de masse, et ça vaut pour les Occidentaux comme pour
leurs rivaux .
Les
groupes de pouvoir dans le Sud global se sentiront toujours plus à
l’aise et plus chez eux à Davos, Los Angeles, Miami, New York, ou à
Londres que nulle part ailleurs. Peut-être leurs lieux de villégiature
peuvent-ils se déplacer à l’avenir vers Dubaï ou Bangkok ou même Sotchi
mais ça ne changera pas grand chose au fond.
Pour
le moment le camp anti-occidental qui soutient la Russie dans son
opération ukrainienne et qui relève des bourgeoisies nationales du Sud
fait appel à une sorte de patriotisme moral minimal qui serait commun
aux sociétés non-occidentales, Chine, Russie, Islam, Inde, Afrique, etc.
seraient unifiées par leur rejet commun de la décadence et du
nihilisme. Mais qui veut mourir pour empêcher la tenue de la Gay Pride?
La solidarité avec « les nôtres », les militants de la gauche
ukrainienne brûlés vifs à Odessa en 2014, et avec la classe ouvrière
russe bombardée depuis huit ans dans le Donbass n’a rien à voir avec ça !
Les
anti-occidentalistes du monde entier sous-estiment la puissance du vide
idéologique auquel ils s’attaquent, à force de ne pas vouloir admettre
le leur. Ainsi la valeur occidentale cardinale, la marchandisation,
n’est pas attaquée avec beaucoup d’énergie par des groupes sociaux qui
tirent fierté de leurs milliardaires, et qui trouvent injuste d’être
exclues de l’eurovision. Ils ne défendent pas vraiment leurs traditions
qui comme toutes les autres sont devenues de la pacotille folklorique et
muséale, mais ils sont furieux que la bourgeoisie occidentale ne
veuille pas partager le gâteau de la plus-value globale.
Finalement
il n'y a que l’Occident qui reste fidèle à sa tradition irrationnelle
et subconsciente spécifique : le suprématisme européen blanc
judéo-chrétien laïcisé qui a rendu possible l'accumulation primitive du
capital.
La
guerre pour conserver ou pour abattre l’hégémonie occidentale, et
surtout les difficultés rencontrées par la Russie et la Chine qui s’y
sont déjà engagées irréversiblement vont entraîner d’importants
changements sociaux dans ces pays. Changements que le Parti communiste
chinois tente d’ailleurs d’anticiper en se réorientant vers une ligne à
nouveau plus socialiste que capitaliste-nationale. C’est la réticence
devant ces changements qui peuvent conduire carrément à refonder l’Union
Soviétique qui explique les hésitations et les limites de l’engagement
militaire russe en Ukraine, le recours dangereux à des mercenaires peu
fiables, et l'absence inquiétante d'un plan politique pour
l'après-guerre. Les dirigeants russes auraient bien aimé gagner avec des
effectifs réduits cette guerre totale à laquelle ils ont été acculés
par l’OTAN, mais sans la nommer et donc sans mobiliser le peuple car on
sait trop bien ce que ça signifie, mobiliser le peuple, chez les
« nouveaux russes » qui restent à la tête du pays et qui cultivent la
nostalgie des Romanov, des ci-devants aristocrates et des Russes blancs
qui valaient bien la clique de Zelinsky.
Prendre
l’initiative d’une contre-offensive militaire contre l’Occident dont la
puissance au moins sur le papier reste redoutable, c’est courageux,
mais choisir comme inspiration Nicolas II plutôt que Lénine et Staline
ça risque de ne pas marcher. Et comme la défaite n'est pas une option,
il va bien falloir réveiller "l'homme rouge" d'un sommeil qui remonte en
fait à la mort de Staline, en 1953.
Le
Parti communiste chinois a conservé sa culture marxiste et a bien
compris qu’il ne suffisait pas de s’appuyer sur un discours nationaliste
pour consolider sa légitimité à long terme, et qu’il devait mettre en
avant le service du peuple, et les incontestables réussites économiques,
scientifiques et sociales qui ont eu lieu ces dernières années dans le
grand pays d’Asie; à l’exaltation des valeurs chinoises se superpose
donc une sorte de socialisme par en haut et le président XI préconise
plutôt l’étude du Capital que celle du Yi King.
Russes
et Chinois, et les anti-impérialistes bourgeois des autres continents
du Sud vont aussi être contraints de travailler en profondeur sur les
contradictions internes de l’Occident en cessant de compter sur des
cartes pourries : cesser croire que l’UE peut devenir une puissance
autonome des États-Unis à l’autre extrémité des « routes de la soie »,
ou que le RN français est autre chose qu’un épouvantail électoral, Trump
un aventurier incohérent et les identitaires cathos virilistes
pro-russes autre chose que des songe-creux passéistes sans aucune
influence.
Les amis de la Russie qui ne sont pas des amis de l’URSS ne sont pas cohérents. Ils projettent sur la Russie leur besoin d’un champion idéologique de valeurs chrétiennes qu’ils estiment mieux défendues en Russie post-soviétique qu'en Occident, on se demande d'ailleurs bien pourquoi ce serait le cas, et renouent avec les vieux démons de l’Empire tsariste qui ont failli la conduire à l’anéantissement. Il leur suffirait pourtant d'avoir lu Tolstoï pour comprendre qu'il n'y a rien là à regretter !
Les Russes nationalistes qui rejettent Lénine s’ajoutent à la longue liste des élites
coupées du peuple, aristocrates francophones, fonctionnaires et
bureaucrates gogoliens, "intelligents" occidentalistes ou slavophiles, koulaks, popes et moines gras,
pseudo-dissidents, libéraux et oligarques post-communistes, qui ont
affligé et parasité le grand pays eurasiatique depuis trois siècles et qui ont ouvert la porte à la prédation impérialiste à trois reprises au XXème siècle, en 1914 - 1921, 1941, et 1991.
En
définitive il faut combattre l’impérialisme occidental non parce qu’il
voudrait imposer au monde sa conception abstraite de la démocratie et
des droits de l’homme, mais parce qu’il fait exactement le contraire. Il ne l'applique déjà plus à lui-même, et il a dégénéré en oligarchie et en dictature globale centrée sur les monopoles californiens du Net, les GAFAM, le complexe militaro-industriel, et le capitalisme financier. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle malgré leurs limites et leur incapacité à comprendre le monde réel les bourgeoisies du Sud et de l'Est restent des alliés objectifs des maigres forces organisées démocratiques ou tout simplement rationnelles qui restent actives à l'intérieur de la zone occidentale, et du prolétariat métropolitain aussi, qui combattent aujourd’hui dans le brouillard de la guerre cette évolution qui risque de devenir fatale pour tous.
Mais
il n’y a aucun espoir de changer le monde ni même de protéger la
souveraineté des quelques nations qui en possèdent encore une en récupérant
la théorie raciste de Samuel Huntington, dite du « choc des
civilisations », en croyant pouvoir l'utiliser au rebours des intentions
de son créateur, et en accréditant l’idée qu’il existe plusieurs
civilisations vivantes sur
la terre actuellement. Il n’y a que la civilisation du capitalisme avec
ses diverses déclinaisons linguistiques et symboliques, et elle sera
remplacée par le socialisme, qui ne sera ni plus ni moins divers et changeant que son prédécesseur. Les Russes ne s’habillent comme des Russes que dans les clips de musique folk, et dans la rue, ils sont comme tout le monde. Ils ont simplement la chance d’être libérés de Mac Do et de Starbucks avant tous les autres ...
Les
"civilisations" d'un monde technologiquement et économiquement unifié
ne sont pas plus variées ni plus riches de déterminations que ne sont
différentes entre elles les cultures des clubs de supporters de football
et c’est leur identité irritante même qui les pousse à la confrontation
violente, parce qu’il faut bien remplir le vide existentiel de quelque
chose et la violence, le sang et les incendies produisent les images
dont le village global est friand, et qui retiennent l’attention des
pervers qui produisent le spectacle global.
Voilà qui ne plaira pas à tout le monde ! J'ai trop lu Marx et Lénine, et on ne se refait pas.
GQ 27 mai 2022, relu le 6 septembre 2023
PS L'intelligentsia russe
nostalgique de l'ancien régime a cultivé une vision esthétisante et
idéalisée de l'orthodoxie pendant la période soviétique - telle qu'on
peut la découvrir dans la nouvelle de Tchékov l'Évèque
-, mais loin d'avoir défendu l'intégrité du "monde russe", qui n'est
qu'une expression creuse inventée pour contourner et récupérer la
nostalgie des peuples d'URSS pour la nation soviétique, le pouvoir des
popes a été ramené en Russie dans les fourgons du capitalisme, à la fin
des années 1980, et s'il y a un culte auquel les peuples de Russie
voudraient revenir, ce serait bien plutôt celui de Lénine et de Staline.