L'humanité survivra ... par Badia Benjelloun
L’humanité survivra à cette pandémie.
Avec
plus ou moins de retard, les autorités politiques ont compris la
nécessité d’imposer aux populations la fermeture des frontières et le
confinement. A défaut de traitements efficaces et sans innocuité et de
vaccin préventif, limiter la dissémination trop rapide de la virose par
cette technique médico-sociale de la quarantaine dont on trouve les
traces dans les écrits d’ Avicenne, permettra une immunisation
progressive en évitant des pics de morbidité et de létalité
inacceptables politiquement.
Il
est probable que le réchauffement des températures extérieures dans
l’hémisphère Nord contribuera à éteindre sa progression. Des centaines
de molécules sont actuellement éprouvées et nul doute grâce à la
mobilisation parfois collaborative de nombreux groupes scientifiques
dans le monde, un traitement médicamenteux sera rapidement appliqué aux
personnes faisant la maladie. Beaucoup sont prometteuses. Des essais en
phase clinique pour des vaccins sont annoncés en particulier aux Usa et
en Chine. L’existence de réaction immuno-allergique chez certains
patients au dixième jour de l’expression de la maladie devra faire
redoubler de prudence quant au choix de l’épitope pertinent et du
vecteur. Ces précautions sont d’autant plus nécessaires que les
tentatives de production de vaccins contre le coronavirus qui avait
émergé en 2003 s’étaient heurté à des impasses, réactions adverses
inacceptables, lors de leur développement dans des modèles sur les
furets et les singes. Au lendemain de la déclaration par la firme
étasunienne Moderna qu’un essai était lancé sur 75 volontaires sains,
plusieurs institutions chinoises ont fait état de l’avancée de la
recherche qui prévoit le lancement de tests cliniques d’au moins deux
variétés vaccinales en avril après un essai préalable sur les animaux.
La cartographie génétique complète du virus rapidement établie et
publiée par les Chinois a rendu possible cette compétition
internationale. Cependant, on ne sait toujours pas bien si l‘acquisition
de la maladie est immunisante, condition nécessaire pour espérer un
vaccin valide, et la durée de cette immunité. L’immunité conférée par
les coronavirus saisonniers pourvoyeurs de rhume est de très courte
durée malgré la présence de taux élevés d’anticorps. Les données
concernant les virus des épidémies du Sars de 2003 et Mers sont trop
partielles. Les deux vaccins cherchent à faire produire des anticorps
contre les protéines d’enveloppe du virus qui permettent la pénétration
cellulaire. Une équipe chinoise a publié dès la mi-mars que deux
chimpanzés ont été infectés par le Sars-cov-2 en exprimant des symptômes
modérés et qu’exposés un mois plus tard, ils n’ont pas refait la
maladie.
L’humanité survivra, le monde et elle-même en sortiront transformés.
Malgré
ces incertitudes, Moderna basée dans le Massachusetts et Inovio en
Pennsylvanie prévoient de mener simultanément expérimentation animale et
humaine, arguant de l’urgence. Les deux vaccins cherchent à faire
produire des anticorps contre les protéines d’enveloppe du virus qui
permettent la pénétration cellulaire et donc bloquer celle-ci. On ignore
si une telle stimulation générera des cellules capables de tuer des
cellules déjà infectées. C’est le National Institutes of Health, organisme public, qui finance l’essai de Moderna.
L’engagement
public étasunien contre l’épidémie actuelle a montré des manquements de
taille. La production de tests diagnostics biologiques défaillants en
est un. Les kits développés par les CDC début février et envoyés dans
les centres de référence de 50 Etats se sont révélés défaillants. Il a
fallu attendre 4 semaines avant que la FDA autorise les laboratoires des
hôpitaux à développer leurs propres techniques diagnostiques. La
mi-mars, la pénurie de kits de tests aux Usa persiste et durera encore
quelques semaines, mettant en évidence le sous-développement et
l’inefficacité des structures sanitaires de la première puissance
mondiale. Même si un test avait été immédiatement disponible, aucune
institution de santé n’est en capacité de le mettre en œuvre
gratuitement pour des d’Américains. L’Allemagne et la Corée du Sud,
contrairement à la France qui continue de rationner de manière absurde
l’accès aux tests biologiques, ont testé larga manu. Ce
dépistage permet de repérer rapidement les porteurs et de procéder à
leur isolement strict dans des structures de soin intermédiaires, le
temps que soit achevée la durée du portage et du risque de
contamination.
Dans
une note adressée aux étudiants résidant à l’étranger, une université
norvégienne a recommandé de quitter rapidement les pays aux structures
sanitaires sous-développées et ont mentionné les USA. En
début de semaine, les responsables du Département de Santé et de
Services sociaux ont fait part publiquement de la pénurie en gants,
blouses et masques. Un hôpital de l’Etat de Georgie a épuisé en six
jours sa dotation de cinq mois. Le
pays ne dispose que de 45 000 lits de soins intensifs alors qu’il
aurait besoin de 2,9 millions d’unités pour faire face à l’épidémie qui
enfle. La pénurie en appareils de ventilation assistée est dramatique.
Trente millions d’Américains n’ont pas d’assurance maladie et
l’attribution du Medicaid est conditionnée par les preuves
d’une recherche active d’emploi. La fermeture des écoles publiques est
inenvisageable dans le cadre de l’essai du confinement. La plupart des
parents qui doivent continuer à travailler sans possibilité de garde et
l’école reste souvent la seule occasion où les enfants ont un repas
chaud. A Los Angeles, 80% des enfants scolarisés ont droit à un repas
gratuit ou à prix réduit.
L’Etat
fédéral veille en revanche à la bonne santé de la Bourse et des grosses
firmes. En une semaine, la Fed a déversé 1 500 milliards de dollars en
secours aux marchés financiers. Les taux d’intérêt ont été aménagés,
négatifs, pour les mêmes. L’actuel Président doit s’exécuter sous peine
d’être renvoyé par un Chef d’exécutif qui a changé plusieurs fois de
discours vis-à-vis de la pandémie.
L’agriculture
maraîchère aux USA est très dépendante des travailleurs saisonniers
mexicains. Si les grandes exploitations de maïs et de blé ont mécanisé
les récoltes, le ramassage des légumes et la cueillette des fruits a
besoin de main d’œuvre humaine. La
fermeture des frontières si elle était étanche serait une grande
catastrophe alimentaire, aggravant les pénuries de toute sorte du pays
liées aux taxations des importations et à la rupture de fourniture de
composants essentiels fabriqués par la Chine.
Ruptures.
La
grande inertie des pouvoirs publics à assurer, en cette période de
« guerre », le ravitaillement en masques du personnel soignant et des
personnes en contact avec le public, obligées d’assurer leur service, a
été constatée dans toutes les démocraties occidentales. Comment un
accessoire d’apparence simple ne peut-il être produit de toute urgence
en quantités suffisantes dans des situations extrêmes ?
La
production en flux tendu a charpenté l’édifice du capitalisme
néo-libéral en éliminant du champ de la pensée la constitution de stocks
de réserve et de sécurité. C’est le dogme du "tout est dans l’instant’’. Tout est dans le flux et plus les flux sont nombreux, rapides, meilleure sera la rentabilité. Les Boys et leurs affidés ont repris à leur compte le slogan punk de ‘No Future’.
L’humanité devenue pastorale puis paysanne a construit des silos
d’entrepôts de grains et adoré le chat qui la débarrassait des rongeurs
voleurs de réserves, par souci d’un futur aléatoire. La Bible a témoigné
dans ce sens. Gouverner c’est se prémunir et protéger les populations
contre un manque en denrées vitales.
La
Chine produit 200 millions de masques faciaux par jour dont 600 000
répondant au standard FFP2. Elle a mobilisé des milliers d’entreprises
qui se sont converties pour en délivrer. Des licences ont été délivrées
pour autoriser certaines fabriques à produire des masques d’une très
haute qualité de filtration, à employer par le personnel médical et
paramédical. Un textile
synthétique particulier est un composant indispensable de ce pare-virus.
Ses fibres sont d’une taille de l’ordre du micron. L’assemblage réalise
un maillage qui laisse passer les molécules d’eau mais pas les grosses
molécules d’ARN avec ou sans enveloppe. Une machine-outil projette dans
un courant d’air chaud du plastique fondu puis refroidit les
microfibres. Le Japon, l’Allemagne et les Usa en sont les seuls
exportateurs. Deux entreprises chinoises s’attellent à fournir ces
indispensables machines. L’une affirme pouvoir le faire en 6 mois,
l’autre en deux semaines.
C’est
ainsi que la Chine conçoit la guerre, elle prétend à son autonomie pour
ses armes et s’en donne les moyens. Un Etat social (la connotation
péjorative de Providence accolée à ce type de régime soucieux de la
collectivité et non seulement d’une minorité possédante et dominante)
conçoit ainsi les modalités de la lutte. Recenser les besoins et tout
mettre en œuvre pour les satisfaire.
Dans
le camp occidental, des demi-mesures insuffisantes ont été tardivement
prises. Et partout dans la prétendue société d’abondance, la pénurie est
criante.
L’Etat
d’urgence sanitaire a trouvé comme première traduction la
transformation du temps confiné en congés payés forcés, vidant de sa
substance le droit de retrait et l’obligation légale de ne pas sortir de
chez soi. Les syndicalistes sont criminalisés, les peines et les
sanctions tombent pour intimider un précariat obligé de vendre sa force
de travail. Une épidémie c’est la
rencontre d’un micro-organisme pathogène potentiel avec une société, ses
mœurs, sa culture et sa structure économique et politique. Le
Sars-cov-2 a ravagé l’Italie du Nord parce que la densité en personnes
âgées de plus de 65 ans y est importante. La pyramide des âges dessine
un sapin avec plus de personnes de plus de 75 ans que de moins de 4 ans
caractéristique d’un vieillissement accéléré par déficit en natalité. La
difficulté des jeunes à trouver un travail et un salaire décent oblige
ceux-ci à habiter chez leurs parents et leurs grands-parents résidant
dans des zones semi-rurales. D’où les déplacements incessants et le
brassage qui ont favorisé l’essaimage de la virose.
La
surmortalité chez les personnes âgées ne doit pas faire oublier de
pointer que 20% des patients hospitalisés aux Usa ont entre 20 et 44
ans. Ces chiffres sont cohérents avec ceux publiés par la Haute Autorité
de Santé italienne qui enregistre 24% de cas Covid-19 chez les patients
âgés de 19 à 50 ans qui ont connu une issue fatale.
Les
mesures de confinement se généralisent après une période de déni pour
les Usa et le Royaume-Uni. Elles génèrent une atmosphère d’anxiété et
parfois d’incrédulité justifiée par les discours incohérents des
détenteurs de l’ « autorité publique » qui révèlent tragiquement leur
inconsistance et leur nocivité dans les moments où un responsable se
doit d’être résolu et crédible sans se laisser aller à des poses
paternalistes sur-jouées.
Nous
sommes en train d’éprouver l’enfermement, plus ou moins
confortablement. Les pensées vont d’abord à ceux qui le subissent, dans
les camps de réfugiés, à Gaza, dans les prisons politiques depuis des
années. Georges Abdallah, le plus ancien prisonnier politique d’Europe,
subit une incarcération injuste depuis 36 ans. Sa force morale
inentamable lui fera supporter la suppression des parloirs, comme le
reste. Il faut cependant le libérer, lui qui est libérable depuis 1999,
pour qu’il puisse enfin retrouver son pays et les siens. La moindre des
exigences morales est également de revendiquer l’amnistie pour tous les
Gilets Jaunes emprisonnés par une Justice aux ordres qui a réprimé comme
jamais elle ne l’a fait depuis des décennies pour intimider et briser
un mouvement social.
Atomisés
et reclus, il nous faut penser l’après, car toute l’économie factice
malgré les sauvetages des banques centrales s’effondrera. Ne sera gardé
que l’essentiel, ce qui fait vivre hors la surabondance du futile
toxique, en interdisant prédation, rapines et spéculations.
Dr. Badia Benjelloun
20 mars 2020
Le titre est de Pedrito
Le titre est de Pedrito