Vietnam : capitalisme ou socialisme ?
Au Vietnam,
le capitalisme le plus brutal — illustré par la ruée sur les
terres paysannes — fait bon ménage avec une propagande
communiste toujours très présente. Sur les bâtiments, dans les
rues et au bord des routes continuent de flotter des bannières à
fond rouge, frappées de la faucille et du marteau, parfois
illustrées du visage de Ho Chi Minh, sur lesquelles sont inscrits
des slogans censés justifier la politique d’urbanisation décidée
par le parti : « Développer
l’esprit révolutionnaire, réaliser victorieusement
l’industrialisation, la modernisation et l’intégration
internationale du pays ! »
Ou encore : « Tous
ensemble pour atteindre l’objectif : un peuple riche, un pays
fort, une société équitable, démocratique et civilisée ! »
Certains mots reviennent systématiquement. « Le
terme “capitalisme” reste connoté très négativement, explique
Thang, jeune urbaniste enseignant à l’université polytechnique de
Ho Chi Minh-Ville. Il
est donc interdit. À la place, le parti utilise les mots
“développement”, “modernisation” ou “intégration
internationale”. »
Revient
aussi le terme « civilisation ». « Derrière
ce mot, commente l’économiste Nguyen Van Phu, il
faut entendre le modèle singapourien ou japonais : se comporter
poliment, ne pas sortir en pyjama dans la rue, ne pas cracher par
terre. Dans l’imaginaire vietnamien, ces comportements non
civilisés appartiennent à notre passé de paysans, dont nous
cherchons à nous extraire. » Les
habitations basses et irrégulières, comme les commerces de rue,
n’appartiennent pas à l’urbanisation « civilisée ». « Les
masses paysannes, même si elles ont subi des expropriations,
admirent ces grands ensembles bétonnés qui poussent partout en ce
moment, explique la chercheuse Danielle Labbé. Pour
elles, la terre et les rizières n’ont rien de romantique ni de
charmant. Cela évoque la boue, les sangsues, la fatigue et la
pauvreté. »
Une
grande partie des Vietnamiens, surtout au sein des nouvelles
générations, ne prêtent pas attention à ces slogans. « En
revanche, je sais que mes parents continuent d’être influencés
par eux, admet Mme Ly, Saïgonnaise de 28 ans
qui travaille dans la mode. Il
faut dire qu’ils n’ont que les médias d’État pour s’informer.
Cela provoque des discussions souvent conflictuelles. » Pour
diffuser ses messages, le Parti communiste, qui compte 4,5 millions
de membres, s’appuie aussi sur un vaste réseau d’institutions et
d’organisations de masse : la police (1,2 million de
membres), l’armée (5 millions de réservistes) et le Front de
la patrie — qui regroupe lui-même plusieurs associations de
femmes, de vétérans, de travailleurs, de jeunes, etc.
À
l’inverse, les paysans expulsés de leurs terres sont prompts à
dénoncer les contradictions entre les discours et les actes de leurs
dirigeants. « En
principe, le communisme, c’est pour le bien du peuple,
non ? », fait
mine de s’interroger une habitante de Thu Thiem, à Ho Chi
Minh-Ville. De son côté, Mien, dont la mère a passé quatre ans en
prison pour avoir manifesté devant les pelleteuses à Duong Noi,
rappelle que, « pendant
la guerre contre les Français, Ho Chi Minh a rallié à lui les
paysans miséreux en leur promettant de leur rendre leurs terres,
spoliées par les colonisateurs. Et, aujourd’hui, c’est le Parti
communiste qui nous les vole ! ».
Pierre
Daum
Blog El Diablo