Je relisais récemment un article du Monde Diplomatique de 2012 et celui-ci débutait par cette description:
Devant les maisons de thé et les étals de Kaboul, on tombe
parfois sur le portrait d’un homme sévère au visage rond, arborant
moustache et cheveux noirs. C’est celui de Mohammed Najibullah, dernier
président communiste du pays. Membre du Parti démocratique populaire
d’Afghanistan (People’s Democratic Party of Afghanistan, PDPA) depuis la
fin des années 1960, il a longtemps dirigé la police secrète, avant
d’être porté à la tête de l’Etat en 1986. Après le retrait des forces
soviétiques, en 1989, Najibullah s’accroche au pouvoir pendant trois
ans. Il périt aux mains des talibans en 1996.
Quand on interroge les habitants de Kaboul sur ces affiches et
cartes postales à la gloire de leur ancien dirigeant, les réponses se
ressemblent. Pour certains, «c’était un président fort, on avait une
armée puissante»; pour d’autres, «à l’époque, tout fonctionnait bien,
Kaboul était propre». Le propriétaire d’une maison de thé explique
simplement que «Najib a combattu le Pakistan». Ainsi, on ne se souvient
pas tant du «communiste» — un terme vague pour de nombreux Afghans — que
du modernisateur et du patriote.
Cette introduction m’a donné le désir une fois de plus de faire
connaitre aux communistes français et aux non-communistes également
l’histoire de ce mouvement et des hommes et des femmes qui l’ont
incarné, certes ils ont commis des erreurs, mais ce qu’ils affrontaient
et qui est toujours là n’incitait pas à l’indulgence, baisser la garde
n’a jamais été la solution et ce qu’ils ont accompli ils l’ont fait
jusqu’au bout pour un idéal, leur pays et l’humanité… Le plus populaire
des hommes d’Etat afghans encore à ce jour et ce en particulier auprès
des femmes afghanes est Mohammad Najibullah Ahmadzai (né en 6 août 1947 à
Gardêz, Afghanistan, mort le 27 septembre 1996 à Kaboul) le cinquième
et dernier chef d’État de la République démocratique d’Afghanistan. Un
communiste qui a tenu bon après le départ des soviétiques et qui fut
assassiné par les Talibans.
Il est né à Gardêz d’une famille de la moyenne bourgeoisie afghane et
dès l’université il se fait une réputation d’activiste politique. Il
devient médecin gynécologue en 1975 ce qui est une constante de son
engagement politique avec son implication dans la cause des femmes. Une
autre constante est son appartenance aux services secrets et de ce fait
sa proximité avec Andropov, le dirigeant d’Union soviétique dont il a
bien des traits. On a souvent comparé Andropov à Gorbatchev, ils sont
aux antipodes, Andropov est très lucide mais il ne craint ni d’oser des
réformes nécessaires, ni de réprimer l’indiscipline et la corruption.
Andropov est un communiste et avec lui l’URSS aurait pu oser des
réformes équivalentes aux chinoises mais avec le parti et un KGB, un
appareil d’Etat apte à tenir un pays. Najibullah lui ressemble et est à
son école. Il est chef des services secrets de l’Etat communiste
d’Afghanistan et il réussit incontestablement mieux que Babrak Karmal –
dont il est le compagnon de la faction Parcham depuis 1965 et qui est
minoritaire depuis 1977 par rapport à l’autre faction du parti
communiste afghan, le Khalq. Les divisions internes du parti communiste
afghan ont incontestablement facilité les menées des propriétaires
terriens, des fondamentalistes religieux et surtout des services secrets
britanniques et américains qui avec l’aide du Pakistan vont de plus en
plus provoquer une véritable guerre civile.
Nous avons vu comment l’assassinat de Tariki par Amin (tous deux de
la faction khalq) et la possible trahison de ce dernier provoque
l’intervention soviétique. Najibullah qui était en exil en URSS revient à
Kaboul à la suite de cette intervention de 1979-1980 et avec l’appui
d’Andropov prend la tête des services secrets et est membre du politburo
en 1981 et il succède à Babrak Karmal comme secrétaire général en mai
86. Il a complètement réorganisé le fonctionnement du parti et de l’Etat
et il en est le président de fait avec une constitution qui elle est
très souple, multipartiste et avec des assemblées traditionnelles (Loya
Jirga), l’Islam n’est plus réprimé mais il y a un clergé officiel. Son
œuvre la plus originale est “le conseil des femmes d’afghanistan”, une
organisation de masse très nombreuse (plus de 100.000 membres et la
promotion “d’intellectuelles” chargées d’assurer l’éducation, la
formation et le combat idéologique des femmes. Mohammad Najibullah est
très souple en particulier dans le domaine de la réforme agraire, la
collectivisation est un relatif échec et il accorde plus d’hectares à la
propriété individuelle. Mais on l’accuse de cruauté envers tous ceux
qui cherchent à déstabiliser son gouvernement.
Durant sa présidence, l’armée soviétique connait ses principaux
succès, en 1985-1986 les camps de moudjahidines situés sur la frontière
pakistanaise sont sévèrement touchés, les Soviétiques lancent également
de grandes offensives dans les régions d’Hérat et de Kandahar, touchant
durement les rebelles. Avec beaucoup de pertinence, en juillet 1987,
Najibullah profitant de la détente sur le plan politique autant
qu’économique et des relatifs succès militaires soviétiques propose une
politique de réconciliation nationale en offrant aux rebelles 20 sièges
au conseil d’État, 12 de ministres et le poste de Premier ministre,
ainsi qu’une transformation de l’Afghanistan en État non-aligné
intégrant institutions traditionnelles et Islam modéré.
Président de la République (1987-1992)
En mai 1986, Haji Mohammad Chamkani, succédant à Babrak Karmal,
devient président du conseil révolutionnaire par intérim. En tant que
chef des services secrets, Mohammad Najibullah assure la réalité du
pouvoir. Une nouvelle constitution est adoptée en novembre 1987 par la
Loya Jirga, qui approuve formellement la nomination de Najbullah à la
tête de l’État : établissement d’un système de partis multiples, liberté
d’expression et rétablissement de l’islam légal, présidé par une
justice indépendante. Il accentue la constitution d’un clergé officiel
d’oulémas et insiste sur la promotion professionnelle des femmes,
notamment via le « Conseil des femmes d’Afghanistan ». Il lève les
restrictions au commerce et élève le nombre d’hectares accessibles à une
propriété individuelle. De cette façon, il stabilise sa position
politique face à la perspective du retrait des troupes soviétiques : le
20 juillet 1987, le retrait des troupes soviétiques est en effet
annoncé. Najibullah cumule alors les fonctions de chef dÉtat, président
du Conseil des ministres et président du Conseil supérieur de la
défense, tout en confiant aux partisans de l’ancien régime monarchique
certaines responsabilités. Najibullah remplace 23 des 29 gouverneurs de
région pour éviter un coup d’État le 14 mai 1988.
C’est dans ce contexte que le 20juillet 1987, le retrait des troupes
soviétique intervient et le mythe d’une débâcle est complètement faux.
L’Union soviétique se retire sans précipitation et continue d’aider
l’Afghanistan militairement, économiquement et en fournissant des aides
d’urgence en nourriture et carburant, pour cause d’hivers rigoureux, (en
1989 et 1990) entraînant des pertes de récoltes. Mais l’Afghanistan
redevient République d’Afghanistan, pays “non aligné” avec une assemblée
nationale multipartite et le 7 juin 1988, le président Najibullah
s’exprime à l’Assemblée générale des Nations unies et propose un plan de
paix pour l’Afghanistan qui reçoit une large approbation. Najibullah
est fort de ce soutien dans lequel il croit et ce sera sa principale
erreur quand les États-Unis et leurs protégés passent outre toutes les
résolutions.
L’armée afghane, formée et entraînée, équipée par les Soviétiques
continue à faire face à une opposition radicale entrainée, formée et
équipée par les Etats-Unis et le Pakistan. La victoire de Jalalabad
rétablit nettement le moral du gouvernement de Kaboul. Son armée prouve
qu’elle est capable de combattre efficacement à côté des troupes déjà
endurcies des forces spéciales soviétiques – qualifiées de sécurité. Les
défections diminuent nettement quand il est devenu évident que la
résistance est dans le désordre le plus total, sans possibilité pour
elle d’envisager une victoire rapide. Cependant, le talon d’Achille des
forces gouvernementales tient au fait de l’emploi de milices en lien
direct avec Najibullah, milices payées au résultat et qui peu à peu se
conduisent à leur tour comme les troupes des rebelles et c’est à qui
paye le mieux. Les États-Unis payent mais l’URSS également et même si
les armées soviétiques se sont retirées et si les moudjahidines
témoignent de leur faiblesse, le coût devient exorbitant.
Najibullah travaille à un compromis pour finir la guerre civile avec
Ahmad Shah Massoud dont il est l’ami d’enfance, le tadjik de l’alliance
du nord. Massoud ne vaut pas mieux en matière de seigneur de la guerre,
de mœurs, que les autres alliés des Etats-Unis, mais il est
incontestablement fidèle à son ami d’enfance. leur compromis est
favorisé par l’ONU et doit déboucher sur un gouvernement de transition
avec des élections. Ce compromis ne fait pas l’affaire ni des
États-Unis, ni du Pakistan, ni des radicaux et l’assassinat de Massoud
par des Tunisiens radicaux probablement d’Al qaida transformeront
Massoud en modéré partisans de la paix, ce qu’il n’a pas réellement été
mais il est vrai qu’il a toujours manifesté une volonté d’aide de
Najibullah qui lui avait confiance dans la protection des Nations Unies.
L’URSS s’effondre et Eltsine qui ne refuse rien aux Etats-Unis coupe
toutes ressources à Najibullah, plus d’armes, plus de carburant et c’est
dans ce contexte qu’intervient la trahison du général Abdul Rachid
Dostom qui tient le goulet nord de Mazar el sharif, celui-ci a toujours
été un communiste d’origine Ouzbek très hostile à tout compromis avec
les Pachtounes. Les stocks d’armes laissés par l’Union soviétique sont
alors utilisés par un affrontement entre Moudjahédines et Talibans et
par des rivalités entre communistes. Le 17 avril 1992, Kaboul tombe
entre les mains des moudjahidines de Massoud, Najibullah essaye de fuir
Kaboul pour Moscou, mais il en est empêché par Abdul Rachid Dostom dont
on ne sait plus très bien qui il sert, aujourd’hui il est proche
d’Erdogan. Najibullah trouve refuge dans le bâtiment des Nations unies à
Kaboul, où il reste en détention virtuelle jusqu’en 1996 (le bâtiment
de l’ONU ayant le même statut qu’une ambassade étrangère). L’ONU a beau
multiplier les proclamations d’appel à l’aide pour sauver Najibullah,
les USA font fi de toutes les résolutions et financent Talibans et
Moujahadines, al Qaida de Ben Laden appuyés par la Pakistan. (1)
Les
Talibans l’ont emporté et un commando spécial taliban de cinq hommes,
sous les ordres du mollah Abdul Razak, chef militaire des talibans,
avait été désigné pour le supprimer. Ce sera une exécution atroce avec
torture répétées de Najibullah et de son frère, les corps dépecés sont
suspendus à des poteaux. Le mollah Mohammad Rabbani, nommé à la tête du
Conseil suprême à Kaboul, déclare que Mohammad Najibullah a été condamné
à mort pour avoir été communiste et meurtrier et lui interdit un
enterrement religieux.
La communauté internationale dans son ensemble et plus
particulièrement les pays musulmans condamnent fermement l’assassinat de
Najibullah et l’ONU affiche son désespoir dans un rapport du conseil de
sécurité après son assassinat. Des résolutions totalement inefficaces
puisque les États-Unis en ont jugé autrement sont prises à l’encontre du
gouvernement taliban à la suite de son exécution. La veuve de
Najibullah, Fatana dépose une plainte au tribunal international de La
Haye en décembre 1996, où elle demande un procès des meurtriers et
commanditaires du meurtre de son mari et de son beau-frère. Elle
renouvellera sa demande plusieurs fois par la suite, la dernière datant
de janvier 2015. Le 27 septembre chaque année, les Afghans se réunissent
pour célébrer sa mémoire. Même si l’hypothèse de la renaissance d’un
parti communiste est souvent évoqué en relation avec cette mémoire, il
est célébré au-delà des rangs des communistes comme un patriote ayant
donné sa vie pour un Afghanistan moderne et juste. Les femmes en
particulier sont très attachées à ce dirigeant qui a combattu toute sa
vie pour qu’elles aient des droits.
En 2008, Radio Kaboul a effectue un sondage avec comme question : «
Sous quel régime l’Afghanistan était-il le mieux gouverné ? » 93,2 % des
sondés ont répondu : « Sous le régime de Najibullah ».
(1) N’oubliez pas qu8 décembre 1991, trois dirigeants du Parti
communiste décidaient de créer la Communauté des Etats indépendants
(CEI). Les Russes les appellent les trois ivrognes parce que tout c’est
passé dans une séance de beuverie à Bielovezskaïa Poucha, dans une
résidence étatique célèbre pour ses parties de chasse. Les présidents
russe, ukrainien et biélorusse (respectivement Boris Eltsine, Leonid
Kravtchouk et Stanislas Chouchkevitch),, en violation y compris du
récent referendum sur la question, ont décidé de déclarer la fin de
L’URSS et ils ont aussitôt téléphoné au président des USA pour lui dire
“C’est fait”… L’abandon de Najibullah a donc lieu dans uncontexte où
interviennent toutes les trahisons…
lire cet article sur notre blog : Les
initiateurs de l’effondrement de l’URSS se sont réveillés bien tard,
par Nikita Kovalenko | Histoire et société (histoireetsociete.com)