Le vote tactique pour Mélenchon, ce qu’il a été, ce qu’il n’est plus
par Gilles Questiaux
Voici dans le cadre des multiples débats menés dans ce site, la
contribution de Gilles Questiaux à la réflexion d’un vote communiste qui
conserve son indépendance et ne renonce pas à marquer ses accords mais
aussi ce qui lui parait être des insuffisances. Nous pensons en effet
majoritairement dans ce site que le candidat communiste devrait
s’adresser à toute une partie de son électorat naturel qui a déserté non
seulement le pcf mais même le vote en sa faveur. Nous pensons également
qu’au nom de l’unité de sommet dans le parti et dans le dialogue à
gauche ignorer ce potentiel limite de plus en plus l’audience et le
combat courageux de Fabien Roussel. C’est pourquoi nous nous félicitons
que malgré ce silence, nombreux soient ceux qui se rallient, grâce à une
analyse politique sur le fond, à cette candidature et nous leur donnons
la parole. (note de Danielle Bleitrach pour histoire et société)
Sera-t-il un bon choix tactique d’appeler au vote Mélenchon en 2022, comme en 2012 et en 2017 ?
Mélenchon n’est pas un candidat de témoignage. Il pourrait comme
Mitterrand l’a été, être élu président à sa troisième tentative, la
persévérance de cette ambition apportant une notoriété populaire et un
capital politique à la personne d’un homme politique et lui donne une
sorte de dimension supplémentaire. De ce seul fait, les électeurs
s’étant habitué à lui en quelque sorte, sa victoire n’est pas
impossible. Mais je crois que pour d’autres facteurs, elle est bien
moins possible et beaucoup plus improbable qu’en 2017, l’année où il a
raté sa chance.
En 2012, il était encore auréolé de son rôle qui paraissait majeur
dans la victoire du « non » au TCE. Le PCF encore sous le coup de la
déconfiture de Marie-Georges Buffet en 2007 ne pouvait guère faire autre
chose que de s’aligner, et JLM a obtenu un excellent 11 %, du jamais vu
pour un candidat « gauche de gauche » depuis longtemps, bien que des
sondages hyperboliques qui le plaçaient encore plus haut aient un peu
gâché la fête.
De ce succès absolument rien n’a été fait, comme rien n’avait été
fait non plus de la victoire du « non » en 2005, les deux partenaires
étant parfaitement d’accord pour ne pas s’entendre et pour ne rien
entreprendre pour reconquérir le vote des classes populaires. Les
résultats de toutes les élections intermédiaires entre les deux
présidentielles sanctionnèrent cruellement le PG comme le PCF.
Malgré ces déboires, Mélenchon refit surface pendant l’été 2016, en
liquidant son organisation, le PG, et en lançant la FI, entièrement
organisée autour de sa personne, mais qui semblait transcender le
clivage droite-gauche en visant le vote populaire, tout en infléchissant
sérieusement son langage dans un sens « dégagiste », populiste et
anti-impérialiste. Il partait d’un seuil solide d’intentions de vote
d’environ 12 %, sans même avoir fait campagne, ce qui lui permettait à
sa propre surprise d’envisager le second tour, le seul à gauche dans ce
cas, et il rompait la glace avec des déclarations très fermes sur
l’OTAN, un peu moins fermes mais bonnes aussi sur l’UE. Or la politique
étrangère est la pierre de touche pour juger si un candidat à
l’intention ou non de réaliser son programme, dans un pays à la
souveraineté limitée comme la France.
Cela me parut suffisant pour militer dans le PCF, au grand scandale
de mes amis politiques purs et durs, pour la candidature Mélenchon,
comme le firent alors d’autres communistes hors du parti (le PRCF, le
RCC) etc.
Le résultat inespéré de 7 millions de voix (19,6% des suffrages
exprimés) le mettait à 700 000 voix du second tour, qu’il n’aurait sans
doute pas gagné contre Macron. Cependant, dès le soir du premier tour
(et même dès la dernière semaine de campagne) Mélenchon avait commencé à
se débarrasser de ce capital politique tout nouvellement acquis comme
d’une patate chaude. Les candidats présentés par la FI , six semaines
après le second tour, ne récoltaient que 35 % des voix qui s’étaient
portées sur Mélenchon. Cette déroute, à peine le succès enregistré
s’explique par plusieurs facteurs. D’une part, JLM a commencé à
retropédaler sur les aspects « populistes » de son programme avant le
premier tour, et il a choisi symboliquement de finir une campagne
tonitruante, de façon inoffensive, en allant rendre visite en péniche
sur le canal Saint-Martin avec son copain Iglesias à la foule clairsemée
des bobos de l’Est parisien. Il s’est soudain affiché pro-européen dans
son dernier grand meeting, et il a refusé de soutenir clairement le
Venezuela bolivarien, lorsqu’il a été attaqué sur le sujet, rappelant
son lamentable vote impérialiste au parlement européen en 2011, sur
l’invasion de la Libye. Anti-impérialiste, oui, à condition que ça ne
lui coûte rien!
Son attitude de mauvais perdant bien peu « présidentielle » le soir
du premier tour a pu aussi le décrédibiliser, attitude aggravée par sa
réaction ridicule aux perquisitions politiques de ses locaux, l’année
suivante. Enfin, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’a fait aucun
effort pour se coordonner avec le PCF, qui était pourtant la seule
formation importante qui le soutenait, ni pour préparer des candidatures
communes au législatives. Un vieux relent d’anticommunisme lambertiste a
du jouer son rôle (« vous êtes le néant, vous êtes la mort ») ; il n’y
avait pas à l’époque que Trump pour produire des tweets agressifs et
débiles.
Pour résumer, la campagne de Mélenchon n’a pas gagné parce qu’il y
avait pour la mettre en œuvre trop de bobos, pas assez de prolos.
En 2022, sachant cela la question se pose à nouveau, faut-il encore
voter Mélenchon, pour réaliser un résultat honorable (qui sans servir à
grand-chose vaut quand même beaucoup mieux qu’une veste comme celles,
méritées, reçues par Hue et MGB)) comme en 2012, ou même pour viser le
deuxième tour comme en 2017 ?
La question étant aussi de savoir s’il peut atteindre le second tour
et être élu en 2022 ; Mais cette question porte non sur le fond ou le
programme mais sur une simple évaluation des probabilités de succès.
Dans l’absolu, bien entendu, il le « peut », tout le monde le peut, sauf
ceux qui ne le veulent pas.
Et justement j’ai certains doutes sur la volonté de vaincre de l’ami Jean Luc.
De plus atteindre le second tour et être élu sont deux choses
différentes. Ce qui rendait le pari sur ce candidat si intéressant en
2017, c’était l’hypothèse fort possible qu’il se retrouverait au second
tour contre Marine le Pen, en position de gagner en exploitant le rejet
de cette dernière (un peu comme Pedro Castillo a gagné contre Keiko
Fujimori cette année au Pérou).
Mais aujourd’hui, il est de plus en plus clair que JLM au second tour
ne doit pas s’attendre à des cadeaux de la part du centre-gauche
soi-disant républicain dans un éventuel duel avec l’extrême droite. Son
positionnement compris à tort ou à raison comme « islamo-gauchiste »
risque aussi de couper l’apport d’un vote dégagiste venu de l’extrême
droite dans une configuration qui le placerait contre Macron (celui là
ou un autre représentant du marais). Et il est bien clair aujourd’hui
qu’aucun candidat de la gauche réelle (celle qui s’en prend au capital)
ne peut être élu dans aucune élection si tacitement des électeurs
d’extrême-droite ne se reportent pas sur lui. Tout candidat qui
construit un discours de campagne incompatible avec ce report doit être
écarté.
Bref, pour un JLM qui a choisi de se positionner à gauche de la
gauche, la gauche est tout simplement trop faible pour le porter à la
victoire. Il ne pourrait arriver, avec de la chance, au second tour
qu’en siphonnant toutes ses réserves dès le premier tour. Fabien Roussel
a donc raison de souligner, pour justifier l’existence de sa
candidature, que le problème de la gauche n’est pas tant qu’elle est
divisée, que le fait qu’elle est beaucoup trop faible, aux alentours
d’un quart de l’électorat, un sixième si on compte les
abstentionnistes !
La gauche à laquelle ne s’identifient positivement guère plus de 10 %
des sondés dans les enquêtes d’opinion ne représente plus qu’une
fraction de la bourgeoisie, moralisatrice et obsédée de conformisme
éthique, et les malheureux qu’elle influence via ses relais
communautaristes.
Je considère donc que Mélenchon n’est plus le porteur d’un espoir
conjoncturel, ce qu’il a été en 2012, et bien plus en 2017. Il a purgé
son organisation de tous les souverainistes, les accablant d’insultes au
passage. Gauchistes communautaristes et écologistes timbrés tiennent le
haut du pavé parmi ses conseillers, qu’il n’écoute d’ailleurs même pas
mais qui saturent la communication. Les aléas de ses positionnements, de
ses attitudes et de ses déclarations depuis 2017 ont révélé ce qu’on
savait, qu’il était essentiellement motivé par un ego surdimensionné,
mais ils ont surtout prouvé qu’il n’est motivé que par cela.
Sanders, Corbyn, Iglesias, Tsipras, et enfin Mélenchon, une
génération de la gauche politique occidentale s’éclipse, faute de
courage politique, mais faute surtout d’ancrage dans les classes
populaires.
Dans ces conditions je voterai sans espoir excessif mais sans
regrets pour Fabien Roussel, qui est certainement le meilleur candidat
qui pouvait sortir des rangs du PCF. Et pour preuve, les difficultés
qu’il éprouve à mobiliser un corps de militants défaitistes sélectionnés
par les directions issues de la mutation du PCF, et la dissidence
ouverte ou larvée d’une partie des cadres, dont MGB comme par hasard,
scandalisés d’un discours qui s’adresse véritablement, bien que
timidement, à la classe ouvrière dans son unité, indifféremment à ses
divisions de genre, de religion, etc.
Un résultat honorable de ce candidat renforcerait les idées
du socialisme en France et l’influence des défenseurs de la classe
ouvrière dans le PCF et dans la CGT (on peut envisager au moins les 8%
du PTB en Belgique !).
Arriver au second tour est très improbable, mais comme pour
tout autre candidat de gauche, et sans doute même un peu moins, car la
campagne de Roussel est potentiellement entendable par les électeurs des
classes populaires de toutes tendances, et encore plus par ceux qui
sont depuis longtemps abstentionnistes.
Mais sachant que cette perspective du second tour s’est
éloignée, essentiellement par la faute des incohérences, des reculs, et
des foucades inconsidérée du principal candidat de ce coté, il faut
voter sur les programmes et sur la confiance qu’ils peuvent inspirer et
je préfère un programme avec énergie nucléaire et sans quinoa, simple
question de goût.
GQ, 20 octobre 2021