A
l'occasion des grands rendez-vous citoyens organisés par la ville de
Vénissieux du 27 au 30 septembre, Pierre Alain Millet est intervenu sur
l'enjeu que constitue l'eau. Nous vous donnons à connaître son
intervention que Pierre Alain a publié sur son blog.
"Merci à tous, merci à Anne Grosperrin [1], merci à Philippe Laurent [2].
Permettez-moi une citation en introduction parce qu’elle fait le lien
entre plusieurs thèmes de notre grand rendez-vous et cette table ronde
sur l’eau. La conclusion du petit livre de Anne Le Strat, adjointe au
maire de Paris qui a créé la régie de l’eau de Paris Pourquoi
ne pas repenser notre système démocratique malade en partant de la
gestion et du partage des ressources naturelles au premier rand
desquelles l’eau ?
Elle a le mérite de mettre en avant
une question essentielle, l’eau est un sujet très politique, au sens
noble, au sens d’un enjeu démocratique.
L’actualité médiatique cet été a rappelé que l’eau était un enjeu aussi vital que l’énergie… Ce
n’est pas sans rapport avec la décision de la majorité métropolitaine
de revenir à une gestion 100% publique de l’eau en 2020.
Il s’agissait bien sûr de transparence et de droit des usagers à maitriser une des fonctions vitales de la ville, mais
il s’agissait aussi de mieux préserver la ressource, de pouvoir
garantir le droit de tous à l’eau dans le contexte du changement
climatique…
Et on peut
tous se féliciter de la réussite de la régie publique de l’eau. Vous en
avez peu entendu parler, ce qui prouve que le travail est réussi, mais
vous devriez pourtant en entendre plus parler, parce-que les questions
des ressources comme des usages vont demander des décisions importantes,
et nous voulons associer largement les usagers à ces décisions. C’est
pour cela que nous avons créé une structure originale, l’assemblée des
usagers de l’eau, qui désigne les représentants des usagers au conseil
d’administration de la régie de l’eau et qui permet de partager les
réflexions sur les grands projets de la régie, et notamment cette année
sur la mise en place d’une tarification sociale et environnementale. J’en profite pour vous inviter à vous inscrire sur la plateforme de participation de la métropole.
Je voudrais
insister sur un point, l’eau n’est pas quelque chose de naturel qui
fonctionne tout seul. On s’en rend vite compte quand il y a une coupure,
une eau qui parait de mauvaise qualité ou encore un arrêté sécheresse
ou encore une alerte pollution. La distribution de l’eau est un
énorme système technique complexe, des milliers de kilomètres de tuyaus,
des milliers de vannes, etc, qui demandent beaucoup de sciences,
d’investissements, de travail… Et ses usages eux aussi font aussi appel à
beaucoup de compétences, de savoir-faire, comme l’ont montré les deux
intervenants.
Et tout
cela est fortement impacté par les changements climatiques. On pourrait
penser que le changement climatique, c’est d’abord des sécheresses, mais
la vidéo comme les intervenants ont rappelé qu’il y a aussi des
inondations, parfois catastrophiques, et on l’a connu à Vénissieux l’été
2022 avec un orage sur le plateau qui a transformé l’avenue d’Oschatz
en torrent qui est venu remplir les sous-sols de la médiathèque.
C’est
pourquoi, même si ce n’est pas le débat, il faut redire qu’il y a
urgence à décarboner et donc en premier lieu d’arrêter la production
d’électricité au charbon, ça concerne d’abord l’Allemagne et le Pologne
en Europe, et il faudrait un énorme plan international pour accélérer la
décarbonation dans ces pays.
Mais on
sait aussi qu’il faudra s’adapter parce-qu’il y a déjà dans l’atmosphère
de quoi augmenter la température moyenne pratiquement jusqu’au 2°C de
plus.. Et c’est notamment vrai pour l’eau, il y aura demain plus de
sécheresses et plus d’inondations. Mais il y a plusieurs attitudes sur ces sujets.
Pour une
part, les riches pensent qu’ils s’en sortiront toujours, c’est le point
de vue d’une partie des américains, catastrophique pour 99% de la
population.
Pour
d’autres, l’humanité doit s’adapter en se réduisant ou en arrêtant le
développement des pays du sud, il y a même des experts qui font des
calculs sordides qui disent qu’il ne faudrait que 3 milliards d’êtres
humains… comme si un bonne guerre mondiale, ou une énorme épidémie était
une solution
Entre ces
deux extrêmes, l’humanité cherche comment concentrer tous ses moyens
sur la décarbonation et l’adaptation au changement climatique. Malheureusement, pour l’instant, elle les concentre sur la guerre et la concurrence. Pour l’eau, ce qui domine, c’est plutôt que chacun cherche comment garder l’eau pour ses propres usages.
Au
contraire, ce devrait être la solidarité, la coopération qui déterminent
les politiques de l’eau, depuis la gestion des ressources, jusqu’à la
gestion des usages et de l’assainissement.
C’est
pourquoi personnellement, je suis convaincu qu’il faut éviter tout
catastrophisme, tout discours reposant sur la peur, qui ne provoque que
le repli sur soi et l’acceptation de la concurrence. Par exemple, je
préfère pour ma part ne pas dire que « l’eau est rare », car en fait,
nous sommes bien sur la planète bleu, comme il était dit dans la vidéo,
la quantité d’eau sur terre est constante [3], la pluviométrie en France au total est constante. Par
contre, l’eau est très inégalement disponible dans le temps et
l’espace, ce qui explique les sécheresses comme les pluies
exceptionnelles, et les restrictions de plus en plus fréquentes pour
l’agriculture, ou la végétation urbaine
Et
donc, de son grand cycle entre nuages et océans, jusqu’à la gestion des
ressources, la distribution et les usages, ce sont les politiques de
l’eau qu’il faut abord interroger.
J’ai été
personnellement impressionné par la découverte du fonctionnement d’eau
du Grand Lyon avec la mise en place de la régie. Il y a à la régie des
professionnels passionnants, engagés, qui maitrisent un système dont on
n’a pas idée quand on ouvre le robinet… Il y a des travaux qui se sont
accumulés au fil des générations, des siècles parfois, comme les digues
du Rhône ou l’usine de saint-clair, et il faut évidemment poursuivre et
réfléchir à la gestion de la ressource dans le contexte climatique.
Les étiages
bas des fleuves seront beaucoup plus bas, il y aura moins de fonte de
glaciers, mais il y a aura plus de pluie. Comment faire en sorte qu’on
puisse garantir un volume d’eau dans toutes les agglomérations le long
du Rhône ? S’il faut des restrictions, qui va les définir, les répartir,
notamment au plan international. Et ne faut-il pas réfléchir à de nouveaux barrages pour lisser cette répartition irrégulière de l’eau ?
J’ai écouté
il y a quelques années un géologue, après de grandes crues de la Seine
qui avaient immobilisé la région parisienne. Il disait que la prochaine
crue millénaire aurait des conséquences humaines et économiques
catastrophiques et qu’il fallait étudier de nouveaux grands barrages en
amont. Je ne crois pas que la France ait une réflexion sur
l’aménagement des cours d’eau à la hauteur de ce défi de l’adaptation au
changement climatique.
Mais c’est
aussi sur l’eau pour l’agriculture qu’il faut interroger, aller vers une
agriculture à faible consommation d’eau, et qui contribue à des
paysages favorable à l’infiltration pour réduire la perte d’eau par
ruissellement qui ne remplit plus les nappes. Car si le réchauffement
conduit à la fois à des sécheresses et des pluies torrentielles, c’est
qu’il augmente l’évaporation, il y a donc plus de vapeur d’eau dans
l’air, donc plus de pluie et que quand il pleut l’agriculture intensive
et l’artificialisation des terres réduit l’infiltration, l’eau ruisselle
et inonde au lieu d’aller remplir les nappes.
La
première réponse politique à ces transformations du cycle de l’eau
devrait être une politique d’aménagement du territoire qui vise à
infiltrer, stocker et réguler l’eau…
Pour le
système de distribution, le rendement est plutôt bon à Lyon, mais on
veut aussi accélérer l’amélioration des réseaux pour penser à l’avenir. Ce
qui nous pose une question sur le financement des investissements et
sur le prix de l’eau. Question importante pour les années à venir.
Et à la fin
du cycle, c’est toute la question des usages de l’eau, qui doit reposer
sur un principe d’égalité et de justice sociale, mais aussi
environnementale. Par exemple, les restrictions préfectorales doivent
prendre en compte la nécessité d’aider nos arbres à tenir. On parle
beaucoup des plantations d’arbres, moins souvent de leur mortalité,
alors que nous y faisons face dans tous les parcs notamment ces
dernières années. Je pense donc qu’il faut arroser un peu les arbres
pour ne pas les laisser s’affaiblir trop. Évidemment, en période de
sécheresse, il faut le faire de manière maitrisée, adaptée presque arbre
par arbre.
Et
sur les besoins humains, la vérité est qu’on n’est pas égaux dans
l’accès à l’eau de loisir, thalasso, piscines, jeux d’eau, points de
rafraichissement publics… Personnellement, je pense qu’on ne
peut pas dire serrez-vous la ceinture, n’allez plus à la piscine, à la
thalasso, réutilisez votre eau de cuisine… car ce sont toujours les
riches qui seront gagnants qui auront accès à une thalasso de luxe, qui
souvent consommera plus d’eau par personne qu’une thalasso pour tous !
Nous
aurons cette discussion à la régie de l’eau avec la tarification
sociale et environnementale, ce ne sera pas simple, mais c’est un débat
nécessaire sur les usages, une question très politique.
C’est mon
message de conclusion, il n’y a rien de naturel, de fatal et ce qu’on
appelle les catastrophes naturelles sont toujours des catastrophes
politiques. Ainsi du drame Libyen avec la rupture d’un barrage dont la
réhabilitation avait été engagée avant l’intervention militaire
occidental, et nous avons ramené ce pays au moyen-age et à la guerre des
seigneurs. Ce n’est pas la nature qui a tué des milliers de personnes mais bien le choix de la guerre par l’occident il y a 10 ans…
Je
m’éloigne un peu, mais pas tant que ça, car l’eau c’est très politique,
et les réponses à ce qu’on peut appeler une crise de l’eau sont très
collectives, très politiques !