SUR LES CONCEPTS MARXISTES
Post publié par Danielle BLEITRACH sur son blog Histoire et Société
je vais tenter une référence inhabituelle aux concepts marxistes non pas pour jouer les pédants mais au contraire pour tenter de voir en quoi ils nous aident à construire un raisonnement et comme je vais simplifier à l’extrême, certains pourront me le reprocher, dites vous bien que je privilégie la pédagogie et que si vous relisiez Politzer ce serait mieux.
Les concepts marxistes ont ceci de particulier qu’ils ne peuvent être isolés les uns des autres il faut non seulement les penser ensemble mais dans leur mouvement, leur dialectique et ceci justement parce qu’ils sont aussi concrets, pratiques et donc sont confrontés à la complexité et au mouvement de ce qui nous entoure.Ces concepts sont bien sur rapports de production, forces productives qui définissent un mode de production, mais ceux ci doivent être analysés à travers la Totalité, la médiation,essence, processus, sauts qualitatifs si on veut comprendre leur mise en mouvement et ce que l’on peut considérer comme les catégories d’un savoir dialectique face au réel historique.
Ainsi Franck et moi nous avons dit que la Chine communiste était la seule non pas seulement à avoir choisi le progrès (Cuba et d’autres dans des conditions terribles ont fait le même choix, mais ils ont tout au plus réussi à limiter les dégâts ce qui est un exploit) mais d’être en mesure de l’imposer. Mais qu’est-ce que le progrès pour un marxiste, ce n’est pas la même chose que pour un positiviste.pour le marxiste c’est l’anticipation du développement de la totalité historique, c’est un savoir de classe qui ne peut se mettre en oeuvre qu’en cherchant le point de liberté ouvert à la transformation pour la classe sociale. Si l’on abandonne la totalité et le processus on va vers la fragmentation actuelle des sciences humaines qui prétendent singer les sciences de la nature alors même que celles-ci dénoncent leur fragmentation. Sur le plan politique, on retourne au meilleur des cas à une critique “républicaine” (en philosophie kantienne) et au pire à des nihilismes suspects. C’est dans ce mode de pensée que nous sommes pris et le fait qu’il n’existe plus de forces politiques se référant au marxisme ne cesse de nous enfermer dans des débats qui crée des divisions entre ceux qui devraient être unis.
L’expérience est d’autant plus aisée à faire que nous y sommes désormais confrontés tous les jours face par exemple ce qui s’est passé à Nanterre: si vous n’adoptez pas un point de vue marxiste, celui de classe vers “le progrès” vous êtes incapables de penser les contradictions, le monde est dispersé, fragmenté et ces contradictions opèrent un retour sur le terrain moral dont le fondement est formel ou on accepte un point de vue desenchanté sur le “progrès possible” qui est la pluralité des choix de valeur possible, mais sans déboucher sur aucune transformation pour et par le prolétariat.
Pour Marx, le progrès à un but “la liberté humaine” (la référence à Hegel est manifeste). La liberté humaine est donc cette anticipation du développement conscient et dans le même temps objectif qui réside dans la relation que les êtres humains entretiennent avec la nature, et ce faisant leur propre nature. Le progrès qui était celui des positivistes et du XIX e siècle consistait à croire qu’il suffisait de développer les sciences et les techniques pour vaincre la plupart des antiques maledictions qu’affrontait l’être humain. D’où le choc de ses résultats, l’exploitation des enfants, le colonialisme et cerise sur le gâteau l’extermination nazie chez qui l’assassinat prend des allures d’usine sans paraitre directement lié au profit. A cela Marx propose justement une lutte consciente, effectivement si la classe bourgeoise qui a accompli un travail d’émancipation non seulement n’a pas intérêt à se connaitre mais n’existe que dans l’hypocrisie de ses buts, la marchandisation et l’exaltation de la liberté qu’elle apporte, la classe ouvrière, le prolétariat doit impérativement se connaître en tant que classe pour s’organiser et accomplir un autre travail sur la nature et sa propre nature (d’où la nécessité d’un parti). Mais Marx partage certains aspects de la foi en l’industrialisation, à la fois parce qu’elle crée les conditions de la collectivisation, donc de l’organisation et de la conscience, mais sans les illusions, il faut la lutte.
D’où la question d’Adorno, de Walter Benjamin et tant d’autres: comment se fait-il que quand l’être humain est proche d’atteindre l’émancipation par rapport au travail conçu comme une torture au lieu de déboucher sur la liberté il débouche sur la pire des barbaries. Même constat à propos de l’Etat dans lequel Hegel voyait la rationnalité de la pensée humaine et qui devient facteur de domination et d’aliénation? Si Adorno s’interroge sur le “sujet” produit par la pensée occidentale et y compris par les Lumières et reste sur la séparation entre le maitre et l’esclave ou sur les conditions de la “conscience”, non pas d’un point de vue moral mais bien de celui des rapports sociaux, commence à se faire jour une identification (le terme de totalitaire en sera la taduction propagandiste) entre le nazis et le socialisme. Cela passe pas la négation de la dimension de classe et on passe donc d’une analyse en terme de classes sociales à ce que Marx détestait le plus un espèce de moralisme qui aboutit toujours au constat : ce qui est n’est pas bon mais le reste est pire.
nous sommes en plein moralisme et là les bourgeois nous battent de cent coudées, c’est pourquoi je considère que le 39 e congrès est exactement ce qui n’aurait pas dû être fait.
Donc vous voyez que quand Franck et moi, et bien d’autres dans ce blog nous constatons que les Chinois sont les seuls non pas à proposer “les jours heureux”, mais à inviter à une tout autre totalité historique qui privilégierait les coopérations sur les concurrences, il ne s’agit pas d’une “utopie” mais bien d’une autre articulation de la relation forces productives rapports de production, la médiation en reste le parti et l’Etat avec sa planification et ses modes de contrôle, nous assistons à un saut qualitatif dont la guerre en Ukraine fait partie.
Tout cela pour vous dire que je ferais une petite remarque au texte très clair de Franck : d’accord sur tout mais je crois que nous ne pourrons avoir une pensée marxiste que quand à la description des obstacles ce que fait excellement la bourgeoisie nous saurons montrer les potentialités, non pas parce qu’il faut être “optimiste” à tous prix mais parce que nous sommes réellement aujourd’hui dans une telle situation et parce qu’être dans les aspects concrets de la totalité historique en train de se constituer c’est les mettre en évidence.