Truss, Macron : le naufrage des politiques oligarchistes
Papier publié dans Front Populaire N°11
Une première ministre britannique qui doit démissionner après quelques semaines pour avoir déclenché une crise financière. Un déficit commercial français qui pulvérise des records historiques, à 150 milliards d’euros sur les douze derniers mois, contre 85 en 2021. Cet automne a été celui de l’échec des potions amères oligarchistes (dérèglementation et baisse des impôts des plus riches et des multinationales), en pratique, et même par anticipation des marchés.
Le ruissellement n’est qu’une injustice inefficace
Si les marottes des années 1980 ont permis à Liz Truss de prendre la tête de son parti, son programme de baisse massive des impôts de l’oligarchie s’est révélé un fiasco qui a fait plonger les marchés, et imposer à la Banque d’Angleterre d’intervenir. Elle proposait ainsi de supprimer la dernière tranche marginale d’imposition, sur les revenus supérieurs à 150 000 livres par an, et de revenir sur le projet de hausse de 19 à 25% de l’impôt sur les sociétés, mis en place par Boris Johnson pour financer les services publics, le tout agrémenté de mesures de dérèglementation. Il y a quelques années, les marchés auraient sans doute applaudi un tel programme, dont ils sont les principaux bénéficiaires, comme avec Reagan, Thatcher, Bush, Trump ou Macron.
Mais en 2022, même les marchés comprennent qu’il n’y a pas de ruissellement, et que ces baisses d’impôt ne font que creuser les déficits, sans soutenir la croissance, l’argent ainsi distribué ne revenant qu’à une infime minorité qui l’épargne le plus souvent… D’où l’envolée des bons du Trésor britanniques, de 2 à 4,5% et la chute de la livre à un plus bas historique face au dollar. L’économie britannique a semblé au bord du gouffre, entre panique financière et alerte du FMI, rappelant les années 1970. Résultat de cette débâcle, Liz Truss a fini par complètement revenir sur son plan, en deux temps, avant de démissionner devant la fronde des députés et des ministres, qui ont bien compris qu’elle ne pourrait les mener qu’à un naufrage électoral avec une telle direction.
Si la France n’a pas connu de telle panique, c’est peut-être uniquement une question de temps. Macron, par sa position centrale sur l’échiquier politique, et le fractionnement de son agenda, n’a pas provoqué une telle réaction des marchés. Pourtant, mis bout à bout, ce qu’il a fait en dix ans est parfaitement comparable au plan de Liz Truss. Après les 50 milliards de baisses des impôts sous Hollande, il y a ajouté la suppression de l’ISF et sa flat tax pour les plus riches, ainsi qu’une baisse de l’impôt sur les sociétés, puis une première baisse des impôts de production. Son second mandat y ajoute déjà une nouvelle baisse des impôts de production. En cumul, c’est un coût de près de 100 milliards par an, qui manquent si cruellement à l’éducation ou à la santé…
Il y a ajouté trois vagues de déconstruction du droit du travail (loi Macron, loi El Khomri, ordonnances Macron) et une première réduction des droits au chômage, auquel devrait s’ajouter une seconde vague, ainsi qu’une baisse des droits à la retraite. Toutes ces réformes, justifiées par le rapport Gallois, dès 2012, avaient pour principal objectif d’améliorer notre compétitivité, et redresser un commerce extérieur alors déjà largement déficitaire (70 milliards). Leur échec était prévisible, tant cette course est illusoire dans une Union Européenne où le salaire minimum peut être 80% plus bas que chez nous, et alors que nos frontières sont ouvertes à tous les vents marchands et comptables. Dix ans après, le fiasco est complet, comme l’indique notre déficit commercial, qui a doublé.
Bien sûr, notre balance commerciale souffre de la hausse du prix des hydrocarbures. Mais le pétrole n’est pas beaucoup plus cher qu’il y a dix ans : notre déficit industriel continue de se creuser, tout comme notre déficit avec toutes les régions du monde ! Les baisses massives d’impôts et les vagues de déconstruction des droits sociaux n’ont pas empêché le doublement d’un déficit qu’elles devaient réduire. Quelle folie de poursuivre dans la même direction sans même faire le bilan du passé, tant il est clair que ces politiques produiront les mêmes effets : aucune amélioration de notre solde commercial, des déficits accrus et une austérité maladive pour les services publics.
Pour l’instant, la France de Macron persiste dans son impasse sans provoquer de panique financière : si les taux auxquels nous empruntons ont fortement augmenté cette année, nous continuons à être mieux traités que Londres, Rome ou Madrid, malgré un déficit budgétaire et une dette assez similaires (à l’exception de la dette italienne), et tout en menant des politiques assez proches. Mais la montée de nos déficits extérieurs change la donne alors que les budgets restent largement dans le rouge. En effet, c’est la concomitance des deux déficits, associée à une hausse des taux et l’austérité, comme actuellement, qui avait précipité la zone euro dans la crise du début des années 2010. Alors, la France n’avait pas été visée car nos déficits n’étaient pas les plus importants.
Le fiasco de la politique de l’offre Hollande-Macron nous a doublement affaibli, creusant nos déficits budgétaire et commercial au point que la France affiche les plus mauvais résultats des grands pays de la zone euro, seulement devancé par la Grèce… La France de Macron pourrait bien être une des premières cibles d’un nouvel accès de panique des marchés financiers à l’égard de la zone euro, et alors, peut-être connaître le sort de la Grande-Bretagne de Liz Truss.