mardi 13 février 2024

 

Au commencement était le projet sioniste

« La colonisation n’est pas une machine à penser, n’est pas un corps doué de raison. Il est la violence à l’état de nature et ne peut s’incliner que devant une plus grande violence » ; « le monde colonial est un monde manichéiste. Parfois, ce manichéisme va jusqu’au bout de sa logique et déshumanise le colonisé, il l’animalise ». (Frantz Fanon, Les damnés de la terre)

Au commencement était le projet sioniste,
Qui prétendait avoir des buts pacifistes. (1)
Qu’un pays ne saurait être colonisé
Avec le consentement de ceux qui y sont nés,
Était une évidence comprise par les pionniers.
Qu’importe que les indigènes fussent civilisés,
Ou qu’ils fussent culturellement arriérés, (2)
Ils résisteraient avec la même cruauté.

Au commencement était l’immigration juive,
Financée par les premières institutions :
Fonds national juif (1901), Banque coloniale juive (1898).
Encouragé par Balfour, sa Déclaration (1917),
Fut établi cet avant-poste face à l’Asie,
Comme sentinelle avancée contre la barbarie. (3)
Les kibboutz, les caisses de retraite, les compagnies
Furent du sionisme la version adoucie.
Mais déjà le sionisme révisionniste
Perpétrait ses premiers attentats terroristes (1933).

Les disciples de Jabotinsky, fascinés
Par la violence, eurent des fascistes les traits. (4)
Et chez Mussolini, le Betar s’entraîna,
En 37, l’Irgoun, les crimes, multiplia.
La vie d’un Arabe ne valait que celle d’un rat :
Telles étaient les déclarations de ces gens-là. (5)
Les habitants de Deir Yassin furent massacrés (1948),
Les occupants de l’hôtel King David tués,
Le comte Bernadotte de l’ONU exécuté, (6)
Et leurs assassins du groupe Lehi intégrés
Dans le gouvernement d’Union Nationale,
Avant de connaître un échec électoral.

Cette extrême droite juive minoritaire (7)
Ne demandait qu’à devenir majoritaire (1977).
Après les conquêtes (1967), entre Mer et Jourdain,
La moitié des habitants sont Palestiniens.
Comment bâtir un État juif pur ethniquement ?
Déchaîner la parole, la violence, tout le temps :
Les Palestiniens sont comme des Amalécites (8)
Raser toutes les habitations, qui les abritent,
Ne laisser aucun arbre, aucune descendance,
Tuer leur bétail, tuer leurs espérances.

Aux Intifadas (1987 ; 2000), à la Marche du Retour (2018),
En guise de réponse la même répression toujours :
Tireurs d’élite, exécutions, mutilations,
Arbitraire, apartheid, sans fin les détentions,
Les destructions, et toujours les dépossessions.
Et cette colonisation inscrite dans la loi (2018),
Le Droit international bafoué chaque fois.
La cause palestinienne semblait remisée,
Le mouvement de libération étouffé.
En riposte à la longue cruauté du colon,
Ce fut le Déluge d’al-Aqsa, l’opération.

Ce 7 octobre est-il sorti de nulle part ?
Pourquoi les mises en garde furent-elles mises au placard ?
En cause ce sentiment de supériorité,
Voire cette croyance en l’invincibilité ?
L’impensé de la résistance à l’oppression 
Et toujours d’autrui la déshumanisation ?
Depuis, ce jour est devenu prétexte à la guerre,
Comme si tout ce qui fut planifié naguère,
Toutes les destructions frappant la population,
Visait la Palestine, son annihilation.

Après les crimes de guerre, contre l’Humanité,
Place au génocide et ses complicités.
Chaque semaine, son mensonge bien orchestré,
Que les médias d’Occident promptement relaient.
De preuves, les déclarations font office,
Eretz Israël vaut bien quelques sacrifices.
Gaza City n’est plus que du sang et des larmes,
C’est au tour de Rafah, pour de nouveaux drames.
Moment propice pour la finale solution :
En Palestine, la mort ou la déportation.

Au diable La Haye, « scandaleuse » accusation, (9)
Mépris pour cette « antisémite » institution. (10)
Haro sur l’agence de l’ONU, sur l’UNRWA
Qui s’occupe des réfugiés depuis la Nakba (1948).
Des crimes commis à Gaza, témoin gênant,
Qu’il faut réduire au silence, à l’effacement.
Sont toujours un moyen les fausses déclarations, (11)
Et, dans des cris d’orfraie, des valeurs, l’inversion.
Soi-disant de défense une armée d’assassins,
Aux ordres d’un gouvernement suprémaciste,
Qui, dans la joie, exécutent les Palestiniens,
Pour cette idéologie colonialiste.

Est-ce une fuite insensée en avant ?
Est-ce du projet sioniste l’achèvement ?
Ou bien le sionisme est juste et moral,
Ou bien il est fort injuste et immoral :
Jabotinsky prétendait à l’affirmative, (12)
Le génocide en cours prouve la négative.

Combien faudra-t-il encore d’enfants condamnés
Avant que les bourreaux ne soient neutralisés ?
Pour qu’un jour puisse écrire un mémorialiste :
« L’œil dans la tombe regardait le sioniste ». (13)

(1) Vladimir Jabotinsky, Le Mur de fer (1923) : « Notre credo, comme le lecteur peut le voir, est parfaitement pacifique. Mais c’est une toute autre question de savoir si ces buts pacifiques peuvent être atteints par des moyens pacifiques. Ceci dépend, non de notre relation avec les Arabes, mais exclusivement de la relation des Arabes au sionisme. »

(2) Vladimir Jabotinsky, Le Mur de fer  : « Mais les autochtones résistèrent aux barbares comme aux civilisés avec le même degré de cruauté. [...] Tous les autochtones - c’est pareil qu’ils soient civilisés ou sauvages - considèrent leur pays comme leur foyer national, dont ils seront toujours les maîtres absolus. Ils n’accepteront pas volontairement, non seulement un nouveau maître, mais même un nouveau partenaire. Et c’est pareil pour les Arabes. [...] Je rejette carrément cette évaluation des Arabes Palestiniens. Culturellement ils sont 500 ans derrière nous, spirituellement ils n’ont pas notre endurance et notre force de volonté [...] Chaque peuple indigène résistera à des colonisateurs étrangers tant qu’il gardera un espoir de se débarrasser du danger de la colonisation étrangère. »

(3) Theodor Herzl, l’État des Juifs (1896) : « La Palestine est notre inoubliable patrie historique [...] nous constituerons là-bas un morceau de rempart contre l’Asie. Nous serons la sentinelle avancée de la civilisation contre la barbarie. Nous demeurerions comme État neutre, en rapports constants avec l’Europe, qui devrait garantir notre existence. »

(4) Albert Einstein, Hannah Arendt, et al., 4 décembre 1948, New York Times : « Parmi les phénomènes politiques les plus inquiétants de notre époque, est l’émergence, à l’intérieur de l’État d’Israël, nouvellement créé, du "Parti de la Liberté" (Tnuat Haherut ), un parti politique qui ressemble beaucoup, dans son organisation, ses méthodes, sa philosophie politique et ses prétentions sociales, aux partis politiques nazi et fasciste. Il a été créé par des membres et sympathisants de l’ancien Irgoun Zvai Leumi [IZL], une organisation chauvine, droitière et terroriste, en Palestine. [...] L’incident [??] de Deir Yassin illustre le caractère et les actions du Parti de la Liberté. Au sein de la communauté juive, ils ont prêché un mélange d’ultra-nationalisme, de mysticisme religieux, et de supériorité raciale. Comme d’autres partis fascistes, ils ont été utilisés pour casser les grèves, et ont eux-mêmes encouragé la destruction des syndicats libres. Dans leur convention, ils ont proposé les syndicats de corporation sur le modèle fasciste italien. Lors des dernières années de violences sporadiques antibritanniques, l’IZL et le groupe Stern ont inauguré le règne de la terreur parmi la communauté juive de Palestine. [....] C’est la marque indubitable d’un parti fasciste pour qui le terrorisme (contre les Juifs, les Arabes, ainsi que les Britanniques), et les fausses déclarations sont des moyens, et un « État Leader » est l’objectif. »

(5) « Il faut créer une situation où la vie d’un Arabe ne vaudra pas plus que celle d’un rat. Comme ça tout le monde comprendra que les Arabes sont de la merde, que nous sommes, nous et non eux, les véritables maîtres du pays », phrase attribuée à L’Irgoun, citée par Lenni Brenner. (voir 7)

(6) « Folke Bernadotte est un diplomate suédois, né le 2 janvier 1895 à Stockholm. Il est connu pour avoir négocié la libération de 15 000 prisonniers des camps de concentration durant la Seconde Guerre mondiale. Il est mort assassiné le 17 septembre 1948 à Jérusalem, dans le rôle de médiateur de l’ONU, par des membres du groupe terroriste juif sioniste Lehi. » (Wikipédia)

(7) Lire Pierre Stambul, Extrême droite, sionisme et Israël :
https://ujfp.org/lextreme-droite-dans-le-monde/

(8) Yisraël Rosen, rabbin et directeur de l’institut Tsomet : « Les Palestiniens sont des Amalécites... tuez sans arrêt, l’un après l’autre. Ne laissez aucun enfant, aucune plante, aucun arbre. Tuez leur bétail, des chameaux aux ânes ».

(9) Benjamin Netanyahou : « l’affirmation selon laquelle Israël commet un génocide contre les Palestiniens n’est pas seulement fausse, elle est scandaleuse » ; « la volonté de la Cour de discuter de cette question est une marque de déshonneur qui ne sera pas effacée pendant des générations ».

(10) Ben Gvir « La décision du tribunal antisémite de La Haye prouve ce que l’on savait déjà : cette Cour ne cherche pas la justice, mais plutôt la persécution du peuple juif ».

(11) Albert Einstein, Hannah Arendt, et al., 4 décembre 1948, New York Times : « C’est la marque indubitable d’un parti fasciste pour qui le terrorisme (contre les Juifs, les Arabes, ainsi que les Britanniques), et les fausses déclarations sont des moyens, et un « État Leader » est l’objectif. »

(12) Vladimir Jabotinsky, Le Mur de fer : « soit le sionisme est moral et juste, soit il est immoral et injuste. Mais c’est une question que nous aurions dû résoudre avant de devenir sionistes. En fait nous avons résolu cette question, et par l’affirmative. Nous prétendons que le sionisme est moral et juste. Et comme il est moral et juste, la justice doit être rendue. Peu importe que Joseph ou Simon ou Ivan ou Ahmed soient d’accord ou non. Il n’y a pas d’autre moralité. »

(13) Victor Hugo, “ La conscience ” (La légende des siècles), poème se terminant par :

« Puis il descendit seul sous cette voûte sombre.
Quand il se fut assis sur sa chaise dans l’ombre
Et qu’on eut sur son front fermé le souterrain,
L’œil était dans la tombe et regardait Caïn. »

 

Le discours de Poutine à Munich s’est avéré prophétique, par Gevorg Mirzayan

Il se passe avec les Arméniens un phénomène que l’on peut comparer à celui des Juifs, mais qui toute proportions gardées s’étend à tous les peuples de la planète. En Arménie, tout a été fait avec le rôle très actif de la France pour les attirer dans l’orbite de l’atlantisme en utilisant des dirigeants particulièrement corrompus, et même de vrais gangsters alors même que l’occident manifeste chaque jour davantage les sacrifier à la politique “réaliste” menée avec la Turquie. Une partie des Arméniens en éprouve une colère grandissante et renforce ses liens avec Lavrov, Poutine, c’est le cas de ce chroniqueur dont nous avons souvent publié les analyses et qui nous livre ici une rétrospective des différentes interventions de Poutine dans lesquelles il a exactement prédit la situation actuelle. Ce qui est sûr c’est que le personnage que l’on nous vend depuis des mois à l’article de la mort, incapable de la moindre pensée cohérente, recourant à des sosies, est une pure propagande. Mais qu’est-ce qui explique que Poutine ait vu ce que les dirigeants occidentaux n’ont pas vu, Poutine s’appuie sur les FAITS, l’histoire, alors que dans leur euphorie de victoire de la guerre froide les occidentaux ont pris et continuent à prendre leur rêve pour des réalités. D’ailleurs les Russes, qui ont encore le sens de l’histoire, pensent que l’intervention de Poutine est prévue exactement pour produire son maximum d’effets non aujourd’hui mais justement quand la situation aura encore mûri. C’est une bombe à retardement qui à la fois tient compte de l’entêtement des Etats-Unis et de leurs vassaux européens, mais aussi de l’impossibilité dans lequel ils sont de gérer les conséquences face à leur débâcle et au mécontentement de leurs populations. Aucune force politique ne devrait ignorer ce principe de réalité y compris dans les élections européennes proches. (note de Danielle Bleitrach, traduction de Marianne Dunlop)

https://vz.ru/politics/2024/2/10/1252827.html

Le 10 février 2024 marque le 17e anniversaire du discours de Munich de Vladimir Poutine. Ce discours a été qualifié de déclaration de renouveau de la souveraineté russe, mais il est bien plus que cela. Le dirigeant russe y met en garde les États-Unis et l’Europe contre une voie qui pourrait les conduire (et le reste du monde) à un conflit majeur. C’est-à-dire à ce que nous connaissons au 10 février 2024, et à ce que Poutine déclarait l’autre jour au journaliste américain Tucker Carlson.

“Dès la conférence de Munich, Poutine a parlé de l’expansion de l’OTAN vers l’est comme d’une menace pour la Russie. Il a également évoqué dans son discours de Munich l’état de crise d’importants accords internationaux, en particulier sur les questions d’armement”, rappelle Elena Suponina, politologue et experte internationale, au journal VZGLYAD.

Il a évoqué les projets américains de mise en place d’une défense antimissile, qui a détruit le régime de stabilité stratégique. Et, bien sûr, il a critiqué le concept occidental d’un monde unipolaire. “C’est un monde où il n’y a qu’un seul maître, un seul souverain. Et c’est finalement désastreux non seulement pour tous ceux qui font partie de ce système, mais aussi pour le souverain lui-même, parce qu’il se détruit de l’intérieur”, a expliqué M. Poutine à Munich.

“Le président russe a évoqué le fait que le monde unipolaire est condamné et qu’il sera combattu parce qu’il s’agit d’un diktat mondial. De ce point de vue, l’expansion de l’OTAN et la défense antimissile sont des outils destinés à maintenir, ou plutôt à tenter de maintenir, l’hégémonie et la domination des États-Unis dans le monde. Ils tentent d’empêcher la montée et la renaissance de rivaux potentiels, voire de les détruire”, explique Dmitry Suslov, directeur adjoint du Centre d’études européennes et internationales complexes de l’École supérieure d’économie de l’Université nationale de recherche. Poutine a d’ailleurs clairement indiqué que c’était impossible. Qu’une telle politique ne mènerait à rien de bon. Elle ne ferait que susciter encore plus d’opposition.

Et l’histoire a montré qu’il avait raison. “Presque tous les éléments du discours de Poutine à Munich se sont concrétisés. Les tentatives visant à préserver l’unipolarité sont vouées à l’échec – cela s’est vérifié. La formation d’un monde multipolaire s’est concrétisée. La confrontation entre l’Occident et la Russie en raison de l’expansion de l’OTAN est devenue réalité. La course aux armements et la destruction du système de stabilité stratégique en raison des tentatives des États-Unis de créer un système de défense antimissile – c’est devenu réalité”, poursuit M. Suslov.

Au lieu de préserver leur hégémonie, les États-Unis n’ont fait qu’accélérer la destruction du monde unipolaire et détruire les instruments réels et efficaces de son maintien (le statut du dollar en tant que monnaie mondiale, l’attrait mondial du libéralisme et du capitalisme, etc.)

C’est d’ailleurs ce dont parle Poutine dans son interview avec Carlson : “Le dollar est la base du monde unipolaire. Dès que les dirigeants politiques ont décidé d’utiliser le dollar comme instrument de lutte politique, ils ont porté un coup à cette puissance américaine. Je ne veux pas utiliser d’expressions inélégantes, mais c’est une stupidité et une énorme erreur”, a expliqué le dirigeant russe.

Comment Poutine a-t-il pu voir en 2007 ce que les Américains n’ont pas vu ? Et pourquoi ne l’ont-ils pas écouté ? La réponse est simple : alors que Poutine s’appuyait sur des modèles historiques et des points fondamentaux de la théorie des relations internationales, Washington planait dans un monde de rêve. “L’Occident n’aurait pas pu prendre au sérieux les avertissements de Poutine à la fin des années quatre-vingt. À l’époque, l’Occident était encore dans l’euphorie de la victoire dans la guerre froide.

Dans le contexte de ce qu’elles considéraient comme l’ère de l’unipolarité, les élites américaines croyaient en la capacité des États-Unis à maintenir cette hégémonie pour toujours et d’empêcher une évolution historique objective (c’est-à-dire d’empêcher le soleil de se lever, comme l’a dit Poutine dans l’interview)”, explique M. Suslov.

Selon l’expert, pour comprendre l’euphorie de l’élite occidentale, il suffit de lire le début du livre de Zbigniew Brzezinski “Le grand échiquier”. L’auteur y écrit qu’il y a eu de nombreuses hégémonies dans le monde, que chacune d’entre elles s’est effondrée – mais que l’hégémonie américaine ne s’effondrera pas ou, du moins, que les chances qu’elle s’effondre sont extrêmement faibles. En effet, l’hégémonie américaine est un nouveau type d’hégémonie, fondamentalement différent de toutes les autres hégémonies précédentes. Elle est différente en ce sens qu’elle est fondée sur des valeurs universelles – liberté, démocratie, droits de l’homme – et pas sur des conquêtes territoriales par les États-Unis eux-mêmes.

Les élites occidentales croyaient sincèrement que la fin de l’histoire était arrivée. Et que l’ordre international libéral était censé être si attrayant et si beau pour tous les pays (et pas seulement pour les alliés des États-Unis) qu’ils seraient tous heureux d’y adhérer. “Et que le principal obstacle à la diffusion de cet ordre était les ‘mauvais dictateurs’. L’Occident pensait que Poutine était du mauvais côté de l’histoire et voué à une défaite historique”, explique M. Suslov.

La Russie n’était pas perçue comme un acteur dont l’opinion devait être prise en compte. “Il aurait fallu que non seulement on nous entende, mais qu’on nous écoute. Du point de vue de l’Occident, la Russie, qui ne fait pas partie de la civilisation européenne, est un objet d’expansion et de colonisation. C’est-à-dire un partenaire inégal. Depuis le début des années 1990, les États-Unis et les pays de l’OTAN ont suivi la voie de la non-reconnaissance et de l’atteinte à nos intérêts, ce qui a finalement prédéterminé le passage à une confrontation aiguë dans les années 2000”, rappelle Nikita Mendkovich, directeur du Club analytique eurasien.

L’Occident n’a guère prêté attention aux mises en garde et aux avertissements russes (selon lesquels si nos intérêts n’étaient pas pris en compte, nous les défendrions par d’autres moyens). “La conférence de Munich les a choqués, mais d’après ce que j’ai appris en communiquant avec des représentants occidentaux à cette époque, ils ont perçu le discours de Poutine uniquement comme une critique verbale qui ne serait pas suivie de mesures concrètes sérieuses”, explique Mme Suponina.

“À l’époque, la Russie était perçue comme une station-service et non comme un pays. Nous nous souvenons des déclarations insultantes de John McCain et d’autres représentants des États-Unis. Nous nous souvenons du discours prononcé à Vilnius par le vice-président de l’époque, Dick Cheney, selon lequel les prix du pétrole allaient chuter et la Russie avec eux. La perception occidentale de ce discours, je pense, a été très clairement illustrée dans un article de Max Boot. Son titre était “La souris qui rugit””, poursuit M. Suslov.

Cependant, dès la même année, la Russie a commencé à reprendre rapidement les traits d’un ours en colère. Tout d’abord, Moscou a suspendu son adhésion au traité FCE (Traité sur les forces armées conventionnelles en Europe) dysfonctionnel. Puis, en août 2008, elle a rétabli l’ordre dans le Caucase du Sud. Elle a entamé le processus de modernisation de l’armée et créé les systèmes d’armes les plus récents. Mais les conséquences les plus désagréables pour les États-Unis ont commencé avec l’Euromaïdan à Kiev, lorsque les contours d’un État russe menant une politique souveraine se sont enfin dessinés.

“Les Américains ont regardé les événements de 2014 liés à la Crimée. Ils pensaient que la Russie n’avait pas assez de force et de tempérament pour prendre des mesures concrètes en plus d’exprimer son mécontentement. Et puis en 2015, l’opération antiterroriste russe en Syrie a également commencé, contrecarrant les plans de l’Amérique et de ses alliés visant à renverser le président Bachar el-Assad”, explique Mme Suponina. Le résultat final s’est produit en février 2022. L’Occident n’a pas réussi à briser la Russie pour ses actions dans les anciens territoires de l’Ukraine – en fait, il s’est épuisé à la tâche. L’hégémonie américaine, au nom de laquelle de tels efforts ont été déployés, a commencé à s’effondrer. “Aujourd’hui, de nombreux pays cherchent une alternative à l’hégémonie américaine et la trouvent sous la forme d’autres organisations telles que les BRICS”, poursuit l’expert.

Dans son entretien avec M. Carlson, le dirigeant russe a une nouvelle fois suggéré que les élites occidentales reviennent à la raison et passent d’un modèle de confrontation à la coopération, ou du moins à la formulation de principes de coexistence pacifique. “Sa proposition reste valable : travailler ensemble pour résoudre tous ces problèmes accumulés. Oui, en 2007 et plus tard, les États-Unis et leurs alliés ont rejeté ces propositions russes. Mais beaucoup de choses importantes se sont produites par la suite. Et s’ils les rejettent maintenant, le monde se rapprochera encore plus d’un dangereux gouffre, au-delà duquel non seulement des conflits régionaux localisés, mais aussi des conflits mondiaux commencent déjà à être possibles. C’est ce dont Moscou parle aujourd’hui avec beaucoup d’inquiétude. En 2007, cette inquiétude était moindre”, précise Mme Suponina.

Les élites américaines accepteront-elles la proposition russe ? Les experts en doutent, car pour cela, les autorités américaines doivent revoir complètement leur vision du monde. “Pour nous entendre, pour prendre en compte nos intérêts, comme nous le demandons depuis Munich, il faut nous reconnaître au moins comme des égaux. Comme un pays ayant ses propres intérêts, qui peuvent ne pas coïncider avec ceux de l’Occident. En tant que sujet indépendant de la politique internationale”, explique Mendkovitch. Et l’administration Biden, à en juger par son comportement, n’est pas prête pour cela.

Peut-être que ceux qui la remplaceront seront prêts. Qui comprendront que l’arrogance de l’Occident, son vertige face à l’issue de la guerre froide et sa croyance en ses propres mythes l’ont conduit à une perception erronée de la réalité. Et qui ne répétera pas ces erreurs. Qui comprendront que la Russie, aujourd’hui comme il y a 17 ans, est toujours ouverte à la coopération avec les pays et les associations internationales qui sont prêts à une coopération respectueuse et mutuellement bénéfique avec elle. Et à résoudre les problèmes de coexistence internationale en général, au niveau mondial.

“Je suis convaincu que nous sommes arrivés à ce moment clé où nous devons réfléchir sérieusement à l’ensemble de l’architecture de la sécurité mondiale. Et nous devrions partir de la recherche d’un équilibre raisonnable entre les intérêts de tous les sujets de la communication internationale. Surtout aujourd’hui, alors que le ‘paysage international’ change de manière si tangible et si rapide – en raison du développement dynamique d’un certain nombre d’États et de régions”, a déclaré M. Poutine en 2007. Ces mots sont toujours d’actualité en 2024.

 

Le cas Hans-Georg Maaßen: un fasciste aux sommets de l’État allemand

L’excellent WSWS, ici en relation avec le non moins excellent Junge Welt, révèle une information que la presse française n’a pas relayée et ne relayera pas. Qui s’en étonnera encore ? Elle confirme ce qu’a dit un livre publié depuis des années aux Etats-Unis et dont les faits sont reconnus, à savoir l’opération boomerang (1) qui décrit non seulement le fait qu’il n’y a pas eu dénazification en Allemagne mais qu’au contraire l’Allemagne de l’ouest est devenue un bastion pour les anciens nazis durant la guerre froide. Comme en Pologne avec Tusk, c’est tout un appareil d’Etat qui est mis au service de la guerre contre l’URSS puis la Russie et qui prend aujourd’hui un rôle de pointe dans la guerre en Ukraine en poussant y compris jusqu’à une guerre nucléaire. (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

Christoph Vandreier

La principale agence allemande de renseignement intérieur, l’Office fédéral de protection de la Constitution, a révélé la semaine dernière qu’elle fichait son ancien patron Hans-Georg Maaßen comme «suspect d’extrême droite». L’agence a été contrainte d’admettre qu’elle avait été dirigée pendant huit ans par un extrémiste de droite.

L’Office fédéral de protection de la Constitution [Bundesamt für Verfassungsschutz ou BfV en allemand], le principal service de renseignement intérieur allemand, a révélé la semaine dernière qu’il fichait son ancien patron, Hans-Georg Maaßen, comme «suspect d’extrémisme de droite». L’agence a été contrainte d’admettre qu’elle avait été dirigée par un extrémiste de droite pendant huit ans.

L’affirmation que Maaßen ne se serait radicalisé que ces dernières années n’est rien qu’une minable excuse. Il a toujours été extrémiste de droite et cela était de notoriété publique. En fait, son accession au sommet du service secret prouve que les cliques fascistes sont systématiquement encouragées et protégées au sein de l’appareil d’État.

Maaßen a lui-même confirmé sur son site web qu’il était surveillé par le renseignement intérieur, après que le magazine politique Kontraste de la chaîne publique ARD en eut informé. La déclaration écrite du Verfassungsschutz concernant Maaßen se fonde exclusivement sur des déclarations qu’il a faites publiquement et qui ne laissent aucun doute quant à ses opinions d’extrême droite et fascistes.

Est cité par exemple un article de Maaßen paru dans l’hebdomadaire suisse Weltwoche dans lequel il affirme que le chancelier Olaf Scholz et la ministre de l’Intérieur Nancy Faeser (tous deux sociaux-démocrates, SPD) visent à provoquer «l’effondrement de la société allemande» avec leur politique en matière de réfugiés et d’immigration, «afin de construire sur ses ruines un système social néo-socialiste». Il y assimile l’afflux de migrants à un cancer qui doit être combattu par la «chimiothérapie».

Maaßen se voue depuis janvier avec l’Union des valeurs, un groupe qui jusque là faisait partie de la CDU chrétienne-démocrate, à la fondation d’un nouveau parti. Il s’est déclaré prêt à former des coalitions avec le parti d’extrême droite AfD (Alternative pour l’Allemagne) et pourrait aider ce parti fasciste à accéder au pouvoir, notamment dans les Lands d’Allemagne de l’Est. Des représentants de l’Union des valeurs avaient participé à la notoire réunion de chefs de l’AfD et d’autres extrémistes de droite dans une villa de Potsdam, qui planifiait l’expulsion de millions de gens issus de l’immigration.

En tant que dirigeant du ‘‘Groupe de projet immigration’’ au ministère allemand de l’Intérieur, Maaßen a défendu une politique extrêmement restrictive à l’égard des réfugiés et a veillé à ce que Murat Kurnaz, qui est né et a grandi à Brême, reste prisonnier pendant cinq ans, alors qu’il était innocent, au centre de détention de Guantanamo Bay.

En 2012, Maaßen a été nommé à la tête du Verfassungsschutz afin de dissimuler les liens étroits de cette agence d’espionnage avec le groupe terroriste d’extrême droite NSU (Nationalsozialistischer Untergrund – Groupe national-socialiste clandestin) et de préserver le réseau fasciste responsable du meurtre d’au moins neuf immigrés et d’une policière.

Après sa création, l’AfD a pu compter sur le soutien de Maaßen et de son agence. Il est avéré que Maaßen a rencontré plusieurs fois Frauke Petri, alors présidente de l’AfD, son successeur Alexander Gauland et au moins un représentant de son aile fasciste. Il a discuté avec eux, entre autres, des rapports de l’agence de renseignement.

Tout en rapprochant le service de renseignement des milieux d’extrême droite, il s’en est pris de façon agressive à tous ceux qui s’opposaient à la droite politique. En 2018, Maaßen a ordonné que le Sozialistische Gleichheitspartei (SGP, Parti socialiste pour l’égalité) soit inclus dans le rapport du Verfassungsschutz en tant qu’«organisation d’extrême gauche» et soit donc soumis à la surveillance des services de renseignement. Pour justifier sa décision, le Verfassungsschutz a déclaré que le parti était «contre le prétendu nationalisme, l’impérialisme et le militarisme» et qu’il dénigrait le capitalisme.

Le SGP a intenté une action en justice contre cette décision et a ainsi démontré que le gouvernement allemand renouait directement avec les traditions de l’interdiction du Parti social-démocrate (SPD) par Bismarck et de la persécution des sociaux-démocrates et des communistes sous Hitler: «Aujourd’hui, la grande coalition et ses services secrets préparent une troisième édition des lois anti-socialistes», a écrit le SGP. «Ils adoptent la politique de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) et menacent d’interdiction quiconque critique ce parti d’extrême droite».

C’est précisément la raison pour laquelle Maaßen a été nommé à la tête du renseignement intérieur. Il s’agissait de renforcer les réseaux d’extrême droite et de rendre le marxisme illégal. Il n’a été contraint de démissionner qu’après l’indignation publique suscitée par le fait qu’il avait défendu les déchaînements de l’extrême droite contre les migrants et les juifs dans la ville de Chemnitz en 2018 et fulminé contre les «forces de l’extrême gauche au sein du SPD».

Le renvoi de Maaßen n’a pas changé le moins du monde l’agenda antidémocratique du BfV. Les réseaux d’extrême droite qu’il couvrait sont restés intacts et des centaines d’employés embauchés pendant qu’il était en fonction sont restés à leur poste. Thomas Haldenwang, qui avait travaillé en étroite collaboration avec Maaßen pendant cinq ans en tant que vice-président de l’agence, a été nommé à sa tête. Le SGP est resté sous surveillance et les attaques ont été étendues à d’autres formations de gauche, comme le groupe de protestation anti-changement climatique Ende Gelände et le quotidien Junge Welt.

La continuité au sein du renseignement intérieur prouve qu’il ne s’agit pas simplement d’un individu, mais de l’agenda politique de la classe dirigeante. C’est pourquoi Maaßen a été soutenu par tous les partis politiques. C’est le ministre de l’Intérieur du SPD, Otto Schily, qui l’a nommé à la tête du «Groupe de projet immigration» en 2001. La CDU, la CSU (Union chrétienne sociale) et les libéraux-démocrates (FDP) l’ont ensemble nommé à la tête du BfV. Le Parti de gauche a lui aussi maintenu des contacts étroits avec lui et l’a même invité à une réunion publique en 2013.

Le SGP est dans le collimateur de cette conspiration politique parce qu’il a mis au jour les réseaux d’extrême droite aux plus haut niveau de l’establishment politique allemand et qu’il a montré comment la classe dirigeante en Allemagne renouait avec ses traditions fascistes. L’AfD a été systématiquement construite et son agenda d’extrême droite en matière de réfugiés, de guerre et de politique intérieure mis en œuvre par les gouvernements d’Angela Merkel et d’Olaf Scholz. Dans le livre « Warum sind sie wieder da ? » [Pourquoi sont-ils de retour ?], qui examine le retour du fascisme en Allemagne, nous avons expliqué:

Si la conspiration de l’élite dirigeante en 1933 était basée sur un mouvement fasciste existant, aujourd’hui c’est l’inverse. La montée de l’AfD est le produit d’une telle conspiration. On ne peut la comprendre sans examiner le rôle du gouvernement, de l’appareil d’État, des partis, des médias et des idéologues dans les universités qui lui ont ouvert la voie.

Le livre traite en particulier de la manière dont les atrocités commises par les nazis sont banalisées dans les universités allemandes afin de rendre acceptables les positions de l’extrême droite et de laver le militarisme allemand de ses crimes historiques afin de «renouer avec les objectifs [de l’impérialisme allemand] des deux guerres mondiales».

Lorsque nous avons critiqué le professeur de l’Université Humboldt Jörg Baberowski pour avoir déclaré dans Der Spiegel qu’Hitler n’était «pas cruel» et que l’Holocauste était en substance la même chose que les fusillades durant la guerre civile russe, les représentants de tous les partis parlementaires et de la plupart des médias se sont rangés du côté du professeur d’extrême droite. Lorsque des dizaines de conseils d’étudiants et des milliers d’étudiants ont adopté les critiques du SGP et protesté contre les doctrines d’extrême droite, le renseignement intérieur est intervenu et placé le SGP sur la liste des organisations extrémistes.

Le cas Maaßen montre à quel point notre évaluation était correcte. Les réseaux terroristes d’extrême droite au sein de l’appareil d’État et l’AfD fasciste ne sont pas des corps étrangers dans un organisme par ailleurs sain, mais les pires symptômes d’un système rongé par la maladie. Comme dans la première moitié du XXe siècle, le capitalisme conduit à des formes extrêmes d’inégalités et à des guerres impérialistes de plus en plus brutales. La guerre menée par l’OTAN contre la Russie et le génocide israélien contre les Palestiniens en témoignent.

La classe dirigeante allemande joue à nouveau un rôle particulièrement agressif dans l’éruption mondiale de la guerre impérialiste. Elle se prépare ouvertement à une guerre directe avec la Russie et réarme massivement pour que l’Allemagne soit de nouveau «bonne à la guerre». Dans la politique des réfugiés également, le programme de l’extrême droite fait depuis longtemps partie de la politique gouvernementale. Pas plus tard que le 18 janvier, le Bundestag, avec les voix des partis de la coalition au pouvoir, SPD, Verts et FDP, a adopté la loi dite «d’amélioration du rapatriement», qui jette les bases d’une déportation massive des réfugiés.

Cette politique impitoyable ne peut être imposée contre l’énorme opposition de la population qu’avec les méthodes de la dictature et du fascisme. C’est pourquoi l’extrême droite est renforcée et courtisée par tous les partis, non seulement en Allemagne, mais dans le monde entier. Partout, la classe dirigeante se tourne vers des formes de pouvoir dictatorial.

Mais la résistance à ces formes de pouvoir s’accroît également dans le monde entier. Les manifestations de masse qui ont lieu depuis des semaines contre l’AfD montrent à quel point l’opposition au retour du fascisme et de la guerre est grande en Allemagne. Mais elles soulèvent aussi avec la plus grande urgence la question de la perspective politique. Dans la lutte contre la droite fasciste, on ne peut pas s’appuyer sur l’appareil d’État bourgeois et sur les partis qui le défendent, qui défendent le capitalisme et qui courtisent la droite. Seul un mouvement international de la classe ouvrière contre le capitalisme peut arrêter la guerre et le fascisme.

(Article paru en allemand et anglais le 7 février 2024)

(1) Le Boomerang américain, editions delga

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«Le Boomerang américain atteint enfin le public francophone après 35 ans de censure de fait et ce, dans une conjoncture internationale, la guerre russo-ukrainienne ou plutôt la guerre Russie-OTAN, que sa lecture éclaire. Son auteur, le journaliste Christopher Simpson [décrit que] cette “politique de Libération du bolchevisme”, concept puisé à l’arsenal sémantique du IIIe Reich, avait nécessité l’embauche américaine (britannique et française), précoce et systématique, de criminels de guerre, nazis allemands et collaborateurs du Reich dans toute l’Europe occupée, URSS comprise. Les services de renseignements américains, dominés par l’Office of Strategic Services (OSS, ancêtre de la Central Intelligence Agency, CIA) lié au département d’État et par le Counterintelligence Corps (CIC) du secrétariat à la Guerre, savaient tout, quand ils engagèrent ces criminels, allemands et “européens”, de leurs activités: ils avaient depuis 1941 consigné par écrit le moindre détail du palmarès sanglant, à travers le continent européen, des organisateurs, exécutants et tortionnaires de massacres et reconstitué leur cursus d’avant-guerre, déjà éloquent. Ces dossiers et listes interminables comportaient des millions de noms, allemands et “européens”, consignés dans l’immense registre américain de la “recherche des criminels de guerre” (Central Registry of War Criminals and Security Suspects, Crowcass).