C’est
 une petite musique qui revient à chaque réunion en vue d’une 
mobilisation dans l’Éducation nationale : au-delà des réformes touchant 
le cycle général, il s’agirait de ne pas en oublier une autre, celle de 
la voie professionnelle. Il faut dire que dans le grand bouleversement à
 l’œuvre dans l’Éducation nationale depuis 2017, le lycée professionnel 
n’a pas été épargné. Ses enseignants ne cessent depuis cinq ans 
d’alerter sur leurs conditions de travail, et les récentes déclarations 
d’Emmanuel Macron n’ont rien pour les rassurer.
Alors candidat à 
sa réélection, le président de la République avait promis, en avril, 
« une révolution complète du lycée professionnel ». Un mot d’ordre qu’il
 a réitéré jeudi 25 août, dans son discours devant les recteurs, en 
valorisant le modèle de l’apprentissage et en augmentant d’au moins 50 %
 les temps de stage (qui devront être rémunérés « de manière 
correcte »).
Rapprocher le bac pro de l’entreprise
But
 de la réforme : « ré-arrimer, très en profondeur et en amont, les 
lycées professionnels avec le monde du travail » et « adapter aux 
besoins du marché du travail et des élèves, nos formations ». Avec en 
ligne de mire l’objectif plus global de dépasser le million d’apprentis 
(730 000 aujourd’hui) afin d’améliorer l’insertion des jeunes.
Un 
projet qui suscite l’inquiétude de la communauté éducative. « Brandir 
l’apprentissage en exemple à suivre, c’est oublier que le lycée 
professionnel se compose de jeunes âgés de 15 à 18 ans dont la majorité 
est en tension avec le scolaire et n’est pas prête à entrer dans le 
monde dans l’entreprise, souligne Stéphane Crochet, secrétaire général 
du Se-Unsa. Doubler le temps passé en stage interroge profondément sur 
le temps qu’il reste pour les enseignements généraux. »
Parmi les 
65 000 enseignants de la voie professionnelle, beaucoup redoutent 
également une organisation des filières en fonction des besoins de 
l’économie locale de chaque établissement. « Il vous faudra donc revoir,
 en lien avec les régions, la carte des formations, assumer ensemble de 
fermer celles qui n’insèrent pas, et développer celles qui marchent » a 
en effet intimé le Président aux recteurs d’académie réunis jeudi 
dernier.
Autre motif d’inquiétude : un décret publié en juin 
dernier a élargi les champs d’exercice des professeurs de lycée 
professionnel. Ils peuvent désormais enseigner dans les cycles général 
et technologique, en collège ainsi que dans le supérieur.
Pour 
Vincent Magne, représentant de l’Association des professeurs d’histoire 
et de géographie (APHG), il s’agit avant tout d’un « moyen de faire de 
la gestion de flux » :
 « Ce décret facilite la suppression des 
postes qu’engendrera l’augmentation des périodes de stages. Les 
professeurs seront simplement redéployés dans les collèges où la pénurie
 de moyens bat son plein », prédit-il.
Co-tutelle des ministères du Travail et de l’Education
Symbole
 du renforcement souhaité de l’expérience en entreprise : le placement 
de la ministre déléguée chargée de l’enseignement et de la formation 
professionnels Carole Grandjean sous la double tutelle d’Olivier 
Dussopt, ministre du Travail, et de Pap Ndiaye, à la tête du 
portefeuille de l’Education. Une manœuvre qui a été accueillie de 
manière contrastée au sein des syndicats.
Le Snuep-FSU a ainsi regretté qu’une « ligne rouge » ait été franchie :
 « Cette double tutelle est un mauvais signe dans un contexte actuel de 
désengagement progressif de l’État des missions de services publics 
d’éducation », estime Sigrid Gérardin, co-secrétaire générale du 
Snuep-FSU, qui y perçoit « une forme d’externalisation » des 650 000 
élèves professionnels en dehors du giron de l’Éducation nationale, et 
« une volonté de transformer les lycées professionnels en centres 
d’apprentissage. »
Inversement, le Snetaa-FO (majoritaire) a salué
 le « symbole fort » d’une « priorité donnée à l’enseignement et la 
formation professionnels », même si Pascal Vivier, secrétaire général du
 Snetaa-FO redoute un « coup de com » :
 « Nos élèves arrivent 
avec de lourdes difficultés scolaires dont le lycée professionnel est le
 réceptacle. Penser que les transformer en apprentis, de la main-d’œuvre
 bon marché, suffira à endiguer le décrochage est un leurre. »
Dans la lignée des précédentes réformes
Créé
 en 1985, le baccalauréat professionnel n’a depuis cessé d’être réformé.
 Celle de 2009, menée sabre au clair par Luc Châtel, avait déjà fait 
passer de quatre à trois ans la durée des enseignements. En 2018-2019, 
Jean-Michel Blanquer avait à nouveau allégé les volumes horaires des 
enseignements généraux (maths, français, langue vivante), une partie de 
ces cours devant être réalisée en « co-intervention » avec des 
enseignants des matières professionnelles.
L’année de seconde 
était par ailleurs devenue une année de découverte d’une famille de 
métiers, retardant la spécialisation à l’année de première avec, déjà, 
une volonté d’accroître le nombre de formations en apprentissage et d’en
 faire des « filières d’excellence ».
En trente-cinq ans, les 
élèves de la voie professionnelle ont ainsi perdu 1 370 heures 
d’enseignement général et professionnel sur tout le cycle.
En 
découle, pour les professeurs en charge des matières générales, une 
perte de sens du métier et le sentiment de ne plus pouvoir offrir des 
enseignements de qualité.
« Ces transformations sont guidées par 
des visions purement utilitaires. On revient à l’obsession 
patron-ouvrier du XIXe siècle selon laquelle un ouvrier doit bosser, et 
ne surtout pas réfléchir », dénonce Vincent Magne, représentant de 
l’Association des professeurs d’histoire et de géographie (APHG). 
« Peut-être n’en ferons-nous pas des historiens, mais nous devons les 
former à devenir les citoyens de demain », insiste l’enseignant de 
lettres et histoire-géographie – deux domaines rassemblés en une seule 
discipline dans les filières professionnelles – à Troyes.
Depuis 
la réforme de Jean-Michel Blanquer, un élève sortant du baccalauréat 
professionnel n’a eu seulement qu’1 heure 15 de français par semaine. 
Pour un élève de CAP c’est à peine 45 minutes.
Élèves en difficulté
Julie
 Delphigué-Giraud, professeure d’éco-gestion au lycée de 
Camblanes-et-Meynac (Gironde) déplore, elle, un manque de concertation 
avant une telle refonte. L’enseignante y perçoit une « grande 
méconnaissance du profil social des élèves et de leurs difficultés 
scolaires ». En 2016, le Cnesco avait établi que 60 % des élèves de la 
voie professionnelle sont des enfants d’ouvriers, et seulement 12 % des 
enfants de cadres.
Les données du ministère de l’Education 
nationale montrent également qu’en 2021, les lycées professionnels ont 
accueilli 39 % élèves boursiers, contre 26,5 % en filière générale, avec
 de surcroît un « retard » d’âge fréquent (33 % des inscrits en seconde 
pro et 62,6 % en première année de CAP).
Julie Delphigué-Giraud 
pointe une autre difficulté encore peu abordée mais prégnante dans le 
discours des enseignants : la sur-représentation des élèves porteurs de 
handicap. Cette année, sur ses 26 élèves, 11 étaient en situation de 
handicap – certains avec des déficiences intellectuelles lourdes, ce qui
 complique la conduite des apprentissages.
Pour Christian Sauce, 
ex-professeur de lettres et d’histoire-géographie, la dégradation de la 
voie professionnelle n’est autre que le résultat d’une dégradation 
continue et orchestrée.
« L’apprentissage explose, dopé par 
l’argent public, tandis que le lycée professionnel se meurt par la 
volonté des pouvoirs publics », résume-t-il dans une formule lapidaire.
Les
 premiers chiffres du projet de loi de finances 2023, transmis le lundi 8
 août au Parlement, lui donnent plutôt raison. Le ministère du Travail 
devrait bénéficier d’une hausse de crédits de 6,7 milliards d’euros pour
 la prolongation des aides à l’embauche des apprentis, lancées à l’été 
2020 et qui devaient s’éteindre le 30 juin dernier.
Leur montant a
 été calculé afin que l’opération ne coûte presque rien à l’employeur, 
soit 5 000 euros pour le recrutement en contrat d’apprentissage ou de 
professionnalisation d’un mineur, et 8 000 pour les alternants majeurs 
peu importe le diplôme poursuivi ou la taille de l’entreprise. Une 
réussite si l’on en croit la hausse spectaculaire du nombre de contrats 
signés : plus de 730 000 en 2021, contre 290 000 cinq ans plus tôt.
Quantité ou qualité de l’apprentissage ?
Mais
 tandis que le chef de l’État vante les mérites de l’apprentissage comme
 tremplin vers le plein-emploi, la Cour des comptes dresse un bilan en 
demi-teinte. Dans un rapport publié en juin sur la formation en 
alternance, celle-ci pointe des « taux de rupture de contrats 
d’apprentissage particulièrement élevés » en général, et notamment dans 
la filière pro (39 % pour les CAP, 32 % pour les bac pro), même si la 
majorité des apprentis rebondissent finalement via un autre contrat.
Surtout,
 on y apprend que la hausse globale des effectifs d’apprentis est en 
réalité « un succès quantitatif principalement porté par l’apprentissage
 dans l’enseignement supérieur » – représentant 51 % des apprentis en 
2020 – et le secteur tertiaire.
Par ailleurs, l’impact de 
l’apprentissage sur l’insertion et la carrière des jeunes reste mal 
connu et, pour ce que l’on en sait, relativement ambivalent, comme le 
notait la Cour des Comptes. Une étude qui vient de paraître dans la 
revue Éducation et Formations montre qu’être passé par une formation en 
apprentissage « augmente la probabilité d’occuper un emploi, des 
diplômés du second cycle jusqu’à la trentaine » mais a, en revanche, 
« peu d’impact, voire un léger effet défavorable, sur celle des plus 
âgés ».
La « double tutelle » des ministères Éducation-Travail 
doit enfin permettre de pouvoir initier un changement au collège. Des 
établissements volontaires pourront proposer, dès cette rentrée, des 
« activités de découverte de métiers » à partir de la classe de 
cinquième, a spécifié la rue de Grenelle dans sa circulaire de rentrée 
2022. Une mesure qui peut sembler de bon augure a première vue, mais qui
 laisse les syndicats sur la défensive.
« Normalement il devrait y
 avoir des dissensions fortes entre les objectifs du ministère du 
Travail et du ministère de l’Éducation nationale. S’il n’y en a pas, 
c’est que l’on est bien dans un registre d’instrumentalisation de la 
formation des jeunes pour satisfaire des besoins économiques locaux », 
conclut Sigrid Gérardin du Snes-FSU.
Source https://www.alternatives-economiques.fr/lycees-pro-toujours-plus-soumi...