mardi 25 novembre 2014

REGURREGURREGU




REGURREGURREGU!

LE SÉSAME QUI MIT FIN A LA PEUR PANIQUE DE JOAQUIN VIDAL.



L’incomparable Joaquin VIDAL, dans son livre TORO, qu’il édita avec le photographe Ramón MASATS, nous raconte cette anecdote, aussi étonnante qu’amusante, qu’il vécut dans un élevage de toros.

«Je fus convié à faire un reportage dans une propriété, accompagné d’un photographe avec qui je m’étais lié d’amitié, Fernando BOTÀN: nous étions élèves dans les mêmes écoles confessionnelles depuis notre plus tendre enfance, et depuis cette époque, s'était établie entre nous une solide confiance mutuelle, entretenue par les plaisanteries que nous partagions
Ce jour-là, alors que le ganadero nous faisait visiter sa propriété, nous étions assis sur une remorque, derrière le tracteur qu’il conduisait. La remorque était très basse. Depuis son siège, l’éleveur nous donnait des explications à haute voix, pour répondre à toutes nos questions. J’écoutais, j’observais attentivement, prenais des notes.  BOTÀN prenait des photos. On s’arrêta près des mangeoires, l’éleveur descendit de son siège pour les remplir de foin, avec l’aide du mayoral, pendant ce temps nous restions sur la remorque, immobiles, sans bouger le petit doigt, les toros rôdaient à  proximité de nous, nous n’étions pas rassurés, nous voulions éviter à tout prix d’éveiller leur attention. J’écrivais lentement, et BOTÀN prenait ses photos en ayant bien soin d’éviter le moindre mouvement trop brusque. Soudain, à mon grand étonnement, il murmura: ne me fais pas de chatouilles! Mais comment aurais-je pu lui faire des chatouilles, mes deux mains étaient occupées, l’une par le carnet de notes, l’autre par le stylo bille ? Je pris cela pour une de ces plaisanteries, dont nous avions l’habitude. Bien que celle-ci me parût déplacée, je continuai à écrire sans prononcer un seul mot. Mais BOTAN insista : Ne me chatouilles pas, putain ! Mais le ton employé n’était absolument pas celui de la plaisanterie, et cette fois-ci, je lui demandais s’il n’était pas devenu barjot. Il y eut un bref silence, suivi d’une intense réflexion. On se regarda, il comprit que çà n’était pas moi qui lui faisais des chatouilles…. Nous nous retournâmes, et notre sang se glaça. . C’était un toro qui le chatouillait, un toro qui mangeait la paille posée sur la remorque. En secouant la morve qui tombait de ses narines, sans le vouloir, avec une corne, il taquinait les côtes de mon ami. J’appelai le ganadero. Il ne m’entendit pas. Ni lui, ni personne ne m’entendit, sans doute parce qu’aucun son ne pouvait sortir de ma bouche. Je remuai les lèvres désespérément, ma gorge fit des efforts gigantesques, mais sans résultat : mes cordes vocales elles aussi s’étaient glacées  De la bouche de BOTÀN non plus, aucun son ne pouvait sortir. On restait muets, sans réaction, comme morts. Nous eûmes enfin la chance de voir le ganadero se retourner. Il comprit rapidement que nous étions en mauvaise posture, et se mit aussitôt à appeler, en ronronnant: « REGURREGURREGU », et le toro reconnut cette voix,  il détourna la tête de la paille, et s’éloigna lentement, pas à pas. 
Les années ont passé, je n’ai jamais compris pourquoi cet animal n’avait pas donné un coup de corne, c’était pour lui si facile. De s’être appelé BELMONTE ou JOSELITO, l’anecdote aurait été plus vite connue, et plus glorieuse. Même pour un ramasseur d’asperges, dont les toros  empoisonnent la tranquillité. Un toro aperçoit un cueilleur d’asperges, il lui inflige une cornada dans l’aine. Par contre, deux journalistes avec simplement stylo et appareil photos, ne  représentent rien, aucun intérêt, rien pour les faire passer à la une de l'actualité, ils ne valent même la peine qu’on les jette par terre.
REGURREGURREGU est un mot magique, qui figure probablement dans la bible, un sésame qui  chasse les démons"