Ne croyez jamais que “la vieillesse soit un naufrage”… c’est un stéréotype…
Me voici arrivée à un âge vénérable, celui où je découvre à quel
point les autres se font une raison à ma disparition proche. Il n’y a
aucune antipathie, ni même impatience dans leur attitude simplement le
constat sans doute que j’ai atteint la moyenne où un Français cède la
place. Alors je crois qu’il est temps de dénoncer un certain nombre
d’idées reçues sur la question.
Il y a d’autres faits qui assortissent cette résignation générale à
ma mort imminente, ainsi je voudrais parler de la manière dont hier un
individu contemporain de sexe masculin a cru bon comme tant d’autres
d’opposer à mes arguments la seule dénonciation de ma “vieillesse”. Je
lui faisais remarquer sa dérive social démocrate en notant qu’il devait
se faire une raison “il n’était plus communiste”, mais il demeurait un
allié potentiel pour des listes locales et des actions ad hoc.
Résultat cet individu dont je tairai le nom, ils sont quelques-uns à
avoir ce profil peu glorieux de parasite du parti des 75.000 fusillés,
ne sachant que répondre à mes propos ne trouva qu’à sortir la citation
gaullienne, l’almanach Vermot des gens sans esprit: “la vieillesse est
un naufrage”. Il avait pourtant à peu près le même âge que moi. Le cas
n’a rien d’isolé. C’est fou comme sur les réseaux sociaux l’argument de
l’âge est agité par de parfaits imbécile. Des gens chez qui,
visiblement l’âge ne fait rien à l’affaire, celle d’être
irrémédiablement con comme le chante Brassens. Ce à quoi je fis
remarquer à mon interlocuteur qu’en ce qui le concernait, étant tous
deux de la même promotion mon naufrage était son naufrage.
Qu’en outre être devenu un social démocrate avec l’âge n’était pas
une insulte, un simple amollissement de la pugnacité de l’être.
Peut-être un certain goût du confort. Parce que la seule différence
entre nous, c’est que moi je n’ai jamais eu besoin du PCF pour m’assurer
ni salaire, ni retraite, ni publication, et que pourtant je ne crachais
pas dans la soupe. Je reste reconnaissante à des engagements qui m’ont
fait une belle vie et une vieillesse encore passionnée même si ce n’est
plus tout à fait par la gent masculine. Alors que lui ne devait retraite
confortable, relative notoriété que d’avoir été sélectionné dans sa
prime jeunesse par le PCF, d’y avoir parcouru un cursus honorum sans
désagréments, ni preuve de courage ou de compétence excessive, et
d’avoir ultime marque d’ingratitude craché dans la soupe au profit du
sieur Mélenchon, une preuve de mauvais goût plus encore que de
traîtrise. Ce désaccord néanmoins lui permettant de ne pas verser sa
retraite au PCF. Alors que moi quand j’ai été conseillère régionale,
sous prétexte que j’avais un salaire par ailleurs je n’ai jamais perçu
le moindre kopeck, de même j’ai été journaliste à titre gratuit et aucun
de mes écrits et livre militant n’a fourni le moindre droit d’auteur.
Il regrettait le beurre, l’argent du beurre et la fraîcheur de la
crémière, on ne pouvait pas tout avoir…
Simplement étant un machiste de première il était convaincu que pour
une femme la vieillesse était pire que pour un homme. Mais non cher
Jean-Claude, lui ai-je répondu (son prénom est effectivement
Jean-Claude) c’est exactement la même chose la vieillesse pour un homme
et une femme surtout si cette dernière se résigne aisément à ne plus
provoquer ton hasardeux désir…
A ce propos, il m’arrive de dire à mon chat, le dernier à me fixer de
cette manière sans doute parce qu’il voit en moi une croquette
ambulante: “nous sommes heureux tous les deux!” Tout en regrettant donc
une dernière amourette comme ils savent en avoir à Cuba en dansant une
dernière fois… Éprouver pour les deux hommes avec lesquels j’ai tout
partagé y compris l’espérance révolutionnaire, un souvenir d’une telle
intensité qu’encore aujourd’hui en les interpellant confondus je tords
mes mains en murmurant leur prénoms. Certes cela n’est plus qu’une trace
de l’âme mais Je suis sollicitée, plus que je ne le souhaiterais par
tant d’amitiés. Sans doute parce que je ne détaille à personne la
description de mes douleurs rhumatismales, et j’épargne au tout venant
la précision digne d’un entomologiste des signes de ma décrépitude,
occupée comme je le suis de tenter de les convaincre de l’urgence d’un
combat. Résultat, j’ai conservé ces bouffées de bonheur et de
reconnaissance dans le simple plaisir d’être en vie… je ne suis pas
pressée de mourir et j’espère que ce sera de fatigue d’avoir tant vécu.
Certes si j’étais assurée de retrouver amours et amitiés j’abrégerais
mais c’est un assez grand privilège d’avoir aimé et vécu pour ne pas me
faire d’illusion sur un prolongement dans l’haut de là alors la vie est
jusqu’au bout et pour ceux à qui j’espérerais laisser un monde plus
propre que celui que j’ai trouvé en entrant en 1938… Nous sommes les
maillons d’une chaîne ininterrompue et n’avons de sens que dans ce
lien;..
Donc déjà je voudrais signaler que personne n’imagine mourir et que
de toute façon probablement il ne le saura pas. En outre la vieillesse
ne serait pas un état pénible si on ne tentait pas de vous en convaincre
et enfin qu’une des conquêtes de l’égalité a été la survie féminine
dans un meilleur état que nos homologues masculins, merci donc au
progrès des sciences et de la médecine. C’est d’ailleurs ce qui me rend
réticente à toute proposition d’aller revivre le temps des crêpes sur un
feu de bois dans une quelconque caverne. La Covid là encore a été comme
dans bien d’autres domaines une confirmation de la tendance amorcée
depuis le 18e siècle en France où les femmes se sont mises à survivre
beaucoup plus que les hommes ce qui depuis l’aube des siècles n’avait
jamais eu lieu. Le bon usage de la démographie m’a convaincu qu’au
féminin le progrès des sciences et des techniques était un allié. Tous
les obscurantistes anti-vaccin me sont devenus suspects.
Le même usage des statistiques m’a également convaincue que le
service public (et le parti communiste, merci Maurice Thorez et Fernand
Grenier) avait été un grand promoteur de l’égalité professionnelle. J’en
suis un pur produit et j’ai la reconnaissance du ventre. Je n’ai jamais
oublié que je dois à l’armée rouge dirigée par Staline le fait d’avoir
atteint l’âge de 83ans alors avant de leur cracher dessus, je me
documente, ce qui me vaut la réputation d’être stalinienne, alors que je
déteste la censure et je suis résolument contre la peine de mort et que
j’ai tendance à ne jamais confondre sympathies et antipathies
personnelles avec les positionnements politiques. Simplement je
considère que le procès stalinien est un degré supérieur de démocratie
par rapport au traitement que les grands “anti-staliniens” qui se sont
emparés de la presse communiste française, sans parler des grands
“démocrates” du capital que les journalistes dits communistes rêvent de
copier, font subir à certains d’entre nous: censure, interdiction de
prononcer le nom, diffamation pure et simple. Au moins dans le procès
stalinien vous savez de ce dont on vous accuse. Comme d’ailleurs le
goulag me semble un degré d’humanité supérieur à la guillotine de nos
ancêtres puisqu’il s’agit du bagne auquel on survit et même on y guérit
du cancer si l’on en croit l’exemple de ce réactionnaire antisémite de
Soljenitsyne (?).
Mais même dans ce domaine, celui d’une censure qui m’interdit toute
notoriété, je bénéficie d’un bon tempérament dû à l’exemple de gens que
j’ai admirés, comme ce dirigeant cubain qui m’expliquait qu’il
souhaitait être connu de ses amis et ignoré de ses ennemis. Et puis
quand je vois qui sont les élites médiatiques en France, on se console
aisément de n’en faire point partie. Hier en marchant je me disais même
que je devais quelque reconnaissance à la censure impitoyable de
l’Humanité… peut-être que si je n’avais pas été totalement interdite,
j’aurais cherché à plaire… là au moins on m’a laissé tout loisir de ne
me confronter qu’à une recherche du “vrai” que l’on perd en général dès
la fin de l’adolescence… Ce vrai aussi rustique que cela puisse vous
paraitre est toujours le même, il y a ceux qui souffrent de
l’exploitation et dont entend si peu la voix , c’est bizarre c’est leur
censure que je partage… Comme s’exclamait hier une dame sur les réseaux
sociaux: je ne croyais plus que les gens comme vous existaient encore ..
.Je suis la dame des neiges d’antan, celle qui se paye le ridicule de
penser que la lutte des classes est là plus âpre que jamais… Avec ce
genre de propos on ne passe pour très subtile même si votre culture est
plus solide que celle de votre interlocuteur qui lui a l’art de se
fourvoyer dans les chemins de traverse.
Honnêtement mes préférences personnelles aujourd’hui plus que hier et
peut-être moins que demain vont vers le débat d’idées sur le fond, ce
fond là celui que l’on ne dit plus, ce que nous pratiquons dans ce blog.
Je ne supprime que les fascistes et les obscurantistes anti-vaccin ou
autres. Il y a aussi les incompréhensibles, bourrant leurs posts de
références mal maîtrisées. C’est mon côté prof: “ce qui se conçoit bien
s’énonce clairement”. Mais il n’y a pas de préférence élitiste. C’est ce
que j’aimais au parti cette rencontre entre catégories sociales qui
percevaient des pans entiers de la réalité.
Enfin je voudrais souligner qu’il y a dans l’art de vitupérer
l’époque des plaisirs secondaires. Ainsi je ne me suis jamais considérée
comme connaissant Marx et les théoriciens marxistes mieux que
quiconque, oui mais voilà incontestablement le niveau culturel de mes
contemporains baisse dans ce domaine comme dans la plupart des autres,
avec la pratique des livres. Donc à ma grande stupéfaction je découvre à
quel point il y a désormais peu de gens qui non seulement ont lu Marx
mais aussi par exemple Balzac en entier, et des tas d’autres. Ils ont un
petit bagage de citations qu’ils sortent souvent à contresens. C’est
pareil en histoire et en géographie, ils ne savent plus placer les faits
dont ils font état dans l’espace et dans le temps. Je m’interroge,
est-ce parce qu’ils ont accès à une autre civilisation alors que la
mienne, celle de Gutenberg disparait… ou est-ce comme cela s’est passé
dans les forêts de l’an mille parce qu’ils n’en connaissent plus que des
fragments à la manière d’un Macron et ses commémorations, c’est un
moment de barbarie dans laquelle ils se régénèrent par rapport aux
afféteries de la décadence? .
Voilà tout ça pour m’inscrire en faux “non la vieillesse n’est pas un
naufrage” si l’on ne s’en laisse pas convaincre mais ce n’est pas non
plus les jeux olympiques pour handicapés. Même si ma santé est bonne,
merci à la sécurité sociale et aux mannes d’Ambroise Croizat… Il est
inutile de me forcer… une petite marche chaque jour, et je devrais être
moins gourmande… Autre chose, la jeunesse est peut-être inculte mais
elle est beaucoup plus aimable et gentille qu’on ne le dit. En tant que
vieille dame je peux en témoigner j’ai toujours quelqu’un pour me céder
la place, m’aider dans une manœuvre difficile avec mon caddy, le tout
avec des yeux rieurs derrière le masque… Ils adorent ma politesse
désuète, ma manière de demander excuse pour l’encombrement permanent que
représente ma personne dans les files d’attente et ils se précipitent
pour m’empêcher de tomber et je fais semblant d’avoir besoin de leur
force juvénile. Ils feront ce qu’ils devront faire mais nous pouvons les
aider encore…
Oserais-je vous avouer qu’il me vient souvent l’envie d’utiliser les
prétextes de l’âge pour faire l’école buissonnière y compris dans le
travail quotidien que nécessite ce blog ?
Voilà pour vous encourager à vivre vieux et à rester des
révolutionnaires curieux de tout jusqu’à un âge avancé. Et pour
accomplir le peu que vous pouvez, comme signer faire signer notre lettre à
Emmanuel Macron contre le blocus de Cuba, veiller à ce que les
signatures soient envoyés… Vous serez irremplaçables…
Danielle Bleitrach Blog Histoire et Société