La république françafricaine
mardi 31 décembre 2013
par
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par Odile Tobner,
Billets d’Afrique 230, décembre 2013 (Survie)
Billets d’Afrique 230, décembre 2013 (Survie)
La Centrafrique est un cas d’école pour qui veut mesurer les ravages
de la Françafrique. Aucun pays africain n’a été aussi étroitement tenu
sous tutelle française ; aucun n’est aussi délabré que la République
centrafricaine, cinquième pays le plus pauvre du monde en dépit des
richesses de son sous-sol.
La déliquescence de l’État [1]
a laissé toute latitude aux bandes armées qui s’imposent par la
terreur. Avec moins de cinq millions d’habitants la Centrafrique est
aujourd’hui un pays sans routes, sans hôpitaux, sans écoles, sans eau
potable, sans électricité. Soixante-dix pour cent de la population,
abandonnée à elle-même, se trouve au-dessous du seuil de pauvreté et
souffre de malnutrition ; le taux de mortalité à l’âge de cinq ans est
de 220 pour mille et l’espérance de vie est de 44 ans. La moitié des
habitants est analphabète. Tel est le triste bilan des régimes qui se
sont succédés, tous sous une étroite dépendance de Paris. L’État-fantôme
ne contrôle pas l’exploitation des ressources, bois, diamant, dont une
grande partie fuit en contrebande vers les pays voisins.
L’histoire de la Centrafrique est celle d’un désastre continu. Après
avoir été saigné à blanc par trois quarts de siècle d’une exploitation
qui a dépeuplé le territoire et qui a permis l’édification de grandes
fortunes françaises, notamment celles des Giscard d’Estaing ou de la
famille de l’expert ès-droits de l’homme BHL, l’ex-Oubangui-Chari aborde
l’indépendance en 1960 avec à peine deux millions d’habitants pour un
territoire grand comme la France. Les bases militaires de Bouar et de
Bangui assurent une présence permanente de l’armée française, qui a fait
de la RCA un de ses terrains de jeu de prédilection, écrasant toute
tentative de rébellion et assurant à la France une gestion quasi directe
du pouvoir politique. Cette souveraineté de fait a permis à la France
d’entretenir soigneusement la déliquescence de la RCA, pour mieux servir
ses visées stratégiques et livrer le territoire au pillage de ses
affairistes. Le seul objectif des subventions françaises depuis
l’indépendance, et européennes depuis les années 2000, est d’assurer la
continuité de l’exploitation des matières premières et l’accès aux
aéroports.
Aujourd’hui que le chaos où est plongée la Centrafrique, devenue la
proie de bandes armées venues du Congo, de l’Ouganda, du Soudan, du
Tchad, menace leurs intérêts, les pays occidentaux envisagent une
intervention militaire, maquillée d’humanitaire bien sûr. Ainsi le 20
novembre le directeur du bureau Afrique du département d’État des États-
Unis, Robert Jackson, s’alarme d’une situation de « pré-génocide » en
Centrafrique. Laurent Fabius lui fait immédiatement écho, affirmant que
« la République centrafricaine est au bord du génocide ». Le mot fait
mouche et dès le lendemain le même annonce que la France va déployer un
millier de soldats supplémentaires, venant s’ajouter aux 400 qui gardent
en permanence l’aéroport de Bangui et quelques sites français dont
celui de Total, et renforcer les quelque 3000 militaires de la Force
militaire d’Afrique Centrale, la FOMAC, déjà présents sur le terrain. Il
est probable qu’ils seront rejoints, sans tambour ni trompette, par nos
forces spéciales, qui opèrent déjà en toute discrétion dans le nord du
Cameroun. On rétablira une apparence d’ordre et les habitants
continueront à périr d’inanition en silence, sans troubler la marche des
affaires, as usual.
La politique françafricaine est décidément une "grande réussite".