BFM TV et Cie détestent les Gilets jaunes
mais adorent le
Comité Adama Traoré
par Dominique Muselet
lundi 15 juin 2020, par
Comité Valmy
« Extraits
de l’article de Dominique Muselet»
Pourquoi les médias sont-ils en extase
devant
le comité de soutien à Adama Traoré ?
Il y a évidemment la fascination qu’opère
la rédemption sur le commun des mortels. Voilà une famille
dont les mauvaises langues prétendent qu’elle est composée d’un
père, de quatre mères et de 17 enfants, dont 5 seraient des
délinquants qui feraient régner la terreur dans certains quartiers,
et qui, tout à coup, frappée par la tragédie, se convertit à ce
qu’il y a de plus beau au monde aux yeux de médias, puisque ça
nous vient des Etats-Unis, l’empire voyou du bien, et que ça
arrange le gouvernement qui veut faire oublier sa gestion calamiteuse
de la crise sanitaire et la cure de précarité qu’il nous
concocte, je veux bien sûr parler de l’antiracisme. Une cause qui
semble même avoir dépassé en beauté, en vertu, en urgence, et
même en popularité, l’antisémitisme. Ce n’était pas gagné !
Loin de moi l’idée de me moquer de la
rédemption, de l’antiracisme ou de l’antisémitisme, encore plus
loin de moi l’idée de nier la douleur de perdre un être cher et
la grandeur du combat pour la justice et la vérité.
C’est juste que tous les ingrédients
sont réunis pour que les médias s’emballent. Et quand
les médias s’emballent, tout devient possible. On a vu comment,
aidés par la science, ils ont terrorisé toute la planète avec la
pandémie du coronavirus, au point de nous faire tous enfermer
pendant deux mois, de décourager les familles de renvoyer leurs
enfants à l’école, de causer la faillite de centaines de petites
entreprises et commerces, d’appauvrir toujours plus la population.
Le seul obstacle à leur adhésion totale
et inconditionnelle au Comité Adama Traoré, c’est la police.
Hélas, la police ne partage pas leur engouement pour la famille
Traoré, ni leur foi du charbonnier dans sa rédemption. La police
est méfiante par nature et le récent lâchage de son ministre l’a
rendue plus méfiance encore. De plus, ce ne sont pas les simples
policiers qui ont décidé de la militarisation de la police sous
l’égide
d’Israël qui a acquis, en plus de 50 ans de répression
barbare des Palestiniens, une expertise reconnue par tous les
pouvoirs policiers dans le domaine de la guerre contre son propre
peuple. Ils n’ont pas non plus décidé de la nouvelle doctrine du
maintien de l’ordre. On comprend qu’ils n’aient pas envie de
servir de boucs émissaires à ce pouvoir en perdition.
Les médias qui ont soutenue aveuglément la
police malgré toutes les exactions qu’elle a commises, avec la
bénédiction de sa hiérarchie et de la justice, contre les gilets
jaunes et dans les banlieues, ne peuvent pas se permettre de se
fâcher avec elle. La sécurité est leur fonds de commerce et il y a
une marge entre jouer avec le feu de la délinquance et se priver de
ses sources dans la police. Que feraient-ils de leurs innombrables
consultants justice police ?
Heureusement, les médias sont passés maîtres
dans l’art de dire une chose et son contraire, de soutenir tous les
camps (sauf les gilets jaunes), de ménager la chèvre et le chou, de
critiquer, dénoncer, reprocher, mais pas trop, quitte à nier la
réalité, à l’instar de la Macronie qui, fidèle à sa doctrine
du en même temps, a choisi de « laisser manifester mais pas
trop » comme l’explique avec un demi-sourire un policier du
syndicat Unité SGP.
Et donc, les présentateurs tentent de se
maintenir sur le fil du rasoir et de ne contrarier ni Assa Traoré,
ni la police. Vont-ils faire un faux-pas ? Le suspense est
grand. « Tout de même, on a envie d’avoir une police
irréprochable », entend-on avec stupeur un commentateur de
BFM TV dire à un syndicaliste de la police. Comment la police n’est
pas irréprochable ? BFM TV ne nous a-t-il pas toujours affirmé
que les Gilets jaunes étaient les seuls responsables de leurs
malheurs ?
Si seulement les médias étaient aussi
irréprochables qu’ils demandent à la police de l’être !
Sur le coup de 19 heures, juste au moment où on
avait enfin trouvé sur les plateaux un bouc émissaire qui mettait
tout le monde d’accord, la police, le comité Traoré et les
médias, à savoir la justice, sa lenteur, ses ratés et son deux
poids deux mesures, le Juge des référés du Conseil d’état,
ayant sans doute pris en pitié les pouvoirs en place et leurs
porte-paroles médiatiques, a fait cesser le suspense, en décidant
de suspendre l’interdiction générale absolue de manifester sur la
voie publique. Ouf, il était temps. Ça devenait vraiment
casse-gueule ! Même Macron aurait eu du mal à expliquer,
pendant son allocution solennelle (enregistrée et retransmise) de
dimanche soir, pourquoi on ne pouvait pas se réunir à 10 pour un
mariage mais qu’on pouvait se réunir à 15 000 pour une manif de
soutien à Adama Traoré.
À
la différence des Gilets jaunes, le mouvement antiraciste ne menace
pas le pouvoir
La seconde raison pour laquelle les médias
adorent la famille Traoré et haïssent les Gilets jaunes, c’est
parce que la famille Traoré, qui demande un procès équitable au
nom de l’antiracisme en se réclamant de Black Lives matter, ne
menace pas le pouvoir en place.
Ce n’est pas un mouvement social, à la
différence des Gilets jaunes, comme Yves Veyrier l’a très bien
dit sur LCI : « Un mouvement social a des
revendications sur les salaires, les retraites, le chômage, là,
non ». Le mouvement des Gilets jaunes était subversif. Il
voulait que le peuple reprenne le pouvoir pour construire une société
plus égalitaire et plus libre. Il s’attaquait pèle-mêle au
capitalisme, à l’UE, à l’impérialisme, aux privilèges, aux
actionnaires, aux banques, à Macron. Les luttes syndicales contre
les réformes libérales sont elles aussi de moins en moins tolérées
et de plus en plus durement réprimées.
Mais Black Lives matter, dont s’inspire le
Comité Adama Traoré, s’accommode très bien du capitalisme et de
l’ordre social établi, ainsi que nous l’explique Paul Street
dans un article tout à fait passionnant intitulé :
Qu’est-ce
que les Black Panthers penseraient de Black Lives Matter ? :
«
Black Lives Matter –
fondé
par trois militantes professionnelles des associations à but non
lucratif et de la collecte de fonds (Garza, Cullors et Opal Tometi)
ayant depuis longtemps des « liens étroits avec des
entreprises, des fondations, des universités et des agences
gouvernementales » – ne représente aucune menace similaire
aux Black Panthers envers l’ordre établi … Il n’appelle pas à
une large rébellion populaire contre les structures d’oppression
combinées et interconnectées du racisme, du capitalisme, de
l’impérialisme et du patriarcat. »
D’ailleurs, en août 2016, BLM a « obtenu
100 millions de dollars de la Fondation Ford et d’autres
philanthro-capitalistes d’élite (dont la Fondation Hill-Snowden,
la Fondation NoVo, Solidaire, JPMorgan Chase et la Fondation
Kellogg) ». Dis-moi qui te finance et je te dirai qui tu
es…
Croyez-vous vraiment que BFM TV, Castaner, les
démocrates étasuniens et tous les progressistes occidentaux qui
peuplent les allées du pouvoir encenseraient les manifestants comme
ils le font et leur déclareraient allégeance en pliant le genou
devant eux, si leur mouvement était véritablement révolutionnaire,
au lieu de n’être qu’un mouvement « progressiste,
rempli des dernières et meilleures idées libérales et
sociales-démocrates pour créer un capitalisme américain plus
juste, plus inclusif, plus démocratique et plus durable sur le plan
social, économique et racial. »
Rien à voir avec les black panthers, comme
l’explique encore Paul Street : « Nous croyons »,
écrivait en 1969 le ministre de l’Information des Panthers,
Eldridge Cleaver, « à la nécessité d’un mouvement
révolutionnaire unifié … informé par les principes
révolutionnaires du socialisme scientifique. » Formés par de
jeunes intellectuels noirs qui avaient lu Marx, Lénine, Mao, W.E.B.
Du Bois, Malcom X et Frantz Fanon, les Panthers avaient fusionné le
nationalisme noir avec le marxisme dans une opposition militante à
tous les maux cités par King, en accord avec sa conclusion selon
laquelle la « vraie question à affronter » au-delà des
questions « superficielles » était « la
reconstruction radicale de la société elle-même ».
La solution, selon les Panthers, était la
révolution, une transformation de toute la société, à réaliser
en combinant les forces des « prolétariats » noir, brun,
jaune, rouge et blanc en opposition à l’empire capitaliste et
raciste américain. Cette idée était le « Black Power »
mais aussi et, plus largement, le « Power to the People »
(« Pouvoir pour le peuple »). Comme l’a expliqué le
jeune et légendaire Black Panther de Chicago Fred Hampton dans un
discours prononcé en 1969 :
Nous devons faire face à certains faits. Que
les masses sont pauvres, que les masses appartiennent à ce que vous
appelez la classe inférieure, et quand je parle des masses, je parle
des masses blanches, je parle des masses noires, et des masses
brunes, et des masses jaunes aussi. Nous devons admettre que certains
disent que le feu est le meilleur moyen de combattre le feu, mais
nous disons que l’eau est le meilleur moyen d’éteindre le feu.
Nous disons qu’on ne combat pas le racisme par le racisme. Nous
allons combattre le racisme par la solidarité. Nous disons qu’on
ne combat pas le capitalisme en rejetant le capitalisme noir, mais
qu’on combat le capitalisme par le socialisme. »
Les Panthers, comme les Gilets jaunes, comme les
Communards, comme tous ceux qui remettent en cause les fondements du
capitalisme et le pouvoir de la bourgeoisie, ont fait, font et feront
toujours face à une répression féroce, c’est même à cela qu’on
les reconnait.
Dominique Muselet
15 juin 2020