Ma perle chérie, ce soir, je m'installe avec un peu de retard, pour cause de "téléphonite" prolongée. Ma sœur Yvette, puis Mario T. , que nous croisions autour ds arènes, puis Corinne et Guy, puis à nouveau Yvette, qui m'a annoncé ne venir te voir que le soir, un rdv oublié le matin..... Notre journée ne s'est pas passée au mieux, hier au soir, tu avais vomi, çà a recommencé ce matin et encore ce soir, dès les premières bouchées de ton repas. Autant dire que tu n'as pas gardé grand chose dans l'estomac, toi qui disais hier vouloir reprendre des forces.....De quoi demain sera fait? Déjà que ce matin je te trouvais plus petite mine qu'hier, et que rien ne s'est amélioré de ce jour....J'ai de plus en plus peur! Mais comme m'a dit Mario, tout-à-l'heure, il me faut gravir la montagne, et donc tout faire pour y arriver....
Encore une découverte qui m'a troublé: deux fois, aujourd'hui, j'ai vu des petites touffes de tes cheveux qui couraient sur le sol de la chambre. Tes beaux cheveux roux et gris-blancs, qui font l'admiration de beaucoup de femmes de ton âge, même plus jeunes,- elles croient souvent que tu te fais faire une couleur !!!- sont l'ultime méfait de ta dernière saleté de chimio. L'autre jour, une petite touffe était restée collée contre ma poitrine . Aujourd'hui, c'est l'arrière de ta tête tout entier qui apparaît presque nu, contre l'oreiller, heureusement que tu ne peux pas le voir....As-tu seulement conscience de cette chose terrible pour une femme si coquette, et qui me remplit de peine pour toi, ma "petite femme", comme tu aimais que je t'appelle?
Cette journée a été assez éprouvante. D'abord, tu parles peu, de moins en moins, et de plus en plus faiblement, tu murmures, et je suis obligé de tendre l'oreille près de tes lèvres. Et souvent je ne sais que faire ou que dire, devant ses yeux chéris qui se ferment peu ou prou pour que je sache si tu vas dormir, sommeiller, ou seulement te reposer sans rien dire. Parfois, c'est un geste, avec le doigt, un mot à peine distinct, ou mal compris, et je me lève, deux fois, dix fois, cinquante fois, pour t'entourer et te gâter comme je veux que tu le sois. Comme tu le mérites, ma bichette. Mais le soir, quand je te quitte, j'ai comme l'impression d'avoir accompli une rude journée, à tourner et retourner vingt et cent fois dans ce petit endroit confiné. A te servir, à t'être agréable, à te rendre plus doux ces instants qui nous sont comptés. Qui te font certainement souffrir, malgré les antalgiques et autres antidépresseurs, et qui me font crever de douleur et de chagrin.
Ce soir, tes pieds étaient encore froids, comme souvent. Mauvaise circulation du sang due à l'œdème, disent docteurs et soignants. Je t'ai frictionné les chevilles, les mollets, et les pieds, pendant un long long moment. J'attendais enfin un signe, un mot, pour seulement me rassurer, savoir si çà te faisait du bien. Hélas! rien n'est sorti, rien ne sort plus jamais de te bouche pour exprimer un sentiment, une satisfaction. Il faut que je te demande: " Est-ce que çà te fait un peu de bien?" , pour que tu me répondes un "oui" presque inaudible. Que c'est dur, de ne plus reconnaître en toi d'aujourd'hui le parfait objet de mon amour d'hier! Je sais: je dois me raisonner, ma Gisèle n'a plus les mêmes facultés pour exprimer les sentiments qu'elle ne maitrise plus. Et pourtant, sa mémoire est toujours aussi vive, du moins aussi claire: elle sait parfaitement où se trouve tel ou tel objet qu'elle me demande de lui rapporter, dans la kirielle de buffets, armoires, tiroirs, placards de notre maison, qu'elle avait aménagés et rangés de ses mains de parfaite fée du logis.
Plusieurs fois, souvent, même, je te dis des " je t'aime ", et tu me réponds "Oui"! Le "moi aussi, mon bichon" a disparu. Oh! Pas définitivement. De temps en temps, çà te revient, timidement, certes, mais çà me remplit le cœur de joie, comme si ces mots laissaient entrevoir un éclair d'espoir dans ton cœur et ton corps meurtris et souillés par l'immonde saloperie qui t'enlève à moi.
Ah! J'oubliais: ma Corinne préférée - ma filleule chérie- m'a suggéré de te mettre une bouillotte sous les pieds, tout simplement: demain matin je file à la pharmacie.
Nous sommes nombreux à t'aimer, ma biche chérie: il y a des moments, entre deux pleurs, malgré les reproches indécents, çà me fait un sacré grand bien.