dimanche 11 février 2018

FONDU ENCHAINÉ



Fondu enchainé.
 Ce terme, cette appellation peut s’appliquer à la corrida pour trois raisons. La première, vous l’avez tous vue à Rodilhan. Ces antis assis au milieu du ruedo, attachés entre eux par des chaines pour protester contre la corrida. Et si le toro était sorti ? La seconde, c’est ma position de spectateur, un peu fondu, dans tous les sens du terme, et scotché quoi qu’il arrive devant le spectacle du combat du toro tel que je l’aime. La dernière, c’est l’aspect cinématographique, l’ultime scène, celle pendant laquelle on voit le mot fin arriver du diable Vauvert en tout petit et grandir jusqu’à prendre la totalité de l’écran.

The End
      Terminé.
      Ciao.
Cela s’applique en effet à la corrida. Mais avant de constater définitivement cette évidence, passons en revue son état de santé physique et morale, car elle est en soins palliatifs après avoir fauché ces derniers temps, bon nombre de protagonistes, et pas dans les moins bons…
 Le toro a changé, ce n’est plus le même toro qui nous est présenté. C’est un toro Canada Dry. Ca ressemble à un toro. Mais ce n’est pas un toro

 Il en existe pourtant encore de vrais. Il faut savoir dénicher ces pépites. Mais maintenant, il faut aller loin pour le retrouver. Il devient aussi rare qu’un réel trésor.
Depuis 10 ans maintenant, j’ai abandonné callejon, étagères et tertulias. Il n’y avait plus matière à voir et à parler de ce qui m’intéresse : le toro de combat appelé tras el Pirineo el toro bravo.

2018 me verra certainement revoir les toros. Mais certains toros. En tous cas, Azpeitia avec les Adolfos, Cuadri et Ana Romero évidemment. 
Attendons de voir la programmation isidro-casassienne de Madrid. Et celle de Bilbao qui s'enfonce dans une médiocrité pour laquelle la junte en place n'est pas étrangère à la désaffection du public. Même le toro de Bilbao semble évoluer, c'est dire le travail de sape qu'il existe dans les ganaderias. Il faut s'adapter au public, disent-ils, alors que c'est le contraire qui s'est passé de tous temps, en gardant celui qui est le plus véritable dans le combat qui doit se dérouler dans l'arène : il a les mêmes initiales que Très Bien ce fameux et rare maintenant Toro Bravo. 
 Oui, je reviens tout le temps sur ce qui constitue chez moi le prolégomène initial : il n'y a que deux gènes distinctifs dans le toro de combat initial par rapport à celui pourtant de sa race, mais qui a muté par la main de l’ Homme (vers lesquels inexorablement on est en train de déraper) : la bravoure et le trapio. Point
A la racine des dérives, il y a déjà longtemps, Domecq. Longtemps on a confondu toro de combat et lignée Domecq. Le toro a commencé alors à se domecq-stiquer et les vrais amateurs de vrai toro se sont focalisés sur les lignées qui leur paraissaient les plus aptes à représenter de combat de toujours, en tous cas pas celui d'un Domecq. En meme temps que la lignée Domecq se ramifiait en croissance exponentielle, celle des vrais s'amenuisait, se dégonflant comme une baudruche. Quelques plazas alors ont voulu garder les traditions, les autres, empresas en tête, ne voyaient que le profit qu'on pourrait tirer de ce "spectacle", imités en cela côté sportif, par le tennis, le foot, maintenant le rugby où il faut que la codification change pour s'adapter aux dures lois du marché, en particulier celui de la télévision. Or, il y a une différence fondamentale entre la corrida et les sports, fussent-ils brutaux et violents, dévastateurs quelquefois : la corrida repose sur un principe intransgressible, la mort du toro dans son combat, le dernier et le seul d'ailleurs, celui « avec et contre » le matador qui doit le leurrer. Quoi qu'on dise, la réalité est là : la corrida est cruelle. Et une des différences avec les sportifs, c'est que l'on ne verra jamais des hordes d'antis venir perturber un match de rugby au prétexte des règles de base, d'autres venant s'affronter au foot mais pas sur le principe sportif, en fait ils prennent comme assertion la présence d'un public pour s'y cacher et y exprimer leur violence. Mais le foot n'a rien avoir avec tout ca. Alors que les antis corrida se sont organisés et ils le sont autour d'une ligne, d'une idée qui, est "grand public" : celui qui vient voir la mort, fut-ce celle d'un animal, est un malade assoiffé de méchanceté et de sang. Et ils se mettent à la hauteur de ladite haine pour combattre l'idée qui, elle, a fait son chemin puisque les amateurs de corrida n'ont pas su ni voulu se réunir pour faire front. Et les moyens de communication savent être utilisés par eux. Au moyen Age, il y avait beaucoup de casse parmi les tournois. C'était tout autant dans le registre de la violence. A t-on jamais vu des manants venir se plaindre à l'entrée d'un tournoi de quoi que ce soit ??? Ni même utiliser ces rendez-vous de la Haute Société de l'époque (alors qu'un tournoi devait coûter aussi cher qu'une corrida à organiser) pour venir y revendiquer quoi que ce soit ? Non. Pas à ma connaissance.
 Je fais partie de ceux savent que la corrida telle qu'on la conçoit, vit la fin de sa vie. Elle est sous perfusion. Et atteinte d'une fièvre de cheval. Le mundillo tente de se rassembler, mais ce sera pour constater son décès et reconnaitre le corps. Des essais ont été tentés, vers la corrida « incruelle », on a même vu dans les deux dernières années des pitres venir toréer en smoking, d'autre se faire apporter une chaise, des actions de cirque qui montrent la pente sur laquelle notre passion, car ca en était une, a glissé inexorablement. Comme partout, certains, qui savent aussi jouer à la baisse à la Bourse, ont profité de cette descente. En tuant sur le coté, en confondant toromachie et slalom à ski d’où ils proviennent pour porter les banderilles, d'autres ont profité de l'arène pour y présenter une partie de l'art qui consiste à leurs yeux de tatouer le sable, la plaza et l'environnement du toro pour "faire art". Pourquoi pas demander à un vétérinaire de venir vérifier en piste si le toro ne souffre pas et si , réellement, comme l'affirment certains, le toro "demande la mort et qu'il n'a en rien souffert". D'autres, encore plus ridicules, essayent de montrer que la toromachie remonte à la préhistoire, tiens, alors l'enlever c'est enlever l'Histoire de l'Homme.
 Ma génération sera la dernière qui verra ce genre de combat. Je tiens, dans le peu de temps qu'il me reste personnellement à être sur cette terre, c'est statistique, à profiter des derniers endroits où l'on risque de trouver le toro que j'aime depuis le premier jour où je l'ai vu combattre l'homme en costume de lumière. Ce n'est pas en Amérique du Sud qu'il faudra aller, ni à Dax, ni à Nimes, ni en Arles, ni à Séville. Mais dans des petits bleds de Guipuzcoa, ou bien près de Murcia, ou encore à la frontière de Pyrénées au pied du Canigou. Ou encore comme cela a débuté aujourd'hui, dans le Campo Charro à Ciudad Rodrigo avec des Baltasar Iban, des encastes Murube, des Santa Coloma, des Carlos Nuñez... C'est bien ma chapelle. Celle où le dieu Domecq est absent car refoulé sans tambours ni clarines, fussent-elles être les trompettes de la renommée d’un irresponsable docteur Jekyll manipulateur, modificateur voire défigurateur transgénique dont on aperçoit seulement la partie visible de l’iceberg des transformations irréversibles ?
Denis

Note de Pedrito: 
Seul le titre est de moi, le texte appartient à Denis, qui a bien voulu que je le publie  sur ce blog. Parce que, nous sommes lui et moi - et beaucoup d'autres, écœurés par les trampas et les dérives multiples:  de plus en plus nombreux,ils désertent les gradas - nous sommes sans prétention aucune, ceux qui savent que la fin de la corrida est prochaîne. "Fondu enchaîné" , "écorché vif", on peut le désigner comme on voudra, ou révolté comme je le suis et comme nous le sommes par la dégénérescence programmée de la fiesta brava, devenue fiesta circo par les seuls choix mercantiles  de tous les acteurs, les uns et les autres, ganaderos, empresas, organisateurs, figuras et figuritas toutes catégories confondues, n'ont en vue que le fric sans égard au respect du au toro fiero et intègre et à celui aficionados, insultés, maltraités, par les antis et par les beaufs satisfaits des pires pitreries.
Aficionados simplement tolérés comme cochons de payants. 

Merci à Denis pour ce texte criant de vérité aficionada