mercredi 4 juin 2014

EN ATTENDANT QUELQUES MOTS SUR UNE ARÈNE QUI PREND L'EAU


Pedrito, mon ami,

  Alès. Dimanche 1er juin 2014.
6 ils étaient 6.
Du trapio.
Bien armés.
Du genre à demander les papiers de celui dont ils croisent la route.
Et c'est ce qu'ils ont fait.
D'accord, j'ai commis des erreurs de débutant : je me suis levé tôt ce dimanche et j'ai pris seul le chemin des arènes toutes proches, plus d'une heure trente avant la course. Les promenades matino-dominicales sont suspectes, en temps de feria, d'accord.
6, donc. Une encerrona. Quand tous sortent en même temps, ça devient un encerclement.
- Monsieur, vous faites quoi là ?
- Je me promène, avant la novillada.
- Vous êtes arrivés comment ? On vous a laissé passer ? Vous allez à la corrida tout seul, vous ?
- Oui, j'ai déjà eu à montrer mon billet et ma carte d'identité il y a 200 mètres. Je dois retrouver des amis un peu plus tard.
- Vous avez déjà vu une corrida ? Vous avez votre ticket ? Vos papiers s'il vous plaît (en passant : eux-mêmes, en civil, ne présentèrent à aucun moment fer ni guarismo)
- Mon billet.. et ma pièce d'identité. Des corridas j'en vois depuis l'âge de huit ans.
- Comment on appelle les aides des toreros ?
- Les peones. Il y a aussi les piqueros.
- Vous récitez la leçon, là. Dites-nous comment ça se déroule une corrida.
- (avec une voix bien moins assurée que ne le donnerait à croire la typographie) ça commence lorsque la présidence le demande.  Il y a le paseo puis
- Tout ça vous venez de l'apprendre, vous récitez.
- J'essaie de répondre, c'est tout
- Monsieur, vous êtes un anticorrida, c'est ça ?
- Non, je ne suis pas anticorrida
- Ah... vous n'êtes "pas anticorrida". Mais vous n'êtes pas POUR la corrida... Vous n'êtes pas un "aficionado" (on admire un instant la subtilité des techniques de déstabilisation).
- Je vous ai dit que j'allais aux arènes depuis l'âge de huit ans.
- C'est quand même bizarre, on dirait que vous récitez la leçon !
- Reconnaissez que c'est un peu impressionnant de voir 6 hommes 6 arriver en courant, vous encercler...
- Alors ça, ça m'énerve. J'en ai marre. T'arrête avec ça! Impressionnant, ça veut dire quoi ? On est des hommes, on fait notre boulot ! Faut arrêter avec ça. T'arrêtes ! On fait notre boulot, t'as compris ? On est des hommes, on a des gamins. T'es quoi, toi ? T'es un gamin ? T'arrête de parler avec des trémolos. T'es un gamin ? On fait notre boulot, ça pose un problème ?
- (me tournant vers un de ses collègues) Je n'ai jamais dit ça, vous êtes témoin.
-  (le collègue) Tu sais, c'est pas grave d'être un anti, tout le monde a le droit, suffit juste de nous le dire et voilà.
- (un autre) Si vous n'êtes pas un anti, vous avez de quoi le prouver ?
- J'ai mon carnet de notes sur moi, il y a des billets anciens dedans, des notes de corridas vues l'an dernier, aussi.
- Donnez-nous le carnet.
 (ils feuillettent longuement)
- Eh, regarde : il a écrit "pique dans l'épaule" là, là, là et là (j'y peux quoi moi, si c'est monnaie courante? "trasera" et “puta puya”, ils ont pas relevé, par contre).
- Et puis là, il écrit "corne cassée en piste"... ça sent l'anti...
Bon. Trente minutes environ d'interrogatoire, de questions répétées ad nauseam à l'affût des variations de réponse, d'intimidations ("si t'es un anti et si tu fous la merde, je m'occupe personnellement de toi"), de sordides provocations du type pousse-à-l'outrage-pour-coffrage-minute ("nous, c'est notre boulot. Aujourd'hui c'est les antis, demain les cadavres. On fait notre boulot c'est tout. Demain, c'est toujours une autre mission. On la fait. Demain, peut-être, ce sera la France aux français") Etc.
- C'est qui vos toreros préférés ?
- Je vais pas aux arènes pour les toreros, j'y vais pour les toros. (d'accord, là j'ai titillé l'homme...)
- Cite-moi trois toreros. Encore un. Encore. T'en connais d'autres ? Et celui qui a l'oeil crevé, il s'appelle comment ?
La réponse à l'ultime question a presque dû convaincre. Nouveau contrôle de billet et d'identité par d'autres collègues, nouvelle tentative : "si vous êtes un anti, dites-le nous maintenant, ce serait dommage de passer votre anniversaire en garde à vue" (3 jours plus tard... avec quel juge pour signer la prolongation ?)
Conclusion, d'un supérieur, venu chaleureusement me rendre mes documents : "Monsieur, vous semblez être un vrai passionné."
Remerciements :
- aux 6 hommes 6 qui m'ont permis de réviser mon bréviaire taurin. Si vous voulez approfondir, messieurs, commencez peut-être par le bouquin de Jose Antonio del Moral...
- à ceux qui organisent notre protection. Petite suggestion : l'an prochain, joignez aux groupes de 6 hommes 6 un Profiler, bachelier ès aficion, qui devrait en 3 minutes 3 régler l'affaire...
- aux Présidences des trois courses alésiennes. Merci, vraiment. Vous avez su tendre le mouchoir (c'est lequel, déjà, le bon ?) à un triste passionné aux trémolos dans la voix. Et, par vos décisions, vous avez fini de le conforter : Bye Bye, Alès.  

Précision: cette mésaventure est arrivée, non pas à Pedrito, mais à notre cher Julito, tout le contraire de la provocation et de l'emportement: la bonté, l'humilité et la gentillesse, social et sociable en diable. De nombreux autres aficionados semblent avoir été victimes de brimades et de contraintes désagréables, heureusement moins conséquentes. En tout cas, pour lui, pour ce jeune papa aficionado al toro rey, une rude épreuve, aussi injuste que brutale, et inattendue.
Si l'on savait tout ce qui a pu se passer cette fin de semaine aux alentours du Tempéras, dont le sieur psychopathe Garrigues ne peut être tenu pour seul responsable....
Merci au Préfet, aux flics trop zélés, aux organisateurs et à leurs complices à plumes, plus préoccupés d'indulter un veau que de  défendre la vraie corrida et de s'occuper du respect des aficionados, ces cochons de payants