Cuba : vous avez dit performance ?
mercredi 15 mai 2019
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CHRONIQUE
/ Un an après la passation des pouvoirs entre Raul Castro et Miguel
Diaz-Canel, Le Soleil est allé voir où en était la société cubaine où,
officiellement, le régime communiste jette du lest. Mais force est de
constater que, comme en 1959, la révolution ne viendra pas d’en haut…
Un article de Mylène Moisan pour le journal Le Soleil.
Un article de Mylène Moisan pour le journal Le Soleil.
« Le train avance doucement. »
Le constat est fait par Nancy Lussier, vice-présidente de la filiale
Terracam, qui dirige depuis sept ans les affaires internationales du
Groupe Lussier, spécialisé dans l’exportation de véhicules lourds.
L’entreprise fait affaire avec Cuba depuis 25 ans. « Ça représente 10 % de notre chiffre d’affaires », ce qui est énorme.
Mme Lussier est aux premières loges
de l’économie cubaine, marquée depuis les dernières années par une
série d’assouplissements, en ce qui a trait à la propriétéprivée et au
commerce. Elle est aussi présidente de la Chambre de commerce
Canada-Cuba depuis sa fondation il y a trois ans.
Sans tambour ni trompette, trois missions commerciales ont été
organisées depuis 2017 entre Cuba et des entreprises canadiennes. « Il
y a une quarantaine d’entreprises chaque fois qui sont présentes. C’est
un marché qui est long à développer, mais qui peut être très
intéressant en raison de la concentration d’achat. »
Il y a un seul client, l’État, et il en achète en (très) gros.
Rencontrée dans son bureau de La Havane où elle passe une dizaine de jours par mois, Mme Lussier
voit d’un très bon œil l’adoption de la nouvelle constitution du pays,
le 10 avril dernier, la première constitution du pays ayant été adoptée
le 10 avril 1869. On a beaucoup parlé du caractère « irrévocable » du socialisme et du retrait de la reconnaissance du mariage gai, bien peu du volet économique.
Et pourtant. « La nouvelle constitution
va permettre des choses qui n’étaient pas possibles avant. Le changement
est important. Elle met la table pour une réglementation plus ouverte.
Il ne faut pas oublier qu’il y a maintenant 800 000 personnes qui
dépendent du secteur privé à Cuba, et pas juste dans le tourisme. »
C’est plus de 10 % de tous les travailleurs de l’île.
Le privé à Cuba est encore discret, mais il est partout. « C’est
vraiment diversifié ça va de la manucure à la construction, à la pose
de clôtures, de céramique, des réparateurs de cellulaires, aussi des
gardiens de sécurité pour des maisons. C’est une nouvelle dynamique qui
rend les choses très intéressantes. »
À condition d’être patient. « À Cuba, ça
reste une économie planifiée, où les choses avancent à une vitesse
lente. Il faut comprendre le fonctionnement du système, entre autres les
difficultés en termes de financement. C’est long pour faire tourner la
roue, mais quand elle tourne, elle continue. »
Terracam est un bon exemple avec des milliers de véhicules livrés depuis 25 ans. « Nous sommes en progression constante. »
En marge des assouplissements, le gouvernement amorce « un processus de séparation entre les ministères et l’activité économique » en créant ce qui pourrait s’apparenter à nos sociétés d’État. « Pour
ce qui est de la gouvernance, on sent qu’il y a une continuité sur les
aspects fondamentaux, mais aussi un désir pour améliorer la structure,
pour qu’elle soit plus efficace. »
Quiconque a déjà séjourné à Cuba a sursauté en lisant ce mot : efficace.
Parce que l’écrasante et omnipotente bureaucratie cubaine fait partie
de la culture à Cuba, un paradis de fonctionnaires. Voilà qui tendrait à
changer, observe Mme Lussier. « Il
y a une perception qui est erronée. Même si certaines choses sont
figées, on voit des choses qui changent. Par exemple, Cuba s’est doté
d’un plan très ambitieux pour les énergies vertes. Et on travaille à
l’électrification des transports. »
Le Québec n’est d’ailleurs pas en reste, le gouvernement soutient
divers projets de coopération en vertu d’un partenariat bilatéral.
Ainsi, d’ici 2020, la province investit dans des projets de tout acabit,
allant de nouvelles lignées de pommes de terre résistant à la
sécheresse à la réhabilitation d’une forêt, en passant par la
réhabilitation de La Havane avec une approche de ville intelligente.
Il y a tant à faire.
Dans un pays qui n’a toujours juré que par l’égalité, Mme Lussier constate l’introduction de la notion de performance, concept qu’on associe davantage à l’économie de marché. « Maintenant,
on voit certaines rémunérations qui sont liées à la performance. Si les
contrats sont réalisés selon les termes, une partie du salaire est
bonifiée. »
Terracam, à l’instar des autres compagnies étrangères, peut aussi « donner un salaire de rendement ».
Une révolution en soi.
Cela ne change rien au fait que le gouvernement doit approuver les embauches des entreprises. « On
fait des propositions, il y a une vérification qui est faite sur les
personnes avant qu’elles ne deviennent nos employés. […] Et quand on
leur donne un salaire de rendement, c’est déclaré, imposé. »
Comme le reste du salaire.
Il ne faut pas se conter d’histoire, l’ouverture de Cuba au commerce
étranger et à l’entrepreneuriat est due à l’état pitoyable de l’économie
du pays, minée par les pénuries, par l’embargo américain, les problèmes
récurrents de production et, par conséquent, à un état de dépendance
aux importations.
D’où le difficile pari de l’État socialiste d’introduire des éléments de marché tout en conservant la mainmise. « Le train avance doucement, par paliers, petit à petit. […] On est loin du bar ouvert, ça, c’est très clair. »
A SUIVRE....