Le présidentialisme français, cet abêtissement politique
Un article de Médiapart analysant la présidentialisation du système politique français et son caractère anti-démocratique. Conçu par De Gaulle et la droite, appuyés par le PS, la mise en place d'un président élu au suffrage universel a pour but de personnaliser l'élection et ainsi, de remplacer le débat politique par un choix de personne, dépolitisant ainsi l'élection et la rendant alors plus facilement manipulable par les grands médias.
S'il ne reflète pas la totalité de l'analyse des communistes sur ce sujet, cet article de Médiapart aborde une grande partie des effets de ce régime présidentiel.
En France, un président démonétisé peut seul changer la donne gouvernementale pour son bon plaisir politique. Ce présidentialisme nous abêtit et nous infantilise. Dans une démocratie intelligente et adulte, ces changements relèveraient de choix collectifs, ceux de la majorité parlementaire ou du parti majoritaire.
Tous les pédagogues le savent : l’enseignement, c’est la répétition. Alors, à Mediapart, nous ne nous lassons pas de répéter, sous Emmanuel Macron aujourd’hui comme sous Nicolas Sarkozy puis François Hollande hier, que le présidentialisme français est l’ennemi foncier d’une République démocratique et sociale, tant il ne cesse de la miner de l’intérieur, de la corrompre et de l’affaiblir.Le présidentialisme est au régime présidentiel ce que l’intégrisme est aux religions, ce que l’absolutisme est aux monarchies, ce que le sectarisme est aux convictions. Ce n’est pas le fait qu’il y ait une présidence de la République, c’est que la République soit aux mains du président. Legs du bonapartisme français, ce césarisme qui laïcisa la monarchie de droit divin sur les décombres d’une révolution démocratique trahie et inachevée, notre présidentialisme est un régime d’exception devenue la norme. Une norme dont l’excès n’a cessé de s’étendre depuis que, dans les années 1980, François Mitterrand a transformé la présidence en fortin de résistance aux déroutes électorales et au discrédit populaire.Un « coup d’État permanent », avait-il diagnostiqué au tout début de la Ve République, 20 ans avant de renier, par sa propre pratique du pouvoir, cette formidable intuition. Né d’une guerre civile, cette décolonisation aussi tardive que tragique devenue traumatisme d’une nation qui se vivait en empire, ce présidentialisme a fini par symboliser une politique guerrière, qui divise et violente, épuise et appauvrit. Une politique entendue comme une bataille incessante, avec alliés et ennemis, ralliés et vaincus, affidés et corrompus, traîtres et soumis. En somme, une politique primitive, virulente ou sournoise, sans franchise ni transparence, manœuvrière et intéressée, où, sauf exception (très) rare, les idéaux finissent pas se dissoudre en carrières.La France est une démocratie de faible intensité. Elle en a l’onction, pas la conviction. L’apparence, pas l’essence. Les mots, pas la culture. Condition d’une république sociale, la démocratie véritable est un écosystème qui suppose équilibres, vitalités et pluralités, précautions et participations, pouvoirs et contre-pouvoirs. Au lieu de quoi, nous vivons au royaume institutionnel des déséquilibres, des brutalités et des autoritarismes, des courtisaneries et des soumissions, des égoïsmes et des narcissismes.
Le
tout produisant un appauvrissement politique dont la scène médiatique
est le théâtre infantilisant, offrant le spectacle de chroniqueurs
empressés à sonder les états d’âme présidentiels et à relayer les
confidences des entourages, entre flagorneries et mesquineries.Nous
n’en pouvons plus de cet abêtissement et de ce crétinisme. Ainsi
faudrait-il se résoudre à trouver normal qu’un président totalement
démonétisé, dont le masque tissé de malentendus et de tromperie est
rapidement tombé durant l’année qui a suivi son élection du 7 mai 2017,
puisse changer la donne gouvernementale du pays pour sa seule convenance
et son pauvre confort ? Dans une démocratie intelligente et adulte, ces
changements relèveraient de débats et de choix collectifs, ceux de la
majorité parlementaire ou du parti majoritaire.Ils
obligeraient à des bilans et à des confrontations, à des discussions et
à des alliances, en somme à une politique visible et manifeste, qui ne
soit plus confinée dans le bureau ou le cerveau présidentiels. Au lieu
de quoi, un président discrédité peut remplacer un premier ministre
populaire (Édouard Philippe), ne serait-ce que par contraste, par une
sorte d’intendant haut fonctionnaire (Jean Castex), autrement dit un
préfet gouvernemental, tout comme il y a, dans le persistant
assujettissement de la justice via ses parquets, des préfets judiciaires
La Constitution de la Ve République
permet au président en place de prendre en otage la République, et de
décréter que ses nécessités personnelles sont l’intérêt commun. Ce
faisant, elle ruine la politique, précisément comme bien commun. Le sol
électoral ne cesse de se dérober sous les pas des apprentis-sorciers qui
profitent et abusent de ce renoncement démocratique.Derrière
l’inattendu chamboule-tout qui a produit l’improbable scénario de
l’élection présidentielle de 2017 se cachait un acteur autrement
puissant et constant : l’abstention, cette sécession civique exprimant
la lassitude d’un peuple qui n’est pas dupe et n’entend plus jouer les
supplétifs d’un jeu dont il est exclu. Elle fut de 25,44 % au second
tour de la présidentielle, puis de 57,36 % à celui des législatives.
Puis, en 2019, de 49,88 % aux élections européennes.Avec 58,6 % d’abstention nationale, un taux sans précédent, le second tour des élections municipales l’a
rappelé à tout ce monde politique qui ne pense qu’à la présidentielle
prochaine, alors même que le malaise démocratique procède de la
dépossession de la souveraineté populaire par le pouvoir élyséen.
Toutes
celles et tous ceux qui, dans les oppositions au pouvoir actuel,
continuent de s’enfermer dans ce jeu présidentiel en prétendant qu’ils
en changeront la donne de l’intérieur ne font que creuser le gouffre où
décline et s’abîme la démocratie française. Impossible de croire à leur
pari, si on le juge sincère, ou de leur faire crédit, si on le sait
intéressé, tant les trois dernières séquences présidentielles ont mis à
nu la corruption des idéaux politiques, brouillant tout repère pour les
citoyen·ne·s.Comment
ne pas comprendre la désertion électorale croissante quand tant de
personnalités qui, il y a quatre ans à peine, se proclamaient
socialistes, revendiquant leur légitimité de gauche, se sont retrouvées
récemment à soutenir des candidats de droite dans leurs villes, sur fond
d’alliance entre les partis LREM et LR.Dans
sa déchéance lyonnaise, Gérard Collomb est l’arbre qui cache la forêt,
tant les anciens cadres, dirigeants, membres de cabinets, élus,
ministres, venus du Parti socialiste sont nombreux dans les allées d’un
pouvoir macronien dont la politique n’a rien à voir, rien de rien, avec
la gauche, son histoire, ses luttes, ses idéaux. Ce que n’a cessé de
confirmer sa dérive autoritaire et réactionnaire, inégalitaire et
identitaire face aux sursauts de la société, des « gilets jaunes » à la
jeunesse écologiste, des grèves sur les retraites aux mobilisations sur
le racisme, sans compter le sursaut général contre des violences
policières autant encouragées que tolérées par le pouvoir.
Dans l’un des détours des Essais,
Montaigne évoque une mystérieuse peuplade qui, pour ne pas savoir
prononcer un seul mot qui est « non », est tombée en définitive
servitude. Façon ironique d’introduire un discret hommage au traité de
son ami Étienne de la Boétie, De la servitude volontaire, insurrection de la liberté contre la soumission. On lui ajoutera plus tard un sous-titre inventif, fort moderne : Contr’Un.
Contre le Grand Un et le Grand Même qui font les pouvoirs délirants et
les peuples souffrants. Cette histoire ancienne ne cesse d’être notre
actualité : Grand Un du pouvoir personnel et Grand Même de l’identité
nationale.« La première raison de la servitude volontaire, écrivait La Boétie, c’est l’habitude. » Cette
habitude qui nous fait supporter le pouvoir d’un seul comme s’il était
notre tout. Qui nous fait le juger grand parce que nous restons à
genoux. « Soyez donc résolus à ne plus servir et vous serez libres, poursuivait l’ami de Montaigne.
Je ne veux pas que vous le heurtiez, ni que vous l’ébranliez, mais
seulement ne le soutenez plus, et vous le verrez, comme un grand colosse
dont on dérobe la base, tomber de son propre poids et se briser. »