Voici la première des trois parties d’une interview
qu’Oleg Nesterenko, président du CCIE, a accordé à la publication
“L’Éclaireur des Alpes”. Cette partie aborde la responsabilité du coup
d’État du Maïdan de 2014 dans les événements tragiques qui ont plongé
l’Ukraine dans la guerre.
L’Éclaireur – Par-delà la responsabilité de Vladimir Poutine
dans le déclenchement de la guerre, quelles sont les raisons qui ont
poussé les Russes à intervenir militairement en Ukraine, et quelles en
sont les causes profondes ?
Oleg Nesterenko – En parlant des raisons qui ont
poussé les Russes à intervenir militairement en Ukraine, les causes
profondes et les éléments déclencheurs sont souvent confondus, surtout
dans la presse occidentale. Les éléments déclencheurs, on les prend pour
les causes. Quant aux causes, on n’en parle même pas ou on raconte un
peu n’importe quoi. Il est important de les distinguer les unes des
autres.
Il y a deux principaux éléments déclencheurs interdépendants. Le
premier, c’est le coup d’État à Kiev en 2014. Sans ce renversement
anticonstitutionnel du pouvoir, l’Ukraine vivrait aujourd’hui en paix.
Sans ce coup d’État, dont on a des preuves tangibles que les États-Unis
d’Amérique étaient derrière avec l’aide de leurs suppléants européens,
il n’y aurait pas la guerre que nous vivons actuellement. Il est
important de souligner qu’avant cet événement de 2014, ni la Crimée, ni
la région du Donetsk, ni la région du Lougansk n’avaient la moindre
intention de se séparer de l’Ukraine. En Crimée, je n’ai jamais entendu
personne, ni parmi les simples habitants, ni parmi les hauts
responsables dans les cercles fermés, parler de la possibilité ou
nécessité de se séparer de l’Ukraine et de rejoindre la Russie. Il n’y
avait aucune raison de le faire.
Et même plus tard, dans le cadre des accords de Minsk, l’idée de la
séparation de l’Ukraine des régions de Lougansk et du Donetsk n’était
nullement prévue, ni même soulevée. C’est le supplément de l’autonomie
vis-à-vis du pouvoir central de Kiev qui était le sujet de l’accord, en
commençant par l’autonomie linguistique : le droit des habitants de
l’est de l’Ukraine de parler et d’utiliser leur langue natale, langue
qu’ils souhaitent et non pas celle imposée par le nouveau pouvoir
portant une légitimité plus que discutable.
Le second point déclencheur de la guerre en Ukraine, c’est le
massacre d’Odessa de 2014 dont en France on ne parle pas beaucoup. La
propagande locale cherche à occulter ce fait major. Il est beaucoup trop
gênant.
Quand le coup d’État a eu lieu à Kiev et que les ultra-nationalistes,
soutenus directement par les États-Unis, sont arrivés au pouvoir, les
parties de l’Ukraine qui sont russophones et traditionnellement
pro-russes – les régions du Donbass, la Crimée, l’Odessa, Nikolaïev,
Kharkov russophones – se sont soulevées.
Et quand les extrémistes sont venus à Odessa pour réprimer les
manifestations parfaitement pacifiques des habitants, ils sont venus
armés pour tuer. Officiellement, il y a eu 48 morts. Réellement –
certainement davantage. Et cela n’était pas des morts abstraits,
victimes d’un accident quelconque. Ce sont les habitants d’Odessa qui
ont été massacrés par des ultranationalistes et néo-nazis venus des
régions de l’ouest de l’Ukraine traditionnellement russophobe. Et ces
habitants ont été massacrés avec une énorme sauvagerie (violés et,
ensuite, étranglés, brûlés vif, …) pour leur refus d’accepter le nouveau
pouvoir qui n’a jamais été élu par personne. Les habitants des régions
pro-russes ont été profondément traumatisés par cette tuerie, davantage
même que par les événements à Kiev, car, cette fois ci, cela s’est passé
chez eux et pouvait se reproduire à n’importe quel moment. J’étais en
Crimée en 2014 et je me souviens parfaitement des habitants disant
“c’est totalement exclu que ces dégénérés viennent chez nous”.
Bien que la quasi-intégralité des auteurs du massacre d’Odessa soit
parfaitement connue – il y a une grande quantité de témoignages, des
photos et des vidéos avec les visages non dissimulés des participants à
la tuerie –pas un seul n’a pas été ni arrêté, ni même inquiété par le
nouveau pouvoir ukrainien. Ceci est le début, le fondement de la
nouvelle « démocratie » ukrainienne tant admirée par des masses crédules
et manipulés en Occident.
Ainsi, après les proclamations d’indépendance des régions de la
Crimée et du Donbass vis-à-vis de l’Ukraine qui ont été facile à
réaliser, vu qu’au moins les trois-quarts des populations concernées
étaient farouchement opposés au nouveau pouvoir qui s’est fait installer
à Kiev – les événements à Odessa n’ont fait que reconfirmer le bien
fondé de la séparation.
L’Éclaireur – Comment expliquer l’immixtion des États-Unis et
de l’Union européenne dans des affaires qui auraient pu rester somme
toutes régionales ?
Oleg Nesterenko – Parce que les vraies causes
profondes de ce conflit sont toutes autres. Ces vraies raisons, il faut
aller les chercher du côté des États-Unis. Il faut même oublier
l’Ukraine parce qu’en fait, elle n’y est pas pour grand-chose. Ce ne
sont pas les Ukrainiens qui ont décidé ou décident de quoi que ce soit.
Ils sont juste des exécutants et des victimes dans un grand jeu qui les
dépasse grandement.
Avant de parler des vraies causes profondes de ce conflit et du rôle
sous-jacent de l’occident collectif, il est important de dire quelques
mots sur le rôle de la base navale russe en Crimée, à Sébastopol. Le
rôle non pas dans le cadre des événements du février 2022, mais de mars
2014.
On a beaucoup parlé de Moscou qui avait l’intention de protéger les
populations russes et pro-russes. C’est vrai. C’est une raison humaine.
Mais, géopolitiquement, la raison clé de la reprise de la Crimée était
la base navale de Sébastopol. La base navale de Sébastopol est un
élément stratégique pour la défense de la Fédération de Russie. Celui
qui contrôle la base navale de Sébastopol contrôle la mer Noire. C’est
aussi simple que cela. Pour le Kremlin, il était donc inconcevable que
les Russes qui s’y trouvent depuis toujours, et non pas que depuis 1991,
soient chassés et qu’à leur place il y ait des navires de l’Otan et que
les États-Unis s’y installent. Car c’était bien le projet occidental.
L’Éclaireur – Ce port a-t-il une quelconque importance stratégique pour l’Ukraine ?
Oleg Nesterenko – La base navale de Sébastopol n’a
aucune valeur stratégique, voir existentielle pour l’Ukraine. L’Ukraine
n’a jamais été et ne le sera jamais une puissance navale. Les forces
navales ukrainiennes aujourd’hui sont, tout simplement, inexistantes.
Sans parler que la présence des Russes n’était pas gratuite. La Russie
payait chaque année la location du port. C’était donc plutôt bénéfique
pour Kiev de louer la base aux Russes. En revanche, pour l’Otan, c’est
un point plus que stratégique. La prise du port de Sébastopol aurait
vraiment été une grande victoire géopolitique. Pour Moscou, c’était donc
un élément existentiel de ne jamais permettre l’accès à des forces
ennemies à la base de Sébastopol.
Après l’entrée en 1952 de la Turquie dans l’OTAN et, ensuite,
l’absorption de la Roumanie et de la Bulgarie en 2004, la géostratégie
de l’alliance atlantique était et est toujours d’absorber l’Ukraine et
la Géorgie en claustrant les forces navales russes dans le port de
Novorossiysk – seule base navale restante en eaux profondes, et, ainsi,
faisant de la mer Noire la mer interne de l’OTAN.
Malgré les mensonges répétés au fil des années, c’est exactement cela
qui a été projeté et dont l’unique cible était bien la Russie. Et ceci
même depuis les années 1990 quand les relations Russie-Occident étaient à
leur plus haut niveau depuis 1944 ; à l’époque, le pouvoir de Moscou
était encore très ouvert et trop naïf vis-à-vis des intentions de
l’occident collectif américano-centrique.
L’Éclaireur – L’Ukraine ne serait donc qu’un pion et l’Europe une sorte d’échiquier ?
Oleg Nesterenko – Malheureusement, c’est exactement
le cas. Et les responsables à Kiev sont parfaitement au courant de la
situation. Je ne crois pas une seule seconde que Zelensky et son
entourage ne soient pas conscients du rôle réel qui est le leur.
Pour revenir aux raisons profondes de la guerre en Ukraine, il n’y a
pas une, mais trois raisons clés. C’est, d’une part, la volonté de
continuation de la domination mondiale par le système monétaire
américain, donc le dollar. La guerre en Ukraine, c’est, avant tout, la
guerre de la monnaie américaine (à suivre dans notre second volet).
La deuxième raison, c’est la réduction maximale des relations
économiques entre la Russie et l’Union Européenne. Ce n’est pas la
Russie, mais l’Union Européenne qui est le concurrent majeur des
États-Unis sur le marché mondial. Diminuer la compétitivité des
européens en les privant d’un des éléments majeurs de la régulation du
coût de revient de leur production industrielle qui est l’énergie russe
bon marché était l’un des éléments clés de la politique étrangère
américaine.
La troisième raison, c’est la volonté de l’affaiblissement
significatif de la Russie et donc de ses capacités d’intervention
vis-à-vis du futur conflit majeur qui aura inévitablement lieu entre les
États-Unis et la Chine et dont la Russie est « la base arrière »
énergétique et alimentaire de cette dernière. Quand la phase active des
hostilités sino-américaines verra le jour, sans la Russie derrière,
l’économie de la Chine sera condamnée.
L’Éclaireur – Comment expliquer que les Américains n’aient
pas essayé (s’ils n’ont pas essayé) de déstabiliser la Russie en interne
comme ils l’ont fait en Ukraine ?
Oleg Nesterenko – Ce mode opératoire fait partie de
leur doctrine. En Ukraine ils ont réussi, mais il ne faut pas oublier
qu’auparavant, ils ont déjà fait exactement la même chose en Géorgie, en
2003, où ils ont parfaitement réussi le coup, et ont essayé de
reproduire le même scénario et en Biélorussie et au Kazakhstan, entre
autres. Cela n’a pas marché en grande partie grâce aux soutiens de la
Russie aux pays visés.
Bien évidement qu’ils ont essayé de déstabiliser la Russie de
l’intérieur. Et, de leur point de vue, ils ont parfaitement raison de le
faire, car la seule et unique possibilité de faire effondrer la Russie,
c’est de l’intérieur. Non seulement ils l’ont essayé, mais ils
continuent d’essayer. Sauf que le mode opératoire de l’adversaire est
parfaitement connu et les structures de la sécurité interne du pays sont
bien adaptées pour lutter contre la menace.
La Russie n’est pas la Géorgie, et encore moins l’Ukraine, compte
tenu de sa puissance et de ses structures politiques très largement
soutenues par la population. La Russie est beaucoup plus stable.
L’Éclaireur – La Russie n’a-t-elle pas néanmoins sous-estimé la capacité de résistance des Ukrainiens ?
Oleg Nesterenko – Rappelez-vous les expertises,
sérieuses, qui ont été faites sur la capacité de l’Ukraine à maintenir
la résistance contre la Russie. A l’époque, juste avant le
déclenchement, il était estimé que l’Ukraine ne pouvait tenir qu’un
temps très limité face à la Russie.
Contrairement aux informations développées dans les médias de masse
occidentaux et malgré les événements que l’on observe sur le terrain
depuis plus d’un an, j’aimerais souligner que ces experts qui ont prévu
que l’Ukraine ne pourrait résister qu’un temps limité n’ont eu nullement
tort. Ils ne se sont nullement trompés dans leurs prévisions.
Mes paroles peuvent paraître étonnantes vis-à-vis de ce qu’on observe
depuis plus d’un an. Pourtant il n’y a pas à s’étonner. Il ne faut
jamais oublier que le déclenchement de la phase active des hostilités a
eu lieu fin février 2022 et que déjà fin mars 2022, il y a eu des
pourparlers à Istanbul entre l’Ukraine et la Russie. Pour quelles
raisons une partie qui se sent forte et qui sait qu’elle a encore des
capacités considérables de résistance se mettrait-elle autour d’une
table de négociations pour convenir d’une forme de reddition ? Ça
n’arrive jamais ainsi. Les Ukrainiens se sont mis autour d’une table de
négociation étant conscients que leurs capacités de résistance étaient
très limitées.
A Istanbul, quand les deux parties ont trouvé un consensus sur la
majorité d’éléments clés de l’accord sur l’arrêt des hostilités, quand
ils ont été pratiquement à un pas de la ratification du document de
l’accord de paix, il y a eu un virage à 180 degrés du côté ukrainien.
Pourquoi ? Il ne faut pas avoir une grande expérience dans le monde des
affaires pour savoir: dans le cadre de négociations, quand une des deux
parties fait volte-face du jour au lendemain, cela ne signifie qu’une
seule chose – que cette partie a eu une contre-proposition de la part
des concurrents de ceux qui sont en face d’elle. C’est comme cela que
cela se passe dans le monde des affaires. Dans la politique c’est
pareil.
Si l’Ukraine a pu se permettre le luxe de faire une croix sur
l’accord de paix, c’est tout simplement qu’elle a reçu une
contre-proposition. Et cette contre-proposition ne pouvait venir que du
camp occidental. Les évènements qui ont suivi ont dévoilé les éléments
de cette proposition : l’Ukraine a reçu une proposition pour l’ouverture
d’une gigantesque ligne de crédit partiellement payable en armement. En
contrepartie, l’Ukraine devait s’engager à s’interdire de conclure un
accord d’arrêt de guerre face à la Russie et fournir « la main d’œuvre »
combattante. C’était ça l’accord.
Afin de répondre au second engagement de Kiev, les frontières
nationales de l’Ukraine pour sortir du pays ont été fermées. En France,
on n’en parle pas beaucoup – car c’est une vérité trop gênante – mais au
début de la guerre il y a eu un gigantesque exode des populations des
territoires de l’Ukraine, notamment de la population masculine. Les
hommes savaient que s’ils ne partaient pas, ils seraient envoyés à la
tuerie. Quand on parle à la télévision occidentale de l’héroïsme
ukrainien, ça me fait sourire sachant parfaitement que le pays se serait
vidé des futurs combattant en un temps très réduit si les frontières
n’étaient pas interdites de passage. Entre parenthèses, il faut savoir
que pour quitter l’Ukraine depuis la fermeture des frontières et encore
aujourd’hui, il faut débourser un pot de vin aux fonctionnaires de la
douane ukrainienne qui va de 7 à 10 000 dollars américains. C’est pour
dire que pratiquement aucun riche ukrainien ne combat pas en Ukraine.
Mourir aujourd’hui en Ukraine – c’est le sort des pauvres. Cette
information provient directement de nombreuses personnes qui l’ont payé
pour quitter le pays et que je connais personnellement.
L’Éclaireur – Les réfugiés ukrainiens ont en Europe bénéficié
d’un statut très protecteur, comparé notamment aux Syriens ou aux
Afghans. Mais selon vous, c’est usurpé ?
Oleg Nesterenko – C’est bien le cas. D’une part, le
bloc “atlantiste” est directement responsable de l’exode des populations
syriennes et afghanes – il faudrait un article à part pour énumérer les
actions de “bienfaisance” commises par ce bloc contre ces pays et leurs
désastreuses conséquences. Et je ne parle pas uniquement, par exemple,
de l’acte d’agression de la Syrie lequel est juridiquement considéré en
tant que crime d’agression, selon les points a, b, c et d du paragraphe 2
de l’article 8bis du Statut de Rome de la CPI tant chérie et mise en
avant ces temps-ci par ceux qui la financent. Il faut remonter bien plus
loin, notamment aux origines de la création de divers courants et
structures, dont l’Etat islamique. Si nous sommes dans la logique de
l’accueil des réfugiés venus de tous les horizons, alors, c’est bien ces
deux populations qui ont le plus de légitimité pour en bénéficier, sans
compter les Libyens, dont les sous-traitants des États-Unis ont anéanti
l’avenir de leur pays.
D’autre part, concernant les réfugiés ukrainiens, notamment en
France, il y a ce que l’on connaît d’eux via les médias de masse et il y
a la réalité qui diffère grandement de la propagande. Les médias
occidentaux présentent les Ukrainiens en tant qu’un groupe d’individus
qui ont fui la guerre. C’est le narratif que l’on connaît. La réalité
n’y correspond pas du tout.
Les réfugiés ukrainiens sont très loin d’être un bloc homogène. Il y a
une très nette séparation entre les réfugiés venus de l’est et ceux
venus de l’ouest du pays. Ceux de l’ouest du pays, territoires
traditionnellement nationalistes, ont fui l’Ukraine, tandis que leur
région ne se trouvait sous aucune réelle menace. Ils ne risquaient rien,
ni au début de la guerre, ni aujourd’hui. Dès le second mois du
conflit, il était déjà clair que la Russie n’était nullement intéressée
par cette zone. L’ouest de l’Ukraine, ce n’est ni la Syrie, ni l’Irak.
La réelle motivation du départ d’habitants de cette zone vers l’Europe
n’est nullement humanitaire, mais économique.
Il faut savoir que depuis la chute de l’Union soviétique, les régions
de l’ouest de l’Ukraine ont toujours vécu dans une grande pauvreté, à
la limite de la misère : pratiquement toutes les richesses du pays sont
concentrées à Kiev et à l’est de l’Ukraine. De 1991 au 2022, des
millions d’Ukrainiens, majoritairement des régions mentionnées, sont
partis travailler à l’étranger. Il y a deux destinations pour ces
travailleurs : la Russie et l’Union européenne. Vous l‘ignorez
certainement, mais même aujourd’hui il y a plus d’un million de
travailleurs ukrainiens sur le sol russe. Et je ne vous parle que du
chiffre officiel de ceux qui dispose d’un permis de travail officiel.
Avec le marché du travail au noir on estime qu’il y a plus de 3 millions
de citoyens ukrainiens travaillant en Russie. Le nombre
traditionnellement très élevé de travailleurs illégaux ukrainiens est dû
à la politique de tolérance à leur égard qui a toujours eu lieu en
Russie : ils ne risquent pas grande chose étant arrêté.
D’autres sont partis travailler au noir dans l’Union européenne.
Quand vous avez une personne d’un village qui part travailler vers
l’Europe, à terme, c’est parfois la majorité de la population du village
en âge de travailler qui suit son chemin, les uns après les autres.
Dans sa majorité écrasante, les hommes travaillent dans le bâtiment et
les femmes qui accompagnent leurs maris – en tant que femmes de ménage.
Les hommes font surtout des “rotations”, car la plupart du temps, leurs
familles restent au pays. Et on parle ainsi de millions de personnes. Si
parmi vos lecteurs, un grand nombre n’a jamais entendu parler de cela,
sachez qu’en Ukraine il n’y pas une seule personne adulte dans tout le
pays pour qui mes propos ne sont une banalité.
Avec le déclenchement de la guerre, un grand nombre de familles sont
parties rejoindre leurs maris travaillant au noir dans l’Union
européenne. Beaucoup d’autres ont vu une opportunité pour partir et
changer de vie. En partant, beaucoup ont fait louer leurs biens
immobiliers à des réfugiés de l’est du pays qui ne sont
traditionnellement pas attirés par les richesses de l’Europe et
préfèrent rester en Ukraine. Il y a un véritable scandale en Ukraine,
dont vous n’allez jamais bien évidemment entendre parler, sur ses
profiteurs de guerre qui n’ont jamais été en danger et qui sont partis
toucher des allocations en Europe en louant à des prix exorbitants leurs
biens à de vrais réfugiés, vu la demande qui a explosé et qui a fait
démultiplier les prix dans le locatif. Ce ne sont nullement des cas
isolés, mais une très grande pratique dans l’intégralité des régions de
l’ouest du pays. Au point qu’aujourd’hui il y est impossible de trouver
le moindre bien à louer qui ne soit au prix, tout au moins multiplié par
deux, et même par cinq par endroit, par rapport à celui pratiqué avant
la guerre.
En tout cas, ceux qui sont originaires de l’ouest de l’Ukraine et qui
ne sont pas dans l’Union européenne pour des raisons économiques, sont
déjà repartis chez eux depuis un moment. Je suis formel.
En revanche, ceux qui sont originaires de l’est du pays, territoires
traditionnellement pro-russes, ont fui un danger on ne peut plus réel.
Parmi eux, ceux qui sont partis vers l’Europe sont ceux qui n’ont pas eu
de moyens financiers pour rester à l’ouest de l’Ukraine qui est une
zone d’une parfaite sécurité, mais où ils se font dépouiller par des
locaux qui, par ailleurs, les détestent presque autant que les Russes.
Et ce que les Européens ignorent, c’est que parmi ces vrais réfugiés
beaucoup sont foncièrement pro-russes et haïssent le régime de Kiev et
tout ce qu’il représente. S’ils ne sont pas partis vers la Russie, ce
n’est dû qu’au fait qu’il n’était pas possible de traverser la ligne de
front. Ils n’avaient qu’une possibilité de fuir : vers l’ouest.
En France, vous avez une part relativement importante de réfugiés
ukrainiens qui sont parfaitement pro-russes, mais qui se taisent, car
ils savent qu’il ne faut surtout pas que l’accueillant intoxiqué par sa
propagande apprenne la vérité les concernant et les rejette pour des
raisons politiques. Ce sont surtout des personnes âgées de plus de 45
ans, ceux qui ont reçu une éducation encore sous l’URSS. Ce ne sont
nullement des nostalgiques du passé soviétique, loin de là. Ce sont
juste ceux qui savent exactement ce qu’est la Russie et le monde russe,
car ils y ont vécu.
L’Éclaireur – On a une idée du nombre d’Ukrainiens qui ont fui l’Ukraine ?
Oleg Nesterenko – Je ne dispose pas de chiffres
précis mais on parle de millions qui sont partis vers l’Europe, dont
plus de 100 000 vers la France. Il faut se rappeler que les frontières
ont été fermées dès le mois de mars 2022, sans quoi la quasi-intégralité
de la population masculine âgée de 18 à 60 ans aurait fui le pays et il
ne resterait plus personne à envoyer à l’abattoir. Mais le pays qui a
accueilli le plus de réfugiés, c’est bien la Russie. Il y a plus de 3,2
millions de personnes. Et parler des départs des habitants ukrainiens
vers la Russie d’une manière forcée n’est que signe d’imbécilité et de
déconnexion totale de la réalité.