Bolivie: désinformation en direct sur France 2. (article de Maurice Lemoine)
28 mai 2016 Actu de Une
Incident,
ce 26 mai 2016, sur le plateau du magazine « Des paroles et des actes
», animé par David Pujadas, avec comme invité Jean-Luc Mélenchon.
Entendant démontrer au candidat présidentiel de « La France insoumise »
que tous ceux qu’il a « pris en exemple » ont échoué, le « spécialiste
économique » François Lenglet évoque, entre autres, le président
bolivien Evo Morales qu’il traite publiquement de « corrompu ».
S’entendant
répondre« Tenez vos mots M. Lenglet, vous êtes sans doute plus corrompu
que ne le sera jamais M. Morales, pesez vos mots ! », l’éditocrate
vedette enfonce le clou : « La petite amie de M. Morales, qui est la
mère de son fils, a bénéficié de 500 millions de dollars de commandes
publiques. Alors, allez m’expliquer que tout ça est normal… ». Ce qui
n’est sans doute pas « normal », c’est qu’on puisse, devant 2 471 000
téléspectateurs (11,5% de part d’audience), « corrompre » à ce point le
débat public et l’information, sans qu’aucun média, le lendemain, plutôt
que de gloser sur l’« agressivité » de Mélenchon, ne dénonce
l’imposteur Lenglet.
Telenovela à la veille du référendum bolivien
C’est
l’ancien chef des services de renseignement boliviens (1989-1993)
Carlos Valverde, reconverti en « journaliste », qui a lancé l’« affaire »
à la veille d’un référendum qu’il s’agissait de faire perdre au
président Morales : ce dernier ayant eu une liaison amoureuse avec une
jeune femme, Gabriela Zapata, entre 2005 et 2007, et celle-ci occupant
un poste de cadre de haut niveau (à partir de février 2015, huit ans
plus tard) au sein de China CAMC Engineering, une firme bénéficiaire
d’importants contrats avec l’Etat, il y aurait eu « trafic d’influence »
pour favoriser cette entreprise chinoise – ce qui, après examen des
faits, se révélera totalement faux.
Des rebondissements ignorés par François Lenglet?
A
l’évidence, l’éminent spécialiste Lenglet, qui, à la veille d’un débat,
doit faire préparer ses fiches en même temps que ses tasses de café par
un stagiaire ou une petite main, en est resté là. A moins qu’il n’ait
choisi de mentir délibérément… Car, en Bolivie, le « feuilleton Zapata »
a connu tant de rebondissements qu’il a fait passer le président
Morales du statut d’« accusé » à celui de victime d’une machination.
Le
premier de ces rebondissements, et non des moindres, intervint le 26
février 2016 lorsque Mme Zapata fut détenue – en même temps que deux
cadres moyens du ministère de la présidence –, accusée d’usurpation de
fonction, de trafic d’influence et d’enrichissement illicite. Tous
trois, présentant Gabriela Zapata comme une « très proche » du
président, utilisaient discrètement un bureau de ce lieu gouvernemental
pour s’y réunir avec des entrepreneurs, des hommes d’affaires, des
fonctionnaires, et y passer des accords douteux donnant lieu à
rétrocommissions ou pots-de-vin. Déjà spectaculaire en soi, cette
arrestation donne lieu à un nouveau coup de théâtre, la famille de la
détenue affirmant que l’enfant qu’elle a eu avec le président, et dont
elle lui a affirmé en 2007 qu’il était décédé, est en réalité… vivant.
Entraînant une réaction immédiate d’Evo Morales. N’ayant jamais nié sa
liaison de deux années avec la jeune femme, il assume la nouvelle donne
et déclare publiquement le 29 février : « J’ai le droit de connaître mon
fils, de prendre soin de lui, de le protéger. J’espère qu’on me
l’amènera ces prochaines heures… »
N’obtenant pas satisfaction, le
président va effectuer la même requête devant une juge du droit
familial. Laquelle se verra effectivement présenter, dans les jours
suivants, un enfant de onze ans. Toutefois, lorsque « Evo », de son
propre chef, se soumet à un test ADN, Zapata refuse de l’imiter et
interdit que cet examen soit effectué sur le présumé fils du chef de
l’Etat.
La vérité va éclater le 18 mai lorsque la justice conclut
que « le fils du président » n’a jamais existé. Deux jours plus tard, la
tante de Gabriela Zapata, Pilar Guzmán, ainsi que les trois avocats de
l’ex-« fiancée », Eduardo León, William Sánchez et Walter Zuleta, sont
arrêtés, accusés d’avoir cherché à tromper la justice en tentant de
faire passer un neveu de Guzman pour l’enfant de Morales et Zapata.
Cette aventurière, pour tromper le président, a utilisé à l’époque un
faux certificat de naissance établi sur la base d’un document falsifié
émanant d’une maternité. Dit plus officiellement par la juge Jacqueline
Rada, le 6 mai : « Il a été mis en évidence qu’il n’existe aucun
registre accréditant et confirmant l’existence physique du sujet. »
Comme il se doit, Carlos Valverde, l’homme qui, il y a quatre mois, a ouvertement orchestré la machination, a cru devoir réapparaître pour se dédouaner et a affirmé sur Twitter : « J’ai eu accès a une information sérieuse [sic !] qui confirme que le supposé fils de Gabriela Zapata et du président Morales n’existe pas. » Inutile de préciser que si d’aventure il est mis en cause ou poursuivi pour sa campagne crapuleuse destinée à affaiblir et déstabiliser politiquement le président, la grande internationale médiatique se mobilisera au nom du « droit d’informer » et de la « liberté d’expression ».
Comme il se doit, Carlos Valverde, l’homme qui, il y a quatre mois, a ouvertement orchestré la machination, a cru devoir réapparaître pour se dédouaner et a affirmé sur Twitter : « J’ai eu accès a une information sérieuse [sic !] qui confirme que le supposé fils de Gabriela Zapata et du président Morales n’existe pas. » Inutile de préciser que si d’aventure il est mis en cause ou poursuivi pour sa campagne crapuleuse destinée à affaiblir et déstabiliser politiquement le président, la grande internationale médiatique se mobilisera au nom du « droit d’informer » et de la « liberté d’expression ».
Intox et corruption de l’information
Inclure
un morceau de vérité dans une « intox » ne la rend que plus efficace :
Evo Morales a effectivement eu une liaison avec la jeune Gabriela
Zapata. Mais tout le reste est faux : elle n’est plus, et depuis
longtemps, sa « petite amie » ; ils n’ont pas eu d’enfant ensemble ; il
n’existe pas de faits de corruption les liant. Quant à François Lenglet,
nous apprend Wikipedia – qui doit également pratiquer le « journalisme
d’investigation » –, « sa maîtrise des dossiers et son sens de la
précision sont reconnus par les observateurs ». On nous permettra
d’ajouter qu’il prend le public pour un ramassis de débiles et que,
corrompu pour corrompu, il corrompt et le débat et l’information.
Maurice Lemoine