vendredi 5 janvier 2024

 

Vœux du président de la République : Merci Macron pour cet enfumage en règle.

Carlo Gallo  Agora Vox

Depuis presque sept ans qu’il est au pouvoir, Emmanuel Macron projette d’« agir encore ». C’est ainsi qu’en 2024, pour renouer avec les « fiertés françaises » et mener la campagne des européennes, il compte agir !

Mais agir dans quel domaine ? Poursuivre le détricotage du domaine public ? Poursuivre le démantèlement de l’enseignement public, de l’hôpital, des droits des travailleurs ?

Continuer à nous fournir comme seul argument le « combat du bien » représenté par ses amis milliardaires contre le mal représenté par tous les autres, c’est-à-dire les ignares, ceux qui ne « valent rien », ceux qui défendent leurs droits, ceux qui réclament le fruit de leur travail, ceux qui veulent une vie digne ?

N’empêche, ces vœux tombaient bien. Après avoir défendu Depardieu en piétinant la fonction présidentielle et la justice de ce pays ; après l’adoption de la loi inique sur l’immigration, il avait la possibilité de faire diversion par l’intermédiaire de cet exercice d’un autre âge.

C’est debout dans la nuit noire, devant les drapeaux des nations olympiques dans les jardins de l’Elysée, que Macron, visage illuminé (le seul point illuminé de la photo) a lu sur son prompteur le bla bla préparé certainement par ses amis communicants de chez McKinsey. Ils savent y faire ceux-là ; la photo et la mise en scène en sont la signature : une signature américaine. Macron est présenté comme le sauveur, presque comme le messie (le « presque » est même inutile dans le cas présent). Un messie qui colle parfaitement aux jours qui entourent Noël, pleins de religiosité … 

Une année de « détermination, de choix, de régénération, de fierté », a-t-il martelé, une année de combat ! Cela fait presque sept ans qu’il est président et il comprend qu’il faut faire quelque chose ; il était temps ! Mais aussi, faire quoi ? Ça, on ne le saura jamais !

Après avoir dressé le constat sombre d’une France tenaillée en 2023 par les menaces extérieures et les fractures intérieures, le président de la République a décuplé dans le déballage des promesses qui n’engagent que ceux qui les écoutent : L’année 2024 sera, dit-il, « un millésime français ».

Il faut dire qu’on peut difficilement faire mieux, dans le vide de politique et de projet, quoi que…

Il se fait même aumônier et prédicateur avec son « dans ce contexte de crises peut naître le meilleur », équivalent à une vie meilleure dans l’au-delà de (presque) toutes les religions.

 Le président de la République a balayé d’un revers de la main la crise politique qui traverse son camp depuis le vote de la loi « immigration », le 19 décembre, avec les voix du Rassemblement national, au prix de la démission du ministre de la santé, Aurélien Rousseau, et d’un malaise partagé par d’autres membres du gouvernement et de nombreux députés de la majorité. Il a préféré vanter « la force de caractère, vertu des temps difficiles  ». D’ailleurs, le terme « réarmement » a été employé sept fois par Macron. Comble de la tromperie et des astuces de communicant (je me répète, ses amis américains savent y faire), alors que cette loi parle de « préférence nationale » notion défendue par l’extrême droite, en distinguant entre travailleurs étrangers et nationaux pour verser des prestations sociales, ou impose une caution aux étudiants étrangers, Emmanuel Macron l’a présentée comme nécessaire pour « lutter contre les passeurs et l’immigration clandestine » et «  mieux intégrer ceux qui ont vocation à demeurer sur notre sol : réfugiés, étudiants, chercheurs, travailleurs ».

Même la réforme des retraites, a été présentée comme positive par Macron, bien qu’elle ait provoqué la première crise de ce second quinquennat. Il a dit qu’elle permettrait au pays « d’être en mesure de financer notre modèle social » et de créer des emplois.

Les crises il ne les connait pas et ne les nomme même pas : «  Depuis sept ans, là où vous m’avez placé, je tâche de rendre la France plus forte et plus juste et de libérer, protéger, unir. Tel est le cap et nous le tenons, il en fut de même en 2023 », clama-t-il, faisant référence à son slogan de campagne de 2017 : « libérer, protéger ». « La France c’est une culture, une histoire, une langue, des valeurs universelles qui s’apprennent dès le plus jeune âge », insista-t-il, affirmant vouloir « rétablir l’autorité partout où elle manque face aux incivilités et à la délinquance ».

Dans le bla bla présidentiel sont venues quelques touches d’espérance et de « fiertés ». Il s’approprie la sphère mémorielle et les événements actés depuis longtemps : « Dans les prochains mois, la France rayonnera dans le monde, promet le chef de l’Etat, à travers la commémoration du 80e anniversaire du Débarquement en Normandie et la tenue des Jeux olympiques de l’été 2024. Nous serons fiers de nos athlètes, de nos artistes, de nos paysages, de cette fête populaire. » Le terme populaire me parait totalement hallucinant dans la bouche du président car les Parisiens sont invités à quitter la capitale durant les jeux, les bouquinistes des quais de la Seine sont exilés, les prix exorbitants de billets d’entrée sur les différents sites sont inabordables, le prix des transports exorbitants, le prix des locations de même…dois-je en rajouter ? Mais, pour les amis du président tout cela est du menu fretin, valeur insignifiante… pourvu que le président soit glorifié et qu’eux conservent leurs privilèges. 

La reconstruction de la cathédrale Notre-Dame de Paris, après l’incendie qui l’avait ravagée cinq ans plus tôt, montrera que la France « lorsqu’elle est fière d’elle-même accomplit l’impossible », poursuivait Macron, s’attribuant (avec nos impôts) le mérite de sa reconstruction, lorsqu’il soulignait que ce n’était qu’« une fois par millénaire que l’on rebâtit une cathédrale ».

P.S. : Macron : « Si la réussite est au bout, ce sera grâce à ma lumineuse personne. Si au contraire l’échec arrive, ce sera à cause de vous, mes chers conpatriotes[1] »

 

[1] Vous avez remarqué la faute d’orthographe. Elle a été glissée express dans le texte par ses auteurs, en guise de clin d’œil : à la prononciation du bla bla présidentiel cela ne s’entend pas mais cela permet au président de sourire et montrer ainsi son humanité et bienveillance.

LA PHRASE DU JOUR (1)

 

 

L’ART RUSSE DE LA GUERRE

Ou comment l’Occident a mené l’Ukraine à la défaite. 

A propos du nouvel ouvrage du Colonel Jacques Baud(°)

par Renaud Bouchard  Agora Vox
jeudi 4 janvier 2024

 

 (°)Jacques BAUD. 

Colonel d'État Major général dans l'armée Suisse, Analyste stratégique suisse, spécialiste du renseignement et du terrorisme, fonctionnaire au Département fédéral des Affaires étrangères, ancien officier des Services de renseignements suisses (SRS), le colonel Baud s'est particulièrement intéressé aux forces du Pacte de Varsovie durant la Guerre froide et a amplement prouvé ses capacités d'analyse objective de la situation comme du conflit en Ukraine.

 

 

La pensée magique, l'ignorance, l'arrogance, l'inculture, la suffisance et le déni du Réel masquant contre toute évidence la défaite des Etats-Unis, de l'Union européenne, de l'OTAN et d'une « doctrine militaire » inopérante face, précisément, au nouvel Art opératif russe appuyé sur une réelle économie de guerre et des percées technologiques difficilement contestables, dévoilent désormais les perspectives d'un terrifiant désastreiv résultant d'une guerre américano-européenne que le crétinisme des dirigeants européens aura inconsidérément et criminellement accepté de nourrir, précipitant ainsi l'Europe dans un trou noir géopolitique et géoéconomique qui pourrait bien lui être fatal.

 

(1) Extraite de l'article publié jeudi 4 janvier sur le blog Agora Vox: L'ART RUSSE DE LA GUERRE

 

L’art russe de la guerre ou comment l’Occident a mené l’Ukraine à la défaite. A propos du nouvel ouvrage du Colonel Jacques Baud

L’Amérique et l’Otan ont voulu la guerre, elles vont la perdre et ce sera une défaite bien plus grave que toutes les déculottées que l’Amérique a subies depuis 1945. Le monde multipolaire qui se prépare ne sera pas à l’avantage de l’Occident et ces idiots d’Européens, totalement soumis à un suzerain qui les occupe, les appauvrit, les vassalise et les méprise, auront sciemment et volontairement choisi le camp des perdants.

Lorsque l'on écoute les vœux de l’illuminé de l’Élysée, qui prétend que "la France avait 10 ans de retard en 2017 mais aura 10 ans d’avance en 2027"i, alors que la France est en train de disparaître à vitesse accélérée sur tous les plans où elle excellait (économiquement, industriellement, politiquement, diplomatiquement, culturellement, technologiquement, scientifiquement, médicalement, civilisationnellement), on ne peut que souhaiter la désintégration de ce monde unipolaire, fracassé et décadent, pourri et violent, dégénéré et sans avenir, dominé par Washington et les mondialistes intégristes.

i Emmanuel Macron, allocution pour le Nouvel An, dimanche 31 décembre. 2023.

 

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Les lignes qui suivent n'ont strictement rien à voir avec la logorrhée et le robinet d'eau tiède que nous débitent les media français, stratèges ad hoc et autres professionnels de plateauxi à propos de l'Opération Militaire Spéciale que conduit la Russie depuis désormais plus de deux ans en évoquant l'inéluctable victoire de l'Ukraine, en « prédisant l'effondrement du corps expéditionnaire russe »ii en même tant que M.Bruno Le Maire, "ministre de l'Economie", déclarait le 1er mars 2022 qu'il allait "provoquer l'effondrement de l'économie russe", tout en pariant encore - malgré la réalité d'une défaite technique, militaire, économique, financière et principalement humaine - sur une résilience encore possible d'un pays ravagé, ruiné, exsangue et en quasi debellatioiii

La pensée magique, l'ignorance, l'arrogance, l'inculture, la suffisance et le déni du Réel masquant contre toute évidence la défaite des Etats-Unis, de l'Union européenne, de l'OTAN et d'une « doctrine militaire » inopérante face, précisément, au nouvel Art opératif russe appuyé sur une réelle économie de guerre et des percées technologiques difficilement contestables, dévoilent désormais les perspectives d'un terrifiant désastreiv résultant d'une guerre américano-européenne que le crétinisme des dirigeants européens aura inconsidérément et criminellement accepté de nourrir, précipitant ainsi l'Europe dans un trou noir géopolitique et géoéconomique qui pourrait bien lui être fatal.

Elément particulièrement pondéré et fort éloigné du cirque médiatique, Jacques Baud est quant à lui d'une toute autre dimension et offre une toute autre approche, exempte d'émotions, d'analyses inexactes et d'approximations conformes à la doxa géopolitique précitée. Analyste stratégique suisse, spécialiste du renseignement et du terrorisme, colonel d'état-major général dans l'armée suisse, fonctionnaire au Département fédéral des Affaires étrangères, ancien officier des Services de renseignements suisses (SRS), le colonel Baud s'est particulièrement intéressé aux forces du Pacte de Varsovie durant la Guerre froide et a amplement prouvé ses capacités d'analyse objective de la situation comme du conflit en Ukraine.v

Comme l'explique J. Baud, « Vous ne pouvez pas gagner une guerre en vous convainquant que vous avez gagné. Tirer les leçons d’un conflit doit non seulement permettre de revisiter nos doctrines d’engagement et l’orientation de nos politiques d’armement, mais aussi – et c’est essentiel – d’éviter l’émergence de nouveaux conflits. Penser qu’un conflit est le produit d’une seule cause (« Poutine est fou ! ») est puéril. Les conflits sont toujours le résultat d’un ensemble de causes dont l’importance relative varie dans le temps.

L’identification de ces causes et de leurs interactions est la tâche des services de renseignement et de ceux qui sont censés éclairer nos décideurs. Or, en France plus qu'ailleurs, la réflexion sur le conflit, qu'elle vienne des « pro-russes » ou des « pro-ukrainiens », ne s'appuie pas sur des faits, mais sur des convictions. Le problème ne se limite pas aux conflits militaires, mais à toutes les crises. On se souvient de la déclaration d'Olivier Véran, ministre de la Santé, le 18 février 2020, dont les intonations rappelaient étrangement le général Gamelin en 1939. "Je n’ai pas besoin de vérifier que la France est prête. La France est prête ! Et c’est prêt parce que nous disposons d’un système de santé extrêmement solide." 

(On a amplement vu depuis ce qu'il en était et nous ne sommes qu'aux prémices du constat de l'ampleur du désastre sanitaire et médical auquel une sombre équipe de brêles et d'incapables aura prêté main forte. On imagine aisément ce que seraient ces gouvernants de rencontre face à une véritable guerre, un conflit ouvert avec des attaques et des destructions sur le territoire, à l'image des destructions matérielles et du carnage humain que connaît l'Ukraine).

 En France, ajoute J. Baudi, des « experts » militaires comme les généraux Dominique Trinquand, Michel Yakovleff, et des colonels comme Pierre Servent ou Michel Goya s'inscrivent dans cette tradition. Ils fondent leur jugement sur leur perception (voire sur leurs préjugés) et non sur des faits. Cela plaît à nos médias, mais cela conduit à la défaite.

Ce phénomène est illustré par le rapport d’information du Sénat français, publié en février 2023ii. Il se construit sur des préjugés, des accusations infondées et des rumeurs, tandis que des éléments essentiels à la compréhension du conflit ont été écartés. Chaque événement est décrit comme s’il était tombé du ciel, sans raison. Il en résulte une lecture fataliste des problèmes, nécessairement émotionnelle, qui ne se comprend qu’à travers des « punchlines » et qui rend impossible des solutions en profondeur.

On peut déjà prédire qu'elle satisfera ceux qui parlent à la télévision, mais perpétuera les erreurs commises au cours des trente dernières années et qui ont systématiquement conduit à des catastrophes. Le problème est que ce rapport a l'ambition d'orienter la réflexion sur l'avenir des armées françaises. »

Sans dire pour autant que l'on puisse clairement distinguer les détails du conflit européen au milieu des écharpes du « brouillard de la guerre », les premiers jours de l'année 2024 permettent malgré tout de faire très précisément le point sur la situation actuelle. La publication de l'ouvage du colonel J. Baud étant imminente et sa traduction en langue anglaise étant pour partie déjà disponible, le Lecteur en trouvera ci-après un long passage dont il tirera à n'en pas douter solide et sérieuse matière à réflexion pour les semaines et mois à venir.

Voici donc les premières bonnes feuilles selon le sommaire joint :

Cliquer pour accéder à Table-of-Contents.pdf

 

Sources :

1 janvier 2024 Jacques Baud

https://www.thepostil.com/author/jacques-baud/

 

Pensée militaire russe
 

Tout au long de la guerre froide, l’Union soviétique se considérait comme le fer de lance d’une lutte historique qui mènerait à une confrontation entre le système « capitaliste » et les « forces progressistes ». Cette perception d’une guerre permanente et inéluctable a conduit les Soviétiques à étudier la guerre d’une manière quasi scientifique et à structurer cette pensée dans une architecture de pensée militaire sans égal dans le monde occidental.

Le problème de la grande majorité de nos soi-disant experts militaires est leur incapacité à comprendre l’approche russe de la guerre. C’est le résultat d’une approche que nous avons déjà vue lors de vagues d’attentats terroristes : l’adversaire est si bêtement diabolisé que nous nous abstenons de comprendre sa façon de penser. En conséquence, nous sommes incapables d’élaborer des stratégies, d’articuler nos forces ou même de les équiper pour les réalités de la guerre. Le corollaire de cette approche est que nos frustrations sont traduites par des médias sans scrupules en un récit qui alimente la haine et accroît notre vulnérabilité. Nous sommes donc incapables de trouver des solutions rationnelles et efficaces au problème.

La façon dont les Russes appréhendent le conflit est holistique. En d’autres termes, ils voient les processus qui se développent et conduisent à la situation à un moment donné. Cela explique pourquoi les discours de Vladimir Poutine incluent invariablement un retour à l'histoire. En Occident, nous avons tendance à nous concentrer sur le moment X et à essayer de voir comment il pourrait évoluer. Nous voulons une réponse immédiate à la situation que nous voyons aujourd’hui. L’idée selon laquelle « c’est de la compréhension de l’origine de la crise que vient le chemin pour la résoudre » est totalement étrangère à l’Occident. En septembre 2023, un journaliste anglophone m'a même sorti le « test du canard » : « si ça ressemble à un canard, nage comme un canard et cancane comme un canard, c'est probablement un canard. » En d’autres termes, tout ce dont l’Occident a besoin pour évaluer une situation, c’est d’une image qui correspond à ses préjugés. La réalité est bien plus subtile que le modèle du canard….

La raison pour laquelle les Russes sont meilleurs que l’Occident en Ukraine est qu’ils voient le conflit comme un processus alors que nous le voyons comme une série d’actions distinctes. Les Russes voient les événements comme un film. Nous les voyons comme des photographies. Ils voient la forêt, tandis que nous nous concentrons sur les arbres. C’est pourquoi nous plaçons le début du conflit (ukrainien) au 24 février 2022, ou le début du conflit palestinien au 7 octobre 2023. Nous ignorons les contextes qui nous dérangent et menons des conflits que nous ne comprenons pas. C'est pourquoi nous perdons nos guerres…

****

En Russie, sans surprise, les principes de l’art militaire des forces soviétiques ont inspiré ceux actuellement en vigueur :

  • être prêt à accomplir les missions assignées ;

  • concentration des efforts sur la résolution d'une mission spécifique ;

  • surprise (non-conformisme) d'une action militaire vis-à-vis de l'ennemi ;

  • la finalité détermine un ensemble de tâches et le niveau de résolution de chacune d'elles ;

  • l'ensemble des moyens disponibles détermine la manière de résoudre la mission et d'atteindre l'objectif (corrélation des forces) ;

  • cohérence du leadership (unité de commandement) ;

  • économie de forces, de ressources, de temps et d'espace ;

  • soutien et restauration de la capacité de combat ;

  • liberté de manœuvre .

Il convient de noter que ces principes ne s’appliquent pas uniquement à la mise en œuvre d’une action militaire en tant que telle. Ils sont également applicables comme système de pensée à d’autres activités non opérationnelles.

Une analyse honnête du conflit en Ukraine aurait identifié ces différents principes et tiré des conclusions utiles pour l’Ukraine. Mais aucun des experts autoproclamés de la télévision n’en était intellectuellement capable.

Ainsi, les Occidentaux sont systématiquement surpris par les Russes dans les domaines de la technologie (par exemple les armes hypersoniques), de la doctrine (par exemple l'art opérationnel) et de l'économie (par exemple la résilience aux sanctions). D’une certaine manière, les Russes profitent de nos préjugés pour exploiter le principe de surprise. Nous pouvons le constater dans le conflit ukrainien, où le discours occidental a conduit l’Ukraine à sous-estimer totalement les capacités russes, ce qui a été un facteur majeur de sa défaite. C’est pourquoi la Russie n’a pas vraiment essayé de contrer ce discours et de le laisser se dérouler : la conviction que nous sommes supérieurs nous rend vulnérables….
 

Corrélation des Forces
 

La pensée militaire russe est traditionnellement liée à une approche holistique de la guerre, qui implique l’intégration d’un grand nombre de facteurs dans l’élaboration d’une stratégie. Cette approche est matérialisée par la notion de « corrélation des forces » (Соотношение сил).

Souvent traduit par « équilibre des forces » ou « rapport de forces », ce concept n’est appréhendé par les Occidentaux que comme une quantité quantitative, limitée au domaine militaire. Dans la pensée soviétique, cependant, la corrélation des forces reflétait une lecture plus holistique de la guerre : 

Il existe plusieurs critères pour évaluer la corrélation des points forts

Dans le domaine économique, les facteurs habituellement comparés sont le produit national brut par habitant, la productivité du travail, la dynamique de la croissance économique, le niveau de production industrielle, notamment dans les secteurs de haute technologie, l'infrastructure technique de l'outil de production, les ressources et le diplôme. de la qualification de la main-d'œuvre, du nombre de spécialistes et du niveau de développement des sciences théoriques et appliquées.

Dans le domaine militaire, les facteurs comparés sont la quantité et la qualité des armements, la puissance de feu des forces armées, les qualités combattantes et morales des soldats, le niveau de formation de l'état-major, l'organisation des troupes et leur expérience du combat, le caractère de la doctrine militaire et des méthodes de réflexion stratégique, opérationnelle et tactique.

Dans le domaine politique, les facteurs qui entrent en considération sont l'étendue de la base sociale de l'autorité de l'État, son organisation, la procédure constitutionnelle régissant les relations entre le gouvernement et les organes législatifs, la capacité de prendre des décisions opérationnelles, ainsi que le degré et la nature de l'autorité de l'État. soutien populaire à la politique intérieure et étrangère.

Enfin, pour évaluer la force du mouvement international, les facteurs pris en considération sont sa composition quantitative, son influence auprès des masses, sa position dans la vie politique de chaque pays, les principes et normes des relations entre ses composantes et le degré de leur cohésion.

Autrement dit, l’évaluation de la situation ne se limite pas à l’équilibre des forces sur le champ de bataille, mais prend en compte tous les éléments qui ont un impact sur l’évolution du conflit. Ainsi, pour leur opération militaire spéciale, les autorités russes avaient prévu de soutenir l’effort de guerre par l’économie, sans passer à un régime « d’économie de guerre ». Ainsi, contrairement à l’Ukraine, les mécanismes fiscaux et sociaux n’ont pas été interrompus.

C’est pourquoi les sanctions appliquées à la Russie en 2014 ont eu un double effet positif. La première a été la prise de conscience qu’il ne s’agissait pas seulement d’un problème à court terme, mais surtout d’une opportunité à moyen et long terme. Elles ont encouragé la Russie à produire des biens qu’elle préférait auparavant acheter à l’étranger. Le deuxième était le signal que l’Occident utiliserait de plus en plus les armes économiques comme moyen de pression à l’avenir. Il devenait donc impératif, pour des raisons d'indépendance et de souveraineté nationales, de se préparer à des sanctions plus lourdes affectant l'économie du pays.

En réalité, on sait depuis longtemps que les sanctions ne fonctionnent pas. Assez logiquement, elles ont eu l’effet inverse, agissant comme des mesures protectionnistes pour la Russie, qui a ainsi pu consolider son économie, comme cela avait été le cas après les sanctions de 2014. Une stratégie de sanctions aurait pu s'avérer payante si l'économie russe avait effectivement été l'équivalent de l'économie italienne ou espagnole, c'est-à-dire avec un niveau d'endettement élevé ; et si la planète entière avait agi à l’unisson pour isoler la Russie.

L'inclusion de la corrélation des forces dans le processus de prise de décision constitue une différence fondamentale avec les processus de décision occidentaux, davantage liés à une politique de communication qu'à une approche rationnelle des problèmes.

Ceci explique par exemple les objectifs limités de la Russie en Ukraine, où elle ne cherche pas à occuper l'intégralité du territoire, le rapport de forces dans la partie occidentale du pays étant défavorable.

À chaque niveau de leadership, la corrélation des forces fait partie de l’évaluation de la situation. Au niveau opérationnel, il est défini comme suit :

Résultat de la comparaison des caractéristiques quantitatives et qualitatives des forces et des ressources (sous-unités, unités, armes, équipements militaires, etc.) de ses propres troupes (forces) et celles de l'ennemi. Elle est calculée à l'échelle opérationnelle et tactique dans toute la zone d'opérations, dans les directions principales et autres, afin de déterminer le degré de supériorité objective de l'un des camps adverses. L'évaluation de la corrélation des forces est utilisée pour prendre une décision éclairée concernant une opération (bataille) et pour établir et maintenir la supériorité nécessaire sur l'ennemi aussi longtemps que possible, lorsque les décisions sont redéfinies (modifiées) au cours d'opérations militaires (de combat).

Cette définition simple est la raison pour laquelle les Russes se sont engagés avec des forces inférieures à celles de l’Ukraine en février 2022, ou encore pourquoi ils se sont retirés de Kiev, Kharkov et Kherson en mars, septembre et octobre 2022.

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Structure de la doctrine

Les Russes ont toujours attaché une importance particulière à la doctrine. Mieux que l’Occident, ils ont compris qu’« une manière commune de voir, de penser et d’agir » – comme le dit le maréchal Foch – donne de la cohérence, tout en permettant des variations infinies dans la conception des opérations. La doctrine militaire constitue une sorte de « tronc commun » qui sert de référence à la conception des opérations.

La doctrine militaire russe divise l'art militaire en trois composantes principales : la stratégie ( strategiya ), l'art opérationnel ( operativnoe iskoustvo ) et la tactique ( taktika ). Chacune de ces composantes possède ses propres caractéristiques, très proches de celles que l’on retrouve dans les doctrines occidentales. Reprenant la terminologie de la doctrine française sur l’usage des forces :

  • Le niveau stratégique est celui de la conception. Le but de l’action stratégique est de mener l’adversaire à la négociation ou à la défaite.

  • Le niveau opérationnel est celui de la coopération et de la coordination des actions inter-forces, en vue d'atteindre un objectif militaire donné.

  • Le niveau tactique, enfin, est celui de l’exécution de la manœuvre au niveau des armes comme partie intégrante de la manœuvre opérationnelle.

Ces trois composantes correspondent à des niveaux de leadership, qui se traduisent par des structures de leadership et par l'espace dans lequel se déroulent les opérations militaires. Par souci de simplicité, disons que le niveau stratégique assure la gestion du théâtre de guerre (Театр Войны) (TV) ; une entité géographiquement vaste, dotée de ses propres structures de commandement et de contrôle, au sein de laquelle se trouvent une ou plusieurs orientations stratégiques. Le théâtre de guerre comprend un ensemble de théâtres d'opérations militaires (Театр Военных Действий) (TVD), qui représentent une direction stratégique et constituent le domaine de l'action opérationnelle. Ces différents théâtres n'ont pas de structure prédéterminée et sont définis en fonction des situations. Par exemple, bien que l’on parle couramment de « guerre en Afghanistan » (1979-1989) ou de « guerre en Syrie » (2015-), ces pays sont considérés dans la terminologie russe comme des TVD et non des TV.

Il en va de même pour l’Ukraine, que la Russie considère comme un théâtre d’opérations militaires (TVD) et non comme un théâtre de guerre (TV), ce qui explique pourquoi l’action en Ukraine est qualifiée d’« opération militaire spéciale » (Специальная Военая Операция— Spetsialaya) . ). Une opération militaire spéciale » (Специальная Военная Операция – Spetsial'naya Voyennaya Operatsiya – SVO, ou SMO en abréviation anglaise) et non une « guerre ».

L’utilisation du mot « guerre » impliquerait une structure de conduite différente de celle envisagée par les Russes en Ukraine, et aurait d’autres implications structurelles en Russie elle-même. De plus – et c’est un point central – comme le reconnaît lui-même le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, « la guerre a commencé en 2014 » et aurait dû prendre fin avec les accords de Minsk. Le SMO est donc une « opération militaire » et non une nouvelle « guerre », comme le prétendent de nombreux « experts » occidentaux.

L'opération spéciale en Ukraine

Considérez tous les facteurs qui influencent directement ou indirectement le conflit. A l’inverse, comme on l’a vu en Ukraine et ailleurs, les Occidentaux ont une lecture beaucoup plus politique de la guerre, et finissent par mélanger les deux. C’est pourquoi la communication joue un rôle si essentiel dans la conduite de la guerre : la perception du conflit joue un rôle presque plus important que sa réalité. C’est pourquoi, en Irak, les Américains ont littéralement inventé des épisodes glorifiant leurs troupes.

 

L’analyse de la situation par la Russie en février 2022 était sans doute bien plus pertinente que celle de l’Occident. Ils savaient qu’une offensive ukrainienne contre le Donbass était en cours et qu’elle pourrait mettre le gouvernement en danger. En 2014-2015, après les massacres d’Odessa et de Marioupol, la population russe était très favorable à une intervention. L’entêtement de Vladimir Poutine à respecter les accords de Minsk a été mal compris en Russie.

Les facteurs qui ont contribué à la décision de la Russie d'intervenir étaient doubles : le soutien attendu de la population ukrainienne d'origine russe (que nous appellerons « russophone » par commodité) et une économie suffisamment robuste pour résister aux sanctions.

La population russophone s'est soulevée massivement contre les nouvelles autorités suite au coup d'État de février 2014, dont la première décision a été de priver la langue russe de son statut officiel. Kiev a tenté de faire marche arrière, mais en avril 2019, la décision de 2014 a été définitivement confirmée.

Depuis l'adoption de la loi sur les peuples autochtones le 1er juillet 2021, les russophones (Russes de souche) ne sont plus considérés comme des citoyens ukrainiens normaux et ne jouissent plus des mêmes droits que les Ukrainiens de souche. On ne peut donc s’attendre à ce qu’ils n’opposent aucune résistance à la coalition russe dans l’est du pays….

Depuis le 24 mars 2021, les forces ukrainiennes renforcent leur présence autour du Donbass et accentuent la pression contre les autonomistes par leurs tirs.

Le décret de Zelensky du 24 mars 2021 pour la reconquête de la Crimée et du Donbass a été le véritable déclencheur du SMO. À partir de ce moment, les Russes ont compris que s’il y avait une action militaire contre eux, ils devraient intervenir. Mais ils savaient aussi que la cause de l’opération ukrainienne était l’adhésion à l’OTAN, comme l’avait expliqué Olekseï Arestovitch. C'est pourquoi, à la mi-décembre 2021, ils ont soumis aux États-Unis et à l'OTAN des propositions sur l'extension de l'Alliance : leur objectif était alors d'éliminer le motif de l'Ukraine pour une offensive dans le Donbass.

La raison de l’Opération militaire spéciale russe (OMS) est bien la protection des populations du Donbass ; mais cette protection était nécessaire en raison de la volonté de Kiev de passer par une confrontation pour entrer dans l'OTAN. L’extension de l’OTAN n’est donc que la cause indirecte du conflit en Ukraine. Cette dernière aurait pu s’épargner cette épreuve en mettant en œuvre les accords de Minsk, mais ce que nous souhaitions, c’était une défaite de la Russie.

En 2008, la Russie est intervenue en Géorgie pour protéger la minorité russe alors bombardée par son gouvernement, comme l'a confirmé l'ambassadrice de Suisse, Heidi Tagliavini, chargée d'enquêter sur cet événement. En 2014, de nombreuses voix se sont élevées en Russie pour exiger une intervention alors que le nouveau régime de Kiev avait engagé son armée contre la population civile des cinq oblasts autonomes (Odessa, Dnepropetrovsk, Kharkov, Lugansk et Donetsk) et appliqué une répression féroce. En 2022, on pouvait s'attendre à ce que la population russe ne comprenne pas l'inaction du gouvernement, alors qu'aucun effort n'a été fait de la part des parties ukrainienne et occidentale pour faire respecter les accords de Minsk. Ils savaient qu’ils n’avaient pas les moyens de lancer une riposte économique. Mais ils savaient aussi qu’une guerre économique contre la Russie se retournerait inévitablement contre les pays occidentaux.

Un élément important de la pensée militaire et politique russe est sa dimension légaliste. La façon dont nos médias présentent les événements, en omettant systématiquement les faits qui pourraient expliquer, justifier, légitimer, voire légaliser les actions de la Russie. Nous avons tendance à penser que la Russie agit en dehors de tout cadre juridique. Par exemple, nos médias présentent l’intervention russe en Syrie comme ayant été décidée unilatéralement par Moscou ; alors qu'elle a été réalisée à la demande du gouvernement syrien, après que l'Occident ait permis à l'État islamique de se rapprocher de Damas, comme l'a avoué John Kerry, alors secrétaire d'État. Pourtant, il n’est jamais question de l’occupation de l’est de la Syrie par les troupes américaines, qui n’y ont même jamais été invitées !

Nous pourrions multiplier les exemples auxquels nos journalistes répondront avec les crimes de guerre commis par les forces russes. C'est peut-être vrai, mais le simple fait que ces accusations ne s'appuient sur aucune enquête impartiale et neutre (comme l'exige la doctrine humanitaire), ni sur aucune enquête internationale, la Russie se voyant systématiquement refuser sa participation, jette une ombre sur l'honnêteté des ces accusations. Par exemple, le sabotage des gazoducs Nord Stream 1 et 2 a été immédiatement attribué à la Russie, accusée de violer le droit international.

En fait, contrairement à l’Occident qui prône un « ordre international fondé sur des règles », les Russes insistent sur un « ordre international fondé sur le droit ». Contrairement à l’Occident, ils appliqueront la loi à la lettre. Ni plus ni moins.

Le cadre juridique de l’intervention russe en Ukraine a été méticuleusement planifié. Ce sujet ayant déjà été abordé dans un de mes précédents livres, je n’entrerai pas dans les détails ici…

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Objectifs et stratégie de la Russie

 

Le 23 février 2023, « l'expert » militaire suisse Alexandre Vautravers commentait les objectifs de la Russie en Ukraine :

L’objectif de l’opération militaire spéciale était de décapiter la gouvernance politique et militaire ukrainienne en l’espace de cinq, dix, voire deux semaines. Les Russes modifièrent alors leur plan et leurs objectifs avec de nombreux autres échecs ; ils changent donc leurs objectifs et leurs orientations stratégiques presque chaque semaine ou chaque mois.

Le problème est que nos « experts » définissent eux-mêmes les objectifs de la Russie selon ce qu'ils imaginent, pour ensuite pouvoir dire qu'elle ne les a pas atteints. Donc. Revenons aux faits.

Le 24 février 2022, la Russie a lancé « dans de brefs délais » son « opération militaire spéciale » (OMS) en Ukraine. Dans son discours télévisé, Vladimir Poutine a expliqué que son objectif stratégique était de protéger la population du Donbass. Cet objectif peut être décomposé en deux parties :

  • « démilitariser » les forces armées ukrainiennes regroupées dans le Donbass en préparation de l'offensive contre la RPD et la LPR ; et

  • « dénazifier » (c'est-à-dire « neutraliser ») les milices paramilitaires ultranationalistes et néonazies dans la région de Marioupol.

La formulation choisie par Vladimir Poutine a été très mal analysée en Occident. Elle s’inspire de la Déclaration de Potsdam de 1945, qui envisageait le développement de l’Allemagne vaincue selon quatre principes : démilitarisation, dénazification, démocratisation et décentralisation.

Les Russes comprennent la guerre dans une perspective clausewitzienne : la guerre est la poursuite de la politique par d’autres moyens. Cela signifie alors qu’ils cherchent à transformer les succès opérationnels en succès stratégiques, et les succès militaires en objectifs politiques. Alors, alors que la démilitarisation évoquée par Poutine est clairement liée à la menace militaire sur les populations du Donbass en application du décret du 24 mars 2021, signé par Zelensky.

Mais cet objectif en cache un deuxième : la neutralisation de l’Ukraine en tant que futur membre de l’Otan. C’est ce que Zelensky a compris lorsqu’il a proposé une résolution du conflit en mars 2022. Dans un premier temps, sa proposition a été soutenue par les pays occidentaux, probablement parce qu’à ce stade, ils pensaient que la Russie avait échoué dans sa tentative de s’emparer de l’Ukraine en trois jours. et qu'il ne serait pas en mesure de soutenir son effort de guerre en raison des sanctions massives qui lui sont imposées. Mais lors de la réunion de l'OTAN du 24 mars 2022, les Alliés ont décidé de ne pas soutenir la proposition de Zelensky.

Néanmoins, le 27 mars, Zelensky a publiquement défendu sa proposition et le 28 mars, en signe de soutien à cet effort, Vladimir Poutine a relâché la pression sur la capitale et retiré ses troupes de la zone. La proposition de Zelensky a servi de base au communiqué d'Istanbul du 29 mars 2022, un accord de cessez-le-feu en prélude à un accord de paix. C’est ce document que Vladimir Poutine a présenté en juin 2023, lors de la visite d’une délégation africaine à Moscou. C'est l'intervention de Boris Johnson qui a poussé Zelensky à retirer sa proposition, échangeant la paix et la vie de ses hommes contre un soutien « aussi longtemps qu'il le faudra ».

Cette version des événements – que j’ai déjà présentée dans mes précédents ouvrages – a finalement été confirmée début novembre 2023 par David Arakhamia, alors négociateur en chef pour l’Ukraine196. Il a expliqué que la Russie n’avait jamais eu l’intention de s’emparer de Kiev.

En substance, la Russie a accepté de se retirer jusqu'aux frontières du 23 février 2022, en échange d'un plafond sur les forces ukrainiennes et d'un engagement de ne pas devenir membre de l'OTAN, ainsi que de garanties de sécurité de la part d'un certain nombre de pays.

Deux conclusions peuvent être tirées :

  • L’objectif de la Russie n’était pas de conquérir un territoire. Si l’Occident n’était pas intervenu pour pousser Zelensky à retirer son offre, l’Ukraine aurait probablement encore son armée.

  • Alors que les Russes sont intervenus pour assurer la sécurité et la protection de la population du Donbass, leur SMO leur a permis d'atteindre un objectif plus large, qui implique la sécurité de la Russie.

Cela signifie que, même si cet objectif n’est pas formulé, la démilitarisation de l’Ukraine pourrait ouvrir la porte à sa neutralisation. Ce n'est pas surprenant puisque, à l'inverse, dans une interview à la chaîne ukrainienne Apostrof' le 18 mars 2019, le conseiller de Volodymyr Zelensky, Oleksei Arestovitch, explique cyniquement que, parce que l'Ukraine veut rejoindre l'OTAN, elle devra créer les conditions pour que la Russie puisse attaquer l'Ukraine et être définitivement vaincue.

Le problème est que les analyses ukrainiennes et occidentales sont alimentées par leurs propres récits. La conviction que la Russie va perdre signifie qu’aucune éventualité alternative n’a été préparée. En septembre 2023, l’Occident, commençant à voir l’effondrement de ce récit et de sa mise en œuvre, a tenté d’évoluer vers un « gel » du conflit, sans tenir compte de l’opinion des Russes, dominants sur le terrain.

Pourtant, la Russie se serait contentée d’une situation telle que celle proposée par Zelensky en mars 2022. Ce que souhaite l’Occident en septembre 2023, c’est simplement une pause jusqu’à ce qu’un conflit encore plus violent éclate, après que les forces ukrainiennes auront été réarmées et reconstituées.

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Stratégie ukrainienne

L’objectif stratégique de Volodymyr Zelensky et de son équipe est d’adhérer à l’OTAN, prélude à un avenir meilleur au sein de l’UE. Elle complète celle des Américains (et donc des Européens). Le problème est que les tensions avec la Russie, notamment à propos de la Crimée, poussent les membres de l'OTAN à reporter la participation de l'Ukraine. En mars 2022, Zelensky révélait sur CNN que c’était exactement ce que lui avaient dit les Américains.

Avant son arrivée au pouvoir en avril 2019, le discours de Volodymyr Zelensky était partagé entre deux politiques antagonistes : la réconciliation avec la Russie promise lors de sa campagne présidentielle et son objectif d'adhésion à l'Otan. Il sait que ces deux politiques s’excluent mutuellement, car la Russie ne veut pas voir l’OTAN et ses armes nucléaires installées en Ukraine et souhaite la neutralité ou le non-alignement.

De plus, il sait que ses alliés ultranationalistes refuseront de négocier avec la Russie. Cela a été confirmé par le leader du Praviy Sektor, Dmitro Yarosh, qui l'a ouvertement menacé de mort dans les médias ukrainiens un mois après son élection. Zelensky savait donc dès le début de la campagne électorale qu’il ne parviendrait pas à tenir sa promesse de réconciliation, et qu’il ne lui restait qu’une seule solution : la confrontation avec la Russie.

Mais cette confrontation ne pourrait pas être menée seule par l’Ukraine contre la Russie, et elle nécessiterait le soutien matériel de l’Occident. La stratégie imaginée par Zelensky et son équipe a été révélée avant son élection en mars 2019 par Olekseï Arestovitch, son conseiller personnel, sur le média ukrainien Apostrof'. Arestovitch a expliqué qu'il faudrait une attaque russe pour provoquer une mobilisation internationale qui permettrait à l'Ukraine de vaincre la Russie une fois pour toutes, avec l'aide des pays occidentaux et de l'OTAN. Avec une précision étonnante, il décrit le déroulement de l'attaque russe telle qu'elle se déroulera trois ans plus tard, entre février et mars 2022. Non seulement il explique que ce conflit était inévitable si l'Ukraine veut adhérer à l'OTAN, mais il place également cette confrontation dans 2021-2022 ! Il a décrit les principaux domaines de l’aide occidentale :

Dans ce conflit, nous serons très activement soutenus par l’Occident. Armes. Équipement. Assistance. Nouvelles sanctions contre la Russie. Très probablement, l'introduction d'un contingent de l'OTAN. Une zone d'exclusion aérienne, etc. En d’autres termes, nous ne le perdrons pas.

Comme nous pouvons le constater, cette stratégie a de nombreux points communs avec celle décrite à la même époque par la RAND Corporation. À tel point, en fait, qu’il est difficile de ne pas y voir une stratégie fortement inspirée par les États-Unis. Dans son entretien, Arestovitch a distingué quatre éléments qui allaient devenir les piliers de la stratégie ukrainienne contre la Russie, et sur lesquels Zelensky revenait régulièrement :

  • Aide internationale et fourniture d'armes,

  • Sanctions internationales,

  • Intervention de l'OTAN,

  • Création d'une zone d'exclusion aérienne.

Il convient de noter que ces quatre piliers sont compris par Zelensky comme des promesses dont la réalisation est essentielle au succès de cette stratégie. En février 2023, Oleksiy Danilov, secrétaire du Conseil ukrainien de la défense et de la sécurité nationale, a déclaré dans The Kyiv Independent que l'objectif de l'Ukraine était la désintégration de la Russie. La mobilisation des pays occidentaux pour fournir des armes lourdes à l’Ukraine semble alors donner corps à cet objectif, ce qui est conforme à ce qu’avait déclaré Oleksiy Arestovich en mars 2019.

Mais quelques mois plus tard, il apparaît clairement que les équipements fournis à l’Ukraine ne suffisent pas à assurer le succès de sa contre-offensive, et Zelensky demande des équipements supplémentaires, mieux adaptés. À ce stade, il y avait une certaine irritation occidentale face à ces demandes répétées. L’ancien ministre britannique de la Défense, Ben Wallace, a déclaré que les Occidentaux « ne sont pas des Amazones ». En fait, l’Occident ne respecte pas ses engagements.

Contrairement à ce que nous disent nos médias et experts pseudo-militaires, depuis février 2022, il est clair que l’Ukraine ne peut pas vaincre la Russie à elle seule. Comme l’a dit Obama, « la Russie [là-bas] sera toujours en mesure de maintenir sa domination en matière d’escalade ». En d’autres termes, l’Ukraine ne pourra atteindre ses objectifs qu’avec la participation des pays de l’OTAN. Cela signifie que son sort dépendra de la bonne volonté des pays occidentaux. Nous devons donc maintenir un discours qui encourage l’Occident à poursuivre ses efforts. Ce récit deviendra alors ce que nous appelons, en termes stratégiques, son « centre de gravité ».

Au fil des mois, le déroulement des opérations montra que la perspective d’une victoire ukrainienne s’éloignait de plus en plus, la Russie, loin d’être affaiblie, se renforçant militairement et économiquement. Même le général Christopher Cavoli, commandant suprême américain en Europe (SACEUR), a déclaré devant une commission du Congrès américain que « les capacités aériennes, navales, spatiales, numériques et stratégiques de la Russie n'ont pas subi de dégradation significative au cours de cette guerre ».

L’Occident, s’attendant à un conflit de courte durée, n’est plus en mesure de maintenir l’effort promis à l’Ukraine. Le sommet de l’OTAN à Vilnius (11-12 juillet 2023) s’est soldé par un succès partiel pour l’Ukraine. Son adhésion est reportée sine die. Sa situation est encore pire qu’elle ne l’était début 2022, puisqu’il n’y a pas plus de justification pour son entrée dans l’OTAN qu’avant le SMO.

L’Ukraine a ensuite tourné son attention vers un objectif plus concret : retrouver la souveraineté sur l’ensemble de son territoire de 1991.

Ainsi, la notion ukrainienne de « victoire » a rapidement évolué. L’idée d’un « effondrement de la Russie » s’est rapidement estompée, tout comme celle de son démembrement. On a parlé d’un « changement de régime », dont Zelensky a fait son objectif en interdisant toute négociation tant que Vladimir Poutine serait au pouvoir. Vint ensuite la reconquête des territoires perdus, grâce à la contre-offensive de 2023. Mais là aussi, les espoirs se sont vite envolés. Le plan consistait simplement à couper les forces russes en deux, avec une poussée vers la mer d’Azov. Mais en septembre 2023, cet objectif s’était réduit à la libération de trois villes.

En l’absence de succès concrets, le récit reste le seul élément sur lequel l’Ukraine peut s’appuyer pour maintenir l’attention et la volonté occidentale de la soutenir. Car, comme le disait Ben Wallace, ancien ministre de la Défense, dans The Telegraph le 1er octobre 2023 : « Le bien le plus précieux est l’espoir ». Assez vrai. Mais l’appréciation occidentale de la situation doit se fonder sur des analyses réalistes de l’adversaire. Pourtant, depuis le début de la crise ukrainienne, les analyses occidentales reposent sur des préjugés.

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La notion de victoire
 

La Russie opère dans le cadre d’une pensée clausewitzienne, dans laquelle les succès opérationnels sont exploités à des fins stratégiques. La stratégie opérationnelle (« operative art ») joue donc un rôle essentiel dans la définition de ce qui est considéré comme une victoire.

Comme nous l’avons vu lors de la bataille de Bakhmut, les Russes se sont parfaitement adaptés à la stratégie imposée à l’Ukraine par l’Occident, qui donne la priorité à la défense de chaque mètre carré. Les Ukrainiens ont ainsi fait le jeu de la stratégie d’usure officiellement annoncée par la Russie. A l’inverse, à Kharkov et Kherson, les Russes préférèrent céder des territoires en échange de la vie de leurs hommes. Dans le contexte d’une guerre d’usure, sacrifier son potentiel en échange de territoires, comme le fait l’Ukraine, est la pire stratégie de toutes.

C’est pourquoi le général Zaluzhny, commandant des forces ukrainiennes, a tenté de s’opposer à Zelensky et a proposé de retirer ses forces de Bakhmut. Mais en Ukraine, c’est le discours occidental qui guide les décisions militaires. Zelensky a préféré suivre la voie tracée par nos médias, afin de conserver le soutien de l’opinion occidentale. En novembre 2023, le général Zaluzhny a dû admettre ouvertement que cette décision était une erreur, car prolonger la guerre ne ferait que favoriser la Russie.

Le conflit ukrainien était par nature asymétrique. L’Occident voulait en faire un conflit symétrique, proclamant que les capacités de l’Ukraine pourraient suffire à renverser la Russie. Mais il s’agissait dès le départ d’un vœu pieux, dont le seul but était de justifier le non-respect des accords de Minsk. Les stratèges russes en ont fait un conflit asymétrique.

Le problème de l’Ukraine dans ce conflit est qu’elle n’a aucun rapport rationnel avec la notion de victoire. En comparaison, les Palestiniens, conscients de leur infériorité quantitative, ont adopté une façon de penser qui donne au simple acte de résistance un sentiment de victoire. C’est la nature asymétrique du conflit qu’Israël n’a jamais réussi à comprendre depuis 75 ans, et qu’il est réduit à surmonter par sa supériorité tactique plutôt que par sa finesse stratégique. En Ukraine, c’est le même phénomène. En s’accrochant à une notion de victoire liée à la récupération de territoire, l’Ukraine s’est enfermée dans une logique qui ne peut conduire qu’à la défaite.

Le 20 novembre 2023, Oleksiy Danilov, secrétaire du Conseil national de sécurité et de défense, a dressé un sombre tableau des perspectives ukrainiennes pour 2024. Son discours a montré que l'Ukraine n'avait ni un plan de sortie du conflit, ni une approche qui associerait une sentiment de victoire avec cette émergence : il en était réduit à lier la victoire de l'Ukraine à celle de l'Occident. En Occident, cependant, la fin du conflit en Ukraine est de plus en plus perçue comme une débâcle militaire, politique, humaine et économique.

Dans une situation asymétrique, chaque protagoniste est libre de définir ses propres critères de victoire et de choisir parmi une gamme de critères sous son contrôle. C’est pourquoi l’Égypte (1973), le Hezbollah (2006), l’État islamique (2017), la résistance palestinienne depuis 1948 et le Hamas en 2023 sont victorieux, malgré des pertes massives. Cela semble contre-intuitif pour un esprit occidental, mais c’est ce qui explique pourquoi les Occidentaux sont incapables de réellement « gagner » leurs guerres.

En Ukraine, les dirigeants politiques se sont enfermés dans un discours qui exclut une sortie de crise sans perdre la face. La situation asymétrique qui joue actuellement en défaveur de l’Ukraine découle d’un discours confondu avec la réalité et a conduit à une réponse inadaptée à la nature de l’opération russe. »

Et désormais.

La situation est simple : le pilonnage s'accentue.

Les forces aérospatiales russes ont introduit une tactique meurtrière : elles écrasent les cibles ukrainiennes quasi en continu , sans arrêt.

Les forces aérospatiales russes continuent de lancer des frappes en représailles à l’attaque terroriste de Belgorod et au bombardement de Donetsk la veille du Nouvel An. 

Ainsi, dans la nuit du 2 janvier 2024, l’une des attaques combinées les plus puissantes contre des installations militaires à Kiev et à Kharkiv a été menée. En outre, plus de 11 unités de missiles hypersoniques Kinzhal ont été envoyées vers des installations militaires. Au total, environ 110 missiles ont été tirés.

L’expert militaire Yuri Knutov, dans une interview avec MK, n’a pas exclu que les prochaines cibles de l’aviation stratégique puissent être les moyens de transport ennemis – les chemins de fer et les ponts.

Knutov a admis que la Russie attaque massivement les ponts et les voies ferrées

« Les experts militaires ont attiré l’attention sur le fait que l’armée russe a changé de tactique et que désormais les installations militaires en Ukraine sont soumises à des attaques quotidiennes presque sans interruption. Les missiles « Géraniums »i, lancés à intervalles de 9 à 10 heures, volent par lots pouvant aller jusqu’à 20 unités. Ainsi, notent les experts, toute une dynamique se dessine. Si au printemps et à l’été de l’année dernière, les « géraniums » étaient attaqués tous les quelques jours, à l’automne tous les jours, mais surtout la nuit, il y a désormais des attaques quotidiennes en mode non-stopii. »

 

ihttps://www.rferl.org/a/ukraine-war-russia-kamikaze-drones-iran/32089623.html

ii https://smoothiex12.blogspot.com/2024/01/open-thread.html#comment-6357530543

 

iJacques Baud, Ukraine entre Guerre et paix, op.cit. July 1, 2023, https://www.thepostil.com/ukraine-between-war-and-peace/

ii Cédric Perrin, Jean-Marc Todeschini, Ukraine : un an de guerre. Quels enseignements pour la France ?Rapport d'information n° 334 (2022-2023),déposé le 8 février 2023, https://www.senat.fr/notice-rapport/2022/r22-334-notice.html

iGénéral Vincent Desportes, Guerre en Ukraine : l'avenir de Poutine est sombre, TF1 Info, 26 septembre 2022, https://www.tf1info.fr/international/video-guerre-ukraine-mobilisation-population-russe-l-avenir-de-poutine-est-sombre-juge-sur-lci-le-general-vincent-desportes-2233446.html (avec une vidéo naturellement supprimée).

Ou encore :

https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/vincent-desportes-vladimir-poutine-doit-etre-confronte-la-certitude-quil-ne-peut-plus-que-perdre

iiPierre Servent, 24 février 2023, https://www.allotrends.com/fr/information/pierre-servent-predit-un-effondrement-du-corps-expeditionnaire-russe-1140699.html

iiiDebellatio, https://www.btb.termiumplus.gc.ca/tpv2guides/guides/juridi/index-fra.html?lang=fra&lettr=indx_catlog_d&page=9arUVrdcnKx8.html

ivFabrice Wolf, Le général Zaluzhny très pessimiste sur la poursuite de la guerre en Ukraine en 2024 , Meta-defense, 2 novembre 2023, https://meta-defense.fr/2023/11/02/general-zaluzhny-guerre-en-ukraine-2024/

vJacques Baud, Ukraine entre guerre et paix, https://www.thepostil.com/ukraine-between-war-and-peace/

 

Elément particulièrement pondéré et fort éloigné du cirque médiatique, Jacques Baud est quant à lui d'une toute autre dimension et offre une toute autre approche, exempte d'émotions, d'analyses inexactes et d'approximations conformes à la doxa géopolitique précitée. Analyste stratégique suisse, spécialiste du renseignement et du terrorisme, colonel d'état-major général dans l'armée suisse, fonctionnaire au Département fédéral des Affaires étrangères, ancien officier des Services de renseignements suisses (SRS), le colonel Baud s'est particulièrement intéressé aux forces du Pacte de Varsovie durant la Guerre froide et a amplement prouvé ses capacités d'analyse objective de la situation comme du conflit en Ukraine.v

Comme l'explique J. Baud, « Vous ne pouvez pas gagner une guerre en vous convainquant que vous avez gagné. Tirer les leçons d’un conflit doit non seulement permettre de revisiter nos doctrines d’engagement et l’orientation de nos politiques d’armement, mais aussi – et c’est essentiel – d’éviter l’émergence de nouveaux conflits. Penser qu’un conflit est le produit d’une seule cause (« Poutine est fou ! ») est puéril. Les conflits sont toujours le résultat d’un ensemble de causes dont l’importance relative varie dans le temps.

L’identification de ces causes et de leurs interactions est la tâche des services de renseignement et de ceux qui sont censés éclairer nos décideurs. Or, en France plus qu'ailleurs, la réflexion sur le conflit, qu'elle vienne des « pro-russes » ou des « pro-ukrainiens », ne s'appuie pas sur des faits, mais sur des convictions. Le problème ne se limite pas aux conflits militaires, mais à toutes les crises. On se souvient de la déclaration d'Olivier Véran, ministre de la Santé, le 18 février 2020, dont les intonations rappelaient étrangement le général Gamelin en 1939. "Je n’ai pas besoin de vérifier que la France est prête. La France est prête ! Et c’est prêt parce que nous disposons d’un système de santé extrêmement solide." 

(On a amplement vu depuis ce qu'il en était et nous ne sommes qu'aux prémices du constat de l'ampleur du désastre sanitaire et médical auquel une sombre équipe de brêles et d'incapables aura prêté main forte. On imagine aisément ce que seraient ces gouvernants de rencontre face à une véritable guerre, un conflit ouvert avec des attaques et des destructions sur le territoire, à l'image des destructions matérielles et du carnage humain que connaît l'Ukraine).

 En France, ajoute J. Baudi, des « experts » militaires comme les généraux Dominique Trinquand, Michel Yakovleff, et des colonels comme Pierre Servent ou Michel Goya s'inscrivent dans cette tradition. Ils fondent leur jugement sur leur perception (voire sur leurs préjugés) et non sur des faits. Cela plaît à nos médias, mais cela conduit à la défaite.

Ce phénomène est illustré par le rapport d’information du Sénat français, publié en février 2023ii. Il se construit sur des préjugés, des accusations infondées et des rumeurs, tandis que des éléments essentiels à la compréhension du conflit ont été écartés. Chaque événement est décrit comme s’il était tombé du ciel, sans raison. Il en résulte une lecture fataliste des problèmes, nécessairement émotionnelle, qui ne se comprend qu’à travers des « punchlines » et qui rend impossible des solutions en profondeur.

On peut déjà prédire qu'elle satisfera ceux qui parlent à la télévision, mais perpétuera les erreurs commises au cours des trente dernières années et qui ont systématiquement conduit à des catastrophes. Le problème est que ce rapport a l'ambition d'orienter la réflexion sur l'avenir des armées françaises. »

Sans dire pour autant que l'on puisse clairement distinguer les détails du conflit européen au milieu des écharpes du « brouillard de la guerre », les premiers jours de l'année 2024 permettent malgré tout de faire très précisément le point sur la situation actuelle. La publication de l'ouvrage du colonel J. Baud étant imminente et sa traduction en langue anglaise étant pour partie déjà disponible, le Lecteur en trouvera ci-après un long passage dont il tirera à n'en pas douter solide et sérieuse matière à réflexion pour les semaines et mois à venir.

Voici donc les premières bonnes feuilles selon le sommaire joint :

Cliquer pour accéder à Table-of-Contents.pdf

 

Sources :

1 janvier 2024 Jacques Baud

https://www.thepostil.com/author/jacques-baud/

 

Pensée militaire russe
 

Tout au long de la guerre froide, l’Union soviétique se considérait comme le fer de lance d’une lutte historique qui mènerait à une confrontation entre le système « capitaliste » et les « forces progressistes ». Cette perception d’une guerre permanente et inéluctable a conduit les Soviétiques à étudier la guerre d’une manière quasi scientifique et à structurer cette pensée dans une architecture de pensée militaire sans égal dans le monde occidental.

Le problème de la grande majorité de nos soi-disant experts militaires est leur incapacité à comprendre l’approche russe de la guerre. C’est le résultat d’une approche que nous avons déjà vue lors de vagues d’attentats terroristes : l’adversaire est si bêtement diabolisé que nous nous abstenons de comprendre sa façon de penser. En conséquence, nous sommes incapables d’élaborer des stratégies, d’articuler nos forces ou même de les équiper pour les réalités de la guerre. Le corollaire de cette approche est que nos frustrations sont traduites par des médias sans scrupules en un récit qui alimente la haine et accroît notre vulnérabilité. Nous sommes donc incapables de trouver des solutions rationnelles et efficaces au problème.

La façon dont les Russes appréhendent le conflit est holistique. En d’autres termes, ils voient les processus qui se développent et conduisent à la situation à un moment donné. Cela explique pourquoi les discours de Vladimir Poutine incluent invariablement un retour à l'histoire. En Occident, nous avons tendance à nous concentrer sur le moment X et à essayer de voir comment il pourrait évoluer. Nous voulons une réponse immédiate à la situation que nous voyons aujourd’hui. L’idée selon laquelle « c’est de la compréhension de l’origine de la crise que vient le chemin pour la résoudre » est totalement étrangère à l’Occident. En septembre 2023, un journaliste anglophone m'a même sorti le « test du canard » : « si ça ressemble à un canard, nage comme un canard et cancane comme un canard, c'est probablement un canard. » En d’autres termes, tout ce dont l’Occident a besoin pour évaluer une situation, c’est d’une image qui correspond à ses préjugés. La réalité est bien plus subtile que le modèle du canard….

La raison pour laquelle les Russes sont meilleurs que l’Occident en Ukraine est qu’ils voient le conflit comme un processus alors que nous le voyons comme une série d’actions distinctes. Les Russes voient les événements comme un film. Nous les voyons comme des photographies. Ils voient la forêt, tandis que nous nous concentrons sur les arbres. C’est pourquoi nous plaçons le début du conflit (ukrainien) au 24 février 2022, ou le début du conflit palestinien au 7 octobre 2023. Nous ignorons les contextes qui nous dérangent et menons des conflits que nous ne comprenons pas. C'est pourquoi nous perdons nos guerres…

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En Russie, sans surprise, les principes de l’art militaire des forces soviétiques ont inspiré ceux actuellement en vigueur :

  • être prêt à accomplir les missions assignées ;

  • concentration des efforts sur la résolution d'une mission spécifique ;

  • surprise (non-conformisme) d'une action militaire vis-à-vis de l'ennemi ;

  • la finalité détermine un ensemble de tâches et le niveau de résolution de chacune d'elles ;

  • l'ensemble des moyens disponibles détermine la manière de résoudre la mission et d'atteindre l'objectif (corrélation des forces) ;

  • cohérence du leadership (unité de commandement) ;

  • économie de forces, de ressources, de temps et d'espace ;

  • soutien et restauration de la capacité de combat ;

  • liberté de manœuvre .

Il convient de noter que ces principes ne s’appliquent pas uniquement à la mise en œuvre d’une action militaire en tant que telle. Ils sont également applicables comme système de pensée à d’autres activités non opérationnelles.

Une analyse honnête du conflit en Ukraine aurait identifié ces différents principes et tiré des conclusions utiles pour l’Ukraine. Mais aucun des experts autoproclamés de la télévision n’en était intellectuellement capable.

Ainsi, les Occidentaux sont systématiquement surpris par les Russes dans les domaines de la technologie (par exemple les armes hypersoniques), de la doctrine (par exemple l'art opérationnel) et de l'économie (par exemple la résilience aux sanctions). D’une certaine manière, les Russes profitent de nos préjugés pour exploiter le principe de surprise. Nous pouvons le constater dans le conflit ukrainien, où le discours occidental a conduit l’Ukraine à sous-estimer totalement les capacités russes, ce qui a été un facteur majeur de sa défaite. C’est pourquoi la Russie n’a pas vraiment essayé de contrer ce discours et de le laisser se dérouler : la conviction que nous sommes supérieurs nous rend vulnérables….
 

Corrélation des Forces
 

La pensée militaire russe est traditionnellement liée à une approche holistique de la guerre, qui implique l’intégration d’un grand nombre de facteurs dans l’élaboration d’une stratégie. Cette approche est matérialisée par la notion de « corrélation des forces » (Соотношение сил).

Souvent traduit par « équilibre des forces » ou « rapport de forces », ce concept n’est appréhendé par les Occidentaux que comme une quantité quantitative, limitée au domaine militaire. Dans la pensée soviétique, cependant, la corrélation des forces reflétait une lecture plus holistique de la guerre : 

Il existe plusieurs critères pour évaluer la corrélation des points forts

Dans le domaine économique, les facteurs habituellement comparés sont le produit national brut par habitant, la productivité du travail, la dynamique de la croissance économique, le niveau de production industrielle, notamment dans les secteurs de haute technologie, l'infrastructure technique de l'outil de production, les ressources et le diplôme. de la qualification de la main-d'œuvre, du nombre de spécialistes et du niveau de développement des sciences théoriques et appliquées.

Dans le domaine militaire, les facteurs comparés sont la quantité et la qualité des armements, la puissance de feu des forces armées, les qualités combattantes et morales des soldats, le niveau de formation de l'état-major, l'organisation des troupes et leur expérience du combat, le caractère de la doctrine militaire et des méthodes de réflexion stratégique, opérationnelle et tactique.

Dans le domaine politique, les facteurs qui entrent en considération sont l'étendue de la base sociale de l'autorité de l'État, son organisation, la procédure constitutionnelle régissant les relations entre le gouvernement et les organes législatifs, la capacité de prendre des décisions opérationnelles, ainsi que le degré et la nature de l'autorité de l'État. soutien populaire à la politique intérieure et étrangère.

Enfin, pour évaluer la force du mouvement international, les facteurs pris en considération sont sa composition quantitative, son influence auprès des masses, sa position dans la vie politique de chaque pays, les principes et normes des relations entre ses composantes et le degré de leur cohésion.

Autrement dit, l’évaluation de la situation ne se limite pas à l’équilibre des forces sur le champ de bataille, mais prend en compte tous les éléments qui ont un impact sur l’évolution du conflit. Ainsi, pour leur opération militaire spéciale, les autorités russes avaient prévu de soutenir l’effort de guerre par l’économie, sans passer à un régime « d’économie de guerre ». Ainsi, contrairement à l’Ukraine, les mécanismes fiscaux et sociaux n’ont pas été interrompus.

C’est pourquoi les sanctions appliquées à la Russie en 2014 ont eu un double effet positif. La première a été la prise de conscience qu’il ne s’agissait pas seulement d’un problème à court terme, mais surtout d’une opportunité à moyen et long terme. Elles ont encouragé la Russie à produire des biens qu’elle préférait auparavant acheter à l’étranger. Le deuxième était le signal que l’Occident utiliserait de plus en plus les armes économiques comme moyen de pression à l’avenir. Il devenait donc impératif, pour des raisons d'indépendance et de souveraineté nationales, de se préparer à des sanctions plus lourdes affectant l'économie du pays.

En réalité, on sait depuis longtemps que les sanctions ne fonctionnent pas. Assez logiquement, elles ont eu l’effet inverse, agissant comme des mesures protectionnistes pour la Russie, qui a ainsi pu consolider son économie, comme cela avait été le cas après les sanctions de 2014. Une stratégie de sanctions aurait pu s'avérer payante si l'économie russe avait effectivement été l'équivalent de l'économie italienne ou espagnole, c'est-à-dire avec un niveau d'endettement élevé ; et si la planète entière avait agi à l’unisson pour isoler la Russie.

L'inclusion de la corrélation des forces dans le processus de prise de décision constitue une différence fondamentale avec les processus de décision occidentaux, davantage liés à une politique de communication qu'à une approche rationnelle des problèmes.

Ceci explique par exemple les objectifs limités de la Russie en Ukraine, où elle ne cherche pas à occuper l'intégralité du territoire, le rapport de forces dans la partie occidentale du pays étant défavorable.

À chaque niveau de leadership, la corrélation des forces fait partie de l’évaluation de la situation. Au niveau opérationnel, il est défini comme suit :

Résultat de la comparaison des caractéristiques quantitatives et qualitatives des forces et des ressources (sous-unités, unités, armes, équipements militaires, etc.) de ses propres troupes (forces) et celles de l'ennemi. Elle est calculée à l'échelle opérationnelle et tactique dans toute la zone d'opérations, dans les directions principales et autres, afin de déterminer le degré de supériorité objective de l'un des camps adverses. L'évaluation de la corrélation des forces est utilisée pour prendre une décision éclairée concernant une opération (bataille) et pour établir et maintenir la supériorité nécessaire sur l'ennemi aussi longtemps que possible, lorsque les décisions sont redéfinies (modifiées) au cours d'opérations militaires (de combat).

Cette définition simple est la raison pour laquelle les Russes se sont engagés avec des forces inférieures à celles de l’Ukraine en février 2022, ou encore pourquoi ils se sont retirés de Kiev, Kharkov et Kherson en mars, septembre et octobre 2022.

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Structure de la doctrine

Les Russes ont toujours attaché une importance particulière à la doctrine. Mieux que l’Occident, ils ont compris qu’« une manière commune de voir, de penser et d’agir » – comme le dit le maréchal Foch – donne de la cohérence, tout en permettant des variations infinies dans la conception des opérations. La doctrine militaire constitue une sorte de « tronc commun » qui sert de référence à la conception des opérations.

La doctrine militaire russe divise l'art militaire en trois composantes principales : la stratégie ( strategiya ), l'art opérationnel ( operativnoe iskoustvo ) et la tactique ( taktika ). Chacune de ces composantes possède ses propres caractéristiques, très proches de celles que l’on retrouve dans les doctrines occidentales. Reprenant la terminologie de la doctrine française sur l’usage des forces :

  • Le niveau stratégique est celui de la conception. Le but de l’action stratégique est de mener l’adversaire à la négociation ou à la défaite.

  • Le niveau opérationnel est celui de la coopération et de la coordination des actions inter-forces, en vue d'atteindre un objectif militaire donné.

  • Le niveau tactique, enfin, est celui de l’exécution de la manœuvre au niveau des armes comme partie intégrante de la manœuvre opérationnelle.

Ces trois composantes correspondent à des niveaux de leadership, qui se traduisent par des structures de leadership et par l'espace dans lequel se déroulent les opérations militaires. Par souci de simplicité, disons que le niveau stratégique assure la gestion du théâtre de guerre (Театр Войны) (TV) ; une entité géographiquement vaste, dotée de ses propres structures de commandement et de contrôle, au sein de laquelle se trouvent une ou plusieurs orientations stratégiques. Le théâtre de guerre comprend un ensemble de théâtres d'opérations militaires (Театр Военных Действий) (TVD), qui représentent une direction stratégique et constituent le domaine de l'action opérationnelle. Ces différents théâtres n'ont pas de structure prédéterminée et sont définis en fonction des situations. Par exemple, bien que l’on parle couramment de « guerre en Afghanistan » (1979-1989) ou de « guerre en Syrie » (2015-), ces pays sont considérés dans la terminologie russe comme des TVD et non des TV.

Il en va de même pour l’Ukraine, que la Russie considère comme un théâtre d’opérations militaires (TVD) et non comme un théâtre de guerre (TV), ce qui explique pourquoi l’action en Ukraine est qualifiée d’« opération militaire spéciale » (Специальная Военая Операция— Spetsialaya) . ). Une opération militaire spéciale » (Специальная Военная Операция – Spetsial'naya Voyennaya Operatsiya – SVO, ou SMO en abréviation anglaise) et non une « guerre ».

L’utilisation du mot « guerre » impliquerait une structure de conduite différente de celle envisagée par les Russes en Ukraine, et aurait d’autres implications structurelles en Russie elle-même. De plus – et c’est un point central – comme le reconnaît lui-même le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, « la guerre a commencé en 2014 » et aurait dû prendre fin avec les accords de Minsk. Le SMO est donc une « opération militaire » et non une nouvelle « guerre », comme le prétendent de nombreux « experts » occidentaux.

L'opération spéciale en Ukraine

Considérez tous les facteurs qui influencent directement ou indirectement le conflit. A l’inverse, comme on l’a vu en Ukraine et ailleurs, les Occidentaux ont une lecture beaucoup plus politique de la guerre, et finissent par mélanger les deux. C’est pourquoi la communication joue un rôle si essentiel dans la conduite de la guerre : la perception du conflit joue un rôle presque plus important que sa réalité. C’est pourquoi, en Irak, les Américains ont littéralement inventé des épisodes glorifiant leurs troupes.

 

L’analyse de la situation par la Russie en février 2022 était sans doute bien plus pertinente que celle de l’Occident. Ils savaient qu’une offensive ukrainienne contre le Donbass était en cours et qu’elle pourrait mettre le gouvernement en danger. En 2014-2015, après les massacres d’Odessa et de Marioupol, la population russe était très favorable à une intervention. L’entêtement de Vladimir Poutine à respecter les accords de Minsk a été mal compris en Russie.

Les facteurs qui ont contribué à la décision de la Russie d'intervenir étaient doubles : le soutien attendu de la population ukrainienne d'origine russe (que nous appellerons « russophone » par commodité) et une économie suffisamment robuste pour résister aux sanctions.

La population russophone s'est soulevée massivement contre les nouvelles autorités suite au coup d'État de février 2014, dont la première décision a été de priver la langue russe de son statut officiel. Kiev a tenté de faire marche arrière, mais en avril 2019, la décision de 2014 a été définitivement confirmée.

Depuis l'adoption de la loi sur les peuples autochtones le 1er juillet 2021, les russophones (Russes de souche) ne sont plus considérés comme des citoyens ukrainiens normaux et ne jouissent plus des mêmes droits que les Ukrainiens de souche. On ne peut donc s’attendre à ce qu’ils n’opposent aucune résistance à la coalition russe dans l’est du pays….

Depuis le 24 mars 2021, les forces ukrainiennes renforcent leur présence autour du Donbass et accentuent la pression contre les autonomistes par leurs tirs.

Le décret de Zelensky du 24 mars 2021 pour la reconquête de la Crimée et du Donbass a été le véritable déclencheur du SMO. À partir de ce moment, les Russes ont compris que s’il y avait une action militaire contre eux, ils devraient intervenir. Mais ils savaient aussi que la cause de l’opération ukrainienne était l’adhésion à l’OTAN, comme l’avait expliqué Olekseï Arestovitch. C'est pourquoi, à la mi-décembre 2021, ils ont soumis aux États-Unis et à l'OTAN des propositions sur l'extension de l'Alliance : leur objectif était alors d'éliminer le motif de l'Ukraine pour une offensive dans le Donbass.

La raison de l’Opération militaire spéciale russe (OMS) est bien la protection des populations du Donbass ; mais cette protection était nécessaire en raison de la volonté de Kiev de passer par une confrontation pour entrer dans l'OTAN. L’extension de l’OTAN n’est donc que la cause indirecte du conflit en Ukraine. Cette dernière aurait pu s’épargner cette épreuve en mettant en œuvre les accords de Minsk, mais ce que nous souhaitions, c’était une défaite de la Russie.

En 2008, la Russie est intervenue en Géorgie pour protéger la minorité russe alors bombardée par son gouvernement, comme l'a confirmé l'ambassadrice de Suisse, Heidi Tagliavini, chargée d'enquêter sur cet événement. En 2014, de nombreuses voix se sont élevées en Russie pour exiger une intervention alors que le nouveau régime de Kiev avait engagé son armée contre la population civile des cinq oblasts autonomes (Odessa, Dnepropetrovsk, Kharkov, Lugansk et Donetsk) et appliqué une répression féroce. En 2022, on pouvait s'attendre à ce que la population russe ne comprenne pas l'inaction du gouvernement, alors qu'aucun effort n'a été fait de la part des parties ukrainienne et occidentale pour faire respecter les accords de Minsk. Ils savaient qu’ils n’avaient pas les moyens de lancer une riposte économique. Mais ils savaient aussi qu’une guerre économique contre la Russie se retournerait inévitablement contre les pays occidentaux.

Un élément important de la pensée militaire et politique russe est sa dimension légaliste. La façon dont nos médias présentent les événements, en omettant systématiquement les faits qui pourraient expliquer, justifier, légitimer, voire légaliser les actions de la Russie. Nous avons tendance à penser que la Russie agit en dehors de tout cadre juridique. Par exemple, nos médias présentent l’intervention russe en Syrie comme ayant été décidée unilatéralement par Moscou ; alors qu'elle a été réalisée à la demande du gouvernement syrien, après que l'Occident ait permis à l'État islamique de se rapprocher de Damas, comme l'a avoué John Kerry, alors secrétaire d'État. Pourtant, il n’est jamais question de l’occupation de l’est de la Syrie par les troupes américaines, qui n’y ont même jamais été invitées !

Nous pourrions multiplier les exemples auxquels nos journalistes répondront avec les crimes de guerre commis par les forces russes. C'est peut-être vrai, mais le simple fait que ces accusations ne s'appuient sur aucune enquête impartiale et neutre (comme l'exige la doctrine humanitaire), ni sur aucune enquête internationale, la Russie se voyant systématiquement refuser sa participation, jette une ombre sur l'honnêteté des ces accusations. Par exemple, le sabotage des gazoducs Nord Stream 1 et 2 a été immédiatement attribué à la Russie, accusée de violer le droit international.

En fait, contrairement à l’Occident qui prône un « ordre international fondé sur des règles », les Russes insistent sur un « ordre international fondé sur le droit ». Contrairement à l’Occident, ils appliqueront la loi à la lettre. Ni plus ni moins.

Le cadre juridique de l’intervention russe en Ukraine a été méticuleusement planifié. Ce sujet ayant déjà été abordé dans un de mes précédents livres, je n’entrerai pas dans les détails ici…

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Objectifs et stratégie de la Russie

 

Le 23 février 2023, « l'expert » militaire suisse Alexandre Vautravers commentait les objectifs de la Russie en Ukraine :

L’objectif de l’opération militaire spéciale était de décapiter la gouvernance politique et militaire ukrainienne en l’espace de cinq, dix, voire deux semaines. Les Russes modifièrent alors leur plan et leurs objectifs avec de nombreux autres échecs ; ils changent donc leurs objectifs et leurs orientations stratégiques presque chaque semaine ou chaque mois.

Le problème est que nos « experts » définissent eux-mêmes les objectifs de la Russie selon ce qu'ils imaginent, pour ensuite pouvoir dire qu'elle ne les a pas atteints. Donc. Revenons aux faits.

Le 24 février 2022, la Russie a lancé « dans de brefs délais » son « opération militaire spéciale » (OMS) en Ukraine. Dans son discours télévisé, Vladimir Poutine a expliqué que son objectif stratégique était de protéger la population du Donbass. Cet objectif peut être décomposé en deux parties :

  • « démilitariser » les forces armées ukrainiennes regroupées dans le Donbass en préparation de l'offensive contre la RPD et la LPR ; et

  • « dénazifier » (c'est-à-dire « neutraliser ») les milices paramilitaires ultranationalistes et néonazies dans la région de Marioupol.

La formulation choisie par Vladimir Poutine a été très mal analysée en Occident. Elle s’inspire de la Déclaration de Potsdam de 1945, qui envisageait le développement de l’Allemagne vaincue selon quatre principes : démilitarisation, dénazification, démocratisation et décentralisation.

Les Russes comprennent la guerre dans une perspective clausewitzienne : la guerre est la poursuite de la politique par d’autres moyens. Cela signifie alors qu’ils cherchent à transformer les succès opérationnels en succès stratégiques, et les succès militaires en objectifs politiques. Alors, alors que la démilitarisation évoquée par Poutine est clairement liée à la menace militaire sur les populations du Donbass en application du décret du 24 mars 2021, signé par Zelensky.

Mais cet objectif en cache un deuxième : la neutralisation de l’Ukraine en tant que futur membre de l’Otan. C’est ce que Zelensky a compris lorsqu’il a proposé une résolution du conflit en mars 2022. Dans un premier temps, sa proposition a été soutenue par les pays occidentaux, probablement parce qu’à ce stade, ils pensaient que la Russie avait échoué dans sa tentative de s’emparer de l’Ukraine en trois jours. et qu'il ne serait pas en mesure de soutenir son effort de guerre en raison des sanctions massives qui lui sont imposées. Mais lors de la réunion de l'OTAN du 24 mars 2022, les Alliés ont décidé de ne pas soutenir la proposition de Zelensky.

Néanmoins, le 27 mars, Zelensky a publiquement défendu sa proposition et le 28 mars, en signe de soutien à cet effort, Vladimir Poutine a relâché la pression sur la capitale et retiré ses troupes de la zone. La proposition de Zelensky a servi de base au communiqué d'Istanbul du 29 mars 2022, un accord de cessez-le-feu en prélude à un accord de paix. C’est ce document que Vladimir Poutine a présenté en juin 2023, lors de la visite d’une délégation africaine à Moscou. C'est l'intervention de Boris Johnson qui a poussé Zelensky à retirer sa proposition, échangeant la paix et la vie de ses hommes contre un soutien « aussi longtemps qu'il le faudra ».

Cette version des événements – que j’ai déjà présentée dans mes précédents ouvrages – a finalement été confirmée début novembre 2023 par David Arakhamia, alors négociateur en chef pour l’Ukraine196. Il a expliqué que la Russie n’avait jamais eu l’intention de s’emparer de Kiev.

En substance, la Russie a accepté de se retirer jusqu'aux frontières du 23 février 2022, en échange d'un plafond sur les forces ukrainiennes et d'un engagement de ne pas devenir membre de l'OTAN, ainsi que de garanties de sécurité de la part d'un certain nombre de pays.

Deux conclusions peuvent être tirées :

  • L’objectif de la Russie n’était pas de conquérir un territoire. Si l’Occident n’était pas intervenu pour pousser Zelensky à retirer son offre, l’Ukraine aurait probablement encore son armée.

  • Alors que les Russes sont intervenus pour assurer la sécurité et la protection de la population du Donbass, leur SMO leur a permis d'atteindre un objectif plus large, qui implique la sécurité de la Russie.

Cela signifie que, même si cet objectif n’est pas formulé, la démilitarisation de l’Ukraine pourrait ouvrir la porte à sa neutralisation. Ce n'est pas surprenant puisque, à l'inverse, dans une interview à la chaîne ukrainienne Apostrof' le 18 mars 2019, le conseiller de Volodymyr Zelensky, Oleksei Arestovitch, explique cyniquement que, parce que l'Ukraine veut rejoindre l'OTAN, elle devra créer les conditions pour que la Russie puisse attaquer l'Ukraine et être définitivement vaincue.

Le problème est que les analyses ukrainiennes et occidentales sont alimentées par leurs propres récits. La conviction que la Russie va perdre signifie qu’aucune éventualité alternative n’a été préparée. En septembre 2023, l’Occident, commençant à voir l’effondrement de ce récit et de sa mise en œuvre, a tenté d’évoluer vers un « gel » du conflit, sans tenir compte de l’opinion des Russes, dominants sur le terrain.

Pourtant, la Russie se serait contentée d’une situation telle que celle proposée par Zelensky en mars 2022. Ce que souhaite l’Occident en septembre 2023, c’est simplement une pause jusqu’à ce qu’un conflit encore plus violent éclate, après que les forces ukrainiennes auront été réarmées et reconstituées.

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Stratégie ukrainienne

L’objectif stratégique de Volodymyr Zelensky et de son équipe est d’adhérer à l’OTAN, prélude à un avenir meilleur au sein de l’UE. Elle complète celle des Américains (et donc des Européens). Le problème est que les tensions avec la Russie, notamment à propos de la Crimée, poussent les membres de l'OTAN à reporter la participation de l'Ukraine. En mars 2022, Zelensky révélait sur CNN que c’était exactement ce que lui avaient dit les Américains.

Avant son arrivée au pouvoir en avril 2019, le discours de Volodymyr Zelensky était partagé entre deux politiques antagonistes : la réconciliation avec la Russie promise lors de sa campagne présidentielle et son objectif d'adhésion à l'Otan. Il sait que ces deux politiques s’excluent mutuellement, car la Russie ne veut pas voir l’OTAN et ses armes nucléaires installées en Ukraine et souhaite la neutralité ou le non-alignement.

De plus, il sait que ses alliés ultranationalistes refuseront de négocier avec la Russie. Cela a été confirmé par le leader du Praviy Sektor, Dmitro Yarosh, qui l'a ouvertement menacé de mort dans les médias ukrainiens un mois après son élection. Zelensky savait donc dès le début de la campagne électorale qu’il ne parviendrait pas à tenir sa promesse de réconciliation, et qu’il ne lui restait qu’une seule solution : la confrontation avec la Russie.

Mais cette confrontation ne pourrait pas être menée seule par l’Ukraine contre la Russie, et elle nécessiterait le soutien matériel de l’Occident. La stratégie imaginée par Zelensky et son équipe a été révélée avant son élection en mars 2019 par Olekseï Arestovitch, son conseiller personnel, sur le média ukrainien Apostrof'. Arestovitch a expliqué qu'il faudrait une attaque russe pour provoquer une mobilisation internationale qui permettrait à l'Ukraine de vaincre la Russie une fois pour toutes, avec l'aide des pays occidentaux et de l'OTAN. Avec une précision étonnante, il décrit le déroulement de l'attaque russe telle qu'elle se déroulera trois ans plus tard, entre février et mars 2022. Non seulement il explique que ce conflit était inévitable si l'Ukraine veut adhérer à l'OTAN, mais il place également cette confrontation dans 2021-2022 ! Il a décrit les principaux domaines de l’aide occidentale :

Dans ce conflit, nous serons très activement soutenus par l’Occident. Armes. Équipement. Assistance. Nouvelles sanctions contre la Russie. Très probablement, l'introduction d'un contingent de l'OTAN. Une zone d'exclusion aérienne, etc. En d’autres termes, nous ne le perdrons pas.

Comme nous pouvons le constater, cette stratégie a de nombreux points communs avec celle décrite à la même époque par la RAND Corporation. À tel point, en fait, qu’il est difficile de ne pas y voir une stratégie fortement inspirée par les États-Unis. Dans son entretien, Arestovitch a distingué quatre éléments qui allaient devenir les piliers de la stratégie ukrainienne contre la Russie, et sur lesquels Zelensky revenait régulièrement :

  • Aide internationale et fourniture d'armes,

  • Sanctions internationales,

  • Intervention de l'OTAN,

  • Création d'une zone d'exclusion aérienne.

Il convient de noter que ces quatre piliers sont compris par Zelensky comme des promesses dont la réalisation est essentielle au succès de cette stratégie. En février 2023, Oleksiy Danilov, secrétaire du Conseil ukrainien de la défense et de la sécurité nationale, a déclaré dans The Kyiv Independent que l'objectif de l'Ukraine était la désintégration de la Russie. La mobilisation des pays occidentaux pour fournir des armes lourdes à l’Ukraine semble alors donner corps à cet objectif, ce qui est conforme à ce qu’avait déclaré Oleksiy Arestovich en mars 2019.

Mais quelques mois plus tard, il apparaît clairement que les équipements fournis à l’Ukraine ne suffisent pas à assurer le succès de sa contre-offensive, et Zelensky demande des équipements supplémentaires, mieux adaptés. À ce stade, il y avait une certaine irritation occidentale face à ces demandes répétées. L’ancien ministre britannique de la Défense, Ben Wallace, a déclaré que les Occidentaux « ne sont pas des Amazones ». En fait, l’Occident ne respecte pas ses engagements.

Contrairement à ce que nous disent nos médias et experts pseudo-militaires, depuis février 2022, il est clair que l’Ukraine ne peut pas vaincre la Russie à elle seule. Comme l’a dit Obama, « la Russie [là-bas] sera toujours en mesure de maintenir sa domination en matière d’escalade ». En d’autres termes, l’Ukraine ne pourra atteindre ses objectifs qu’avec la participation des pays de l’OTAN. Cela signifie que son sort dépendra de la bonne volonté des pays occidentaux. Nous devons donc maintenir un discours qui encourage l’Occident à poursuivre ses efforts. Ce récit deviendra alors ce que nous appelons, en termes stratégiques, son « centre de gravité ».

Au fil des mois, le déroulement des opérations montra que la perspective d’une victoire ukrainienne s’éloignait de plus en plus, la Russie, loin d’être affaiblie, se renforçant militairement et économiquement. Même le général Christopher Cavoli, commandant suprême américain en Europe (SACEUR), a déclaré devant une commission du Congrès américain que « les capacités aériennes, navales, spatiales, numériques et stratégiques de la Russie n'ont pas subi de dégradation significative au cours de cette guerre ».

L’Occident, s’attendant à un conflit de courte durée, n’est plus en mesure de maintenir l’effort promis à l’Ukraine. Le sommet de l’OTAN à Vilnius (11-12 juillet 2023) s’est soldé par un succès partiel pour l’Ukraine. Son adhésion est reportée sine die. Sa situation est encore pire qu’elle ne l’était début 2022, puisqu’il n’y a pas plus de justification pour son entrée dans l’OTAN qu’avant le SMO.

L’Ukraine a ensuite tourné son attention vers un objectif plus concret : retrouver la souveraineté sur l’ensemble de son territoire de 1991.

Ainsi, la notion ukrainienne de « victoire » a rapidement évolué. L’idée d’un « effondrement de la Russie » s’est rapidement estompée, tout comme celle de son démembrement. On a parlé d’un « changement de régime », dont Zelensky a fait son objectif en interdisant toute négociation tant que Vladimir Poutine serait au pouvoir. Vint ensuite la reconquête des territoires perdus, grâce à la contre-offensive de 2023. Mais là aussi, les espoirs se sont vite envolés. Le plan consistait simplement à couper les forces russes en deux, avec une poussée vers la mer d’Azov. Mais en septembre 2023, cet objectif s’était réduit à la libération de trois villes.

En l’absence de succès concrets, le récit reste le seul élément sur lequel l’Ukraine peut s’appuyer pour maintenir l’attention et la volonté occidentale de la soutenir. Car, comme le disait Ben Wallace, ancien ministre de la Défense, dans The Telegraph le 1er octobre 2023 : « Le bien le plus précieux est l’espoir ». Assez vrai. Mais l’appréciation occidentale de la situation doit se fonder sur des analyses réalistes de l’adversaire. Pourtant, depuis le début de la crise ukrainienne, les analyses occidentales reposent sur des préjugés.

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La notion de victoire
 

La Russie opère dans le cadre d’une pensée clausewitzienne, dans laquelle les succès opérationnels sont exploités à des fins stratégiques. La stratégie opérationnelle (« operative art ») joue donc un rôle essentiel dans la définition de ce qui est considéré comme une victoire.

Comme nous l’avons vu lors de la bataille de Bakhmut, les Russes se sont parfaitement adaptés à la stratégie imposée à l’Ukraine par l’Occident, qui donne la priorité à la défense de chaque mètre carré. Les Ukrainiens ont ainsi fait le jeu de la stratégie d’usure officiellement annoncée par la Russie. A l’inverse, à Kharkov et Kherson, les Russes préférèrent céder des territoires en échange de la vie de leurs hommes. Dans le contexte d’une guerre d’usure, sacrifier son potentiel en échange de territoires, comme le fait l’Ukraine, est la pire stratégie de toutes.

C’est pourquoi le général Zaluzhny, commandant des forces ukrainiennes, a tenté de s’opposer à Zelensky et a proposé de retirer ses forces de Bakhmut. Mais en Ukraine, c’est le discours occidental qui guide les décisions militaires. Zelensky a préféré suivre la voie tracée par nos médias, afin de conserver le soutien de l’opinion occidentale. En novembre 2023, le général Zaluzhny a dû admettre ouvertement que cette décision était une erreur, car prolonger la guerre ne ferait que favoriser la Russie.

Le conflit ukrainien était par nature asymétrique. L’Occident voulait en faire un conflit symétrique, proclamant que les capacités de l’Ukraine pourraient suffire à renverser la Russie. Mais il s’agissait dès le départ d’un vœu pieux, dont le seul but était de justifier le non-respect des accords de Minsk. Les stratèges russes en ont fait un conflit asymétrique.

Le problème de l’Ukraine dans ce conflit est qu’elle n’a aucun rapport rationnel avec la notion de victoire. En comparaison, les Palestiniens, conscients de leur infériorité quantitative, ont adopté une façon de penser qui donne au simple acte de résistance un sentiment de victoire. C’est la nature asymétrique du conflit qu’Israël n’a jamais réussi à comprendre depuis 75 ans, et qu’il est réduit à surmonter par sa supériorité tactique plutôt que par sa finesse stratégique. En Ukraine, c’est le même phénomène. En s’accrochant à une notion de victoire liée à la récupération de territoire, l’Ukraine s’est enfermée dans une logique qui ne peut conduire qu’à la défaite.

Le 20 novembre 2023, Oleksiy Danilov, secrétaire du Conseil national de sécurité et de défense, a dressé un sombre tableau des perspectives ukrainiennes pour 2024. Son discours a montré que l'Ukraine n'avait ni un plan de sortie du conflit, ni une approche qui associerait une sentiment de victoire avec cette émergence : il en était réduit à lier la victoire de l'Ukraine à celle de l'Occident. En Occident, cependant, la fin du conflit en Ukraine est de plus en plus perçue comme une débâcle militaire, politique, humaine et économique.

Dans une situation asymétrique, chaque protagoniste est libre de définir ses propres critères de victoire et de choisir parmi une gamme de critères sous son contrôle. C’est pourquoi l’Égypte (1973), le Hezbollah (2006), l’État islamique (2017), la résistance palestinienne depuis 1948 et le Hamas en 2023 sont victorieux, malgré des pertes massives. Cela semble contre-intuitif pour un esprit occidental, mais c’est ce qui explique pourquoi les Occidentaux sont incapables de réellement « gagner » leurs guerres.

En Ukraine, les dirigeants politiques se sont enfermés dans un discours qui exclut une sortie de crise sans perdre la face. La situation asymétrique qui joue actuellement en défaveur de l’Ukraine découle d’un discours confondu avec la réalité et a conduit à une réponse inadaptée à la nature de l’opération russe. »

Et désormais.

La situation est simple : le pilonnage s'accentue.

Les forces aérospatiales russes ont introduit une tactique meurtrière : elles écrasent les cibles ukrainiennes quasi en continu , sans arrêt.

Les forces aérospatiales russes continuent de lancer des frappes en représailles à l’attaque terroriste de Belgorod et au bombardement de Donetsk la veille du Nouvel An. 

Ainsi, dans la nuit du 2 janvier 2024, l’une des attaques combinées les plus puissantes contre des installations militaires à Kiev et à Kharkiv a été menée. En outre, plus de 11 unités de missiles hypersoniques Kinzhal ont été envoyées vers des installations militaires. Au total, environ 110 missiles ont été tirés.

L’expert militaire Yuri Knutov, dans une interview avec MK, n’a pas exclu que les prochaines cibles de l’aviation stratégique puissent être les moyens de transport ennemis – les chemins de fer et les ponts.

Knutov a admis que la Russie attaque massivement les ponts et les voies ferrées

« Les experts militaires ont attiré l’attention sur le fait que l’armée russe a changé de tactique et que désormais les installations militaires en Ukraine sont soumises à des attaques quotidiennes presque sans interruption. Les missiles « Géraniums »i, lancés à intervalles de 9 à 10 heures, volent par lots pouvant aller jusqu’à 20 unités. Ainsi, notent les experts, toute une dynamique se dessine. Si au printemps et à l’été de l’année dernière, les « géraniums » étaient attaqués tous les quelques jours, à l’automne tous les jours, mais surtout la nuit, il y a désormais des attaques quotidiennes en mode non-stopii. »

 

ihttps://www.rferl.org/a/ukraine-war-russia-kamikaze-drones-iran/32089623.html

ii https://smoothiex12.blogspot.com/2024/01/open-thread.html#comment-6357530543

 

iJacques Baud, Ukraine entre Guerre et paix, op.cit. July 1, 2023, https://www.thepostil.com/ukraine-between-war-and-peace/

ii Cédric Perrin, Jean-Marc Todeschini, Ukraine : un an de guerre. Quels enseignements pour la France ?Rapport d'information n° 334 (2022-2023),déposé le 8 février 2023, https://www.senat.fr/notice-rapport/2022/r22-334-notice.html

iGénéral Vincent Desportes, Guerre en Ukraine : l'avenir de Poutine est sombre, TF1 Info, 26 septembre 2022, https://www.tf1info.fr/international/video-guerre-ukraine-mobilisation-population-russe-l-avenir-de-poutine-est-sombre-juge-sur-lci-le-general-vincent-desportes-2233446.html (avec une vidéo naturellement supprimée).

Ou encore :

https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/vincent-desportes-vladimir-poutine-doit-etre-confronte-la-certitude-quil-ne-peut-plus-que-perdre

iiPierre Servent, 24 février 2023, https://www.allotrends.com/fr/information/pierre-servent-predit-un-effondrement-du-corps-expeditionnaire-russe-1140699.html

iiiDebellatio, https://www.btb.termiumplus.gc.ca/tpv2guides/guides/juridi/index-fra.html?lang=fra&lettr=indx_catlog_d&page=9arUVrdcnKx8.html

ivFabrice Wolf, Le général Zaluzhny très pessimiste sur la poursuite de la guerre en Ukraine en 2024 , Meta-defense, 2 novembre 2023, https://meta-defense.fr/2023/11/02/general-zaluzhny-guerre-en-ukraine-2024/

vJacques Baud, Ukraine entre guerre et paix, https://www.thepostil.com/ukraine-between-war-and-peace/