Par Georges Gastaud, philosophe

Un dilemme suicidaire

De nouveau, le peuple français est sommé de « choisir » au second tour entre deux candidatures dangereuses et repoussantes : la première candidate charrie objectivement, ne serait-ce que par le patronyme sulfureux qu’elle porte, par tous les fachos qui danseront la gigue contre-révolutionnaire si elle l’emporte et par l’entourage fort peu recommandable qui reste le sien, le legs ultraréactionnaire de Versailles, de Vichy, de l’OAS, de la xénophobie et de l’anticommunisme débridés ; tout en continuant d’empiler les lois liberticides, la seconde candidature, celle du président sortant, projette de donner le coup de grâce aux retraites par répartition*, de participer aux pires surenchères otaniennes à l’Est, de promouvoir un « Etat fédéral européen » piloté par Berlin, de sacrifier la langue française sur l’autel du tout-anglais et de morceler l’ex-République française laïque et indivisible en une myriade de Länder « autonomes » (après la Corse et l’Alsace, la Bretagne ?).

(Non-) »barrage(s) »

Bien entendu, des citoyens de bonne foi vont, pour balayer à tout prix Macron, à voter pour Le Pen en croyant préserver la paix, les acquis sociaux et l’indépendance nationale (quelle illusion !). Symétriquement, d’autres vont voter Macron en se bouchant le nez en croyant « faire barrage à l’extrême droite » (à tort également puisque le RN, désormais flanqué de Ciotti et de Zemmour, a été totalement banalisé par le quinquennat Macron)… Mais fait-on barrage à Le Pen quand on assène à cette dernière, comme l’a fait Gérald Darmanin devant des millions de téléspectateurs, qu’il la trouve trop « molle » sur la chasse aux migrants ? Combat-on le racisme quand on vote pour un Macron qui s’est odieusement moqué des Commoriens noyés en mer, ou qui a fait humilié un président africain en exercice en lui suggérant devant les caméras d’aller « réparer le climatiseur »? A l’inverse, fait-on « barrage » à l’oligarchie européiste en votant pour une chatelaine qui ne veut même pas, ne serait-ce qu’envisager de sortir la France des carcans mortifères que constituent pour notre pays la zone euromark, la carcérale Union européenne et la machinerie belliciste de l’OTAN partant à l’assaut de la Chine et de la Russie ?

Des « doubles liens » paralysants

En réalité, face au second tour de cauchemar que n’ont su empêcher, ni les boutefeux atlantistes Jadot, Aubry et Hidalgo, ni le russophobe et euro-régionaliste Poutou, ni le communiste euro-décaféiné Roussel, ni le semi-insoumis Mélenchon*, il faut rappeler la brillante analyse que les psychanalystes anglais Bateson, Laing et Cooper firent naguère du concept de « double lien » (on dit aussi « double contrainte » ou « double injonction »). Le double lien est le processus proprement affolant par lequel, par ex., on somme sans cesse un jeune enfant de chérir sa mère alors qu’en réalité, celle-ci repousse inconsciemment son fils et qu’elle lui envoie sans cesse de discrets signaux destinés à le tenir à distance. Placé en permanence devant ce dilemme, le malheureux enfant ne peut que se tromper: s’il recherche sa mère, il sera rejeté comme importun. S’il reste sur ses gardes, on lui dira de toutes parts: « tu ne veux pas embrasser ta maman? Voyons, n’aie pas peur de tes sentiments! ». La double contrainte se referme alors sur l’enfant et l’affole à la manière d’une boussole que l’on poserait à l’aplomb du Pôle Nord; surtout si, dans le même temps, on retire au bambin tout moyen de « mettre en mots » cette contradiction interdite de moyen terme dialectique et si on lui impose de vivre en permanence ladite contradiction sans la penser ni la dire…

Retour à l’envoyeur

Que faire d’autre alors, pour briser la double injonction, que l’expliciter haut et fort, que remettre la balle dans le camp des manipulateurs (conscients ou inconscients, peu importe!), que refuser la culpabilité indue résultant d’un choix-non-choix imposé? Que faire d’autre que briser le tabou pour reconstruire ici et maintenant le « troisième terme » dénié, celui qui rouvrirait l’espace d’une vie raisonnable en réactivant un choix épanouissant et en rendant sa qualité de sujet à celui qui en était jusqu’alors privé?

Doubles contraintes nationales et internationales

C’est exactement ce qui nous arrive depuis plus de quarante ans aux ‘échelles mondiale et nationale. Sur le plan international, la destruction du Mouvement communiste international par le révisionnisme, par le gauchisme maoïste puis par l’eurocommunisme, puis l’implosion contre-révolutionnaire du camp socialiste, puis la mise en place du « Parti de la Gauche Européenne », cet appendice de l’Internationale social-démocrate, sans oublier la jaunâtre « Confédération Européenne des Syndicats », ont privé la classe travailleuse des moyens chèrement conquis (Komintern et PC affiliés, syndicalisme rouge mondial, camp socialiste, camp anti-impérialiste…) lui permettant de se comporter en sujet international unifié, de parler et penser en son nom propre, voire de diriger sous sa bannière les larges fronts anti-exterministes, anti-hégémoniques, antifascistes, antiféodaux, anti-obscurantistes et anti-impérialistes qui s’imposent. De même à l’échelle nationale, voit-on la « gauche » se fourvoyer dans des listes régionales d’union des euro-gauches atlantistes derrière les Verts ou derrière le PS tandis qu’une fraction du souverainisme républicain se laisse emporter par fragments successifs vers le mirage suicidaire de l’on ne sait quel lepénisme « républicain, pacifique et social »…

Refaire sujet(s) collectif(s)

Face à cela, si réduits que soient ses moyens (mais il dépend aussi du lecteur de les abonder…), le PRCF effectue imperturbablement son travail d’avant-garde de reconstitution du sujet révolutionnaire. Le Pôle bien-nommé appelle ainsi à reconstruire le parti communiste de combat sans « attendre » le très improbable redressement d’un PCF irréversiblement déprolétarisé (l’abandon du léninisme date déjà de 46 ans: 22ème congrès du PCF a eu lieu en 1976!). Le PRCF invite aussi les syndicalistes de classe à s’affranchir totalement de la C.E.S., de la CFDT et de tous ceux qui les cautionnent. C’est indispensable pour appeler à la « grande explication » entre le peuple travailleur et l’oligarchie, quel que soit le visage présidentiel du moment. Sans idéaliser le régime contre-révolutionnaire de Poutine, le PRCF pointe aussi le fait que l’UE-OTAN est l’instigatrice de longue main de l’explosive Est-Ouest. Le Pôle propose aussi aux forces communistes d’Europe et du monde entier de reconstruire le MCI sur des bases marxistes-. Et, sans prétendre que les conditions soient déjà mûres pour cela, le PRCF avance l’idée qu’on ne pourra pas avancer d’un seul pas, sur le plan international, si l’on craint d’aller vers la reconstruction d’une Internationale communiste.

En France, refusant d’opposer le drapeau rouge international de la classe ouvrière au drapeau tricolore de la nation républicaine, le PRCF invite à une contre-offensive patriotique et internationaliste, antifasciste et indépendantiste, écologique et ré-industrialisante. Sans cela, impossible de briser l’alternative affolante qui prétend nous contraindre à choisir entre l’emballement de la fascisation sous drapeau lepéniste et la course à la guerre atlantique et à l’extinction de la France sous l’égide du chef de l’Etat sortant.

Le meilleur remède aux doubles liens paralysants: dialectique et combat de classe

Car, pour peu que, par ses luttes et son effort d’organisation, le monde du travail rééquipé d’un PC de combat et d’un syndicalisme rouge rénové se remette au centre du processus politique, pour peu que l’ennemi du et des peuple(s) redevienne clairement l’impérialisme, y compris « le nôtre », et que cet ennemi cesse d’être « l’immigré », « le Chinois » ou « le Russe », il est possible de défendre à la fois l’émancipation de la France et la décolonisation totale du continent africain, la sortie de l’UE-OTAN et l’ouverture de notre pays sur un monde multipolaire, la rupture avec le condominium du dollar et de l’euro et la mise en place d’instruments monétaires nationaux et internationaux échappant à la fois à l’Oncle Sam et à Tante Ursula…

Bref, au lieu de nous comporter en balles de celluloïd rebondissant à l’aveugle entre les raquettes de Macron et Le Pen, renversons la table, aidons à reconstruire le sujet collectif prolétarien et forgeons l’Alternative rouge et tricolore indispensable pour sauver la démocratie, le progrès social et la paix mondiale.