samedi 2 décembre 2023

 

Ukraine, il reste peu de choix à Zelensky : la capitulation, un nouveau Maïdan ou un coup d’État

Que se passe-t-il sur le front ? Rien de bon pour l'Ukraine.

Zelensky a annoncé jeudi soir officiellement que l'Ukraine cesse toute action offensive et se met en état de défense, « complet et profond » et que l'Ukraine va construire un nombre important de fortifications en retrait de la ligne de front qui seront financées par les nations occidentales.

Cette annonce intervient après les révélations d'Arkhamia et des rumeurs de coup d'État et reflète la réalité sur le terrain militaire. Quelques faits illustrent cette réalité incontournable que les médias occidentaux tentent de cacher.

Dans la région de Kupiansk, un officier supérieur de la 14ᵉ brigade a abattu l'officier de liaison qui avait traité de lâches les soldats de cette brigade, car ces derniers refusaient d'attaquer les lignes russes.

Dans la région d'Adviivka, la 110ᵉ brigade a accusé publiquement, en fin de semaine dernière, la 53ᵉ brigade de lâcheté.

Des menaces de rébellion au cas où Zaluzhny serait démis de ses fonctions, faisant corps avec des rumeurs de coup d'État.

Sur le terrain militaire proprement dit, les forces armées ukrainiennes sont sur la défensive et le recul sur l'ensemble du front, elles subissent des pertes croissantes y compris dues à des épidémies et aux conditions météorologiques. Les soldats ont commencé à tomber malades en masse, le moral et la déception se faisaient sentir partout.

À Adviivka, les Ukrainiens sont contraints de céder ou de se rendre pour ne pas mourir.

À Bakhmut, les Russes ont repris tous les territoires pour lesquels des milliers d'Ukrainiens sont morts depuis la contre-offensive du 10 mai, laissant derrière eux de nombreux camarades morts dans les tranchées.

A Krynky, la tête de pont sur la rive russe du Dniepr, qui a soulevé l’enthousiasme des experts de plateaux, les Russes ont bloqué, sous un déluge de feu, des centaines d'Ukrainiens qui ne peuvent plus traverser le fleuve dans l'autre sens.

 

Les Ukrainiens subissent d'énormes pertes sur toute la ligne de front, et le ministère de la Défense britannique se plaint amèrement que les Russes utilisent des bombes à fragmentation contre les zones fortifiées ukrainiennes. Il y a peu encore, Kiev et les Occidentaux se réjouissaient des livraisons américaines de bombes à fragmentation contre les Russes, se moquant des avertissements non seulement de Poutine, mais aussi de Human Rights Watch. Les Russes avaient averti que l'utilisation de bombes à fragmentation par les Ukrainiens entraînerait une réplique. C'est chose faite !

Les zones fortifiées ukrainiennes d’Ugledar et d’Avdiivka sont noyées sous les bombes à fragmentation russe de 500 kg.

 

La panique gagne le camp occidental et la décision de Zelensky de construire des forteresses défensives est directement la conséquence des avancées russes sur toute la ligne de front, d'autant plus que Washington a averti que 100 000 Russes sont en attente du côté de Kupiansk et qu'il y a de nombreux mouvements de troupes russes du côté de Karkhov. Pour accroître la nervosité des occidentaux et des Ukrainiens, des responsables russes ont fait savoir que Kershon, Karkhov, Odessa et Nikolaev avaient vocation à retourner au sein de la Russie.

Pour accroître le sentiment d'impuissance des Ukrainiens qui ne sont plus en mesure de recruter de nouveaux combattants, les responsables du recrutement de différentes régions font savoir qu'à peine 8 % à 10 % de l'objectif de recrutement avaient été atteints.

Pour tenter de remédier au problème du recrutement, Zelensky privatise le recrutement et le délègue à des sociétés occidentales au moment où il décident d'envoyer des femmes et des vieux combattre dans les tranchées pour suppléer le manque d'hommes.

Et comme si les déboires de l'Ukraine n'étaient pas suffisants, Washington a exigé que Kiev rende les 31 chars américains Abrams précédemment livrés à l’Ukraine, d'après les médias américains, en échange, le chef du Pentagone aurait promis de transférer 124 chars Léopards allemands aux forces armées ukrainiennes. Les Américains veulent éviter l'humiliation de voir leurs chars brûler, tout comme les Léopards allemands. Le fait que les chars américains tombent en panne en raison d'inadaptation aux conditions de combat en Ukraine doit également avoir pesé dans cette décision. Par contre, personne ne sait où trouver 124 nouveaux chars Léopards en remplacement.

Il ne fait pas bon de vendre son âme au diable, ou aux Américains, le prix à payer est exagérément élevé et toujours à sens unique.

 

 

 

Que se passe-t-il à Kiev ? Ils commencent à s’entre-tuer.

Comme nous le savons, les Russes n'ont pas eu la délicatesse de s'enfuir lors de la contre-offensive du 5 juin, terrorisés devant les Léopards ou plutôt les chatons que les puissances occidentales ont fournis à l'Ukraine pour reprendre la Crimée et le Donbass en quelques semaines. Et les conséquences de l'indélicatesse des Russes sont catastrophiques pour l'Ukraine en premier lieu, mais également pour leurs commanditaires occidentaux.

À Kiev même, l'air est devenu irrespirable, les assassinats à la grenade et les empoisonnements sont de simples avertissements avant que ne commence la nuit des grands couteaux qui devra déterminer quel clan héritera du pouvoir. « Le conflit entre Zelensky et Zaluzhny était prévisible et provoqué par l’échec de la contre-offensive  », observe le journal « The Economist ». C'est de la faute à Poutine, quoi ! Et pour une fois, c'est vrai. Le journal « The Economist » oublie de préciser que lui-même, comme l'ensemble de la presse occidentale vantait il y a encore peu la honteuse défaite infligée aux Russes par le nouveau « Churchill Zelensky » porté aux nues, au Capitole de Washington, acclamé par les sénateurs debout, comme le défenseur de l'Occident. Aujourd'hui, cette même presse dépeint Zelensky au mieux comme le rêveur de l'année, au pire, comme un fanatique incompétent. Il n'y a pas loin du Capitole à la roche Tarpéienne (elle était facile celle-là).

Pour saisir l'ampleur « du conflit » qui oppose les clans rivaux à Kiev, rien ne vaut une petite séance vidéo dans laquelle Zaluzhny le commandant en chef des forces armées ukrainiennes, n'a pas pu résister aux critiques de la députée Maryana Bezugla.

https://t.me/BrainlessChanel/68229

Cette petite vidéo dans laquelle nous voyons le commandant en chef des forces armées ukrainiennes insulter pendant de longues minutes, de « s-le p-te » et pire encore, la députée du parti de Zelensky, qui a proposé la démission du commandant en chef des forces armées ukrainiennes Valery Zaluzhny, pour incompétence.

Lundi, Maryana Bezugla avait déclaré que Zaluzhny et l'ensemble des généraux des forces armées ukrainiennes devraient être punis en raison de l'échec de la contre-offensive et de l'absence de plan pour les opérations militaires pour les mois à venir.

À Kiev, personne n'est dupe, Bezuglaya ne pouvait pas attaquer de sa propre initiative Zaluzhny en lui faisant porter le chapeau pour la débâcle de la contre-offensive.

Confronté aux menaces de Zaluzhny et de son entourage, le représentant de Zelensky à la Rada, Fiodor Venislavsky , a déclaré que la présence de Bezugla à la Rada constituait une menace pour la sécurité nationale de l'Ukraine. En effet, des soutiens de Zaluzhny exigent la démission de Bezuglaya de son poste de député et son éviction du Conseil suprême (la Rada) en menaçant d'une intervention directe de l'armée : «  Si cela ne se produit pas (l'éviction de Bezugla de la Rada), alors pour avoir insulté et fait chanter Zaluzhny, l'armée pourrait décider que Bezuglaya devra répondre de ses paroles ».

Tout cela ressemble à une menace d'un coup d'État, mais comme l'Ukraine défend notre belle démocratie occidentale contre les barbares d'Orient, cela ne devrait pas provoquer trop d'émois dans les salles de rédaction de notre belle presse libre et indépendante. Tout va bien, nous assurait-on, du côté de la presse occidentale. Si on s'en tient aux propos des déficients mentaux de LCI, l'Ukraine est train de gagner, les Russes meurent par centaines de milliers, pourtant les dirigeants corrompus de Kiev sont non seulement incapables de mobiliser des Ukrainiens pour remplacer les pertes, mais ils sont à deux doigts de se poignarder littéralement.

En fait, l'impuissance ukrainienne face aux Russes est à l'origine de l’exacerbation des tensions à Kiev, mais également dans les capitales occidentales.

Il s'agit maintenant de désigner les boucs émissaires à sacrifier. Zelensky et Zaluzhny se rejetant mutuellement la responsabilité de la débâcle ukrainienne.

Il ne fait pas bon être trop proche des cercles du pouvoir à Kiev en ce moment, entre les gâteaux fourrés à la grenade liquidant un membre de l'état-major de Zaluzhny, l’empoissonnement de l'épouse du chef des services secrets ukrainiens Kirill Budanov, les menaces de coup d'État. Aucun doute, l'Ukraine est en train de botter le cul des Russes.

Zaluzhny et Budanov représentent toutes deux une menace pour Zelensky, qui risque de perdre l’élection présidentielle s’il se retrouve face à ses deux concurrents, puisqu'un « sondage » du journal The economist annonce : « le niveau de confiance en Zelensky est tombé à +32 %, soit la moitié de celui de Zaluzhny (+70 %), et celui de Budanov est au-dessus du président (+45 %) », en conséquence, Zelensky a annulé les élections, les reportant à la fin de la guerre.

Il est clair que Zaluzhny est devenu la nouvelle coqueluche de Washington, désigné pour remplacer Zelensky à qui les Américains reprochent d'avoir privilégié la défense de Bakhmut au détriment de la de percée en Crimée du 5 juin. Mais Zaluzhny ne peut pas prendre le pouvoir par un coup d’état pour le moment, les circonstances ne s'y prêtent pas, donc, avec le soutien américain, il accuse Zelensky d’être incompétent et surtout d’être le responsable de la catastrophe de Bakhmut, qui a coûté des dizaines de milliers de vies ukrainiennes, et de rééditer maintenant la même erreur en s'accrochant coûte que coûte à la défense d'Adviivka. Au passage, on notera que les autorités militaires ukrainiennes reconnaissent que Bakhmut et à présent Adviivka ont coûté des dizaines de milliers de vies aux Ukrainiens.

Quant à Zelensky, il ne peut pas virer Zaluzhny de son poste de commandant en chef des forces armées ukrainiennes pour le moment, car il est sous la menace directe d'une révolte des forces armées, donc il fait pression pour obtenir sa démission, l'accusant, par députée interposée, de ne pas être à la hauteur de son poste, le rendant ainsi directement responsable de la faillite de la contre-offensive et d’être incapable de proposer le moindre plan militaire pour les mois à venir.

Je ne voudrais pas me mêler de ce qui ne me regarde pas, mais concernant l'incompétence de Zaluzhny, Zelensky n'a pas entièrement tort, puisque le commandant en chef des forces armées ukrainiennes s'est contenté de mettre en application les plans américains décidés à Washington pour la prise de la Crimée.

« Maintenant, il y a un jeu de reproches pour savoir qui est responsable de l’échec. Les politiciens disent que leurs généraux sont des idiots formés par les Soviétiques. Et les généraux disent que les politiciens interfèrent avec les idiots. La victoire a de nombreux pères, mais personne ne veut être responsable de l’impasse  », écrit un journal, citant un haut responsable ukrainien.

 Cela ressemble de plus en plus à un mauvais roman d'espionnage, Zaluzhny traite Zelensky d'incompétent et Zelensky traite Zaluzhny d'incapable, des grenades dans des gâteaux d'anniversaires des chefs militaires, l'épouse du patron des services de sécurité empoisonnée, des généraux insultant copieusement des députées, des menaces de coup d'État, des rumeurs affirmant que l’un ou l’autre sera évincé avant la fin de l’année. Qu'importe, l'Ukraine va gagner la guerre, assurent les experts de LCI.

Un journal écrit : « Ces « révélations » explosent sur fond de rivalité qui couve depuis des mois entre Zelensky et Zaluzhnyi, le commandant des forces armées, après de nombreux revers militaires. Zelensky veut une victoire à montrer à ses maîtres occidentaux pour tenter de conserver son poste, alors que Zaluzhnyi se contente d’être un bon petit soldat obéissant à Washington.

Bref, tout cela augure une prochaine mise à l’écart de Zelensky, voire un coup d’État. L’OTAN n’est plus en mesure de l’aider et l’Occident cherche une porte de sortie alors qu’un autre conflit se dessine au Proche-Orient. »

Pour ajouter de la crise à la crise, un bandeau déroulant est apparu brièvement il y a quelques jours, pendant les infos sur la TV ukrainienne, indiquant que l'Ukraine a perdu un million deux cent mille hommes, toutes causes confondues, sur le front. Des informations divulguées « accidentellement » indiquant des pertes colossales pour l'Ukraine ne sont pas un hasard, un des deux camps compte utiliser cette information, qu'elle soit vraie ou non.

C'est à ce moment crucial que David Arakhamia, négociateur en chef des pourparlers de paix à Istanbul, déclare publiquement que la Russie n'avait pas l'intention d'envahir l'Ukraine si celle-ci acceptait de rester neutre, et que l'Occident a conseillé à Kiev de refuser l'accord de paix.

On notera au passage que l'on est bien loin de toutes les salades occidentales affirmant que cette guerre était une agression russe motivée par le désir de V. Poutine de reconstruire l'empire russe.

Quoi qu'en disent les commentateurs occidentaux, ces révélations sont inédites en Ukraine même, et il est trop tôt pour en mesurer les conséquences et comment elles vont « impacter » l'état d'esprit des ukrainiens alors qu'est annoncé le report sine-dié des élections parlementaires et présidentielles, cela s’additionnant à l'annonce de la cessation toute action offensive et de la construction de forteresses défensives ainsi que de la privatisation des services de recrutement militaires, qui seront confiés à des sociétés occidentales, au moment où les femmes et les vieux jusqu'à 70 ans sont appelés à combattre dans les tranchées.

On est en droit de penser que l'interview d'Arakhamia a été pensée dans le cadre de l'opposition grandissante entre certaines factions de Kiev et les décideurs de Washington, et que dans ce contexte, Zelensky prépare l'opinion publique à céder le Donbass et la Crimée à la Russie par voie de référendum :« Je pense que de telles choses doivent être faites uniquement par référendum », a expliqué Arakhamia. Et il a ajouté qu’il accepterait toute décision du peuple.

 

Tenter de négocier la paix avec la Russie, en faisant des concessions territoriales et de sécurité, hors le contrôle des Occidentaux, serait pour Zelensky une sorte de revanche pour la trahison des Américains qui cherchent à le remplacer par Zaluzhnyi. Est-ce là la raison de la sortie médiatique d'Arakhamia ?

 

Mais cette issue, s'il s'agit là de l'option choisie par le camp de Zelensky, nécessite un bouc émissaire pour cette guerre inutile : Boris Johnson et Washington, et un bouc émissaire pour les échecs de la contre-offensive, Zaluzhnyi. Il ne s'agit là que d'hypothèses de ma part.

Mort d’Henry Kissinger, un dirigeant politique impitoyable et cynique

Publié le par Les communistes de Pierre Bénite

L’ancien secrétaire d’État de Richard Nixon s’est éteint à l’âge de 100 ans. Les multiples hommages le présentent comme un « grand diplomate ». Du Vietnam au Chili, en passant par le Cambodge et l’Indonésie, son action le définit plutôt comme un dirigeant impitoyable et cynique.

 

Il y a d’abord le récit officiel de 100 ans, 6 mois et 2 jours de vie. Celui qui impose l’histoire d’un juif allemand – Heinz Alfred Kissinger – né en 1923 en Bavière, fils d’instituteur, fuyant à l’âge de 15 ans l’Allemagne nazie et trouvant refuge aux États-Unis qui lui offre la naturalisation.

 

Débute alors un parcours hors du commun : contre-espionnage militaire dans l’armée américaine, reprise des études à Harvard, nomination par Richard Nixon en 1969 au poste conseiller à la sécurité nationale puis, en 1973, à celui de secrétaire d’État et, récompense suprême, prix Nobel de la paix en 1973 conjointement avec Le Duc Tho (qui le refusa) pour la signature d’un cessez-le-feu au Vietnam. Ajoutez une dimension physique de quasi-personnage de roman – la voix caverneuse, la monture de lunettes, puis la longévité – et voilà l’icône apprêtée.

 

À l’instar du diable qui se cache dans les détails, la vérité se niche dans quelques détours de phrases où un média évoque des « parts d’ombre » et une chancellerie avec des aspects « controversés ». Si Henry Kissinger incarne une idée, c’est moins celle de la noblesse de la diplomatie « réaliste » que celle du cynisme d’une puissance qui se veut impériale. Il a orchestré des coups d’État, donné son feu vert à des nettoyages ethniques, déclenché des bombardements sur des civils, menti, manipulé et fait tuer…

 

Avec Nixon, il sabote puis reprend les pourparlers de paix au Vietnam

 

Tout commence alors qu’il n’est pas encore « aux affaires ». Directeur du prestigieux Harvard International Seminar, il contacte de son propre chef des proches de l’ancien vice-président Richard Nixon (qu’il jugeait pourtant quelques mois auparavant « l’homme le plus dangereux à avoir jamais été candidat à une élection présidentielle »), alors en pleine campagne électorale. Il leur transmet des informations reçues d’un assistant participant aux pourparlers de paix entre l’administration Johnson et les acteurs du conflit vietnamien.

 

À quelques semaines du scrutin, alors que le président Johnson a suspendu les bombardements et qu’un accord de paix pourrait permettre au vice-président Hubert Humphrey de décrocher la victoire, la campagne de Nixon incite les Sud-Vietnamiens à faire échouer les négociations et à « tenir jusqu’après les élections ».

 

Kissinger n’y est sans doute pour rien mais, une fois Nixon élu, il rejoint une équipe qui s’est rendue, de fait, coupable de « trahison » et poursuit la guerre alors qu’elle avait promis aux électeurs la paix.

 

Nommé conseiller à la sécurité nationale, l’ancien universitaire conseille à Nixon d’ordonner le bombardement du Cambodge (bilan : 50 000 morts) afin de faire pression sur Hanoï pour qu’il revienne à la table des négociations et accessoirement détruire la piste Hô Chi Minh.

 

« Nixon et Kissinger étaient prêts à tout pour reprendre les pourparlers qu’ils avaient contribué à saboter, et leur désespoir s’est manifesté par la férocité, raconte, dans un article pour le magazine marxiste Jacobin, Greg Grandin, professeur à l’université de Yale. (…) Le bombardement du Cambodge (un pays avec lequel les États-Unis n’étaient pas en guerre), qui allait finir par briser le pays et conduire à la montée des Khmers rouges, était illégal. Il fallait donc le faire en secret. La pression exercée pour garder le secret a fait naître la paranoïa au sein de l’administration, ce qui a conduit Kissinger et Nixon à demander à J. Edgar Hoover de mettre sur écoute les téléphones des fonctionnaires de l’administration. » Des bombardements illégaux au Cambodge, premier acte du Kissinger « diplomate », au scandale du Watergate, le fil est tiré.

 

Architecte des interventions criminelles américaines

 

Le secrétaire d’État échappera à la destinée de Nixon, contraint à la démission, bien que les journalistes Seymour Hersh, Bob Woodward et Carl Bernstein aient tous publié des articles l’accusant d’être à l’origine de la première série d’écoutes téléphoniques illégales mises en place par la Maison-Blanche afin de garder secrète son action au Cambodge. Poursuivant auprès de Gerald Ford jusqu’en 1977, il échappera à tout opprobre qu’aurait dû lui occasionner son « œuvre ».

 

En 1971, Washington livre des armes à l’armée pakistanaise engagée dans des massacres de masse au Pakistan oriental (aujourd’hui le Bangladesh). En 1973, comme le rappelle le New York times, Henry Kissinger est « l’architecte des efforts de l’administration Nixon pour renverser le président socialiste démocratiquement élu du Chili, Salvador Allende ».

 

En 1975, Kissinger toujours et le président Ford approuvent secrètement l’invasion de l’ancienne colonie portugaise du Timor oriental par l’armée indonésienne. Le secrétaire d’État, en visite à Djakarta, demande alors au dictateur indonésien Suharto de lancer l’opération « après notre retour ». Ce qui fut fait. Bilan : 100 000 Timorais de l’Est tués ou affamés.

 

Après la victoire de Jimmy Carter et son départ de l’administration, il mettra son carnet d’adresses à son propre profit, se lançant dans le conseil grassement rémunéré. La « liste des clients » de Kissinger Associates demeure le secret le mieux gardé de Washington. Son fondateur préfère d’ailleurs démissionner de son poste de président de la commission du 11 Septembre, plutôt que de la remettre pour examen du public.

 

On sait, malgré tout, que sa société « a été l’un des premiers acteurs de la vague de privatisations qui a suivi la fin de la guerre froide dans l’ex-Union soviétique, en Europe de l’Est et en Amérique latine, contribuant à la création d’une nouvelle classe oligarchique internationale », toujours selon Jacobin.

 

Des coups tordus de la guerre froide aux méandres de la « fin de l’Histoire », Henry Kissinger a assurément été un homme du siècle qu’il a traversé, contribuant à le façonner à son image : cynique et impitoyable.

 

Des réactions panégyriques

 

Pourtant, le flot et la tonalité des hommages rendus dessinent le parcours d’un « homme d’État ». « L’Amérique a perdu l’une de ses voix les plus sûres et les plus écoutées en politique étrangère », a salué l’ancien président américain George W. Bush, qui s’y connaît en la matière. Jamais avare dans l’emphase, Emmanuel Macron salue en Kissinger un « géant de l’Histoire », pas moins.

 

Le décès de celui qui est considéré comme le plus influent secrétaire d’État depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale réussit même à réunir dans le même deuil Moscou et Kiev. Vladimir Poutine a salué un « homme d’État sage et visionnaire », tandis que Dmytro Kouleba, le ministre ukrainien des Affaires étrangères, estime que son « héritage intellectuel (…) continuera d’influencer » la « diplomatie et l’ordre mondial ».

 

La Chine a déploré, via la voix de son ambassadeur aux États-Unis, Xie Feng, « une perte énorme pour nos deux pays et pour le monde ». Olaf Scholz, le chancelier allemand, a de son côté salué un « grand diplomate ». « Nous sommes de grands admirateurs d’Henry Kissinger », a indiqué le président israélien, Isaac Herzog, aux côtés d’un Antony Blinken étonnamment plus sobre, se contentant d’affirmer : « Il était extraordinairement généreux de sa sagesse et de ses conseils. Peu de personnes ont été de meilleurs élèves de l’Histoire – et encore moins de personnes ont davantage contribué à façonner l’Histoire – qu’Henry Kissinger. »

 

Chacun a ses raisons pour de tels panégyriques. La Russie, car l’ancien bras droit de Richard Nixon contribua à la « détente des tensions internationales et à des accords très importants américano-soviétiques ayant contribué au renforcement de la sécurité mondiale », dixit Vladimir Poutine. La Chine, pour avoir été la cheville ouvrière du rapprochement entre Washington et Pékin au début des années 1970

 

Israël en souvenir du « pont aérien » immédiatement mis en place par Kissinger et Nixon au début de la guerre du Kippour en 1973, alors que l’armée israélienne était déboussolée. L’Allemagne, parce qu’il est d’abord un enfant du pays, et les dirigeants américains car il est l’un des leurs. La diplomatie s’impose certes – encore plus, en de telles circonstances – de ne pas évoquer les motifs de fâcherie.

 


Et on sait que le deuil est parfois ce moment faussement consensuel où l’on ne veut retenir que le meilleur de celui qui a trépassé. Mais, en l’espèce, lorsque la diplomatie s’accoude au deuil, un criminel de guerre est dépeint en héros du siècle.

 

Christophe Deroubaix Article publié dans l'Humanité