mardi 2 mai 2023

Pourquoi lire le Capital, de Karl Marx, et comment ne pas le lire

2 Mai 2023 , Rédigé par Réveil Communiste Publié dans #GQ, #Théorie immédiate, #Front historique, #Economie, #Royaume-Uni, #Impérialisme, #l'Europe impérialiste et capitaliste

Pourquoi lire le Capital, de Karl Marx, et comment ne pas le lire

« Le Capital » désigne ici le Livre 1, le seul publié par Marx de son vivant, en 1867, dans la traduction française classique de Jules Roy, révisée et complétée par l’auteur, parue en 1872.

1) Comment lire Le Capital ?

On peut dire du Capital comme de la Bible qu’il a été plus acheté que lu, et plus lu que compris ; et il est vrai que c'est un livre scientifique de haut niveau, d’une lecture passionnante mais difficile.

Le principal objectif de Marx dans la composition de cet ouvrage était de développer une théorie scientifique de l’exploitation, et une explication de sa dissimulation par la science économique bourgeoise, c'est à dire celle qui est enseignée.

L’exploitation, c’est le travail non payé, qui est censé ne plus exister depuis le dépassement du féodalisme par le capitalisme et qui est maquillé en travail libre par le contrat de travail qui postule l’égalité juridique des contractants, le salarié et le capitaliste. En dévoilant la réalité de leur condition, masquée par les idéologues de l’économie bourgeoise, de toutes tendances, Marx veut rendre aux exploités l’arme de la vérité scientifique, mettre la science de leur coté et appuyer leurs revendications dans la lutte des classes.

Mais la théorie de Marx réellement assimilée par les militants marxistes au début du XXème siècle (et non les moindres, Gramsci, ou Staline, par exemple) était bâtie sur un corpus théorique d’environ 200 ou 300 pages qui ne comprenait pas le Capital : le Manifeste du Parti Communiste (surtout la première partie, texte le plus influent dans l’histoire qui ait jamais été écrit), l’Introduction de 1859 à la Critique de l’économie politique, le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, la Critique du Programme de Gotha, et surtout sur l’Anti-Dühring de Engels.

Le premier véritable lecteur à s’en être approprié le contenu scientifique et à en avoir tiré une pratique politique est Lénine, sans lequel Marx aurait manqué son but, et aurait sacrifié sa santé en vain pour composer son chef-d’œuvre en luttant contre la misère et la maladie. Les œuvres complètes de Lénine commencent par son étude du développement du capitalisme en Russie, adaptation à la réalité russe des outils conceptuels développés par Marx, y compris dans les livres II et III du Capital, dont la teneur était encore quasi inconnue des disciples.

Auparavant, suivant les théoriciens de la Deuxième Internationale, Bauer, Hilferding ou Kautsky (à la notable exception de Rosa Luxembourg), les marxistes orthodoxes en tiraient soit une incitation à attendre que par la fatalité de la dialectique la poire du capitalisme leur tombe entre les mains quand elle serait bien mûre, par exemple par une victoire électorale, soit comme cette issue fatale se faisait attendre, comme un argumentaire destiné à s'adapter à la résilience du capitalisme après chaque crise économique. A tel point que Gramsci a d’abord compris et accueilli avec enthousiasme la Révolution d’Octobre 1917 en Russie comme une « révolution contre Le Capital » .

Avant Lénine, la dialectique marxiste était interprétée, et de plus en plus souvent rejetée, comme si elle n'était qu'une sorte de prédestination politique pseudo-scientifique, plaquée sur la réalité, qui avait, pour Gramsci, le seul mérite de parler un langage mystique et téléologique convenant aux masses faiblement instruites. Ce premier marxisme en dérive réformiste accélérée a sombré corps et bien devant le test de la grande guerre impérialiste, en 1914. Il se trouve que le capital, ou plutôt les capitalistes, n’avaient pas du tout l’intention de se laisser faire, et de permettre au socialisme de s’installer tranquillement au pouvoir par la seule nécessité des lois de l’histoire et de l’économie. La prédiction de la fatalité du remplacement du capitalisme par le socialisme s’est avérée une prophétie « auto-déréalisatrice ».

Dès l’époque de la parution du Capital, le développement de la théorie économique néo-classique abandonna la valeur travail pour la remplacer par l’utilité. Ce « changement de paradigme » très avisé pour désamorcer la critique du capitalisme entraîna le discours économique très loin des problèmes de l’origine de la valeur, des contradictions révélées par l'analyse de la valeur d’échange (qu’elle cessa purement et simplement d’étudier),et donc très loin de l’étude de l’exploitation, qu’elle se borna à nier purement et simplement. La science ne prouverait plus la nécessité du socialisme parce qu’on avait construit une contre-science ad hoc, à laquelle se rallièrent en Allemagne dès 1899 les ex-marxistes révisionnistes de la tendance de Bernstein.

Parmi les raisons qu’on trouva alors à la mode pour disqualifier l’œuvre de Marx économiste, il y avait le mépris d’une génération scientiste et/ou positiviste pour la dialectique, considérée par beaucoup de marxistes vers 1900 comme une séquelle mystique des années de sa formation sous l’influence de Hegel. Encore Althusser, grand admirateur d’Auguste Conte, consacra beaucoup d'énergie dans les années 1960 à essayer d’en purger le Capital. Mais la dialectique hégélienne que Marx « remet sur ses pieds » en la plaçant au niveau des contradictions sociales et matérielles, et non plus dans le ciel des Idées, n’est pas pour Marx un récit eschatologique mais une méthode pour formuler des concepts pertinents pour comprendre les phénomènes mystifiants et cycliques de l’économie, qui doivent être envisagés dans leur totalité pour être saisis dans leur concept.

Certes pour Marx, comme pour Hegel l’histoire a un sens et le progrès existe indubitablement, mais c’est ni plus ni moins ce que tout le monde pense depuis les Lumières, et ne cesse pas de le penser dans sa philosophie pratique malgré tous les grands airs pessimistes nietzschéens et les discours réactionnaires ou mystiques successivement à la mode affichés par ailleurs. Hegel est bel et bien le grand penseur de la bourgeoisie, quoiqu’il en soit de l’ingratitude celle-ci envers lui ! Mais chez Marx, ce sens se découvre petit à petit par le travail d’abstraction scientifique, et n’est pas plaqué comme un but dès le commencement. Sinon à quoi bon lire, et même écrire, Le Capital ?

Ainsi Marx en dialecticien pense que les formes historiquement les plus développées permettent d’expliquer les formes archaïques, c’est à dire d’en fournir les concepts et non l’inverse comme le stipule le sens commun.

C’est justement cette perspective historique qui permet à Marx de développer le commencement de sa critique par l’analyse de la marchandise, à partir de la cellule d’origine de l’échange marchand, qui remplace comme commencement la fable de Robinson Crusoé. Le monde économique ne se reconstitue pas à partir des actes conscients d’un individu isolé, mais dans la nécessité de l’échange marchand. La marchandise y est définie comme une réalité historique et non posée comme évidence naturelle, et ce point de vue nouveau permet de définir la nouvelle science de l’histoire, le matérialisme historique, comme celle du développement des contradictions entre forces productives (les techniques) et rapports de production (les classes sociales).

Pour comprendre le Capital, il suffit de le lire attentivement et lentement, mais pour approfondir cette lecture, il faut étudier l’état des questions dans la jeune science nommée alors encore économie politique, vers 1840 , lorsque Marx réunit sa documentation. D’une certaine façon Marx synthétise et couronne l’effort des économistes libéraux de la période 1750 – 1850, offrant un point de vue complet sur cet état de la science économique et ses théories de la valeur-travail, avant son détournement par l’école marginaliste néo-classique.

Le Capital (1867) est une « critique de l’économie politique », et l’ouvrage de 1859 intitulé Contribution à la critique de l’économie politique, en était un chapitre préparatoire concernant principalement la nature de la monnaie qui s’était développé de manière autonome et proliférante au point de devenir un livre à part . Les deux textes peuvent être lus comme un tout sachant que la Contribution est principalement un développement extensif et très ardu du futur chapitre 2 du Capital.

Marx y montre que la monnaie est un équivalent général des marchandises qui apparaît spontanément avec le développement des échanges, et qui s’universalise sous la forme des métaux précieux. La monnaie n’est pas pour lui un signe arbitraire ou un droit régalien de fixer la valeur, et encore moins un simple signe dont la valeur dépend des fluctuations sur le marché des moyens de paiements, c’est à dire qu’il est complètement opposé à la conception implicite et contradictoire de l’actualité économique pour laquelle la valeur de la monnaie est souverainement décrétée par les banques centrales et fluctue selon les besoins spéculatifs. En cela, chaque jour qui passe de commentaires de presse l’actualité économique et financière est un traité d’anti-marxisme appliqué.

Mais la principale contribution de Marx à la science est ailleurs : il résout l’énigme de la création de richesse qui troublaient tant les meilleurs économistes de la bourgeoise : les physiocrates, Adam Smith, et Ricardo : comment la plus-value des capitalistes peut-elle apparaître si toutes les interactions entre porteurs de marchandise se résolvent en des échanges d’équivalent ? Où dans cette ronde entre échangistes se trouvera la création de richesse ? Il le résout effectivement et la seule réponse de ses adversaires a été de cesser purement et simplement d’étudier la valeur, en la dissolvant dans la subjectivité du consommateur.

Il parvient à ce résultat décisif en distinguant le travail, substance de la valeur, de la force de travail, marchandise proposée par l’ouvrier sur le « marché du (de la force de) travail ». Cette marchandise à la caractéristique unique de produire de la valeur supplémentaire gratuite, la plus-value , pour son acheteur, le capitaliste. L’ouvrier, et travailleur salarié en général obtient dans les conditions normales un prix pour sa force de travail journalière qui est équivalent à la valeur des marchandises dont il a besoin pour la reconstituer, le panier de ses besoins de base et ceux de sa famille, à commencer par l’alimentation, mais au service de son patron il produit pendant cette journée de travail des marchandises pour une valeur bien plus grande (conditions normales qui ne sont en fait jamais réalisée mais que Marx pose pour la clarté de l’exposé).

Ceci explique pourquoi le salarié peut être exploité sans être volé, et que son contrat de travail a l’apparence d’un accord entre partie égales. Il met à disposition sa force de travail pour une journée en échange de la valeur des marchandises qu’il lui faut pour survivre une journée, mais ces marchandises ne valent qu’une partie souvent faible de ce qu’il produit. Si ce n’était pas le cas, cela signifierait que la classe capitaliste dans son ensemble ne retirerait pas plus de valeur du cycle de production qu’elle n’y a mis, sous forme de salaires, machines, matière premières, frais divers, etc., et on se demande bien pourquoi elle se donnerait tant de peine.

Cela signifie implicitement aussi, bien que Marx ne l’ait pas explicité en ces termes, que la théorie marxiste n’est pas une théorie assimilant la plus value et le profit qui en découle au vol, et donc qu’une économie socialiste devrait en produire aussi et peut être encore davantage pour le bien commun de l’humanité. Le plus grand praticien concret de la théorie marxiste, appliquée à la société et à la nature en vraie grandeur l’avait parfaitement compris.

***

2) et comment ne pas le lire

- Si on n’est pas un exploité, ou si on croit ne pas en être un, on peut le lire comme un jalon culturel de première importance, comme le premier grand essai d’histoire totale, traitant de la totalité d’une formation sociale économique, sociologique, et historique, voire culturelle, c’est à dire d’un espace-temps concret singulier et cohérent (en l’occurrence, l’Angleterre de 1500 à 1850) dont l’école historique des Annales de Marc Bloch popularisera la formule, environ 70 ans plus tard, ou les universitaires de gauche britanniques de Past and Present. Le Capital avait donc aussi une place légitime dans la culture bourgeoise de gauche, ou il l’avait jusqu’au triomphe américain des études post-modernes genrées ou décolonisées sous l'influence de l'antimarxiste déclaré Michel Foucault. Reste à savoir si ce statut de classique universitaire et académique n’a pas contribué à le rendre illisible dans les masses. Significativement, presque tous les historiens formés à ces écoles, surtout les Français, ont viré leur cuti à peu près au moment du triomphe de la troïka fatidique Thatcher Reagan Gorbatchev.

- Lire le Capital, de Karl Marx, oui, mais éviter la manière d’Althusser qui publia un ouvrage collectif de ce nom, Lire le Capital, au style obscur, rédigé avec ses élèves, maoïstes de Normale Sup, en 1967, pour le centenaire de la publication. Au minimum, un commentaire qui a pour but d’aider à la lecture d’un classique ne doit pas être encore plus difficile que son objet. Le style de celui-là est volontairement obscur, à moins que ses auteurs n’aient été complètement stupides. Mais ils ne pouvaient pas l’être puisqu’ils étaient élèves de l’ENS de la rue d’Ulm.

Le commentaire d’Althusser et de ses élèves, est non seulement pédant et illisible, mais révisionniste dans ses principes de base, qui cherchent à éliminer le coté dialectique du marxisme pour se rallier à la pensée creuse du structuralisme, point de vue stérile sur le plan politique, radicalement erroné sur le plan scientifique et tombé en désuétude partout, sauf dans les études universitaires gauchistes américaines de la french theory.

On peut penser aussi qu’un commentateur du Capital avait encore moins qu’un autre le droit d’assassiner sa femme. Le tueur en série Roberto Zucco aussi était marxiste, après tout, et il n’a pas fait école, heureusement.

- Cela dit, Althusser avait au moins raison de mettre les lecteurs en garde : l’édition du Capital par Maximilien Rubel, la plus diffusée dans le grand public cultivé, via la Pléiade et les éditions Gallimard est scandaleuse, en terme d’éthique. De quel droit l’éditeur se permet-il de renvoyer en note plus de 10 % du texte original, sous prétexte qu’il est constitué de citations ou d’adaptations de rapports d’inspecteurs de fabrique ? Et dans les livres 2 et 3, édités par Engels à partir des manuscrits de Marx, Rubel se sent pousser des ailes et se permet de modifier complètement l’ordre des manuscrits.

- La même année 1967, Guy Debord, théoricien aux grandes ambitions intellectuelles, publia La Société du Spectacle, qu’il présentait comme le nouveau Capital adapté à la critique de la société du XXème siècle. Très facile à lire, mais en fait de livre de critique scientifique, il s’agit d’une courte collection d’aphorismes dogmatiques, proférés d’un ton sentencieux vaguement nietzschéen, puisée à diverses sources incompatibles, dont la partie marxiste est largement recopiée chez Henri Lefebvre.

On ne peut pas soupçonner Debord de souffrir d’œillères universitaires, puisqu’il se vante de n’avoir jamais obtenu aucun diplôme, « à part l’exception insignifiante du baccalauréat », mais comme à l’en croire aussi il n’a jamais travaillé, son manque d'expérience de la production réelle ne le favorisait pas dans cette entreprise (Guy Debord faisait partie de ces gens préservés dans l'oisiveté qui ne savent pas qu’on ne peut pas s’enorgueillir de n’avoir pas fait quelque chose, si vilaine qu’elle soit).

Il ne suffit pas d’aimer la dialectique pour savoir la pratiquer. Pour lui, un peu comme le Saint-Suaire de Turin, « le capital est parvenu à un tel degré de concentration qu’il devient image ». Or on ne peut pas voir le capital, à moins d’abuser de substances hallucinogènes.

Il confondait la dialectique avec l’émission de propositions de cette sorte, aptes à frapper l ‘imagination mais complètement dépourvues de sens, bien dans le ton de ce à quoi s'était réduite, selon Ludwig Wittgenstein, la philosophie au XXème siècle.

- Enfin, sur le cas de Lucien Sève, Monsieur Philo du PCF pendant trente ans, il a participé au lancement de la nouvelle traduction du Capital que les ex ES diffusent maintenant en lieu et place de la traduction de Roy de 1872. Dans cette nouvelle version la vigueur classique du style du traducteur d’origine est complètement perdue, et le traducteur a eu le mauvais goût de remplacer le terme « plus-value » consacré par plus d’un siècle d’usage, par le néologisme « survaleur » .

Chez Lucien Sève, la dialectique n’a jamais été qu’une justification rhétorique pour faire dire à Marx ou à Lénine ce que les dirigeants du PCF voulaient entendre pour justifier leurs têtes-à-queues stratégiques, avant qu’il évolue vers le post-communisme et l’idéalisme religieux.

- Marx a été lu, relu, détourné, ce qui est le destin de tout auteur majeur; son étude classique du capitalisme dans son enfance doit être complétée pour être féconde aujourd’hui. Le monde, et le capitalisme des années 2020 ne sont plus ceux des années 1860, mais au-delà de ce truisme, il faut reconnaître le caractère visionnaire de l’œuvre de Marx, très en avance sur son temps, et son effet sur la réalité, y compris et surtout du coté des réactions de défense qu’il a provoquées dans le camp adverse.

Si on ne lisait qu’un seul gros livre dans sa vie, ce devrait être le volume 1 du Capital. Et si on prenait le parti de l’action pure, et on ne lisait plus rien du tout, les vingt premières pages du Manifeste du Parti Communiste seraient quand même un bon viatique pour l’existence.

GQ, 27 septembre 2021

 

PS L'évidence sociale, profondément ressentie dans les esprits qui n'ont pas été complètement lavés par l'idéologie, c'est qu'il y a des riches parce qu'il y a des pauvres. Il n'échappera pas à ceux qui ont fait quelques études secondaires et supérieures, que toute la culture scolaire (et médiatique) est orientée pour dénier cette évidence de l'expérience vécue et la remplacer par le mythe de la créativité des riches. Marx est celui qui rend la science et l'espoir de libération qu'elle éveille au peuple des travailleurs, celui des éternels " porteurs d'eau et coupeurs de bois" tel qu'il est défini dans le Bible.

 

 

 

Le billet de Jean-Michel Galano. Pétition de principe

On est tous supposés l’avoir appris sur les bancs du collège, voire de l’école primaire : prétendre résolu le problème qu’il nous est demandé de résoudre, poser comme démontré ce qui justement est à démontrer, ou comme allant de soi ce qui justement ne va pas de soi, cela constitue une faute de logique particulièrement grossière qui porte un nom : la pétition de principe. Et nos professeurs le soulignaient : ce n’est pas seulement une erreur, c’est une faute. Une faute où se révèlent à la fois le mépris des autres et la paresse d’esprit.

Or, quand Manon Aubry prétend, deux semaines avant la tenue du congrès du PCF à Marseille, que « les congrès ont eu lieu » et que le Nupes est confirmée dans sa forme actuelle par l’ensemble des partis de gauche, ou quand Marine Tondelier annonce « il y aura un candidat unique de la gauche aux présidentielles de 2027 », que font ces personnes sinon parler à la place des autres et chercher à créer le fait accompli en proférant de magnifiques « pétitions de principe » ?

Il est vrai que l’exemple vient d’en haut : Macron et Borne ont assez seriné qu’il n’y avait pas d’alternative à l’allongement su départ en retraite et que donc toute position alternative relevait de la « posture » et de la mauvaise foi. On connait ce genre de terrorisme, le « TINA » (there is no alternative) pour empêcher le débat démocratique, le clore avant qu’il est commencé.

Pétitions de principe, prophéties auto-réalisatrices, dénis de réalité  ou vulgaires tentatives pour tordre le bras du partenaire, quel que soit le nom qu’on leur donne, ces manières de faire relèvent d’une vieille façon de faire de la politique et d’artifices de propagande surannés. On s’étonne de les voir repris par des personnes qui par ailleurs appellent de leurs vœux un nouvel âge de la citoyenneté.

Jean-Michel Galano

Blog fédé. pcf Pyrénées Orientales

La prise de contrôle de First Bank accroit les craintes de récession aux USA

La prise de contrôle de la First Bank ajoute aux craintes d’une éventuelle récession aux États-Unis. Un expert met en garde contre un effet domino mondial. On mesure mal la manière dont la crise de liquidité aux Etats-Unis pays qui s’arroge la monnaie universelle fait peser actuellement un risque sur l’ensemble du système d’échange mondial et combien une grande part des gouvernements tentent de s’en prémunir, l’aspect politique nous masquant souvent les lignes sismiques sous lesquelles se tendent les rapports de forces. Par Global TimesPublié: Mai 01, 2023 09:05    Vue extérieure d’une succursale de la First Republic Bank à Millbrae, en Californie, aux États-Unis, le 24 avril 2023 Photo : Xinhua

Vue extérieure d’une succursale de la First Republic Bank à Millbrae, en Californie, aux États-Unis, le 24 avril 2023 Photo : Xinhua

Les régulateurs américains ont saisi lundi la First Republic Bank et conclu un accord pour en vendre la majeure partie à JPMorgan dans le but de « sauver » le prêteur en difficulté, tandis que les observateurs avertissent que cette approche « coup de taupe » n’aidera pas le système bancaire américain en difficulté, et que les retombées pourraient avoir un impact sur d’autres pays dans les prochains jours.

Ce développement, qui veut que pour la troisième fois le gouvernement américain prenne le contrôle d’un prêteur américain cette année, indique que la récente crise bancaire n’a pas été assainie malgré les efforts de sauvetage des régulateurs, les experts avertissant que d’autres banques pourraient suivre, ajoutant à l’anxiété d’une récession potentielle entraînant la plus grande économie du monde.

JPMorgan Chase & Co, le géant bancaire assumera 173 milliards de dollars de prêts et environ 30 milliards de dollars de titres détenus par First Republic Bank, dont 92 milliards de dollars de dépôts, selon un rapport de Reuters lundi, citant un communiqué de JPMorgan.

Les 84 succursales de First Republic seront rebaptisées et ouvriront normalement lundi.

Le département californien de la Protection financière et de l’Innovation a annoncé lundi matin qu’il avait pris possession de First Republic et que la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC) agirait en tant que séquestre.

La First Republic, basée à San Francisco, est la deuxième plus grande banque à faire faillite dans l’histoire des États-Unis. Les actions de la banque ont chuté de 97% cette année, selon un calcul de Reuters.

« La prise de contrôle indique que le problème est plus grave que prévu, car nous pensions que la crise avait été atténuée après le renflouement précédent », a déclaré lundi au Global Times un gestionnaire d’investissements d’une banque basée à Pékin.

Les grandes banques américaines avaient déjà injecté 30 milliards de dollars de dépôts dans la First Republic Bank en mars, après la faillite de la Silicon Valley Bank et de la Signature Bank qui avait ébranlé le secteur bancaire américain.

Maintenant que l’approche temporaire « whack-a-mole » s’est avérée inefficace, davantage de banques feront probablement faillite à l’avenir prises dans une crise de liquidité, a déclaré le gestionnaire, qui a demandé à rester anonyme.

« Le département du Trésor américain est encouragé dans son action par le fait que la situation de la First Republic Bank a été résolue au moindre coût pour le Fonds d’assurance des dépôts, et estime que le système bancaire américain reste solide et résilient », a déclaré lundi matin un porte-parole du Trésor.

Dans un discours prononcé en mars lors de l’examen des questions de la Silicon Valley Bank et de la Signature Bank, le président américain Joe Biden a déclaré qu’il allait demander au Congrès et aux régulateurs bancaires de renforcer les règles pour les banques afin de « rendre moins probable que ce type de faillite bancaire se reproduise et de protéger les emplois et les petites entreprises américains ».

« Le pire, c’est que l’administration Biden n’a peut-être aucun moyen de résoudre le dilemme – le cycle de hausse des taux d’intérêt de la Fed s’est poursuivi, et la hausse des taux a ébranlé la valeur des prêts consentis par la banque lorsque les taux étaient proches de zéro – donc plus de banques seront exposées à des risques, c’est inévitable », a déclaré Gao Lingyun, expert à l’Académie chinoise des sciences sociales de Pékin. a déclaré le Global Times lundi.

L’effondrement bancaire ajoutera également aux craintes d’une éventuelle récession aux États-Unis, a déclaré M. Gao, mettant en garde contre un effet domino mondial.

La croissance économique américaine a glissé au premier trimestre de 2023, le PIB augmentant à un taux annuel corrigé de l’inflation et des variations saisonnières de 1,1% de janvier à mars, un ralentissement significatif par rapport à la croissance de 2,6% du quatrième trimestre, selon un rapport du Wall Street Journal du 27 avril, citant des données du département du Commerce.

 

Prof. Michael Hudson: « Le FMI est un bras politique de l’armée américaine »

Dans le cadre de nos réflexions sur la Grèce et sur l’histoire, voici celle de Michael Hudson sur la manière dont les “élites” oublient les conditions de la production et connaissent la décadence de l’accumulation sans frein. Contribution à la chute de l’empire américain d’occident (note de danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

Date: 1 mai 2023Author: Ecole populaire de philosophie et des sciences sociales0 Commentaires

Mohsen Abdelmoumen :  Votre analyse de l’époque mésopotamienne et du sage règne des Empereurs incarné par la pratique du Jubilé (par rapport à la prédation des oligarchies) résonne avec la théorie économique islamique qui interdit le riba (c’est-à-dire l’usure) et impose que les banques et les créanciers partagent le risque de l’investissement ou de la dette. Il semble également que ce soit quelque chose de profondément ancré dans nos traditions arabes et nord-africaines d’égalité et de justice, où il est socialement inacceptable de laisser une partie de la communauté dans une pauvreté extrême. En tant qu’anthropologue, avez-vous relié le succès ou l’échec de la finance moderne à des facteurs anthropologiques tels que les structures des familles rurales ou les théories développées par des personnes comme Emmanuel Todd ?

Prof. Michael Hudson : J’ai écrit un long article sur Ibn Khaldoun, qui doit être publié, je pense, dans le périodique français M.A.U.S.S, en me focalisant sur son idée de l’entraide et sur le développement de cette vision par les Lumières écossaises du XVIIIe siècle, puis par l’Europe occidentale.

En écho au concept d’Aristote selon lequel l’homme est un « animal politique » (zoon politikon), la discussion préliminaire d’Ibn Khaldoun affirme que « l’homme a besoin de nourriture pour subsister », mais que la puissance de l’être humain individuel n’est pas suffisante pour lui permettre d’obtenir (la nourriture) ce dont il a besoin… Ainsi, il ne peut se passer de la combinaison de nombreuses forces parmi ses semblables, s’il veut obtenir de la nourriture pour lui et pour eux. Grâce à la coopération, les besoins d’un certain nombre de persona, plusieurs fois supérieurs à leur propre (nombre), peuvent être satisfaits.1 

La construction de communautés nécessite un sentiment d’identité commune – une polis, un peuple qui se reconnaisse. Dans le même ordre d’idées, Adam Ferguson a fait sienne la déclaration de Montesquieu dans L’esprit des lois (1748) : « L’homme naît dans la société, et c’est là qu’il demeure ». Pour survivre, les gens doivent coopérer au sein d’un système d’entraide. « L’homme est, par nature, le membre d’une communauté ; et considéré à ce titre, l’individu semble ne plus être fait pour lui tout seul. Il doit renoncer à son bonheur et à sa liberté, lorsque ceux-ci interfèrent avec le bien de la société. 2 » Lord Kames fait référence à « l’union intime entre une multitude d’individus, engendrée par l’agriculture »3, puis a poursuivi en parlant de l’élevage pastoral, de l’agriculture, de l’urbanisation et du commerce.

Après s’être initialement rassemblés avec un esprit de groupe, le défi était de préserver cette éthique face à une prospérité croissante. « L’amélioration ultérieure de leurs conditions et l’acquisition de plus de richesse et de confort qu’ils n’en ont besoin les amènent à se reposer et à se détendre », écrit Ibn Khaldoun. Le luxe s’ensuit, et « les personnes sédentaires s’occupent beaucoup de toutes sortes de plaisirs… Plus elles possèdent, plus les voies et les moyens de production de ces richesses s’éloignent d’elles. » Les habitants des villes « ne se préoccupent que de leur propre plaisir et de leur propre profit, sans se rendre compte de la nécessité d’un soutien mutuel.5 » Ferguson a également décrit comment la prospérité prépare le terrain pour miner les sociétés. En entrant dans la phase commerciale, l’homme prospère typique est revenu à un comportement égoïste, un individu « détaché et solitaire » « en concurrence avec ses semblables, et il les traite comme il le fait avec son bétail et sa terre, pour les profits qu’ils apportent. Le puissant moteur que nous supposons être à l’origine de la société ne tend qu’à mettre ses membres en concurrence ou à poursuivre leurs rapports après la rupture des liens d’affection.6 »

Il ne faut pas s’étonner que les élites financières modernes se comportent de la manière dont Ibn Khaldoun décrivait les dynasties décadentes : avec un égoïsme antisocial. La soif de l’argent transforme les hommes en homo economicus, les individus « libertaires » égoïstes idéalisés par les écoles autrichienne et de Chicago, dépourvus des sentiments « d’identité de groupe » qu’Ibn Khaldoun appelait ‘asabiyah, que Ferguson appelait « sentiment de camaraderie » et que l’anarchiste russe Peter Kropotkine appelait aide mutuelle.

La plupart des philosophes avaient anticipé que la richesse engendrerait l’égoïsme et l’orgueil, mais aucun n’était assez cynique pour prévoir que les élites réécriraient l’histoire pour dépeindre leur recherche du profit et du luxe non pas comme un déclin de la civilisation qui replonge dans la sauvagerie, mais comme un essor, voire comme l’état éternel de la société, une nature humaine intemporelle et constante. Les contrôles moraux de la collectivité, qui étaient autrefois considérés comme un moyen de consolider la solidarité sociale, sont désormais dénigrés comme un détournement de l’esprit « naturel » de recherche personnelle.

L’armée de partisans académiques du secteur financier nie qu’il y ait jamais eu un avantage social à annuler les dettes à l’échelle de l’économie. Cela explique en partie pourquoi l’assyriologie et l’histoire de la Mésopotamie de l’âge du bronze restent en dehors du programme universitaire normal : leurs conclusions vont à l’encontre de l’idéologie financière de notre époque et montrent que la dette et les marchés ne doivent pas fonctionner de manière à appauvrir la société. Nous sommes donc ramenés à la question principale dont les philosophes ont débattu pendant des milliers d’années : la nécessité pour une autorité publique avisée de supplanter les mécanismes du « libre marché », en privilégiant le renouvellement de l’équilibre et de la croissance économiques par rapport à la volonté financière d’engloutir l’économie dans la dette et la dépendance.

Comment votre analyse exceptionnelle de Rome en tant qu’hégémon dirigé par une oligarchie utilisant la guerre et la dette pour dominer la Méditerranée peut-elle nous aider à comprendre le type de domination des pays occidentaux sur le monde au cours des derniers siècles, que ce soit par le biais des Empires coloniaux ou de l’exceptionnalisme américain ?

La Grèce classique et Rome ont rompu radicalement avec la tradition proche-orientale des Clean Slate (ndlr : littéralement Ardoises Propres, peut être traduit par « table rase ») périodiques qui annulaient les dettes agraires et personnelles, libéraient les esclaves et rendaient les terres autonomes qui avaient été confisquées ou vendues sous la contrainte économique. Il n’y avait pas de tradition d’ardoises propres. L’accumulation de dettes, la perte de terres et de liberté étaient rendues irréversibles. En conséquence, les économies se sont scindées entre créanciers et débiteurs.

La Grèce et Rome ont connu plusieurs siècles de révolution sociale exigeant l’annulation de la dette et la redistribution des terres. Les leaders qui défendaient ces idées ont été assassinés tout au long de la République romaine.

L’Antiquité classique a légué à la civilisation occidentale ultérieure la structure juridique et politique d’oligarchies créancières polarisant l’économie, et non la démocratie au sens de structures et de politiques sociales favorisant une prospérité générale largement répandue. La grande transition de l’Antiquité vers le monde moderne a consisté à remplacer la royauté non pas par des démocraties mais par des oligarchies ayant une philosophie juridique favorable aux créanciers. C’est cette philosophie qui a permis aux créanciers de s’approprier les richesses, sans se soucier de rétablir l’équilibre économique et la viabilité économique à long terme, comme cela s’est produit au Proche-Orient grâce aux Clean Slate. Dans la mesure où les « démocraties de marché libre » d’aujourd’hui ont une planification économique, elle est de plus en plus le fait du secteur financier qui cherche à concentrer entre ses mains autant de revenus, de terres et d’argent que possible, aux dépens de l’ensemble de la population endettée.

Comme je l’ai résumé dans mon livre à paraître en janvier, The Collapse of Antiquity, ce sont les dynamiques oligarchiques que les propres historiens de Rome ont rendu responsables du déclin et de la chute de la République. L’effondrement final de Rome a été le précurseur des nombreuses crises de la dette et de l’austérité qui en découle, provoquées par les oligarchies occidentales successives. Les lois et l’idéologie pro-créanciers de l’Occident rendent inévitables les crises de la dette répétées qui transfèrent la propriété et le contrôle du gouvernement aux oligarchies financières. C’est pourquoi la connaissance de l’histoire économique du Proche-Orient de l’âge du bronze et de l’Antiquité classique est si importante – pour démontrer qu’il existe bien une alternative aux oligarchies rentières, et qu’elle a réussi sur des périodes de temps assez longues. Mais comme l’Occident a succombé aux stratégies oligarchiques pour neutraliser les contrôles du pouvoir financier, il dépeint la dynamique de l’oligarchie comme le fonctionnement d’un marché libre maximisant l’efficacité économique, comme s’il n’existait aucune politique capable de résister à la division économique qui en résulte.

Depuis les souverains sumériens et babyloniens jusqu’à Ibn Khaldoun et Vico, le concept de temps de la société était circulaire. L’accumulation de la dette était réversible. Les proclamations royales restauraient le statu quo ante, idéalisé comme un état de choses « originel » dans lequel les citoyens subvenaient à leurs besoins et partageaient un accès égal à leurs moyens de subsistance.

Le concept de progrès de la civilisation occidentale est synonyme d’irréversibilité. Les moyens de subsistance ou le bien commun ne peuvent être récupérés une fois qu’ils sont vendus ou confisqués pour cause de dette. Cette irréversibilité des réclamations des créanciers polarise les économies d’aujourd’hui. Notre société est prête à permettre ce que les sociétés antérieures ne pouvaient se permettre : l’appauvrissement, la dépendance et l’émigration de larges pans de la population. Ni les modèles économiques dominants ni l’idéologie politique ne considèrent le « progrès » de la dette, la polarisation économique, l’instabilité ou la pollution environnementale comme des dimensions significatives de la politique publique.

La plupart des peuples anciens avaient un sens de l’équité fondé sur l’entraide et l’autonomie populaire pour cimenter les liens sociaux. Pour remplacer cette éthique par des lois orientées vers les créanciers, il était nécessaire de les dépeindre comme étant dans l’intérêt du public, sans tenir compte de la pauvreté que cela engendrait. Cela signifiait en fin de compte faire l’éloge de la recherche de la richesse et du caractère sacré de la dette, tout en s’opposant à des gouvernements suffisamment puissants pour promulguer des lois anti-usure et effacer les dettes.

Quelles sont vos principales recommandations à Sergey Glazyev et aux personnes impliquées dans la création d’un nouvel ordre financier et monétaire afin de créer un système plus équitable et plus juste ? Nous ne sommes pas totalement rassurés que ce travail aille dans la bonne direction puisque vous avez comparé leur cadre aux recommandations de Keynes à Bretton Woods, et nous savons en même temps que Keynes était un membre de l’oligarchie britannique et de la Fabian society malthusienne et l’architecte financier du désastreux traité de Versailles.

Keynes voyait le problème des paiements de dettes internationales qui faisaient s’effondrer les taux de change, étouffant les économies des pays débiteurs. J’en ai parlé dans Trade, Development and Foreign Debt, et aussi dans mon Super Imperialism. La Grande-Bretagne a été confrontée à ce problème, et a été dûment anéantie par la politique américaine au cours des années 1950.

L’idée de base de la MMT – (Théorie Monétaire Moderne) une école postkeynésienne – est que les gouvernements n’ont pas besoin d’emprunter pour dépenser de l’argent. Ils peuvent créer de la monnaie tout comme les banques créent du crédit. Les gouvernements n’ont pas besoin de laisser les banques créer du crédit pour leur prêter à intérêt. Cette vision de « l’argent dur » est non scientifique et non historique.

La clé pour créer n’importe quel type de monnaie, y compris une alternative négociée au dollar américain, est de la faire accepter en paiement par les gouvernements qui rejoignent l’alliance monétaire. Cela nécessite la création d’une institution monétaire internationale alternative au FMI, qui est devenu un bras politique de l’armée américaine.

Pouvez-vous partager votre analyse concernant l’ironie du dernier prix Nobel attribué à Bernanke pour son travail sur l’assouplissement quantitatif et le renflouement des banques trop grosses pour faire faillite (et indirectement pour la mise en œuvre de cette théorie pour sauver le système en 2008) dans une période de révolte mondiale contre les 0,01% qui gouvernent le monde occidental, que ce soit à l’extérieur de l’Occident ou à l’intérieur des sociétés occidentales ?

Le prix Nobel de la « science » économique est en réalité un prix idéologique pour l’économie de « libre marché » de droite du néolibéralisme de l’Université de Chicago. Son postulat est que les économies se stabilisent d’elles-mêmes sans aucune réglementation gouvernementale, que l’on appelle « ingérence ». Il s’agit d’un argument en faveur de la privatisation et de la financiarisation.

L’attribution d’un prix à Bernanke reflète le principe de l’économie de pacotille selon lequel l’inflation est causée par des salariés qui gagnent trop d’argent. Il n’y a aucune reconnaissance de la rente de monopole ou d’autres formes de rente économique en tant que « revenu non gagné », c’est-à-dire un prix sans coût-valeur inhérent. Le principe de Bernanke est celui des banques centrales qui sont contrôlées par le centre bancaire commercial : la solution à tout problème est de baisser les salaires et le niveau de vie de la main-d’œuvre. Il n’existe aucun concept de corrélation entre la hausse des salaires et la hausse de la productivité du travail.

Ce n’est pas de l’économie scientifique. C’est une guerre de classe politique.

Mon pays, l’Algérie, a été l’un des leaders du Mouvement de non-alignement pendant ses 20 premières années d’indépendance en mettant en œuvre un système socialiste avec une finance étatique, un commerce international et une industrie qui ont conduit à une forte croissance sociale et économique. Au cours des 40 dernières années, nous avons connu 20 ans de libéralisation, fortement influencés par le consensus de Washington, puis 20 ans de prédation avec un commerce international et des marchés publics monopolisés par les oligarques. Heureusement, nous avons encore quelques éléments de souveraineté économique comme les banques et industries publiques, la non-convertibilité de notre monnaie, l’absence de marchés financiers, les terres appartenant à l’État et une banque centrale contrôlée par le Gouvernement. Les Algériens sont également extrêmement réticents à prendre des risques en matière de crédit et de dette. Quel type de système économique conseilleriez-vous à un gouvernement patriotique pour un pays de taille moyenne comme l’Algérie ?

Toutes les économies prospères de l’histoire ont été des économies mixtes publiques/privées. Les infrastructures devraient avoir un caractère public. Son but ne devrait pas être de faire des profits (ou une rente économique), mais de fournir des besoins de base librement comme droits fondamentaux, ou au moins sur une base subventionnée afin de réduire le coût de la vie et des affaires dans l’économie.

L’infrastructure la plus importante qui doit être laissée aux mains des pouvoirs publics est le système de monnaie et de crédit. L’objectif est de créer du crédit pour financer l’économie « réelle » de production et de consommation. Les banques commerciales créent du crédit pour acheter des actifs déjà en place – principalement des logements déjà construits, et des actions et obligations déjà émises. L’effet est de gonfler le prix des actifs. Cela augmente le coût du logement et aussi l’accès à la propriété des entreprises – surtout la propriété des privilèges de monopoles qui extorquent des rentes.

Mon récent ouvrage intitulé The Destiny of Civilization expose mes idées dans ce sens.  Pour suivre les progrès de l’économie, il faut une alternative au PIB et à la comptabilité du revenu national, afin d’isoler les activités de recherche de rente – rente foncière, rente des ressources naturelles et rente de monopole (y compris les intérêts et les frais financiers) – comme des paiements de transfert, et non comme un « produit ».

En outre, une série de mesures des prix devrait être introduite pour distinguer l’inflation des prix des actifs de l’inflation des prix des produits de base. Cela devrait servir de guide à la politique fiscale pour imposer la rente économique comme un revenu non gagné.

Interview réalisée par Mohsen Abdelmoumen

 1Ibn Khaldun, Muqaddimah, p. 89 (Arab ms. I, 68-69).

2 Adam Ferguson, Essay on the History of Civil Society [1767], 8th ed. (1819), Section IX: Of National Felicity, p. 105. He adds (pp. 4-5): “both the earliest and the latest accounts collected from every quarter of the earth, represent mankind as assembled in troops and companies.” (Les récits les plus anciens et les plus récents, recueillis aux quatre coins du monde, représentent l’humanité assemblée en troupes et en compagnies).

3Lord Kames, Sketches on the History of Man (1774). His scheme divided human history into four stages : hunter-gathering, pastoral herding, agriculture and commerce (Son schéma divise l’histoire de l’humanité en quatre étapes : chasse et cueillette, élevage pastoral, agriculture et commerce).

4 Ibn Khaldun, Muqaddimah, p. 249.

5 Ibid., pp. 254f, 258f.

6 Ferguson, History of Civil Society, p. 34.

Source : https://mohsenabdelmoumen.wordpress.com/2022/11/09/prof-michael-hudson-the-imf-has-become-a-political-arm-of-the-u-s-military/

Qui est Michael Hudson ?

Le Professeur Michael Hudson est analyste financier et président de l’Institute for the Study of LongTerm Economic Trends. Il est professeur de recherche distingué en économie à l’université de Missouri-Kansas City et professeur à l’école d’études marxistes de l’université de Pékin, en Chine.

Le professeur Hudson exerce en tant que conseiller économique auprès des gouvernements du monde entier, dont la Chine, l’Islande et la Lettonie, et est consultant auprès de l’UNITAR, de l’Institut de recherche en politiques publiques et du Conseil canadien des sciences, entre autres organisations. Alors qu’il était au Hudson Institute, il a publié des études sur la réforme monétaire mondiale, les implications de la crise énergétique sur la balance des paiements, le transfert de technologie et d’autres sujets connexes pour l’Energy Research Development Agency, le National Endowment for the Humanities et d’autres agences américaines. Il a été directeur de la recherche économique à l’École supérieure de droit de Riga et a fait partie de la faculté d’études supérieures de la New School for Social Research, a été conférencier invité à l’École d’économie de Berlin et a été chercheur invité à l’Université de New York. En collaboration avec le Peabody Museum de l’université Harvard, il a dirigé une équipe de recherche archéologique sur les origines de la propriété privée, de la dette et de l’immobilier. Ce groupe a publié cinq colloques sur les origines de la civilisation économique dans l’ancien Proche-Orient.

Michael Hudson a écrit ou édité plus de 10 livres sur la politique de la finance internationale, l’histoire économique et l’histoire de la pensée économique, dont : Super-Imperialism: The Economic Strategy of American Empire (Editions 1968, 2003, 2021), ‘and forgive them their debts’ (2018), J is for Junk Economics (2017), Killing the Host  (2015), The Bubble and Beyond (2012), Trade, Development and Foreign Debt (1992 & 2009) et of The Myth of Aid (1971), et beaucoup d’autres. Ses ouvrages commerciaux ont été traduits en japonais, chinois, allemand, espagnol et russe. Il siège au comité de rédaction de Lapham’s Quarterly et a écrit pour le Journal of International Affairs, Commonweal, International Economy, Financial Times et Harper’s. Il contribue régulièrement à CounterPunch.

Son site officiel : https://michael-hudson.com/

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