Un débat télévisuel et la comédie humaine par danielle Bleitrach
QUE DIRE DE CE DÉBAT ?SANS ILLUSION AUCUNE, POUR BATTRE SARKOZY, PRÊTER SA VOIX A HOLLANDE MAIS NE PAS LA DONNER !
Il est probable, c’est l’exercice obligé que chacun y lira la
victoire de son candidat. Sarkozy sera vu plus sincère et il est vrai
que son monstrueux et maladif appétit du pouvoir ne pouvant se masquer,
l’homme était plus lisible, peut-être est un atout? Sarkozy est le héros
de Balzac, Rastignac, celui dont le modèle fut monsieur Thiers capable
de tout pour compenser sa petite taille et ses illusions tôt perdues, de
tout jusqu’au 100.000 morts communards. On ne s’ennuie pas avec de
tels personnages et la violence de ce qui les meut peut séduire quand la
politique est devenue du spectacle vivant. Quand les procédures
d’élection du poste pharaonique qu’est la présidence française inclut un
voyeurisme comparable à celui qui poussait l’anglais à suivre tous les
soirs le cirque en espérant que le dompteur serait mangé par le lion.
Ce spectacle s’accorde avec la Constitution monarchique qui fait de
l’élection présidentielle au suffrage universel un simple plébiscite
autour d’un homme. Et le processus atteint son paroxysme quand les vices
de l’homme rejoignent ceux des institutions et du jeu médiatique.
La sincérité de Sarkozy: le cynisme du prédateur tient lieu de franchise
Il est clair que les qualités que l’on peut exiger d’un président de
la République ne sont pas celles qui sont requises pour une telle
prestation. Le côté tueur, gladiateur dans l’arène, exhibitionniste de
son taux de testotérone qui fait l’intérêt du spectacle, démontre plus
que jamais à quel point l’élection du président de la République au
suffrage universel fut une dérive dont il est difficile désormais de
s’abstraire et ce alors même que le pays est menacé. Cela suppose
des tactiques où il convient à la fois d’effrayer mais à la marge,
d’inventer des périls face auxquels le gladiateur Rambo se présente
comme un rempart et dans le même temps pratiquer la pire des démagogies
pour que surtout rien ne change. Parce que une classe qui joue sa survie
et sa permanence a trouvé celui dont la personnalité s’accommode le
mieux de sa soif d’accumulation. Et là nous rejoignons la Comédie
Humaine.
La sincérité de Sarkozy c’est comme celle que décrit Balzac, l’argent
en est le ressort et monsieur Thiers, pauvre, termine une des plus
grandes fortunes de Paris. Là encore il colle à l’époque cette avidité
peut passer pour de l’energie comme chez Tapie et même de la franchise.
Dans ce contexte Sarkozy paraissait fait exprès pour le rôle,
sincérité? Perversion narcissique dans laquelle le sujet agit comme un
prédateur qui substitue le besoin d’être obéi au désir d’être aimé, et
qui pour l’obtenir pourra aller jusqu’à détruire l’identité de sa
victime par la manipulation et le harcèlement. L’énergie qui anime
Sarkozy est là, dans cette confusion entre la demande d’amour et celle
de domination, de manipulation, est-ce que la France n’en a pas assez
d’être sadisée? Ce qui est sûr c’est que le “débat”, cette grande messe
médiatique semble tout exprès conçu pour que cette perversion exerce ces
effets et la “sincérité” de Nicolas Sarkozy, sa “compétence” d’homme de
pouvoir vantées par son camp et par sa porte parole(de plus en plus
dévorée de l’intérieur) relèvent de ce mal qui transforme la France en
femme battue. Le mécanisme est simple, certes je n’ai pas rempli mes
engagements mais je suis le seul à pouvoir t’assurer protection, l’autre
n’ayant aucune expérience de la maîtrise et de la manipulation… Ce qui
suppose la réélection à l’infini… Et l’acceptation des coups contre
protection.
Scènes de la vie de province; quand le capitalisme revendique les vertus de l’épargne
En revanche Hollande que l’on avait présenté comme “mou”, donnait le
sentiment d’une fermeté intravertie que rien ne pouvait entamer. Si
Sarkozy c’était Rastignac-Thiers “à nous deux Paris”, Hollande joue
volontairement dans l’autre registre celui des scènes de la vie de
province, celle où l’on compte chaque sou, parce que ce qui unit les
deux hommes est là comme chez Balzac, un certain respect de celui qui
possède, de l’épargne qui préside à l’accumulation. La caractéristique
qui s’impose est cet homme est “pondéré”, ce qui lui confère du poids
et de la modération. En l’écoutant, en le voyant réciter de tête le
livre des compte de la France, on comprenait mieux sa référence à Pierre
Bérégovoy, avec ce goût besogneux pour les dossiers et les chiffres
exacts. Et l’obstination sur le franc fort aussi! Par moment d’ailleurs
je quittais le ring tant l’expertise dévissait au-dessus de ma tête mais
en général j’ai tenté de suivre avec application et il m’est apparu que
François Hollande avait raison en ce qui concerne l’exact des
références. Sarkozy avait pris l’habitude du pouvoir celui du consensus
au milieu de gens qui ne contrediront pas son hypothèse fondamentale, ce
sont les riches qui assurent la prospérité d’un pays ou le fameux
théoreme de Schmidt: ce sont les profits qui assurent les emplois de
demain. habitude du pouvoir que ces dossiers que l’on maîtrise mal et
dont on est assuré qu’il se trouvera toujours un petit fort en thème
pour conforter votre opinion et vous sortir le chiffre qui vous donne
raison. Hollande était d’une autre trempe, celle d’une province
suffisamment proche de Paris (comme la Bourgogne des paysans chez
Balzac) assez pour que l’ENA paraisse le débouché naturel des enfants du
père Grandet. Un appétit du pouvoir mais qui sait se réfreiner et ne
prétend pas nous séduire pour mieux nous sadiser, le Français honnête
homme et aux racines paysannes revendiquées, la force tranquille sur
fond de village.
Il est bien pauvre celui qui ne peut mentir
Ce qui fait que Sarkozy n’ayant que le mot “menteur” à la bouche a pu
être plusieurs fois pris en flagrant délit de mensonge tant en ce qui
concerne ses liens personnels avec les bailleurs de fond, qu’en ce qui
concerne sa politique de dons aux mêmes (le bouclier fiscal) et qui dans
un temps relativement bref a accru l’endettement contre lequel il
prétend lutter. Ainsi quand il est dit :”La dette a augmenté de 500
milliards d’euros. (…) La cour des comptes dit que sur ces 500
milliards, 450 sont imputables au déficit structurel. Et 200 milliards,
c’est la crise.”il y a erreur du chef de l’Etat comme le note le Nouvel
Observateur. La dette (au sens de Maastricht) était de 1.717 milliards
fin 2011, selon l’Insee, et de 1.209 milliards fin 2007, soit une
augmentation de 508 milliards d’euros. Que dit le dernier rapport des
magistrats de la Cour des comptes sur la question ? Le déficit, qui
chaque année creuse la dette, a atteint 7,1% du Produit intérieur brut
(PIB) en 2010. Sur ces 7,1%, 2,7 points sont dus à la crise, 3,7 points
sont des déficits structurels, résultats des politiques de gauche et de
droite depuis des décennies… et 0,7 point des déficits structurels
provoqués par la politique de Nicolas Sarkozy. On peut donc attribuer un
peu moins de 10% du déficit à sa politique.Mentir en escomptant que
cette bataille de chiffres comme bien d’autres affirmations passera
au-dessus de la tête du téléspectateur fait partie du système même à ce
niveau vague qui ne met pas réellement en cause le rapport de classe et
la manière dont il pèse sur la dette. hollande au moins a le souci
comptable d’exposer les chiffres et les rapports d’experts.
Mais il a aussi une capacité réthorique qui ne le cède à l’autre en
violence et pas toujours sur le fond. il est clair que le système ne
s’accommode que de “tueurs”. Ainsi en fut-il quand il porta l’estocade :
Abordant la question de la présidentialité, François Hollande s’est
lancé dans une scansion remarquable enchaînant pas moins de 15 phrases
commençant par “Moi, président…”, attaquant à chaque fois des points de la présidence Sarkozy. “Moi
président de la République, je ne serai pas le chef de la majorité, je
ne recevrai pas les parlementaires de la majorité à l’Élysée. Moi,
président de la République, je ne traiterai pas mon premier ministre de
‘collaborateur’…”. Une tirade d’autant plus percutante que M.
Sarkozy a laissé son rival la dérouler sans l’interrompre une seule fois
comme accablé et conquis par la force.
Sans parler des deux “animateurs” dont on se demande encore par quel
miracle ils ont prétendu jouer un rôle sur ce décor de star war… Sans
jamais prétendre bousculer les règles d’un jeu codifié… Ne sont-ils pas
l’illustration de l’inanité de cette élection ?
Pourtant il faut aller voter et battre Sarkozy
Nul doute qu’il se soit trouvé hier et j’en fais partie beaucoup de
Français qui n’ayant aucun goût pour être les victimes d’un pervers
narcissique choisissent cette autre sincérité tout aussi travaillée que
la première, celle qui revendique les vertus paysannes et la compétence
de celui qui s’acharne sur le détail, négocie âprement mais avec calme
comme sur un marché de bestiaux. C’est ce qu’il a promis de plus
essentiel : user du pouvoir avec modération en laissant les équilibres
de la société civile et des institutions jouer de leur créativité. Et ce
dès le début, quand il a repris Sarkozy sur la tranquillité de son
quinquennat en l’attribuant à la longue patience de ceux qui ont joué le
jeu démocratique comme réponse au mépris, à l’arrogance, à la volonté
de diviser pour mieux régner.
Parce que je ne parlerai pas de l’opposition des programmes, sur ce
point je ne suis pas convaincue qu’il y ait opposition véritable. La
seule, la vraie est le choix de la croissance pour faire face à
l’endettement, je partage, mais on sait que ce choix nécessaire sera
déterminé par le consensus européen avec ses limites, le rôle de la BCE.
Il est difficile voir impossible de faire bouger les lignes, celle de
la politique allemande, celles des réponses à la crise de la dite
Europe, elles ne dépendent pas du choix de tel ou tel ou pas seulement,
tout cela est inscrit dans des institutions, qui comme l’élection du
président de la République française au suffrage universel, entraînent
des réponses néo-libérales qui veulent que l’on saigne le malade quand
la récession le frappe comme jadis les médecins de Molière exigeaient la
saignée face à l’anémie. De ce point de vue dans le “duel” de ces deux
personnalités je n’ai rien entendu qui témoignât d’une véritable volonté
de rupture avec le traitement. Sur l’éducation? Là encore le diagnostic
de Hollande était plus exact sur le délabrement. Mais il faut être
aussi comédien et menteur que le sont cette palinodie électorale et
Sarkozy lui-même pour voir en Hollande une rupture quelconque avec le
système, le grand retour des “partageux”. Tout au plus un peu moins
d’ostentation dans le syphonnage des pauvres et des couches moyennes par
les grandes fortunes…
Le problème reste celui du contexte. Dans l’univers de la rumeur qui
est celui de cette médiocre campagne, on a entendu ces derniers jours
que les dirigeants conservateurs européens y compris madame Merkel
discutaient en sous main avec le supposé vainqueur de la joute (le nom
du négociateur avec l’Allemagne a été même avancé, nié et redit comme
futur premier ministre, Eyraud) et espéraient que le changement de
président permettrait une réorientation vers la croissance.
Sans illusion aucune prêter sa voix mais ne point la donner…
J’ai placé cette réflexion sur un débat sous le patronage d’un des
plus grands écrivains français Balzac et sa comédie humaine. Marx
l’admirait parce qu’il avait su mettre le ressort de toute la société
française : l’argent, le capital, l’épargne. Marx qui voyait en la
France le pays de la lutte des classes était exaspéré par la manière
dont les Français paraissaient ignorer les déterminations au sein
desquels ils devaient agir, intervenir, il y avait le capital mais aussi
se plaignait-il la manière dont la France ne voyait pas le poids des
institutions, ce que leur imposait une Constitution, un régime
électoral. IL ajoutait cette nation si politique qu’en France, Kant
devient Robespierre est aussi celle d’émeutiers qui se laissent gruger
et à propos de la révolte de 1848, il eut ce mot :”Tandis qu’aux jardins
du Luxembourg on cherchait la pierre philosophale, à l’Hôtel de ville
on battait déjà la monnaie”. Pourquoi ai-je eu l’impression en écoutant
ces deux hommes s’affronter à coup de chiffre que quelque part déjà “les
possédants” était en train de battre monnaie pour mieux extraire demain
le sang des pierres et le profit de la misère?
Cette société où toujours plus on nous invitera à perdre notre âme et
nos ressources dans les paillettes de la consommation et de l’inutile
tandis que l’on nous privera de l’essentiel. Où on nous excitera sur le
dernier portable et une de ses fonctions censées assurer la
communication, tandis que nous ne pourrons plus assumer les frais
dentaires et les vieillards mourront dans la solitude, les urgences
seront débordées et tout le monde baissera les bras… La solidarité
intergénérationnelle sera rompue et la haine jetera les identités
inventées les unes contre les autres. Il est clair que Sarkozy a fait
son choix, il correspond à sa propre névrose autant qu’à la classe qui
le finance et nous mène à l’hystérisation, à la violence. Le propos de
Hollande est plus rassurant mais les garanties qu’il en sera autrement
sont faibles. Tout dépend du rapport des forces. le véritable danger est
qu’à la sortie alors de son quinquennat, le désespoir conduise ceux qui
seraient demeurés spectateurs à suivre le pire. Là encore l’opposition
entre Sarkozy et Hollande est celle du conflit à la Faust, entre le
capital qui est épargne pour mieux accumuler et le capital devenu
dépense folle, bling bling, luxe insolent jeté sur l’air des bijoux pour
séduire. mais ce conflit à la Faust dont parle Marx est largement
dépassé au stade où se joue la survie. Quel que soit le choix nous
serons confrontés à la nécessité d’une transformation profonde que le
débat se devait de ne jamais poser.
Comme d’ailleurs la partie internationale pour ceux qui étaient
encore réveillés frisa l’indigence et témoigna de fait de ce consensus
français pour les aventures à la Libyenne où se mêlent les fumets du
pillage colonial, la référence à l’humanitaire et à l’universel pour
masquer les racines et entraîner l’adhésion de celui qui refuse de voir
plus loin que de ses intérêts immédiats, de son petit pécule et qui à ce
titre sera toujours prêt à taper sur plus pauvre que lui. Autant quand
les journalistes avaient jeté le morceau de viande de l’immigration, les
passions animales parurent se réveiller autant le contexte
international sans lequel cette question de l’immigration perd son sens
fut l’occasion d’une retombée des énergies. L’électoralisme avait encore
frappé, puisqu’il est admis que l’un passionne “l’opinion” et l’autre
n’a pas d’incidence sur le choix. le pire analphabétisme est sans doute
politique tant il ignore les causes qui pèsent réellement sur le prix de
la vie quotidienne. Le sarkozysme est l’entretien aussi de cet
analphabétisme.
Le débat étant ce qu’il était, un spectacle il n’a fait que confirmer
mon choix, je ne voulais plus de ce jeu pervers qui depuis 5 ans
s’exerçait sur la France et j’étais prête non à me laisser séduire par
l’autre, c’était la séduction elle-même que je récusais car elle se base
sur la capacité à tuer l’autre pour que rien ne change mais d’espérer
qu’il me sortirait de ce tourbillon sarkozien. Ce gouffre politicien est
celui dans lequel s’anéantit la volonté citoyenne au moment même où
tout dépend de plus en plus de l’intervention populaire.
Dimanche je tenterai de battre Sarlozy, la rencontre entre l’âpreté
d’un homme et celle d’une classe sociale impitoyable. Pour cela je
prêterai ma voix à Hollande mais je ne la lui donnerai pas. Si les mots
ont un sens je crois que Hollande, le pondéré, est plus capable de
comprendre la nuance que l’autre qui chausse le pouvoir comme une
obsession, n’en démord pas et n’a plus soif que de cette eau croupie qui
seule le désaltère. Encore une citation de Balzac pour décrire la
passion qui anime certains de ses héros… mais c’est une frêle espérance
dans la tempête…
Danielle BLEITRACHPublié sur "Histoire et société", le blog de Danielle