jeudi 3 mai 2012

SANS ILLUSION AUCUNE, PRÊTER SA VOIX, MAIS NE PAS LA DONNER



Un débat télévisuel et la comédie humaine par danielle Bleitrach

Un débat télévisuel et la comédie humaine par danielle Bleitrach QUE DIRE DE CE DÉBAT ?

SANS ILLUSION AUCUNE,  POUR BATTRE SARKOZY,  PRÊTER SA VOIX A HOLLANDE MAIS NE PAS LA DONNER !


Il est probable, c’est l’exercice obligé que chacun y lira la victoire de son candidat. Sarkozy sera vu plus sincère et il est vrai que son monstrueux et maladif appétit du pouvoir ne pouvant se masquer, l’homme était plus lisible, peut-être est un atout? Sarkozy est le héros de Balzac, Rastignac, celui dont le modèle fut monsieur Thiers capable de tout pour compenser sa petite taille et ses illusions tôt perdues, de tout jusqu’au 100.000 morts  communards. On ne s’ennuie pas avec de tels personnages et la violence de ce qui les meut peut séduire quand la politique est devenue du spectacle vivant. Quand les procédures d’élection du poste pharaonique qu’est la présidence française inclut un voyeurisme comparable à celui qui poussait l’anglais à suivre tous les soirs le cirque en espérant que le dompteur serait mangé par le lion.
Ce spectacle s’accorde avec la Constitution monarchique qui fait de l’élection présidentielle au suffrage universel un simple plébiscite autour d’un homme. Et le processus atteint son paroxysme quand les vices de l’homme rejoignent ceux des institutions et du jeu médiatique.
La sincérité de Sarkozy: le cynisme du prédateur tient lieu de franchise
Il est clair que les qualités que l’on peut exiger d’un président de la République ne sont pas celles qui sont requises pour une telle prestation. Le côté tueur, gladiateur dans l’arène, exhibitionniste de son taux de testotérone qui fait l’intérêt du spectacle, démontre plus que jamais à quel point l’élection du président de la République au suffrage universel fut une dérive dont il est difficile désormais de s’abstraire et ce alors même que le pays est menacé. Cela suppose des tactiques où il convient à la fois d’effrayer mais  à la marge, d’inventer des périls face auxquels le gladiateur Rambo se présente comme un rempart et dans le même temps pratiquer la pire des démagogies pour que surtout rien ne change. Parce que une classe qui joue sa survie et sa permanence a trouvé celui dont la personnalité s’accommode le mieux de sa soif d’accumulation. Et là nous rejoignons la Comédie Humaine.
La sincérité de Sarkozy c’est comme celle que décrit Balzac, l’argent en est le ressort et monsieur Thiers, pauvre, termine une des plus grandes fortunes de Paris. Là encore il colle à l’époque cette avidité peut passer pour de l’energie comme chez Tapie et même de la franchise.  Dans ce contexte Sarkozy paraissait fait exprès pour le rôle, sincérité? Perversion narcissique dans laquelle le sujet agit comme un prédateur qui substitue le besoin d’être obéi au désir d’être aimé, et qui pour l’obtenir pourra aller jusqu’à détruire l’identité de sa victime par la manipulation et le harcèlement. L’énergie qui anime Sarkozy est là, dans cette confusion entre la demande d’amour et celle de domination, de manipulation, est-ce que la France n’en a pas assez d’être sadisée? Ce qui est sûr c’est que le “débat”, cette grande messe médiatique semble tout exprès conçu pour que cette perversion exerce ces effets et la “sincérité” de Nicolas Sarkozy, sa “compétence” d’homme de pouvoir vantées par son camp et par sa porte parole(de plus en plus dévorée de l’intérieur) relèvent de ce mal qui transforme la France en femme battue. Le mécanisme est simple, certes je n’ai pas rempli mes engagements mais je suis le seul à pouvoir t’assurer protection, l’autre n’ayant aucune expérience de la maîtrise et de la manipulation… Ce qui suppose la réélection à l’infini… Et l’acceptation des coups contre protection.
Scènes de la vie de province; quand le capitalisme revendique les vertus de l’épargne
En revanche Hollande que l’on avait présenté comme “mou”, donnait le sentiment d’une fermeté intravertie que rien ne pouvait entamer. Si Sarkozy c’était Rastignac-Thiers “à nous deux Paris”, Hollande joue volontairement dans l’autre registre celui des scènes de la vie de province, celle où l’on compte chaque sou, parce que ce qui unit les deux hommes est là comme chez Balzac, un certain respect de celui qui possède, de l’épargne qui préside à l’accumulation. La caractéristique qui s’impose  est cet homme est “pondéré”, ce qui lui confère du poids et de la modération. En l’écoutant, en le voyant réciter de tête le livre des compte de la France, on comprenait mieux sa référence à Pierre Bérégovoy, avec ce goût besogneux pour les dossiers et les chiffres exacts. Et l’obstination sur le franc fort aussi! Par moment d’ailleurs je quittais le ring tant l’expertise dévissait au-dessus de ma tête mais en général j’ai tenté de suivre avec application et il m’est apparu que François Hollande avait raison en ce qui concerne l’exact des références. Sarkozy avait pris l’habitude du pouvoir celui du consensus au milieu de gens qui ne contrediront pas son hypothèse fondamentale, ce sont les riches qui assurent la prospérité d’un pays ou le fameux théoreme de Schmidt: ce sont les profits qui assurent les emplois de demain. habitude du pouvoir que ces dossiers que l’on maîtrise mal et dont on est assuré qu’il se trouvera toujours un petit fort en thème pour conforter votre opinion et vous sortir le chiffre qui vous donne raison. Hollande était d’une autre trempe, celle d’une province suffisamment proche de Paris (comme la Bourgogne des paysans chez Balzac) assez pour que l’ENA paraisse le débouché naturel des enfants du père Grandet. Un appétit du pouvoir mais qui sait se réfreiner et ne prétend pas nous séduire pour mieux nous sadiser, le Français honnête homme et aux racines paysannes revendiquées, la force tranquille sur fond de village.
Il est bien pauvre celui qui ne peut mentir
Ce qui fait que Sarkozy n’ayant que le mot “menteur” à la bouche a pu être plusieurs fois pris en flagrant délit de mensonge tant en ce qui concerne ses liens personnels avec les bailleurs de fond, qu’en ce qui concerne sa politique de dons aux mêmes (le bouclier fiscal) et qui dans un temps relativement bref a accru l’endettement contre lequel il prétend lutter. Ainsi quand il est dit :”La dette a augmenté de 500 milliards d’euros. (…) La cour des comptes dit que sur ces 500 milliards, 450 sont imputables au déficit structurel. Et 200 milliards, c’est la crise.”il y a erreur du chef de l’Etat comme le note le Nouvel Observateur. La dette (au sens de Maastricht) était de 1.717 milliards fin 2011, selon l’Insee, et de 1.209 milliards fin 2007, soit une augmentation de 508 milliards d’euros. Que dit le dernier rapport des magistrats de la Cour des comptes sur la question ? Le déficit, qui chaque année creuse la dette, a atteint 7,1% du Produit intérieur brut (PIB) en 2010. Sur ces 7,1%, 2,7 points sont dus à la crise, 3,7 points sont des déficits structurels, résultats des politiques de gauche et de droite depuis des décennies… et 0,7 point des déficits structurels provoqués par la politique de Nicolas Sarkozy. On peut donc attribuer un peu moins de 10% du déficit à sa politique.Mentir en escomptant que cette bataille de chiffres comme bien d’autres affirmations passera au-dessus de la tête du téléspectateur fait partie du système même à ce niveau vague qui ne met pas réellement en cause le rapport de classe et la manière dont il pèse sur la dette. hollande au moins a le souci comptable d’exposer les chiffres et les rapports d’experts.
Mais il a aussi une capacité réthorique qui ne le cède à l’autre en violence et pas toujours sur le fond. il est clair que le système ne s’accommode que de “tueurs”. Ainsi en fut-il quand il porta l’estocade : Abordant la question de la présidentialité, François Hollande s’est lancé dans une scansion remarquable enchaînant pas moins de 15 phrases commençant par “Moi, président…”, attaquant à chaque fois des points de la présidence Sarkozy. “Moi président de la République, je ne serai pas le chef de la majorité, je ne recevrai pas les parlementaires de la majorité à l’Élysée. Moi, président de la République, je ne traiterai pas mon premier ministre de ‘collaborateur’…”. Une tirade d’autant plus percutante que M. Sarkozy a laissé son rival la dérouler sans l’interrompre une seule fois comme accablé et conquis par la force.
Sans parler des deux “animateurs” dont on se demande encore par quel miracle ils ont prétendu jouer un rôle sur ce décor de star war… Sans jamais prétendre bousculer les règles d’un jeu codifié… Ne sont-ils pas l’illustration de l’inanité de cette élection ?
Pourtant il faut aller voter et battre Sarkozy
Nul doute qu’il se soit trouvé hier et j’en fais partie beaucoup de Français qui n’ayant aucun goût pour être les victimes d’un pervers narcissique choisissent cette autre sincérité tout aussi travaillée que la première, celle qui revendique les vertus paysannes et la compétence de celui qui s’acharne sur le détail, négocie âprement mais avec calme comme sur un marché de bestiaux. C’est ce qu’il a promis de plus essentiel : user du pouvoir avec modération en laissant les équilibres de la société civile et des institutions jouer de leur créativité. Et ce dès le début, quand il a repris Sarkozy sur la tranquillité de son quinquennat en l’attribuant à la longue patience de ceux qui ont joué le jeu démocratique comme réponse au mépris, à l’arrogance, à la volonté de diviser pour mieux régner.
Parce que je ne parlerai pas de l’opposition des programmes, sur ce point je ne suis pas convaincue qu’il y ait opposition véritable. La seule, la vraie est le choix de la croissance pour faire face à l’endettement, je partage, mais on sait que ce choix nécessaire sera déterminé par le consensus européen avec ses limites, le rôle de la BCE. Il est difficile voir impossible de faire bouger les lignes, celle de la politique allemande, celles des réponses à la crise de la dite Europe, elles ne dépendent pas du choix de tel ou tel ou pas seulement, tout cela est inscrit dans des institutions, qui comme l’élection du président de la République française au suffrage universel, entraînent des réponses néo-libérales qui veulent que l’on saigne le malade quand la récession le frappe comme jadis les médecins de Molière exigeaient la saignée face à l’anémie. De ce point de vue dans le “duel” de ces deux personnalités je n’ai rien entendu qui témoignât d’une véritable volonté de rupture avec le traitement. Sur l’éducation? Là encore le diagnostic de Hollande était plus exact sur le délabrement. Mais il faut être aussi comédien et menteur que le sont cette palinodie électorale et Sarkozy lui-même pour voir en Hollande une rupture quelconque avec le système, le grand retour des “partageux”. Tout  au plus un peu moins d’ostentation dans le syphonnage des pauvres et des couches moyennes par les grandes fortunes…
Le problème reste celui du contexte. Dans l’univers de la rumeur qui est celui de cette médiocre campagne, on a entendu ces derniers jours que les dirigeants conservateurs européens y compris madame Merkel discutaient en sous main avec le supposé vainqueur de la joute (le nom du négociateur avec l’Allemagne a été même avancé, nié  et redit comme futur premier ministre, Eyraud) et espéraient que le changement de président permettrait une réorientation vers la croissance.
Sans illusion aucune prêter sa voix mais ne point la donner…
J’ai placé cette réflexion sur un débat sous le patronage d’un des plus grands écrivains français Balzac et sa comédie humaine. Marx l’admirait parce qu’il avait su mettre le ressort de toute la société française : l’argent, le capital, l’épargne. Marx qui voyait en la France le pays de la lutte des classes était exaspéré par la manière dont les Français paraissaient ignorer les déterminations au sein desquels ils devaient agir, intervenir, il y avait le capital mais aussi se plaignait-il la manière dont la France ne voyait pas le poids des institutions, ce que leur imposait une Constitution, un régime électoral. IL ajoutait cette nation si politique qu’en France,  Kant devient Robespierre est aussi celle d’émeutiers qui se laissent gruger et à propos de la révolte de 1848, il eut ce mot :”Tandis qu’aux jardins du Luxembourg on cherchait la pierre philosophale, à l’Hôtel de ville on battait déjà la monnaie”. Pourquoi ai-je eu l’impression en écoutant ces deux hommes s’affronter à coup de chiffre que quelque part déjà “les possédants” était en train de battre monnaie pour mieux extraire demain le sang des pierres et le profit de la misère?
Cette société où toujours plus on nous invitera à perdre notre âme et nos ressources dans les paillettes de la consommation et de l’inutile tandis que  l’on nous privera de l’essentiel. Où on nous excitera sur le dernier portable et une de ses fonctions censées assurer la communication, tandis que nous ne pourrons plus assumer les frais dentaires et les vieillards mourront dans la solitude, les urgences seront débordées et tout le monde baissera les bras… La solidarité intergénérationnelle sera rompue et la haine jetera les identités inventées les unes contre les autres. Il est clair que Sarkozy a fait son choix, il correspond à sa propre névrose autant qu’à la classe qui le finance et nous mène à l’hystérisation, à la violence. Le propos de Hollande est plus rassurant mais les garanties qu’il en sera autrement sont faibles. Tout dépend du rapport des forces. le véritable danger est qu’à la sortie alors de son quinquennat, le désespoir conduise ceux qui seraient demeurés spectateurs à suivre le pire. Là encore l’opposition entre Sarkozy et Hollande est celle du conflit à la Faust, entre le capital qui est épargne pour mieux accumuler et le capital devenu dépense folle, bling bling, luxe insolent jeté sur l’air des bijoux pour séduire. mais ce conflit à la Faust dont parle Marx est largement dépassé au stade où se joue la survie. Quel que soit le choix nous serons confrontés à la nécessité d’une transformation profonde que le débat se devait de ne jamais poser.
Comme d’ailleurs la partie internationale pour ceux qui étaient encore réveillés frisa l’indigence et témoigna de fait de ce consensus français pour les aventures à la Libyenne où se mêlent les fumets du pillage colonial, la référence à l’humanitaire et à l’universel pour masquer les racines et entraîner l’adhésion de celui qui refuse de voir plus loin que de ses intérêts immédiats, de son petit pécule et qui à ce titre sera toujours prêt à taper sur plus pauvre que lui. Autant quand les journalistes avaient jeté le morceau de viande de l’immigration, les passions animales parurent se réveiller autant le contexte international sans lequel cette question de l’immigration perd son sens fut l’occasion d’une retombée des énergies. L’électoralisme avait encore frappé, puisqu’il est admis que l’un passionne “l’opinion” et l’autre n’a pas d’incidence sur le choix. le pire analphabétisme est sans doute politique tant il ignore les causes qui pèsent réellement sur le prix de la vie quotidienne. Le sarkozysme est l’entretien aussi de cet analphabétisme.
Le débat étant ce qu’il était, un spectacle il n’a fait que confirmer mon choix, je ne voulais plus de ce jeu pervers qui depuis 5 ans s’exerçait sur la France et j’étais prête non à me laisser séduire par l’autre, c’était la séduction elle-même que je récusais car elle se base sur la capacité à tuer l’autre pour que rien ne change mais d’espérer qu’il me sortirait de ce tourbillon sarkozien. Ce gouffre politicien est celui dans lequel s’anéantit la volonté citoyenne au moment même où tout dépend de plus en plus de l’intervention populaire.
Dimanche je tenterai de battre Sarlozy, la rencontre entre l’âpreté d’un homme et celle d’une classe sociale impitoyable.  Pour cela je prêterai ma voix à Hollande mais je ne la lui donnerai pas. Si les mots ont un sens je crois que Hollande, le pondéré, est plus capable de comprendre la nuance que l’autre qui chausse le pouvoir comme une obsession, n’en démord pas et n’a plus soif que de cette eau croupie qui seule le désaltère. Encore une citation de Balzac pour décrire la passion qui anime certains de ses héros… mais c’est une frêle espérance dans la tempête…
Danielle BLEITRACH

Publié sur "Histoire et société", le blog de Danielle