Les masques tombent : l’Europe de la défense est déjà une colonie des Etats-Unis
Le discours du ministre allemand de la Défense, Boris Pistorius – comme celui de Macron – paraît jeter les bases de l’autonomie européenne mais qu’en est-il réellement ? Nous vous proposons de prendre connaissance de la position du dit ministre et de ses arguments en faveur d’une défense européenne face à la “menace” qu’est sensée représenter la Russie et le devoir de soutenir l’Ukraine qui incomberait aux Européens face au désengagement des Etats-Unis (occupés sur le “front ” pacifique). Ensuite de lire l’analyse de Junge Welt, le seul journal marxiste d’Allemagne. Et enfin mesurer à quel point les arguments de Boris Pistorius déjà sur le plan ouvertement intégrée à celles des Etats-Unis, mais en assumant le financement, prennent tout leur sens quand on sait la manière dont les industries de l’armement allemande sont de plus en plus étroitement imbriquées dans le système militaro-financier des USA qui reste le maître d’œuvre de toute la politique “étrangère” des Etats-Unis. C’est en ayant conscience de cette situation réelle que nous devons analyser les discours de Macron et ses propositions d’une “défense européenne”, la manière dont il s’aligne toujours sur ce système y compris dans les pitreries autour des refus d’Orban. (note et traduction partielle de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)
BERLIN (Reuters) – L’Europe doit s’assurer de pouvoir mieux se défendre car de nouvelles menaces militaires pourraient surgir d’ici à la fin de la décennie, a déclaré le ministre allemand de la Défense.
La Russie a considérablement augmenté sa production d’armes pour soutenir son invasion de l’Ukraine, tout en menaçant les Etats baltes, la Géorgie et la Moldavie, a souligné Boris Pistorius lors d’une interview accordée au journal Welt am Sonntag. Le ministre a ajouté que les États-Unis réduiraient probablement leur engagement militaire en Europe car ils se tournent davantage vers la région indo-pacifique.
“Nous, Européens, devons nous engager davantage pour garantir la sécurité sur notre propre continent”, a déclaré Boris Pistorius, précisant toutefois qu’il faudrait du temps à l’Europe pour augmenter sa propre production d’armes. “Nous avons environ 5 à 8 ans pour rattraper notre retard, en termes de forces armées, d’industrie et de société”, a-t-il estimé.
L’Europe est consciente qu’elle devra peut-être compenser l’aide américaine à l’Ukraine si Washington ne parvient pas à convenir d’un nouveau financement, a-t-il ajouté. L’élection d’un gouvernement plus favorable à l’Europe en Pologne devrait maintenant permettre au Triangle de Weimar (Berlin, Paris et Varsovie) de développer davantage sa coopération militaire, a-t-il ajouté.
“Nous devons trouver la meilleure façon de nous établir sur le flanc oriental sur la base des plans de défense de l’Otan”, a-t-il déclaré, soulignant qu’il souhaitait se rendre en Pologne dès que possible l’année prochaine. Boris Pistorius a ajouté qu’il n’envisageait pas pour l’instant que l’armée allemande répète des missions aussi importantes que celles qu’elle a menées en Afghanistan et au Mali. “Mais les petites missions, en particulier dans le domaine de la consultation militaire ou de la coopération avec des pays qui ne partagent pas nécessairement nos valeurs, seront essentielles”, a-t-il déclaré.
“L’alternative serait de ne plus avoir de contacts avec ces pays et de les céder simplement aux Russes et aux Chinois, ce qui serait beaucoup plus dangereux.”
(Reportage Sarah Marsh, rédigé par Sandra Maler, version française Benjamin Mallet)
2- Commentaires de Junge welt : Si quelqu’un nourrissait encore l’espoir que la classe dirigeante allemande puisse mettre un frein à l’escalade actuelle des conflits mondiaux, le ministre de la Défense Boris Pistorius a clairement rejeté cet espoir
Si quelqu’un nourrissait encore l’espoir que la classe dirigeante allemande puisse mettre un frein à l’escalade actuelle des conflits mondiaux, le ministre de la Défense Boris Pistorius a clairement rejeté cet espoir dimanche soir. « Nous devons nous réhabituer à l’idée », a-t-il expliqué dans l’émission « Berlin direkt », « que le danger de guerre en Europe pourrait menacer ». Pistorius n’a pas précisé ce que l’on entend par « en Europe ». Mais comme on peut supposer qu’il ne voulait pas déclarer l’Ukraine comme faisant partie de l’Asie, il devait faire référence à d’autres régions encore plus proches du centre allemand du continent, peut-être même à une guerre sur le territoire allemand lui-même. « Nous devons être aptes à la guerre, a exigé le social-démocrate, nous devons être capables de nous défendre. » Et ce, à tous les niveaux.
La Bundeswehr est la première concernée. Pendant des décennies, elle s’est orientée vers la chasse aux pirates au large des côtes étrangères ou les patrouilles au Sahel avec des casques bleus. Ce n’est plus suffisant pour les guerres auxquelles la classe dirigeante pense devoir se préparer. C’est pourquoi le chancelier Olaf Scholz a proclamé le « tournant » et a absorbé le premier choc financier causé par le réarmement de la Bundeswehr au-dessus du rythme habituel de l’Allemagne avec la mise à disposition du fameux « fonds spécial ». Même la Cour des comptes fédérale allemande se plaint de ce terme : il devrait s’agir de « dettes spéciales », a-t-elle récemment écrit. Maintenant, selon Pistorius, la dette spéciale sera épuisée dans quatre ou cinq ans au plus tard. Ensuite, selon le ministre, il faudra investir 20 % de plus dans les troupes chaque année, soit une bonne dizaine de milliards d’euros – ou, comme l’a suggéré le vice-chancelier Robert Habeck ce week-end, il suffira de contracter de nouvelles dettes spéciales. Le prochain générique de guerre, donc.
Et non, l’argent ne fait pas tout. Si l’Allemagne doit être « apte à la guerre », alors non seulement la Bundeswehr, mais aussi « la société doit être préparée pour cela », a déclaré Pistorius dimanche soir. D’une part, il n’y a « aucun pays au monde où l’on parle aussi mal de ses propres forces armées » qu’en République fédérale, s’est plaint le ministre à la fin de la semaine dernière lors de sa visite inaugurale à l’École de commandement et d’état-major de la Bundeswehr. Cela doit cesser au plus vite : Département, rebroussez chemin ! Cependant, Pistorius a également averti qu’une approche réfléchie devait être adoptée. Après tout, pour tous ceux qui ont été socialisés depuis 1990, le danger de guerre n’a jamais été aigu que dans des régions éloignées du monde. La population doit maintenant s’habituer à l’idée que la guerre pourrait revenir à la maison : « C’est un vrai changement de mentalité. » Aider une « mentalité de ceux qui sont capables de faire la guerre » en Allemagne est donc l’une des tâches auxquelles la classe dirigeante est confrontée en ce moment. Ils ne devraient pas être autorisés à s’en tirer à bon compte.
3- Les États-Unis font de l’Union européenne leur colonie industrielle
13.12.2023
L’Europe se retrouve sans son propre char moderne et la production en Ukraine n’a pas encore abouti.
Le groupe allemand de défense, Rheinmetall, prévoit de commencer la production de chars en Ukraine en 2024, mais, dans les faits, aucune nouvelle usine ne sera construite. Armin Papperger, PDG de Rheinmetall, l’a déclaré dans un entretien accordé à WirtschaftsWoche : « Nous ne construisons pas de nouvelles usines [en Ukraine], mais, en tant que Rheinmetall, nous louerons des usines existantes, les transformerons et les exploiterons ensuite ».
Le boss de Rheinmetall précise dans l’entretien publié le 2 décembre dernier à WirtschaftsWoche que le contrat pour construire des chars et des blindés en Ukraine n’est, en fait, pas encore signé : « Une fois le contrat signé, nous voulons que le premier véhicule à traction soit prêt en Ukraine après environ six à sept mois – et le premier Lynx après douze à 13 mois ». La production du Fuchs en provenance d’Ukraine est possible à partir de la fin de l’été 2024 et le concurrent Puma Lynx pourrait suivre à l’été 2025 alors qu’aujourd’hui les médias occidentaux avouent officiellement que la contre-offensive ukrainienne est un échec.
Armin Papperger avait, pourtant, dans un entretien en mars dernier fait savoir que son usine aller fabriquer 400 chars (les nouveaux Panther) par an et qu’il faudrait environ 200 millions d’euros pour construire la nouvelle usine sur le sol ukrainien.
Un certain nombre d’experts expriment des doutes sur la possibilité de réaliser ces projets ambitieux. Le conseiller principal du Centre d’études stratégiques et internationales de Washington (CSIS), Mark Cancian, a souligné dans un entretien accordé à Defense News, que produire 400 chars par an est une tâche difficile car, à titre d’exemple, les États-Unis produisent désormais environ 100 chars par an. Et, le média anglophone spécialisé sur l’armement souligne, citant un expert : « 200 millions d’euros comme investissement pour renforcer les capacités de production semblent bien trop faibles pour un effort de cette ampleur et de cette durée ». Il y a aussi le risque élevé associé à la livraison de composants dans une zone de combat.
Aujourd’hui, Rheinmetall est le plus grand fournisseur d’équipements militaires et de munitions de l’Ukraine. Le premier type d’arme lourde que l’Allemagne a fourni à Kiev après la création de la Région militaire Nord était l’obusier à chenilles Panzerhaubitze 2000. En juin 2022, les premiers véhicules de combat ont été transférés aux forces armées ukrainiennes. Le Panzerhaubitze 2000 est produit conjointement par les entreprises de défense Rheinmetall et Kraus Maffei Wegmann.
À l’été 2022, les forces armées ukrainiennes ont reçu des canons anti-aériens automoteurs Gepard retirés du service de la Bundeswehr, qui font désormais partie de la défense aérienne ukrainienne, spécialisée dans les drones. En 2023, l’Allemagne et un certain nombre d’autres pays ont transféré des véhicules de combat d’infanterie Marder, des chars modernes Leopard 2 et des chars plus anciens Leopard 1 en Ukraine.
En outre, en mars dernier, Rheinmetall a stipulé que l’entreprise sera prête pour la production en série du Panther KF51 dans 15 à 18 mois, pas avant.
D’après le service presse du Konzern Rheinmetall, «le groupe technologique Rheinmetall AG et l’entreprise publique ukrainienne Ukrainian Defence Industry JSC (UDI, anciennement Ukroboronprom) ont fondé une joint-venture à Kiev en octobre dernier, mais le site de l’industriel de l’armement ne parle pas de la construction du Panzer. Un seul exemplaire semble, pour le moment, exister, celui présenté dans la communication de l’entreprise pour les médias et présenté au salon Eurosatory 2022 de juin. La question a, cependant, été posée au service presse de Rheinmetall par Observateur Continental pour savoir si la fabrication en série avait déjà débuté pour le Panther KF51.
En juin 2022, le site d’information de T-Online précisait que
le Panther KF51 «devrait entrer en production en série dans deux ans et
demi», signalant au passage que « le dernier char russe, le T-14
Armata, est d’un point de vue purement technique, l’un des chars de
combat les plus efficaces au monde; son canon de 125 millimètres le rend
probablement supérieur au Leopard 2 ».
Dans les faits, Rheinmetall est une entreprise appartenant aux actionnaires internationaux US. Le site de l’industriel liste ses actionnaires : BlackRock, The Goldman Sachs Group, The Capital Group Companies, Wellington Management Group LLP, FMR LLC.
Pierre Duval
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