Michel Naudy, mort embarrassante d’un journaliste embarrassant
Pionnier de la critique interne de la télé, et placardisé à France 3 depuis 17 ans
Michel Naudy, journaliste et militant communiste, avait lancé en
1995 une éphémère émission de critique télé sur France 3 Île-de-France,
Droit de regard. Salarié par la chaîne mais placardisé depuis dix-sept
ans, il a été retrouvé mort à son domicile le 2 décembre à l’âge de
soixante ans. La gendarmerie privilégie l’hypothèse du suicide.
Pas une seule réaction officielle de France Télévisions, pas une
mention à l’antenne: jusqu’à sa mort, Michel Naudy aura illustré la
difficulté de la télévision à parler d’elle-même, et de la dureté,
parfois, de ses rapports de force internes. Agé de soixante ans, Naudy a
été retrouvé mort, atteint d’une balle dans la tête, dimanche 2
décembre à son domicile d’Ascou (Ariège). Ancien chef du service
politique du quotidien l’Humanité puis cofondateur et rédacteur en chef de l’hebdomadaire Politis,
Naudy avait été journaliste à France 3 à partir de 1981 puis rédacteur
en chef de la rédaction nationale. Il avait été, en 1995, à la tête
d’une des premières émissions de critique média sur France 3
Île-de-France : « Droit de regard ». Mais cette année-là, une de ses
émissions avait été censurée. Il avait alors démissionné avant de
revenir à France 3 où il se retrouva « placardisé », comme l’explique à
@si un responsable du SNJ-CGT de la chaîne.
Naudy avait conservé le statut de rédacteur en chef national, sans
affectation. Régulièrement, il demandait un poste à sa direction. La CGT
envoyait aussi chaque année un courrier à la DRH, auquel on répondait
qu’aucun poste ne correspondait à sa fonction de rédacteur en chef
national. En 2008 ou 2009, alors qu’un poste de chef du service
politique national de France 3 se libérait, il postula avec le soutien
de la CGT devant la commission paritaire. « La commission a été très violente« .
On lui aurait alors signifié qu’il ne pouvait avoir ce poste en raison
de sa proximité avec le parti communiste, comme l’indique ce communiqué
du SNJ-CGT publié sur Acrimed. « Il s’agit d’une discrimination professionnelle et politique »
souligne notre source. Selon l’AFP, Naudy avait effectivement des
engagements politiques. Il s’était présenté – sans succès – aux
législatives de 2007 dans l’Ariège sous la bannière du PCF.
Le syndicat des journalistes CGT de France Télévisions a salué sa mémoire :
« Michel faisait honneur au journalisme d’investigation, au journalisme
d’analyses et d’éditos, enfonçant les clous là où ça faisait mal. Le
lutteur a décidé d’en finir. » Le syndicat déplore d’ailleurs le silence de la direction de France 3 après sa mort. « D’habitude, lorsqu’un ancien salarié de France 3 décède, on en parle à l’antenne, là, rien. »
Pas de maladie incurable
Il faut dire que le cas Naudy a tout pour embarrasser la direction de
France Télévisions. Sa longue placardisation l’a-t-elle conduite au
suicide? « Il en parlait tout le temps, il vivait très mal cette mise à l’écart« , assure-t-on au SNJ-CGT. A l’inverse, le site de France 3 Midi-Pyrénées a évoqué l’hypothèse d’une maladie : « Selon
un proche de Michel Naudy interrogé par France 3 Midi-Pyrénées,
celui-ci était très fatigué ces derniers temps et se savait malade. »
Naudy aurait-il souhaité mettre fin à ses jours pour éviter de plus
amples souffrances ? L’info a été reprise dans plusieurs articles, comme
ici. Pourtant, il semblerait qu’il n’en soit rien. La source de France 3
Midi-Pyrénées est Jean-Pierre Petitguillaume, un ancien proche de
Naudy. Ensemble, ils avaient fondé le Cercle Lakanal, un groupe ayant
pour objectif de dénoncer la corruption de certains élus ariègois. Il
explique à @si que le journaliste du site de France 3 Midi-Pyrénées,
avec qui il avait évoqué cette maladie, n’a pas bien compris ses propos.
« Il ne s’agissait pas d’une maladie incurable« , assure-t-il. « Cette maladie ne peut en rien expliquer le suicide de Naudy. »
Autre hypothèse: Naudy devait comparaître le 4 décembre devant le
tribunal correctionnel de Foix, pour diffamation envers Francis Dejean,
directeur général des services du Conseil général. Dejean poursuivait le
journaliste, notamment pour avoir écrit qu’il avait été condamné pour
violences sur un terrain de rugby. Mais Petitguillaume se refuse à y
voir une cause de son geste. « C’était un homme debout, très combatif, qui n’esquivait pas les problèmes. »
Petitguillaume refuse d’ailleurs de croire à la thèse du suicide,
privilégiée pour l’heure par la gendarmerie. Naudy lui aurait lancé : « Si un jour tu apprends que je me suis suicidé, demande une enquête. » Une autopsie devrait être effectuée dans les prochains jours.
Avec le Cercle Lakanal, Michel Naudy avait dénoncé à plusieurs reprises l’irrégularité de la gestion du conseil général socialiste.France 3 Midi-Pyrénées l’interrogeait à ce sujet en octobre dernier |
Une émission de Critique média censurée.
Naudy s’était illustré en 1995 pour avoir été à la tête, sur France 3
Île-de-France, d’un magazine critique sur les médias intitulé « Droit
de regard ». Cette même année, une de ses émissions, consacrée au
traitement de l’élection présidentielle par France 2, avait été
déprogrammée deux heures avant sa diffusion. Xavier Gouyou-Beauchamp,
directeur de France 3, considérait qu’elle était « critique » et "déséquilibrée vis-à-vis de France 2" , précisait à l’époque un article du Monde.
L’émission censurée critiquait notamment les journalistes Alain
Duhamel (France 2), et Guillaume Durand (TF1). Naudy soulignait qu’ils
étaient devenus des « chronométreurs officiels d’une République en quête de convenable ». Le magazine commentait aussi une soirée électorale où « l’on se tapait sur les cuisses aux exploits motorisés de porte-micros lancés aux basques du vainqueur ».
Intitulé « Télé-beauf », un montage dénonçait les blagues lourdes du
duo Daniel Bilalian-Bruno Masure, perpétuellement hilares, rappelle Le Monde. Un exemple : « Je viens de voir passer une très jolie chiraquienne, toutes considérations politiques mises à part »,
lançait l’un d’eux, tandis qu’à plusieurs reprises ils faisaient
remarquer au correspondant de France 2 qui, place de la Concorde,
tendait le micro à des jeunes filles : « Vous êtes toujours sur les bons coups (…). Vous êtes toujours bien placé sur ces coups-là. »
L’émission avait finalement été diffusée la semaine suivante, après que
Michel Naudy eut présenté sa démission. Elle n’avait pas été reconduite
à la rentrée 1995.