Les élections c’est comme l’erre d’un bateau
Quand on coupe le moteur d’un bateau, celui-ci
poursuit longtemps sur sa lancée… Il en est ainsi d’une élection, on ne
refait pas le terrain, on l’utilise. C’est d’ailleurs pourquoi un parti
révolutionnaire même s’il a choisi une stratégie qui articule élections
et luttes sociales ne peut pas se limiter à tout faire passer par le
filtre électoral: action, analyse de la situation, et surtout formation
des militants, organisation. Il faut analyser la situation électorale
par rapport à nos perspectives politiques et non subordonner celles-ci à
la situation électorale. Mais il s’agit d’un test important.
Celui-ci dit deux choses incontournables, premièrement le rejet de
Macron et des siens. deuxièmement ce rejet a pris des formes diverses
,il y a les scores catastrophiques, mais l’abstention massive en est la
plus évidente.
Donc ces élections municipales ont été ce qu’elles ont été, marquées
par une forte abstention qui a touché en priorité la classe ouvrière et
les couches populaires. Il est assez évident que celles-ci ne voient
plus d’issue dans les élections et des alternances qui n’en sont pas.
Nous sommes alors proches d’une situation comparable à celle des
États-Unis: tout est fait par le pouvoir pour favoriser ce rejet
passif de la classe ouvrière et pour accroître ses divisions internes y
compris ethniques.
IL y a parallèlement la montée du mécontentement des couches
moyennes, diplômées, urbaines qui ont tendance à passer d’une
social-démocratie à l’autre . Elles prétendent à une sorte de leadership
mais elles n’arrivent pas à rassembler les couches populaires . C’est
le sens de ce qu’on a appelé “la vague verte” et qui connait son plafond
à cause de cette abstention massive et de la force de la droite. On
nous l’a présenté tout au long de la soirée des résultats comme mue de
son propre mouvement sans voir que l’élan est celui des forces de
gauche, sans cette coalition elle échoue comme à Lille, il faut analyser
au cas par cas ce qu’il y a dans ces rassemblements et ancrer la
préoccupation écologique dans la justice sociale, la souveraineté.
L’écologie n’est pas un parti et chaque coalition locale s’est présentée
sous cette étiquette “porteuse”, ce qu’il en est sur le terrain mérite
analyse. Il est des rendez-vous incontournables dans les politiques,
celui des choix sociaux mais aussi le choix des énergies.
Est-ce que nous allons poursuivre sur la thèse qui prévaut depuis
Robert Hue: accompagner ces mutations “sociétales”, les accélérer sous
couvert de”modernité”? Ou allons-nous au contraire choisir de faire face
en nous appuyant sur les luttes, celles du service public, du monde du
travail… créer les conditions d’une véritable bataille pour
l’environnement et pour l’incontournable “question sociale”? Cela
suppose un parti qui soit différent de celui qui est un simple agent
électoral, un parti de militants, et pas simplement d’adhérents.
Ce souci de mobiliser les couches populaires sur des bases de classe a
été exprimé dans toutes les déclarations de Fabien Roussel tout au long
de la soirée et on peut y voir là une espérance.
Dans un tel contexte, celui créé volontairement par le pouvoir, ses
médias, dans la difficulté d’un combat sur le terrain, on peut féliciter
les communistes qui partout se sont battus avec courage alors que
partout tout a été fait pour minimiser leur poids réel, quitte à voir se
constituer des alliances inattendues pour les faire perdre. Le cas du
très beau combat du Havre est là pour le prouver, mas il est des
défaites qui peuvent créer les conditions de la victoire. Ceux qui ne se
faisaient pas d’illusion sur la nature du combat mais ont su malgré
tout poursuivre une politique d’union ancrée sur les problèmes de fond,
l’emploi, la santé et y compris l’environnement remportent des victoires
comme nos camarades de Vénissieux, de Villejuif, dans le Pas de Calais…
Mais pas seulement, ce qui demeure frappant malgré le choc de la perte
de Saint Denis, Aubervilliers, Valenton, et d’autres villes du Val de
Marne, c’est des reconquêtes, et aussi la bonne résistance dans les
petites villes, celles où la classe ouvrière de plus en plus chassée non
seulement des centres des grandes villes, mais de la périphérie
immédiate doit se déporter.
Il s’agit donc d’analyser les transformations mais de le faire non
comme des “sociologues” mais en relation avec une pratique politique
toute entière orientée vers l’intervention populaire, le rôle des
syndicats, du parti…
Un mot sur Marseille, le printemps marseillais qui regroupait toute
la gauche et avait été précédé d’un véritable effort de participation
citoyenne a fait un très beau score. Il a su partiellement canaliser la
colère contre le “système Gaudin”, son inertie, sa corruption. Si l’on
compte en voix, le système Gaudin est à terre au point que la candidate
Vassal est battue dans son propre arrondissement. Mais pourtant rien
n’est joué parce que c’est un scrutin par arrondissement et que la tête
de liste écologie Rubirola n’a pas la majorité dans les secteurs
L’inconnue est entre autres Samia Ghali dans le 15-16, jadis fief du
PCF. Parce que le parti communiste a raté de peu son retour dans les
quartiers nord, comme sa tête de liste avait été battue au premier tour
dans le XIIIème arrondissement celui tenu par le Front National et raflé
par la droite.
Le scrutin par arrondissement réserve bien des surprises et il faut
penser la totalité de la ville, voir ce qui a été singulièrement absent
la métropole. A Marseille, depuis toujours il y a une constante, la
droite et le PS s’unissaient pour empêcher que les communistes aient une
représentation digne de leur audience et de ce qu’est réellement cette
ville. Le réflexe a encore joué et si le printemps marseillais n’arrive
pas à faire élire son maire parce qu’il n’aura qu’une majorité relative
et que la droite trouvera de la ressource dans le vieux système
clientéliste de l’ancien PS, la mairie aura été perdue dans les quartier
populaires. Rien n’est joué! Mais la victoire de Ghali est une autre
figure de la “dépolitisation” des quartiers populaires.
C’est sur fond de difficulté dans les quartiers nord populaires que
l’élimination du Rassemblement national peut favoriser un maintien du
“système” que le printemps marseillais a espéré chasser, avec en toile
de fond Marseille métropole et Renaud Muselier reprenant les rênes d’une
droite qui a conservé ses forces.
Dans l’ensemble du département les communistes maintiennent
l’essentiel de leurs positions, mais il y a une incontestable poussée
de la droite et la perte attendue de deux “bastions” Arles et Gardanne.
Les jeux politiciens, les divisions entre élus, ont pris le pas sur ce
qui était jadis une discipline de parti. Cela aussi doit être analysé
parce que c’est une tendance de fond d’un parti où le poids des élus
devient prépondérant. Rien de tout cela n’était obligatoire.
Bref ce qui a manqué au rassemblement de la gauche le plus souvent
c’est ce que doit faire le PCF:un ancrage plus fort dans la classe
ouvrière, dans le monde de l’entreprise, autant que dans les quartiers
populaires et personne ne le fera à sa place ou alors ce sera pour
dévoyer la situation y entretenir un clientélisme mafieux.
Il faudra beaucoup réfléchir à tout cela dans le cadre de la
préparation du prochain congrès. Personnellement n’appartenant plus au
PCF, j’observerai comme “sympathisante” les débats, ce blog y
contribuera à sa manière en apportant textes et analyses qui éclairent
les enjeux. L’audience de ce blog ne cesse de croître et il est
désormais lu par beaucoup de militants qui en discutent, répercutent les
analyses et sans toujours en adopter la totalité, font partie de leurs
échanges.Donc, ce que je retire de ces élections est que le PCF ne peut
pas continuer à se jouer à chaque élection, il a un tout autre rôle à
jouer, un rôle indispensable et qui le sera plus encore demain
qu’aujourd’hui avec l’aggravation de la crise économique et la manière
dont le pouvoir est prêt à faire toujours plus payer l’addition à la
classe ouvrière, aux couches populaires, celles dont ce vote a montré
l’urgence de les gagner à une perspective politique.
Cela sera très difficile mais essentiel, si par malheur les
rafistolages électoraux prenaient la place d’une véritable perspective
que le parti communiste doit offrir, à savoir le socialisme, une
politique de rupture au plan intérieur comme au plan international, en
Europe en priorité, mais pas seulement, l’effacement, la réduction comme
une peau de chagrin deviendrait la poursuite de l’erre d’un bateau qui
mène notre pays au naufrage. La reconquête ne peut pas être simplement
électorale.
Quelquefois se poser les bonnes questions peut aider à avancer… Ainsi
en est-il de celles que l’on peut tirer de ce scrutin, l’abstention
qui grandit et qui touche la classe ouvrière et les couches populaires
exige un débat autour de trois grandes questions:1) le mouvement du
monde, la fin du capitalisme occidental et ses aspects de plus en plus
destructeurs des êtres humains comme de l’environnement, le poids
spécifique de l’UE, le rôle joué par les pays socialistes, la manière
dont ils revendiquent la paix et la vie, la coopération. 2) La France ,
la “dépolitisation” multi-forme des couches populaires, l’aggravation de
l’assaut contre l’emploi et les services publics, la lutte ne peut
être menée que dans une perspective de rupture : le socialisme, celui
qui correspondra à notre histoire autant qu’aux problèmes actuels
engendrés par la politique néolibérale 3) le parti qu’il faut pour mener
une telle politique? Évitons les leurres, les questions qui divisent
inutilement et restons sur le fond…
Danielle Bleitrach