Hier
4 juin, nous étions avec Christelle en attente de confirmation d’une
mission sur le front, avec l’intention de nous rendre sur les lieux de
bombardements de civils par l’artillerie ukrainienne.
Ce
genre de mission a pour but de montrer au plus grand public, que les
civils sont des cibles prioritaires de l’armée ukrainienne et du régime
de Kiev. Il y a peu, presque sans se cacher, le président ukrainien
annonçait que le Donbass serait rasé, et qu’après la guerre la région
serait un véritable désert, comprendre qu’ils auraient tué l’essentiel
de la population russe de l’Est de l’Ukraine d’avant le Maïdan. Vers 10 h
00, le Korpus, organisation de presse de Ministère de la Défense de la
République de Donetsk, nous annonçait un premier bombardement du côté du
quartier toujours très ciblé, de Petrovski, dans l’Ouest de la ville.
L’artillerie ukrainienne avait ouvert le feu sur la mine en activité de
Tcheliouskintsev, et nous avons donc sauté dans notre voiture,
accompagné d’un fixeur et soldat du Korpus, que nous aimons beaucoup,
comme personne et professionnel : Kostia.
Une arrivée en fanfare.
Ce
que nous ne savions pas, c’est que ce premier bombardement, intervenu
vers 8 h 30, se prolongeait dans cette zone civile. Ce qui était visé
ici c’était justement la mine et ses infrastructures, alors que de
nombreux mineurs étaient au travail dans les profondeurs des galeries.
A
peine étions nous en train de nous garer, qu’un premier obus est tombé
non loin de nous dans un fracas extraordinaire. Sur l’ordre de Kostia,
nous avons immédiatement évacué le véhicule, un Renault Kangoo, mais
aussitôt un deuxième obus est venu frapper notre zone.
Bondissants
derrière les pas de Kostia, nous nous sommes réfugiés à côté d’un
bâtiment paraissant solide, mais nous ne sommes pas restés longtemps
couchés au sol, le danger était trop grand.
En
quelques enjambées, nous avons eu la présence d’esprit, de pénétrer
dans ce bâtiment où nous avons découvert une quinzaine de personnes. Il
s’agissait en réalité d’un magasin d’alimentation et bazar, dénommé
Soyouz, tenu par une femme d’un courage à toute épreuve du nom de
Raïssa. Quelques vendeuses, un grand-père venu acheter de l’eau avec son
petit fils d’environ 14 ans, d’autres hommes à la retraite, deux
soldats mobilisés en repos, d’autres femmes venus également faire des
courses, sans parler d’un homme de 45 ancien soldat des milices du
Donbass, voilà les gens que nous avons rejoints dans cette circonstance.
Nous
mêlant à eux, nous trouvâmes vite des places pour nous asseoir,
protégés par les murs épais de cette solide bâtisse. Construite du temps
de l’Union soviétique, possédant des murs épais, une cave très grande
et une structure étayée de grosses poutres en acier, nous nous trouvions
désormais en relative sécurité.
Cinq heures d’un bombardement intense.
Nous
ne pouvions alors imaginer que nous allions restés ici pendant 5
heures, dont 4 d’un bombardement nourri de l’artillerie ukrainienne
complètement déchaînée. Obus de 122 mm, tirs de lanceurs multiples de
roquettes Grad, tirs de missiles Ouragan chargé de sous-munitions et
même obus de 152 mm, l’infernale danse des obus ukrainiens ne faisait
que commencer.
La
nervosité était palpable chez deux hommes, qui distillaient presque à
notre entourage la panique, sans cesse nous demandant de ne pas les
filmer, se levant, arpentant le magasin, sortant dehors pour ramasser
des débris des précédents obus, la situation était critique.
A
l’exemple de Christelle et Kostia, ainsi que de moi-même, le groupe
semblait s’être calmé, je me trouvais assis à côté d’un jeune soldat de
21 ans, en permission, simplement vêtu d’une casquette militaire et d’un
débardeur. Régulièrement, il indiquait les départs de tirs, qui nous
arrivaient ensuite dessus quelques courtes secondes plus tard. A droite,
à gauche, beaucoup plus loin, ou très proche, les obus et roquettes ne
cessaient de tomber partout.
Après
quelques longues dizaines de minutes de ce traitement, un homme âgé
perdit patience et d’autorité sorti dehors sous le feu, pour rentrer
chez lui, aussitôt maîtrisé par les autres hommes. Il était temps, car
les obus ne cessaient d’arriver. Notre retraite paraissait de plus en
plus précaire, les gravats nous tombant du plafond sur la tête. Nous
avions clairement l’impression que nous étions pris pour cibles, et nous
savions déjà que la voiture que nous avions laissé dehors serait en
miettes à notre sortie de cet enfer. Un moindre mal, d’autant que jusque
là nous n’avions subi aucune perte humaine.
C’est
alors qu’un obus de 122 s’abattît à cinq mètres de l’endroit où je me
trouvais assis, faisant voler en éclat, non seulement la porte en fer
forgé, de l’entrée principale, mais aussi la seconde porte en bois du
sas d’entrée. Recouverts de gravats, un homme âgé touché aux yeux par
les jets de morceaux de pierres et de plâtres criant au milieu des
éclats de voix, c’est alors qu’une voix féminine autoritaire se fit
entendre : « Descendez à la cave ! À gauche, à gauche ! ». Nous venions de faire connaissance avec la courageuse et admirable propriétaire des lieux, Raïssa.
Un grand-père meurt dans nos bras.
En
file indienne, alors que nos oreilles sifflaient après l’impact, nous
nous dirigions vers la voix amie. Sous nos pas crissaient de nombreux
débris de vitres, de vitrines et de gravats, alors que nous réussissions
tous à descendre dans les entrailles du bâtiment.
C’était
une cave très solide et grande, courant sous tout l’immeuble, qui
d’ailleurs comportait aussi un étage. A tâtons, les uns avec la lumière
de leurs téléphones, les autres avec des lampes de poche, nous
découvrîmes plusieurs femmes et un enfant. Il s’appelait Roman, tandis
qu’une femme commençait à pleurer. Christelle immédiatement s’occupa
d’elle, c’était une vendeuse du magasin, dont les deux enfants étaient
non loin de là chez leurs grands-parents. Eux aussi, subissaient
forcément le bombardement. Elle indiqua ne pas avoir peur pour elle,
mais pour eux, il s’agissait de deux filles de 14 et 8 ans. D’autres
civils étaient ici, un couple la soixantaine largement passée, d’autres
vendeuses et plusieurs grands-pères âgés.
Malgré
notre calme, et notamment la présence très rassurante de Kostia, la
fébrilité et un petit vent de panique étaient palpables chez ces gens.
Tout sembla finalement se stabiliser, notamment grâce à Raïssa,
maîtresse femme, qui d’une voie forte encourageait ces gens. Elle
s’activait avec une grosse lampe torche multiple, apportant de l’eau et
des gobelets, proposant à manger. Nous nous aperçumes qu’un des
grands-pères avait été touché à la main et au front, par des éclats de
pierre, il saignait.
Dans
l’instant, Kostia qui possédait une trousse de secours, épaulé par
Christelle et Raïssa, soigna ses blessures. Deux hommes pourtant
n’arrivaient pas à s’habituer à cette cave, tandis que les obus
continuaient de tomber ici et là, frappant parfois le bâtiment. L’ancien
milicien de 45 ans était peut-être claustrophobe, il proposa de la
vodka qui se trouvait à l’étage, nous refusâmes catégoriquement.
Lorsqu’un grand-père, sans que nous n’ayions prêté attention, se faufila
par l’escalier à l’étage.
Kostia
ayant compris le danger, remonta ce dernier, mais déjà un nouvel obus
explosait dans la cour. Cette fois-ci ce fut le drame. S’emparant de sa
trousse de secours, il bondit à son secours, appelant les hommes à la
rescousse. Nous nous trouvions trois autour du vieil homme. Il était
étalé sur le dos, en plein milieu du magasin. Canne et lunettes gisaient
à côté de lui, il était touché très grièvement, en particulier au
poumon gauche. L’homme tentait de retrouver son souffle, nous appuyâmes
sa tête sur une dérisoire bouteille. Très vite le sang se répandit, à
grands flots, son côté droit était aussi criblé d’éclats d’obus, il
avait plusieurs cotes brisées. Nous tentâmes de laver sa plaie béante,
planqués derrière deux frigos vitrines, illusoires protections. Il
aurait fallu le porter dans la cave, mais les obus ne cessaient de
tomber. A la moindre tentative, nous serions fauchés et nous n’étions
que deux avec gilets pare-balles et casques. Il mourut dans nos bras,
impuissants nous ne pûmes que constater son décès.
L’acharnement de l’artillerie ukrainienne.
Nous
redescendîmes tous dans la cave, le vieil homme recouvert par un linge,
nous ne pouvions plus rien pour lui, il fallait s’occuper des vivants.
En redescendant le premier, nos autres compagnons d’infortune nous
regardaient, inquiets. Je n’osais annoncer la mort du grand-père, que
finalement je signalais dans un souffle.
L’assistance
resta tétanisée, car le jeune Roman venait de perdre son grand-père.
Nous ne connaissions pas le lien de famille qu’il avait avec le décédé.
Je passais ensuite pas mal de temps à discuter avec lui.
Pour
maintenir son moral, je lui demandais ce qu’il aimait, qui était sa
famille, ce qu’il faisait à l’école, ses espoirs et ses rêves. Il
m’indiqua aimer jouer à Minecraft et se promener avec son jeune chien
dans la campagne environnante, ou passer du temps chez ses
grands-parents, qui habitaient justement très proche de l’endroit. Je
montrais des photos de ma propre existence, parlais de mon enfance et la
discussion se propagea aux autres personnes.
La
confiance s’installa, puis le calme, alors que les obus encore et
encore s’abattaient tout autour. Nous savions déjà que nous n’avions
plus de voiture, réduite en miettes par les tirs ukrainiens, et à
l’exemple de Raïssa dont le magasin, au fur et à mesure des heures était
ravagé par les éclats d’obus, nous priâmes pour qu’il n’y ait pas
d’autres victimes. Les biens matériels ce n’était rien.
Christelle
raconta son engagement de six années, ses expériences du front, ce que
nous faisions. Ils comprirent vite que nous ne supportions pas la
politique irresponsable de Macron, sans parler de Zelensky.
Les
minutes s’égrainaient ainsi, très longues, les femmes sursautant à
chaque impact, mais la vendeuse et mère de famille, trouva alors la
force de plaisanter avec le milicien qui répondit : « Plus jamais je n’irais acheter du pain au petit matin, je le jure ! ».
Tout le monde s’esclaffa, alors qu’au bout de quatre heures, la famille
du jeune garçon débarquait essoufflée dans notre refuge, pour y
chercher le jeune Roman.
Les
retrouvailles furent à la fois terribles, et joyeuses, tout le monde
pleurait, riait, ils avaient cependant pris un risque énorme en venant
ici. En arrivant, ils avaient vu le cadavre du grand-père, le choc fut
énorme, bien qu’ils connaissaient déjà la situation, grâce au téléphone
du jeune garçon et à Raïssa qui avait contacté la famille pour avertir
des événements et de la localisation de Roman. Ils décidèrent d’évacuer
l’endroit aussitôt, leur voiture attendait dehors.
En
courant, tout le monde remonta et se jetta dans l’automobile, cette
fois-ci la chance fut avec eux, ils purent fuir à toute vitesse. Après
quatre heures de bombardement, et que certains dans la cave subissaient
depuis sept heures, les obus commencèrent à se raréfier. Il tombait
cependant encore des salves, environ toutes les 10 minutes. Il fallut
être ferme pour empêcher plusieurs d’entre eux de sortir trop vite des
décombres, d’autres parlaient déjà de passer la nuit ici.
Ouvrir le feu sur les secours.
Enfin
le tir cessa, nous attendîmes cependant sagement une bonne heure
supplémentaire, puis nous pûmes sortir. Des personnes prirent leurs
jambes à leur cou quittant le magasin ruiné. Dehors notre voiture
n’existait plus, un obus était tombé très proche, elle avait été
détruite, une énorme flaque d’huile de vidange s’était formée tout
autour. Nous retrouvâmes, gluant, un trépied de caméra intact, des
lunettes et une écharpe, c’est tout ce qui restait dans le tas de
ferraille. En sortant, le paysage nous apparu cataclysmique : câbles
électriques hachés et gisant au sol, branchages, débris de toutes
sortes, roquettes de Grad enfoncées dans le sol, trous d’obus, voitures
calcinées…
Les
infrastructures et bâtiments de la mine étaient en ruines, le feu ayant
pris et ravagé le tout. Dans la cour, les mineurs sortaient à leur
tour. Toutes les voitures ou presque étaient détruites. Un mineur plus
chanceux repartit avec une motocyclette, dont les pneus étaient crevés.
Des
voitures surgissaient de partout, les gens en profitaient pour quitter
les lieux, d’autres venaient chercher leurs amis ou parents, une
ambulance passa en trombe. Le sol était recouvert de gros éclats d’obus,
de la fumée s’échappait des ruines de la mine. Tout autour c’était un
quartier résidentiel.
Là-bas
c’était un pigeonnier et des cages qui avaient été détruits dans une
cour, un gros trou d’obus trônant au milieu de la cour. Ailleurs
s’étaient les débris de missile Ouragan, des toits pulvérisés et des
gens plus ou moins hébétés qui sortaient de chez eux. Sans voiture, nous
attendîmes un véhicule du Korpus pour nous évacuer, nous en profitâmes
pour filmer et photographier.
Nous
n’étions pas tranquilles, nous savions que les Ukrainiens n’hésitaient
pas à ouvrir le feu sur les secours. Alors que le véhicule salutaire
s’approchait de la zone, soudainement, le tir reprit. Un premier obus
puis un deuxième s’abattirent sur la mine, nous étions très proches et à
découvert. Jusqu’à en perdre le souffle pour atteindre le véhicule,
nous sautâmes dans ce dernier qui démarra en trombe. Nous étions sauvés.
Une demi-heure plus tard nous atteignîmes le Korpus, déjà la nouvelle
avait fait le tour, que nous étions tombés sous le feu de l’artillerie
ukrainienne.
Nous
avons eu beaucoup de chance en un jour. Nos réflexes et
particulièrement ceux de Kostia, nous avaient sauvé la vie, nous ne
pouvions nous empêcher de penser que nous avions aussi de bons anges
gardiens !
C’est
la mine qui était visée par les tirs et les alentours de cette zone
civile. Ce bombardement était fait pour détruire et tuer. La débauche de
munitions sur des objectifs civils et non militaires laissait pensif…
Le sentiment de colère nous habitait, encore une fois quels étaient les
objectifs de l’Ukraine dans ce bombardement et ces destructions ?
Les Russes eux, ne s’amusent pas à tirer gratuitement sur des zones non-occupées par des ennemis ou des matériels militaires.
L’impression
générale laissait par cette chaude journée, resta que les Ukrainiens
étaient réduits à l’impuissance et à des expédients de vengeance.
Réduits à des stratégies brouillonnes, ponctuées d’échecs sanglants
comme lors des offensives près de Kharkov ou Kherson, d’attaques
suicidaires, de bombardements inutiles de civils et de d’infrastructures
du Donbass, c’est bien le désespoir et la haine qui prédominaient et
prédominent dans les États-majors ukrainiens. Ils en sont réduits, avant
de se replier tôt ou tard, à détruire et tuer, encore et encore, dans
une folie qui déjà dure depuis huit ans.
Huit ans de tueries et de destructions absurdes, au nom de quoi ?