Staline et la Révolution, version abrégée
1 Août 2023
,
Rédigé par Réveil Communiste
Publié dans
#GQ,
#Front historique,
#Russie,
#Réseaux communistes,
#L'Internationale,
#Europe de l'Est,
#Mille raisons de regretter l'URSS
Les révolutionnaires
du XXIème siècle auraient tout intérêt à se libérer du discours
bourgeois sur Staline, discours sur un élément essentiel de leur
histoire, qu'ils le veuillent ou non, discours faux mais hégémonique, y
compris dans leurs rangs. Et de se rendre compte que Staline eût-il été
un ange, le discours bourgeois à son sujet aurait été exactement le
même. En fait, il serait bon qu'ils se rendent compte qu'il leur
faudrait eux-même mériter un peu de la mauvaise réputation de Staline
auprès de la bourgeoisie mondiale.
Dans le monde entier
les exploiteurs et les hypocrites qui travaillent pour eux prononcent le
nom de Staline, mort le 5 mars 1953, avec haine, terreur et horreur. A
titre conservatoire, c'est plutôt bon signe. C'est peut être le signe
qu'il ne devait pas être si mauvais, s'ils ont encore peur de lui, après
si longtemps.
Staline comme monstre
maléfique dénoncé par l'idéologie libérale-démocratique hante le monde
de la fin de l’histoire. Il est abusivement assimilé à Hitler par
l’usage de la théorie de guerre froide du « totalitarisme ». Le
dirigeant criminel raciste contre-révolutionnaire allemand est rejeté en
paroles par la même bourgeoisie qui l’a utilisé, comme si elle n’avait
rien à voir avec lui. Staline, dirigeant victorieux de l'Union
Soviétique et de la révolution mondiale qui a combattu et vaincu le
nazisme hitlérien lui est assimilé, au défi de la réalité historique,
pour « exorciser le communisme » comme l’a écrit un jour le journal « Le
Monde » sans mettre de guillemets, pour rendre à jamais impossible une
nouvelle révolution comme celle d'octobre 1917 en Russie.
Il apparaît de plus
en plus clairement que le Staline historique n’était pas le personnage
monstrueux que ses ennemis de l'extérieur et de l'intérieur ont cherché à
accréditer. L’histoire objective de son pouvoir sur l’URSS et le
mouvement communiste commence à être écrite avec le recul scientifique
nécessaire à la manifestation de la vérité. C'est une histoire terrible
pleine d’excès et de brutalité. Mais la terreur stalinienne qu'on
dénonce n’a pas été introduite dans l’histoire par la malveillance d’un
homme ou d'un petit groupe dirigeant. Elle résulte d'un contexte et de
circonstances précises. Lorsque ces circonstances se sont apaisées, les
groupes dirigeants embourgeoisés en URSS et dans les partis communistes
des autres pays, en quête de respectabilité, n'ont plus osé assumer leur
histoire, et ont cru s'en tirer en faisant de Staline le bouc émissaire
de tous leurs excès et toutes leurs erreurs. Et le bouc émissaire était
particulièrement mal choisi.
C’était un homme
politique d'origine populaire, très intelligent, habile, convaincu,
incorruptible, et plutôt prudent, qui fut sans doute, comme Mao après
lui, victime des illusions que produit un pouvoir politique trop étendu.
On ne peut pas si
facilement le dissocier de la tradition politique qu'il applique et
qu'il prolonge. Staline incarne la dictature du prolétariat. S’il y a
quelque chose qui ne va pas chez Staline, c’est dans la théorie de la
dictature du prolétariat qu’il faut le chercher, théorie appliquée
fidèlement telle que Karl Marx et Lénine l’avaient envisagée.
Et certes, ce n'est
pas pour rien que Gramsci (qui a toujours soutenu Staline contrairement à
ce que l'on laisse croire souvent) l'a reprise de fond en comble à la
même époque, non pour la supprimer, mais pour l'actualiser.
La tentative
stalinienne de mettre en pratique le marxisme a finalement été vaincue.
Mais il y a quelque chose d’étonnant à voir toute l’intelligentsia
mondiale élevée dans le culte de Nietzsche s’épouvanter de voir ce que
ça donne, d’agir « par de là bien et mal ». De voir ce qu'elle
interprète comme un surhomme en chair et en os mettre en œuvre la
dictature du prolétariat à ses dépens.
Le fait est que
Staline, dont le nom qu'il s'était choisi signifiait "Homme d'Acier",
fut le dirigeant rationnel à la barre de la Révolution dans les
circonstances de fer où elle se produisit, dans le monde de violence
sans limite ouvert par la boucherie de la Grande Guerre impérialiste de
1914-1918 qui avait déprécié totalement la valeur de l’existence
humaine, et face à la contre-révolution également sans limite du
fascisme et du nazisme qui en avait au concept même d’être humain.
L’analyse qui veut proposer un « communisme sans Staline » qu’il fût
celui de Trotski, des anarchistes, ou de « Socialisme ou Barbarie », n’a
pas de sens. Leur analyse est d'ailleurs à contresens des faits :
Staline n’a pas exercé la terreur au nom de la bureaucratie contre le
prolétariat, il a exercé la terreur sur la bureaucratie, au nom du
prolétariat.
Lui, et le groupe
dirigeant qui l'entourait, étaient persuadés qu'une partie importante de
la bureaucratie soviétique était prête à trahir la Révolution, "l'œuvre
de Lénine" à laquelle ils accordaient tant de valeur, et à baisser
pavillon face à l'Allemagne nazie, puis face aux États-Unis
impérialistes. Ce qui s'est effectivement produit, deux générations plus
tard.
Le recours à la
Terreur eut pour but de faire face à la situation d'urgence créée par la
menace extérieure nazie et/ou impérialiste occidentale. Le groupe
dirigeant produisit une façade légale à la Terreur, assez inconsistante,
pendant les grands procès de Moscou, de 1936 à 1938. Cette Terreur, en
elle même, est infiniment tragique et démoralisante à long terme. Mais
personne ne saura jamais si sans elle, l'URSS ne se serait pas écroulée
au premier choc, comme la France de 1940, rongée de l'intérieur par la
trahison des élites militaires, intellectuelles, politiques et
économiques.
Moins les
révolutionnaires seront tentés de répudier le Staline historique, moins
ils seront tentés de rejeter Staline dans les poubelles de l’histoire,
moins ils seront staliniens,
au sens trivial du mot qui caractérise bien le bureaucrate opportuniste
ou postcommuniste : autoritaire, menteur, dissimulé, corrompu, brutal,
inculte, veule, opposé à la spontanéité révolutionnaire et à la
démocratie. Car ceux que l’on qualifie spontanément ainsi avec ce que
cela comporte d’opprobre justifiée ne sont pas staliniens, mais
khrouchtcheviens, gorbatchéviens, yeltsiniens. Ou pour traduire dans les
termes de la Révolution française, ce sont ceux de Thermidor et du
Directoire, pourris et cyniques, qui ne peuvent pas juger la Terreur, à
laquelle ils ont participé sans vertu.
Restent les mérites
du personnage historique Staline auquel il faut rendre justice : Il a su
rendre concrète l’expérience du socialisme dans un seul pays
(l’alternative étant, non pas la « révolution permanente » prônée par
Trotsky, mais « le socialisme dans aucun pays »), expérience que
l’humanité du XXème siècle devait faire. Il a su diriger le peuple
soviétique pour vaincre le nazisme. Sans Staline, le Parti communiste
soviétique, et le peuple russe, le Troisième Reich aurait triomphé. Il a
accéléré la décomposition du monde colonial et du racisme, et rendu
dans le monde entier l’exploitation et la misère illégitime.
Le seul moyen de
vaincre le socialisme a été de faire provisoirement mieux que lui sur
son terrain, le terrain social, et on voit bien ce que ça donne
aujourd’hui que ce puissant stimulant a disparu.
Il est vrai que
Staline assume avec tous les autres dirigeants soviétiques (y compris
ceux qui en ont été victime à leur tour) le bilan terrible de la
Terreur, atteignant peut-être (selon une estimation très élevée) un
million de condamnés exécutés ou morts en déportation, en trente ans,
une fois écartés les bilans délirants diffusés par les historiens
anticommunistes professionnels.
Comme le montrait Domenico Losurdo, récemment disparu (hommage video)
l'État révolutionnaire fondé par les bolcheviks n'a jamais pu
bénéficier de la paix et se sortir de l'état d'exception, il n'a pas
réussi à fonder une nouvelle légalité, de manière à entrer dans un
développement pacifié et prosaïque, et le philosophe italien pensait
même, paradoxalement, que la composante anarchisante du projet
communiste, qui comporte l'objectif du dépérissement rapide de l'État, a
empêché la stabilisation du socialisme et son retour au respect de la
légalité. Et en effet, les premiers bénéficiaires d'une telle
pacification devaient être les cadres, les "bureaucrates", et leurs
cousins à la face souriante, les intellectuels et les artistes plus ou
moins dissidents. Staline, comme promoteur de la constitution
démocratique de 1936, représente justement la recherche du point
d'équilibre jamais trouvé entre légalité et révolution, entre "experts"
et "rouges".
Mais tout ça ne s’est pas produit dans une époque et dans des pays tranquilles, où comme on dit dans le Chant des partisans
: "les gens aux creux des lits font des rêves", et en condamnant sans
nuance Staline et son groupe dirigeant on fait comme s'il n’y avait
jamais eu de guerre menée au socialisme, comme si l'Union Soviétique et
la révolution prolétarienne n’avaient eu aucun ennemi, et surtout comme
si cet ennemi n’avait pas pris dès avant octobre 1917 l’initiative de la
violence et de la Terreur. Au fond, ce que l'on reproche véritablement à
l'URSS dirigée par Lénine et Staline, c'est de ne pas avoir été vaincue
comme le sera la République espagnole sur qui on a versé tant de larmes
de crocodile.
Dans quel sens devons
nous utiliser cette histoire dans notre siècle ? Marx nous indique en
tout cas la marche à ne pas suivre : faire comme les révolutionnaires de
1848 fascinés par la Montagne de 1793 qui cherchaient à rejouer la
grande révolution, et qui souvent se déguisaient en révolutionnaires
plutôt qu’ils n'agissaient. Réévaluer le rôle révolutionnaire de Staline
ne signifie pas préconiser l'emploi ici et maintenant de son langage ni
de ses méthodes d'action, et encore moins de l'utiliser comme un
symbole creux destiné à choquer le bourgeois. Mais cela signifie qu'il
faudra pour renverser le capitalisme une détermination de fer, comme la
sienne.
Il faut reconnaître
le fait incontestable que dans le monde entier presque tous les
révolutionnaires prolétariens déterminés se sont rangés du coté de
Staline quand il gouvernait l’URSS. Et une grande partie des mouvements de libération nationale dans les colonies et le Tiers Monde aussi.
Le mouvement
révolutionnaire du prolétariat a mal géré son repli idéologique depuis
la mort de Staline en mars 1953, et il faut en reprendre l'autocritique
au début.
La critique anticommuniste a raison sur trois postulats :
1) Staline est un
communiste authentique, ceux qui s’intitulent encore communistes doivent
assumer cet héritage et expliquer pourquoi ils le font.
Ce défi est très
facile à relever, et sans provocation ni extrémisme ! Il suffit de
savoir ce qu'on veut, la respectabilité ou la révolution. Car ce qui est
perdu en obstruction, calomnies et conspiration du silence peut être
regagné et largement au-delà par la publicité involontaire que produit
l'indignation de la bourgeoise scandalisée et de ses intellectuels et
journalistes.
2) L’URSS a été une tentative de réaliser une utopie économico-politique qui a échoué dans la confrontation avec l'impérialisme.
Sauf que pour nous,
ce n’est pas l’utopie en elle qui la condamne, au contraire ! Et de plus
en plus clairement, c'est le projet économique capitaliste dans son
ensemble qui semble une utopie mortifère. Elle a échoué, certes, mais
pas dans une sorte de compétition sportive équitable, ou de sélection
naturelle du plus apte, de type darwinien. Elle a engagé, soutenu puis
perdu une grande et longue bataille. Mais la guerre n'est pas finie.
3) Et le phénomène historique nazi-fasciste s'explique par une réaction à la menace communiste.
Le tableau effarant
des effets meurtriers de ce phénomène nullement mystérieux n'exige de la
postérité aucun mutisme craintif, aucune sidération. Les blancs de la
Guerre Civile en Russie et en Ukraine préfigurent l'action des nazis
jusqu'aux crimes les plus répugnants. Il est donc parfaitement possible,
et nécessaire, de continuer à penser "après Auschwitz", contrairement
aux admonestations des marxistes repentis de l'École de Francfort.
L'horreur nazie n’est rien autre chose que le fruit démesuré d’une
réaction de panique de la bourgeoisie, face à ce qu’elle nomma le
« bolchevisme », signifiant émotionnel dont le sens était alors à peu
près le même que celui de « Staline » aujourd’hui, et le plaidoyer pour
une réhabilitation implicite du nazisme qui a été présentée avec
cohérence par Ernst Nolte en Allemagne, est en fait un aveu de la
bourgeoisie, qui replace le génocide sans mystère au terme de l’escalade
criminelle de la contre-révolution des années 1920/30, les juifs étant
accusés d'être à l'origine de la propagation de cet épouvantable
bolchevisme.
4) Par contre, la quasi-totalité des allégations de l’historiographie anti-stalinienne est fantasmatique, fausse ou exagérée.
Soljenitsyne,
Conquest, Trotsky, Chalamov, les frères Medvedev etc. ne sont pas des
sources fiables, mais des auteurs partisans, le plus souvent directement
liés à des forces organisées contre-révolutionnaires, des auteurs
souvent lourds et grossiers qui ne seraient pas pris au sérieux s'ils
écrivaient sur n'importe quelle autre question.
5) Dans
l’affrontement entre la révolution mondiale et la contre-révolution
mondiale, depuis 1914, le camp capitaliste est responsable de crimes
innombrables et n’a pas de leçon de morale à donner.
6) Nous éviterons à
l’avenir les dérives antidémocratiques, les erreurs et les excès
violents en étudiant l’histoire réelle de notre mouvement et non en
reproduisant les critiques de l’adversaire, sa version des faits, et les
mythes qu'il a propagés.
7) Les critiques
émanant de mouvements ou d’hommes se prétendant révolutionnaires et qui
n’ont pas fait de révolution n'ont pas de valeur. Comme celles de
Georges Orwell par exemple, prototype de tous les conservateurs déguisés
en gauchiste. Non plus que celles émanant d’acteurs de l’histoire du
communisme qui tentaient de couvrir leurs responsabilités, comme Trotski
et Khrouchtchev.
L'application de ces principes, en s'inspirant notamment des concepts critiques développés dans les Cahiers de prison de
Gramsci, devrait aboutir à une critique nuancée, comme le fait la
critique du maoïsme en Chine, et non à la diabolisation de l'histoire de
la révolution.
GQ, 24 avril 2020
(texte élaboré depuis 2010, publié en versions successives, ceci est une
version raccourcie). Relu et republié sans autre modification le 1er
août 2023.