Mon
cher Daech,
J'ai
bien lu ton communiqué
de presse victorieux.
Comme on l'imagine, tu
dois être heureux du
succès de tes attaques
menées vendredi soir à
Paris. Massacrer des
civils innocents qui
ne demandaient qu'à
jouir d'un bon match
de foot, d'un concert
de métal ou tout
simplement d'un petit
restau entre potes, ça
défoule, pas vrai ?
Alors certes, ça ne te
change pas beaucoup
des milliers
d'exactions commises
quotidiennement,
depuis des années, en
Irak et en Syrie. Mais
en bonne
multinationale des
lâches et des
peine-à-jouir que tu
es, il te fallait
t'imposer sur le
marché occidental. Ce
que tu as fait, dès
janvier, avec
l'attentat de Charlie
Hebdo et de l'Hyper
Cacher. Toutes mes
félicitations : grâce
à tes happenings
sordides et sanglants,
la marque Daech est
plus forte que jamais.
Elle a même effacé
jusqu'au souvenir
d'Al-Qaeda qui, à côté
de toi, semble
désormais presque
raisonnable.
Donc,
tu as tué. Oh bien
sûr, pas par goût du
sang et de la
violence, mais au nom
«d'Allah le Très
Miséricordieux». Moi
qui croyais que la
«miséricorde» suppose
la bonté et
l'indulgence envers
les autres, je ferais
mieux de jeter mon
dictionnaire. Et de
m'acheter une
Kalachnikov et des
grenades, pour m'en
aller distribuer à mon
tour amour et
compassion partout où
vous vous trouvez.
Avant de laisser, sur
vos corps enfin bénis,
la photo de ma cousine
Madeleine, que votre
miséricorde a
lâchement assassinée
vendredi au Bataclan.
L'eussiez-vous
connue, que vous
l'auriez détestée
immédiatement. C'était
une femme libre et
heureuse, pleine de
cette lumière
intérieure qui vous
manque tant. Horreur
suprême, c'était aussi
une intellectuelle,
qui aimait son métier
de prof de lettres en
collège. Car oui, chez
nous, les femmes ont
non seulement le droit
d'être éduquées, mais
aussi d'enseigner.
Tout comme elles ont
le droit d'aller où
bon leur semble,
d'écouter de la
musique, de boire de
l'alcool et d'aimer
qui elles veulent.
Sans burqa, ni
violence. Bref, de
jouir de cette liberté
qui vous fait tant
horreur. Et dont
Paris, «la capitale
des abominations et de
la perversion»,
dis-tu, s'est fait
depuis longtemps la
représentante.
Oui,
chers sœurs et frères,
n'en doutons pas :
l'abomination et la
perversion n'est pas à
chercher dans le
massacre d'innocents
par des fanatiques
surarmés, qui
travestissent le Coran
en un manuel du
parfait petit
terroriste, mais dans
cette vie païenne,
faite de plaisirs et
de joie. Cette «fête
de la perversité» qui
réunit, de semaine en
semaine, des milliers
«d'idolâtres» ;
lesquels, au lieu
d'adorer la Mort comme
vous le faites en
«(divorçant) de la vie
d'ici-bas», préfèrent
se rassembler pour
communier ensemble,
dans un instant de
partage et d'adoration
de l'existence.
À ce
titre, mon petit,
ridicule, mesquin
Daech, je te dois un
aveu : moi aussi, je
suis un pervers et un
idolâtre. J'aime la
vie, le métal, les
restaus et, parfois
même, regarder un
match de foot. Mea
culpa, mea maxima
culpa. Je suis un
Croisé, comme tu dis.
Un Croisé de la
liberté, de l'amour et
de la convivialité ; à
la différence,
cependant, que
contrairement à toi,
j'ai évolué depuis le
Moyen Âge. Ma religion
n'est pas faite de fer
et de sang, comme la
tienne, mais de chair
et d'espoir. Aussi, si
tu veux un bon
conseil, mon cher
Daech, dépêche-toi :
car l'Histoire est sur
tes talons, et déjà
les Lumières que tu
veux éteindre menacent
ton califat d'un autre
âge.
«Allah
est le plus grand»,
écris-tu. «Or c'est à
Allah qu'est la
puissance ainsi qu'à
Son messager et aux
croyants. Mais les
hypocrites ne le
savent pas» (sourate
63, verset 8). Sur ce
point, je ne peux que
te donner raison.
Qu'on l'appelle Dieu,
Yahvé ou Allah, le
Tout-puissant n'a
guère besoin que l'on
tue en son nom, ni que
l'on pervertisse Ses
lois. Alors, pourquoi
continuer à tuer ? Ton
Seigneur est-il si
faible, dans ton
esprit, qu'il ne
puisse agir de
lui-même ? Je ne peux
le croire. Ce que je
crois, en revanche,
c'est que tu
t'arranges bien de Son
silence. Qu'en tuant
au nom de ce même
islam et des musulmans
que tu prétends
défendre, tout en les
assassinant, c'est la
Création divine que tu
détruis. Ce qui fait
de toi un impie, un
pécheur, encore plus
coupable que le
croyant que tu
exècres, ou les païens
que nous sommes. Mais
cela, les hypocrites
ne le savent pas.
Simon
Casteran(*)
(*) Simon
Casteran, journaliste
toulousain, a perdu sa
cousine, Madeleine, 30
ans, professeur de
français, vendredi
soir, morte au
Bataclan à Paris. Sur
son blog personnel, lessermonsdulundi.com,
il adresse à Daech une
lettre forte,
intelligente et
inspirée de la soif de
vie de sa cousine.