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Plusieurs autres hypothèses peuvent expliquer la tendance croissante à la sécularisation de la plupart des sociétés.
Une
récente enquête du
Pew Resarch Center s’intéresse
à l’évolution de la religiosité dans le monde en privilégiant les
évolutions survenues entre les générations nouvelles (moins de 40 ans)
et les générations plus anciennes. Ici, les comparaisons peuvent se
faire pays par pays ou de continent à continent mais sans qu’il soit
possible de connaître les affiliations religieuses précises des
individus.
Le fort mouvement de sécularisation observé en Europe occidentale (voir
le premier volet de cet article) est en réalité général dans l’ensemble de l’Europe, même s’il est moins accentué en Europe orientale.
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C’est en Europe, où la religion chrétienne est largement dominante,
que ce mouvement est le plus net avec l’Amérique du nord, également
chrétienne. La tendance est la même en Australie, très différente de la
région Asie-Pacifique en général. En particulier, c’est en Europe que
l’écart entre les personnes qui se revendiquent d’une religion et celles
qui estiment que la religion est très importante dans leur vie
personnelle est le plus grand, et c’est en Europe, de même qu’en
Australie, au Canada et aux États-Unis que la proportion d’irréligieux
est la plus grande.
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La baisse de la religiosité, une tendance notable
La situation des États-Unis par rapport aux autres pays occidentaux
développés est demeurée longtemps particulière, la religiosité y étant
très grande. Mais l’arrivée des nouvelles générations est en train de
réduire cette originalité. Ainsi, l’évolution des plus aux moins de 40
ans est spectaculaire. La proportion de personnes ayant une affiliation
religieuse est passée de 83% à 66% entre ces deux sous-populations et
celle des personnes pour lesquelles la religion occupe une très grande
place dans leur vie personnelle de 60% à 43%.
Au vu de ces chiffres il serait tentant de tirer la conclusion que la
religion chrétienne est beaucoup plus menacée par la tendance à la
sécularisation que la religion musulmane du fait d’une fragilité
particulière qui serait due à ses caractéristiques propres, d’autant
qu’en Afrique du nord et au Moyen-Orient, où l’islam est largement
dominant, une telle tendance est inexistante du point de vue de
l’affiliation religieuse et faible du point de vue de l’importance de la
religion ressentie dans la vie personnelle.
Une telle hypothèse, pour séduisante qu’elle puisse paraître, est
cependant contredite par les faits. Certaines sociétés fortement
chrétiennes n’ont pas connu un tel mouvement aussi puissant de
sécularisation, notamment en Amérique latine. En Afrique sub-saharienne,
qu’il s’agisse de sociétés à dominante chrétienne ou musulmane, un tel
mouvement ne s’est pas produit. Au Moyen-Orient et en Afrique du nord,
en revanche, où les sociétés sont musulmanes, un tel mouvement, s’il est
faible est néanmoins perceptible, notamment en Algérie, en Jordanie, en
Égypte et même en Iran. La colonne de droite du tableau montre que,
quelle que soit la proportion, plus ou moins élevée, de personnes qui
accordent une grande importance à la religion dans leur vie personnelle,
mise à part l’Afrique subsaharienne, la baisse de la religiosité est
une tendance qui apparaît dans toutes les régions, quelle que soit la
religion dominante, par le phénomène de remplacement des générations.
Plus le PIB par habitant est élevé, moins on prie quotidiennement
Plusieurs autres hypothèses peuvent alors être avancées pour
expliquer cette tendance croissante à la sécularisation de la plupart
des sociétés. La plus féconde nous est fournie par les données de
l’enquête: les progrès de la sécularisation dans les différentes
sociétés sont étroitement liés à l’ampleur des évolutions économiques,
démographiques et sociales que ces sociétés connaissent et ont connu.
L’enquête utilise cinq variables pour mesurer ces relations, pays par
pays: la dynamique démographique, l’espérance de vie, le nombre moyen
d’années d’études des habitants, la richesse par habitant et
l’importance des inégalités.
Au Nigeria où l’espérance de vie est de 50 ans, la fréquence de
l’assistance à l’office de 90% tandis qu’aux Pays-Bas où l’espérance de
vie est de 83 ans, elle est seulement de 10%.
De manière générale, ces cinq variables sont étroitement corrélées
avec les variables religieuses utilisées. Donnons quelques exemples. Les
habitants d’un pays estiment d’autant plus souvent que la religion est
très importante dans leur vie personnelle que la population du pays est
en augmentation rapide. Ainsi tandis qu’au Niger où la population
devrait plus que quadrupler entre 2015 et 2060, 86% des habitants
estiment que la religion est très importante pour eux, au Danemark, où
le taux de remplacement de la population est à peine atteint, cette
proportion est de moins de 10%. De même, s’agissant de taux d’inégalité
(indice entre 0 et 1), alors que la Zambie a un taux d’inégalité de 0,6
et la Finlande un taux de 0,2, les Zambiens sont 90% à estimer que la
religion est très importante dans leur vie ce qui n’est le cas que de
10% des Finlandais.
Si l’on utilise comme variable la fréquence de l’assistance à
l’office religieux, cette fréquence est inversement proportionnelle à
l’espérance de vie dans le pays considéré. Ainsi, par exemple, au
Nigeria où l’espérance de vie est de 50 ans, la fréquence de
l’assistance à l’office de 90% tandis qu’aux Pays-Bas où l’espérance de
vie est de 83 ans, elle est seulement de 10%. De même, cette fréquence
est inversement proportionnelle au nombre d’années moyen de
fréquentation de l’enseignement scolaire. Tandis qu’en Estonie, cette
durée est de 13 années et la fréquence de l’assistance à l’office de 3%,
ces proportions sont respectivement d’une année et de 93% au Niger.
Si, enfin, l’on utilise l’indicateur économique du PIB par habitant
ajusté par parité de pouvoir d’achat et l’indicateur religieux de prière
quotidienne, la fréquence de la prière quotidienne est inversement
proportionnelle à la richesse par habitant. Ainsi, tandis que le PIB PPA
en Norvège est de 70.000 dollars et la fréquence de la prière
quotidienne de 18%, en Afghanistan, il est de 4.000 dollars et la
fréquence de la prière de 98%.
Les religions, des phénomènes sociaux
Ces données nous conduisent à penser que ne sont pas d’abord les
spécificités et particularités de la religion chrétienne par rapport à
la religion musulmane ou à d’autres religions qui ont produit
directement –car une influence indirecte peut être recherchée– le
mouvement de sécularisation qui a, en premier lieu, affecté les sociétés
chrétiennes, mais l’état social et économique des sociétés concernées
et leur évolution. Il se trouve que le développement économique et
industriel des sociétés chrétiennes a été plus précoce et plus rapide
que celui des sociétés musulmanes. Ce développement, et la manière dont
il s’est effectué politiquement et socialement, ont créé les conditions
philosophiques et matérielles qui ont été les moteurs du processus
d’individualisation des sociétés.
Comparer les sociétés chrétiennes aux sociétés musulmanes aujourd’hui
ne peut pas seulement consister à comparer l’état des deux religions
mais aussi celui des sociétés dans lesquelles elles sont enracinées.
Si les sociétés occidentales ont entamé avant les autres le mouvement
de sécularisation, c’est d’abord parce qu’elles sont devenues avant les
autres des
«sociétés des individus», pour reprendre le concept de
Norbert Elias.
Dans ces sociétés, le contrôle social des Églises chrétiennes,
relativement facile et durable à exercer lorsque ces sociétés étaient
holistes, la religion constituant alors un élément fondamental de leur
homogénéité et de leur identité, s’est affaibli au fur et à mesure que
les individus ont acquis une autonomie croissante en leur sein. S’est
alors développée une tendance à l’irréligion, mais aussi, comme nous
l’avons vu dans le précédent article, un affaiblissement notable de la
religiosité chez les individus qui continuent de revendiquer leur
appartenance à la religion chrétienne. Cette tendance à
l’individualisation les a conduits, de manière croissante, à prendre
leurs distances avec les Églises et les dogmes religieux, participant
ainsi à la sécularisation de la société. Du coup, dans ces sociétés, il
n’est plus aisé d’opposer de manière nette les chrétiens dans leur
ensemble aux irréligieux.
Comparer les sociétés chrétiennes aux sociétés musulmanes aujourd’hui
ne peut donc pas seulement consister à comparer l’état des deux
religions mais aussi celui des sociétés dans lesquelles elles sont
enracinées. Par exemple, alors que, dans les sociétés musulmanes, la
religion est considérée massivement comme très importante par les
individus qui la composent (le plus souvent plus de 80%), chez les
musulmans qui habitent dans des sociétés occidentales, cette proportion
n’est que de 54% en France, de 66% aux États-Unis et de 69% en Israël.
Les religions étant des phénomènes sociaux, leur comparaison ne peut
ainsi s’effectuer, du point de vue de la sociologie, qu’en englobant
dans leur analyse les sociétés elles-mêmes dans lesquelles elles sont
enracinées.
Source : http://www.slate.fr/story/164051/religions-monde-chretiente-islam-juif-secularisation