“Si la résistance est trop grande, un pas en arrière est souvent plus intelligent qu’un passage en force”, amorce le site d’information allemand T-Online dans un article d’opinion, ce samedi 15 avril. “Cela s’applique, par exemple, lorsqu’un coin de table ne veut pas passer dans le cadre d’une porte, et cela s’applique également à la réforme des retraites du président français Emmanuel Macron”, développe le titre. Certes, “il est toujours possible de passer en force”, et la décision du Conseil constitutionnel, qui a validé la majeure partie de la réforme des retraites, a conforté le dirigeant français dans cette voie. Mais “il faut alors s’attendre à des dommages considérables”, prévient T-Online.

Un raisonnement qui correspond en tout point à la définition de l’expression “victoire à la Pyrrhus”, employée par le quotidien britannique The Guardian pour décrire celle obtenue par le président français : une victoire arrachée au prix de pertes si lourdes qu’elle équivaut quasiment à une défaite. Pourtant, “Emmanuel Macron n’a pas perdu de temps”, constate de son côté le correspondant à Paris du journal Le Temps : “Tôt ce samedi matin, la réforme des retraites, avec sa mesure phare de recul de l’âge de départ à 64 ans, a été promulguée au Journal officiel.” Soit quelques heures seulement après la requête des syndicats qui lui avaient “demandé ‘solennellement’” de ne pas le faire, précise le quotidien suisse.

“Jugement de Salomon”

La décision des neuf Sages français annoncée la veille sonnait déjà comme “un jugement de Salomon”, estime quant à lui le Tagesspiegel, préférant une référence biblique à la mythologie romaine. En validant les mesures les plus contestées de la réforme – notamment l’augmentation à 64 ans de l’âge légal de départ à la retraite –, et en rejetant celles qui étaient présentées comme des contreparties – la création d’un index senior obligatoire pour les grandes entreprises, le suivi médical des personnes qui exercent un métier pénible ou encore la création d’un fonds pour la pénibilité –, le Conseil constitutionnel a donc pris selon ce quotidien allemand une décision similaire à Salomon, qui tranche un enfant en deux pour départager deux femmes qui se le disputaient.

“Ni vainqueur, ni vaincu”, affirme la Première ministre française, Élisabeth Borne, à propos de la réforme des retraites. Mais le Tagesspiegel émet des doutes, s’inquiétant de l’état de la démocratie française.

Méthodes “brutales”

Pour Christoph von Marschall, spécialiste de la diplomatie pour ce journal berlinois, “les scènes affreuses [d’affrontements] observées en France sont l’occasion d’interroger les idées reçues sur la démocratie et l’État de droit dans les différentes régions de l’UE”. La France, ce “voisin de l’ouest si apprécié [en Allemagne] ”, agit-elle “plus démocratiquement que la Hongrie et la Pologne ? ” Le journaliste s’interroge :

“Quelle serait l’opinion publique, si des populistes nationalistes comme Viktor Orban à Budapest ou le gouvernement [d’extrême droite] du PiS à Varsovie, imposaient une réforme aussi fondamentale que l’augmentation de l’âge de la retraite avec des méthodes autoritaires similaires à celles de Macron à Paris, sans vote au Parlement ? Pour ensuite les faire valider par un Conseil constitutionnel dont ils ont choisi la plupart des membres ? ”

Dans le quotidien espagnol El País, l’éditorialiste Enric González voit dans l’attitude d’Emmanuel Macron une “honnêteté brutale” : selon lui, “nul ne peut prétendre être trompé”, puisque la réforme des retraites figurait au programme du chef d’État lorsqu’il a été réélu. La question de la forme demeure critiquable, nuance-t-il, puisque la réforme a été menée “par décret, avec l’opposition de l’Assemblée nationale et avec une certaine forme de cynisme de la part du président”.

En outre, le dirigeant français a tout de même manqué d’honnêteté lorsqu’il affirmait, il y a quelques mois encore, “écarter totalement la possibilité de faire passer la réforme par le biais de l’article 49.3”. Quant à la brutalité, elle est selon lui une constante : Emmanuel Macron “a été aussi brutal dans les salons que la police ne l’a été – et continue de l’être – dans la rue”.

L’extrême droite au tournant

La conséquence de ces choix politiques, alerte T-Online, pourrait être désastreuse : dans son éditorial, le journal estime qu’Emmanuel Macron “doit retirer son projet phare, du moins pour le moment, s’il ne veut pas que le pire se produise : à savoir, devoir céder la présidence à la politicienne qui se tient à sa droite, Marine Le Pen, à l’issue de son deuxième et dernier mandat”. Pour le média allemand, même s’il reste beaucoup de temps avant l’élection présidentielle de 2027, le calcul est clair :

“Aussi importante soit-elle, cette réforme des retraites ne vaut pas les dommages collatéraux qu’elle risque d’engendrer. [Emmanuel Macron] doit se décider : préfère-t-il assurer la victoire aux syndicats ou, dans un avenir prévisible, de son ailière droite, Marine Le Pen ? ”

L’arrivée au pouvoir de l’extrême droite en France “serait aussi un problème pour l’Allemagne”, note au passage le site d’information, et pour le reste de l’Europe. Pour le Rassemblement national, confirme l’éditorialiste d’El País, cette séquence politique “constitue un levier de taille”, qui pourrait “suffire à lui permettre d’atteindre cette majorité que les électeurs lui ont refusée deux fois”.