Source : Radio Vatican, 15-12-2016
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Vincent Gelot, chargé de projet à  l’Œuvre d’Orient pour le Liban et la Syrie. Il est actuellement à Alep-ouest. Pour écouter son témoignage  c’est ici
Transcription : 
Vincent GELOT – La situation a pas mal évolué en quelques heures. Ces derniers jours, les bombardements continuaient, jusqu’à ce matin très tôt. À présent, les bombardements se sont tus depuis quelques heures : on en entend de temps en temps mais c’est très épisodique. Aujourd’hui, on n’entendait pas grand-chose donc a priori les gens sont en train de partir de ce qu’on appelait Alep Est. Ils sont en train d’être évacués. Les cessez-le-feu qui étaient annoncés volaient en éclats : les combats s’arrêtaient puis reprenaient.
Manuella AFFEJEE – Vous vous trouvez à Alep Ouest, quelle est la situation ?
VG – La vie a repris à Alep Ouest, les gens sortent, les enfants vont à l’école : la vie continuait déjà pendant la guerre. Mais là, en quelques heures, la vie a repris vraiment de plus belle : les gens sortent, prennent la voiture… Et surtout, les routes se sont ouvertes : tous les barrages qui existaient il y a 48 heures se sont levés, donc aujourd’hui, on avait accès à toute la partie qui était occupée par les rebelles. On peut aller jusqu’à l’aéroport par exemple ; on peut aller dans certains quartiers qui étaient fermés jusqu’ici. C’était assez impressionnant de suivre les gens qui n’avaient pas revu leur maison depuis cinq ans, par exemple. Tous les déplacés de cette zone-là qui avaient quitté la partie Est de la ville pour aller vers l’Ouest, qui revenaient voir l’état de leur maison… maison détruite ou pillée.
MA – On est confronté à deux types de réactions, même dans la rhétorique, dans les mots utilisés : certains parlent de « chute d’Alep », de « mort d’Alep », d’autres parlent de « libération » justement. Comment les événements sont-ils vécus par les habitants que vous côtoyez ?
VGLes gens sont soulagés. Cela fait quatre ans que c’est la guerre, qu’il y a des obus qui tombent des deux côtés. Aujourd’hui, ils peuvent sortir dans la rue sans craindre de recevoir un obus ou un morceau de métal d’une bombe éclatée. Je crois que c’est cela, la première chose.Ensuite, que l’on parle de libération ou que l’on dise que Alep est tombée, les gens ne prennent pas position : ils voulaient juste la paix, c’est tout ce qu’ils demandent. Les gens vivaient dans la terreur. Je suis admiratif de ces Alépins qui ont vécu au quotidien avec la peur de recevoir une bombe et dans des conditions extrêmement difficiles, avec le manque d’électricité, d’eau et aujourd’hui de chauffage pendant l’hiver.
MA – Comment les Alépins envisagent-ils l’avenir à présent ?
VG – J’ai l’impression qu’ici les gens ont vécu dans une logique de survie, donc pendant plusieurs mois, plusieurs années, c’était difficile de se projeter dans l’avenir. On dit que ça s’arrête mais on n’en est pas sûrs, les gens ne savent pas ce qui va arriver ensuite : peut-être que dans quelques heures les bombardements peuvent reprendre. C’est sûr qu’il y a un travail énorme de nettoyage et de reconstruction – reconstruction de la ville et des personnes. Et aussi de réconciliation. C’est un peuple qui a été brisé, les gens sont fatigués.
On dit que c’est la fin des combats mais ce matin, j’étais dans la partie – disons, libérée – de la ville, Alep Est : on voyait l’armée syrienne, l’armée du régime, et puis il y avait aussi des milices iraniennes, des milices du Hezbollah, il y avait le YPG (les Kurdes) qui prenaient position dans la ville. J’avais l’impression qu’on assistait déjà à une partition de Alep. Cela ne signifie pas forcément de belles heures à venir.
MA – Donc la prise de Alep ne signe absolument pas la fin de la guerre, on l’a pas bien compris. Vous êtes logé, si je ne m’abuse, chez les jésuites. C’est bien cela ?
VG – Tout à fait.
MA – J’imagine que vous côtoyez les chrétiens qui sont restés à Alep. Beaucoup sont partis mais il y en a qui sont restés. Quel est l’état d’esprit à l’approche de Noël ?
VG – Noël se prépare un petit peu, on voit des sapins qui poussent un peu partout, des guirlandes… Les gens préparent quand même Noël. Et les gens fêtaient Noël même pendant les années précédentes. Ils sont pris dans leur quotidien : le gasoil, faire chauffer la maison, manger tous les jours. 
J’ai posé à quelques Alépins la question de ce que Noël signifiait pour eux : certains me parlaient de résurrection, dans tous les sens du terme. J’étais avec l’évêque maronite, Monseigneur Tobji : l’unique église d’Alep, la cathédrale, a été complètement démolie, le toit est ouvert mais ils vont installer une crèche et célébrer Noël dans les ruines de la cathédrale. 
Il y a des symboles forts qui vont se mettre en place pour Noël pour Alep.
Source : Radio Vatican, 15-12-2016