« Pourquoi le PC a perdu les pauvres ? » (par Franck Marsal)
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Août Blog histoireetsociete
J’aime bien les questions simples et directes. Celle-ci m’a été
posée hier soir sur facebook par un ami Facebook (Ch. Valas) et, il m’a
semblé qu’elle méritait une réponse. Voici donc la question (en version
complète) :
« On peut se demander pourquoi les pauvres votent et donnent le
pouvoir aux riches. Alors qu’ils sont les plus nombreux et qu’ils
peuvent aisément remporter toutes les élections et étant au pouvoir
organiser la répartition des richesses. Pourquoi le PC a perdu les
pauvres? »
Et ma réponse :
Pauvres ? Ou « prolétaires » ?
Définir les gens comme « Pauvres », c’est les définir par ce à quoi
ils ont accès, non par ce qu’ils font ni ce qu’ils sont. Dans notre
société, les « pauvres » ne sont pas une minorité de marginaux. C’est de
plus en plus la masse de ceux qui, comme disait Marx, n’ont pour vivre
que la force de leur travail, les prolétaires. Ce sont plusieurs
milliards de personnes à l’échelle mondiale de notre système de
production. Ils sont les producteurs essentiels de toutes les richesses
qui permettent aux « riches » d’être riches et à la société dans son
ensemble de vivre et de se perpétuer.
Donc, ceux qui subissent la pauvreté ne sont pas réellement des
« pauvres ». Ils sont au contraire très riches, riches de ce qu’ils
savent faire, de ce qu’il produisent chaque jour, de ce qu’ils donnent à
la société, qui sans eux, ne tient pas. Simplement, ils n’ont pas accès
aux richesses qu’ils produisent. Non seulement ils n’y ont pas accès,
mais, le plus souvent, ils n’ont pas conscience de la valeur
indispensable de ce qu’ils produisent, entre autres parce qu’ils n’ont
pas de vision d’ensemble du système de production, ni d’accès aux
comptes de leur propre entreprise.
Qu’est-ce que la conscience politique « communiste » ?
Les travailleurs ne sont donc effectivement pas « spontanément »
communistes. En fait, personne n’est « spontanément » communiste, et la
classe ouvrière, même celle qui correspond à l’image d’Epinal, n’a
jamais été communiste par « réflexe spontané ».
Car, pour être communistes, il ne suffit pas d’être « pauvre » ou
plutôt prolétaire. Il faut aussi être conscient de sa place dans la
société, et du fait que cette pauvreté est le résultat d’une
exploitation, d’une spoliation. Et même si on a confusément cette
conscience, il faut en acquérir une conscience politique, c’est a dire
comprendre d’où cela vient et comment cela.peut
être changé. Qui plus est, il faut acquérir la conviction que le
renversement complet de l’ordre existant est préférable, ou est la seule
voie réaliste pour améliorer son sort de travailleur.
Or, ceci n’a aucun sens sur un plan individuel. Si vous êtes seul à
être communiste, à faire grève ou à tenter de renverser le capitalisme,
cela n’a aucune chance de marcher. Au contraire, vous avez toutes les
chances d’avoir les pires ennuis. C’est pourquoi la conscience politique
résulte (bien sûr) d’une analyse politique, économique et historique du
capitalisme (dont Marx et Engels ont posé les bases claires, mais qui
doit être reformulée à chaque nouvelle étape historique) et néanmoins ne
peut être qu’un phénomène social, collectif, organisé, se développant
essentiellement sur un temps historique et à travers des expériences
collectives.
C’est pourquoi le développement d’une conscience politique
communiste, y compris chez les ouvriers, n’a rien d’automatique ni de
spontané.
L’expérience historique montre qu’il existe toujours spontanément une
fraction des travailleurs qui adhèrent à l’idéologie dominante,
aujourd’hui le libéralisme, et une autre qui cherche à négocier, souvent
par l’entremise de l’état réputé démocratique, une simple amélioration
de ses conditions de vie. Lorsque le capitalisme semble stable et
prospère, ces deux tendances sont politiquement dominantes.
L’exemple historique du Parti Communiste Français :
Considérons rapidement l’histoire du PCF : Celui-ci est créé en 1920,
lors du congrès de la SFIO, sous l’impulsion politique d’une part de la
1ère guerre mondiale, une expérience politique terrible vécue par les
masses et d’autre part de la révolution russe, qui remet au devant de la
scène les idées communistes, reformulées par Lénine (et d’autres) pour
la période en cours.
Ce congrès est en réalité celui du Parti Socialiste, qui s’est divisé
suite à ces deux événements. C’est parce que les délégués acquis aux
idées communistes y sont majoritaires, que ce congrès décide de changer
le nom et l’idéologie du parti, de créer le Parti Communiste. C’est
ainsi que « L’Humanité », journal fondé par Jean Jaurès est devenu
l’organe central (c’est un peu plus compliqué aujourd’hui) du PCF.
Pourtant, même si la tendance communiste est majoritaire au congrès
de Tours en 1920, face à la tendance social démocrate, pendant environ
15 ans, le PC va rester très minoritaire, non seulement sur un plan
électoral, mais également dans le mouvement syndical. Ce n’est qu’au
plus fort de la crise mondiale, lors des grèves de 36 puis dans la
résistance, que le PCF devient progressivement la force prédominante à
gauche, sans pour autant être hégémonique d’ailleurs.
On peut constater la traduction de cet historique dans les scores
électoraux du PCF lors des différentes élections législatives par
exemple. En 1932, le PCF recueille moins de 800 000 voix, 8,3 % et
seulement 10 sièges de députés. On pourrait alors conclure que
l’expérience du PCF va rapidement s’achever sur un échec et que les
« communistes » ont perdu les ouvriers, qui restent très largement
acquis aux idées social-démocrates.
Il n’en sera rien. Au contraire. 13 années plus tard, le PCF
recueille plus de 5 millions de voix, jusqu’à 28 % et obtiendra en
novembre 1946 182 sièges de députés.
Résultats du PCF aux élections législatives (référence Wikipédia)
Le reflux et ses racines économiques et sociales
Après la seconde guerre mondiale, sur la base de la reconstruction,
de la fin des empires coloniaux et d’une relative unification économique
et technique du monde capitaliste sous la direction américaine,
celui-ci connait une longue période d’expansion, de développement et de
modernisation.
Lorsque celle-ci commence à porter ses fruits, logiquement, les idées
communistes régressent, les idées conservatrices et social-démocrates
reprennent le dessus, soutenues puissamment par les institutions
capitalistes, les états, les medias et une parties des
« intellectuels »… Cela n’est pas une spécificité française, mais une
tendance mondiale.
Le PCF s’affaiblit alors ET en même temps subissant la pression
idéologique ambiante évolue vers la droite de manière plus ou moins
consciente, avec une apogée avec l’arrivée de Robert Hue comme
secrétaire national. Cela se traduit sur les plans idéologiques (abandon
de la « dictature de prolétariat », du « centralisme démocratique »),
organisationnels (rupture du lien « organique » entre le journal
‘L’Humanité’ et le PCF, abandon des « écoles de formation »), syndicaux
(rupture du lien entre PCF et CGT) et programmatiques (notamment
l’abandon de la notion générale de « nationalisation » au profit de
« pôles publics ») …
La gauche « radicale »
La dynamique change à partir de 2008, première crise générale
mondiale du capitalisme comparable à celle de 1929. Il est important de
comprendre que, même si la France entre dans un ralentissement
économique à partir de 1973, l’économie mondiale continue de progresser à
un rythme soutenu jusqu’en 2008, s’appuyant notamment sur les pays
émergents.
Et c’est tout aussi logiquement – à mon avis – que lorsque la crise
mondiale frappe à nouveau le capitalisme (en 2008 au niveau mondial, pas
avant), les premières réactions politiques soient d’abord l’émergence
de forces social-démocrates « radicales », comme Syriza en Grèce, la FI
en France, Corbyn en Angleterre ou Sanders aux USA.
En dépit de leur discours « radical », ces forces au-delà de leur
diversité idéologique, appellent à un capitalisme « amélioré », plus
démocratique, plus redistributif, plus écologique et plus keynesien.
En effet, le développement d’une conscience communiste nécessite à la
fois une reformulation des idées dans le cadre de la période actuelle,
et une série d’expériences politiques qui permettent de clarifier les
enjeux des différentes options.
Une phase de dissonance cognitive
Il faudra tout un cycle d’expérience politique avant que les idées
communistes, correctement reformulées, ne reprennent le dessus. On
mesure, avec l’exemple de la Grèce, à quel point, même avec des
politiques de régression sociales très violentes, même avec l’échec
avéré de l’expérience de la gauche radicale « Syriza », ces évolutions
dans les mentalités sont longues et difficiles.
Nous sortons d’une période où l’anti-communisme dans toutes ses
formes a été inculqué très en profondeur. Je pourrais en citer des
dizaines d’exemples, depuis le travail théorique de Marx et Engels sur
le capitalisme, très occulté ou déformé, notamment dans les parcours
scolaires et universitaires jusque, bien sûr les expériences socialistes
du 20 ème siècle.
Il est frappant de constater que, malgré l’échec patent du « nouvel
ordre mondial » impulsé par les USA après l’effondrement de l’Union
Soviétique, il reste difficile de parler sereinement et objectivement de
ce que fut l’expérience soviétique. Pourtant, quel est le bilan de ces
25 ans sans URSS ?
Nous devions avoir la paix universelle. Tous les problèmes
géopolitique de la guerre froide allaient être résolus. Non seulement,
l’OTAN n’a pas été dissous, mais, depuis la chute de l’URSS, les USA et
leur alliance militaire principale n’ont cessé d’augmenter leur budgets
militaires et de semer la guerre et le chaos. Il y eu la 1ère guerre
d’Irak, l’éclatement forcé de la Yougoslavie et trois guerres (Croatie,
Bosnie, Kosovo) s’en suivirent. Puis l’invasion de l’Afghanistan et la
seconde guerre d’Irak. Aujourd’hui, la guerre fait rage de Tombouctou a
Kaboul (voire au-delà) et de Bangui à l’Ukraine.
Nous devions avoir la prospérité générale. Il faut se souvenir qu’un
des principaux arguments utilisé pour discréditer les pays socialistes
était la vétusté de leurs automobiles. Si vous choisissiez le
socialisme, on vous promettait des « Trabants », vieilles voitures
est-allemandes peu confortables, si vous choisissiez le capitalisme,
vous pouviez avoir des Mercédès, des BMW ou des Audi. Pourtant, le monde
capitaliste a connu, environ quine ans après la chute de l’URSS sa pire
crise économique depuis celle de 1929. Presque partout sauf en Chine,
la pauvreté et misère sont en progression constante. Quant à la Chine,
rappelons qu’ à l’époque, il était dit qu’avec Deng Xiaoping, elle avait
déjà fait le choix du capitalisme et que l’effondrement du Parti
Communiste n’était qu’une question de temps – on voit là aussi que cette
prédiction était fausse.
Les marchés libérés et les privatisations allaient nous libérer des
Etats. Nous n’aurions quasiment plus d’impôts à payer puisque l’ensemble
des services publics privatisés seraient devenus prospères et tellement
plus efficaces.
Enfin, on nous promettait une démocratie universelle. En guise de
quoi, l’ensemble des systèmes politiques sont revenus au stade des
années 30, gangréné par les « affaires », la corruption, la montée des
nationalismes, le contrôle de plus en plus visible des grands intérets
financiers sur les médias et la diffusion des idées.
En filigrane de tout cela, on dressait le portrait du communisme.
L’Union Soviétique menaçait la paix et voulait « nous envahir » pour
imposer son modèle. Les services publics nationalisés étaient
inefficaces. Les fonds de pension seraient le système de retraite
moderne qui allait remplacer notre vieille sécurité sociale. Les partis
communistes, qui comptaient pourtant des millions de militants,
entrainant autour d’eux un vaste mouvement social n’étaient que des
simulacres…
Ce discours est en train de craquer. Nous sommes sur le point de
réviser tout ce qui nous a été dit depuis 50 ans sur le communisme et le
capitalisme. C’est ce pourquoi précisément cette question m’a été
posée. Si la restauration globale du capitalisme depuis la fin de l’URSS
avait été le succès annoncé, personne ne prendrait même la peine de
poser la question, de discuter du communisme, … On ne se poserait
d’ailleurs pas la question de savoir si les « pauvres votent PC »,
puisqu’il n’y aurait plus de pauvreté.
Il faut avoir milité dans ces années-là pour mesurer combien
inconsciemment le rapport que nous avons collectivement avec le
communisme a changé. Chaque jour ou presque apporte une nouvelle de
l’échec du capitalisme. L’espoir dans un monde de paix et de prospérité
s’est transformé en une sourde inquiétude.
Nous sommes dans la phase de la dissonance cognitive. Les
informations que nous recevons ne sont plus compatibles avec les
croyances que nous avons. Cela suscite une grande perplexité, des
interrogations, mais à l’échelle historique, les grands événements n’ont
pas encore eu lieu. Nous n’avons pas encore assez d’éléments pour, à
une large échelle, reconsidérer ces croyances. Pas encore. Simplement
pas encore.