" Connaissez-vous Nicolas Ruault ? Non ?
C'était
ce qu'on pourrait appeler : un bourgeois éclairé. Il vivait au
XVIIIe siècle, fréquentait l'intelligentsia de son époque et était
éditeur de Beaumarchais et de Voltaire, ce qui n'est pas rien. Si l'
Histoire a retenu son nom au grand plaisir des historiens ,
c'est parce qu'il a écrit à son frère de manière régulière entre
1783 et 1796 et qu'il eut l'excellente idée de conserver une copie de
ses lettres en subodorant qu'elles seraient utiles plus tard
à la compréhension de son époque. En effet, il raconte les
évènements politiques, littéraires, ainsi que les petits et grands
potins de cour et fait part de son analyse de ces évènements. Ces
écrits épistolaires ont été publiés ( mais pas réédités à ma
connaissance) sous le titre " Gazette d'un Parisien sous la révolution" (
Librairie académique Perrin 1975 ). Je suis l'heureux
propriétaire d'un exemplaire de ce livre acheté d'occasion.
Voici
ce qu'écrit Nicolas Ruault le 26 novembre 1786, donc environ 2 ans et
demi avant la prise de la Bastille, en faisant référence à un
ouvrage de Condorcet sur la vie de Turgot. Lisez bien, ça vaut son
pesant de dividendes !:
"On
le regarde aujourd'hui ( il s'agit de Condorcet) comme le chef de cette
sorte de philosophes dont toutes les vues tendent au bonheur du
peuple, mais qui ne prennent peut-être pas le meilleur chemin pour y
parvenir. Leur ennemie mortelle, la finance, est devenue si
puissante, si orgueilleuse, si despote qu'il faut croire qu'elle ne
pourra aller plus haut et qu'elle périra infailliblement avant peu
d'années (...) Une révolution effrayante est très prochaine,
nous en sommes tout près, nous touchons incessamment à une crise
violente. Les choses ne peuvent aller longtemps encore comme elles vont.
Cela saute aux yeux. Tout est agio, finance, banque,
escompte, emprunt, pari, virement etc...Toutes les têtes sont
tournées vers l'argent, sont folles de ces sortes de spéculations.
Patience nous verrons beau jeu en 1800 ! Vivons cependant et
faisons en sorte de n'être pas emportés par la débâcle future.
Adieu
mes chers amis, ne vous effrayez pas trop de ma prédiction. Tapissez
vous
dans votre petit terrier, laissez faire les fous, et tâchons de
n'être que le spectateur de l'écroulement de la montagne creuse que
menacent tous ces étourdis qui grimpent dessus par
milliers"
Deux
cents vingt sept ans plus tard, après avoir traversé la Révolution,
l'Empire, de nouvelles royautés, le Second Empire et cinq
républiques, nous sommes toujours affligés d'un monarque, la finance est
toujours aussi vorace, cupide, insatiable et égoïste, il y a
toujours autant d'aveugles imbéciles qui grimpent sur la "montagne creuse" et le bon peuple est toujours le dindon de la farce..."
(1) Tiré du blog de Canaille le Rouge