Voici un texte, un article d’une importance considérable, 
non pour convaincre ou critiquer, mais pour mesurer la gravité de la 
situation et le débat fondamental qui se déroule en Russie, – s’il n’est
 déjà tranché...   L’article est publié ce 14 juin 2023, 
par RT.com, avec un avertissement circonstancié qui permet justement de 
prendre la mesure de son importance.  
Il est délibérément édité, et présenté pour ce qu’il est, – comme une façon de dire :  
“Attention, voici où nous en sommes sur le voie d’une décision d’utiliser du nucléaire” ;
 et il présente une option qui prétend ajouter : il existe une 
possibilité d’utiliser un peu de nucléaire pour éviter l’affrontement 
total, porteur de la fin d’une civilisation, et peut-être de l’espèce 
humaine.  
Le titre, avec le nom de son prestigieux auteur, le professeur Sergei Karaganov, le dit parfaitement :    « En utilisant ses armes nucléaires, la Russie pourrait sauver l’humanité d’une catastrophe globale »    Nous
 le présentons sans prétendre une seconde prendre position sur le 
problème qu’il aborde ; la compréhension profonde de l’existence et des 
données du problème est ce qui nous importe par-dessus tout...  
Nous présentons d’abord l’introduction de RT.com, puis nous ajouterons quelques remarques, – disons “objectives”.     
  « Une décision difficile mais nécessaire obligerait probablement 
l’Occident à faire marche arrière, ce qui permettrait de mettre fin plus
 rapidement à la crise ukrainienne et d’éviter qu’elle ne s’étende à 
d’autres États.    » [Ecrit] par le professeur Sergei 
Karaganov, président honoraire du Conseil russe de la politique 
étrangère et de défense et superviseur académique à l’École d’économie 
internationale et d’affaires étrangères de l’École supérieure d’économie
 (HSE) de Moscou.    » Cet article a suscité un grand débat parmi 
les experts russes sur les armes nucléaires, leur rôle et les conditions
 de leur utilisation.    » C’est d’autant plus vrai que Sergei 
Karaganov est un ancien conseiller présidentiel de Boris Eltsine et de 
Vladimir Poutine, et qu’il dirige le Conseil sur la Politique Étrangère 
et de Défense, un think tank moscovite réputé.    » Certaines personnalités ont réagi avec consternation, tandis que d’autres se sont montrées moins critiques.    »
 RT a décidé qu’il serait bénéfique pour nos lecteurs de lire l’article 
dans son intégralité. L’article suivant a été traduit et légèrement 
adapté. »   On verra, en lisant ce texte, que toutes les 
finasseries et arguments concernant l’emploi ou pas du nucléaire “en 
premier” ne sont même pas évoquée. L’idée qui le conduit est celle d’une
 formidable pression des événements, dans lesquels chacun joue son rôle,
 où chacun accuse l’autre, etc. – tout cela finalement secondaire par 
rapport à l’extraordinaire importance de la décision envisagée.   Nous
 observons pour notre part certains facteurs et éléments objectifs, qui 
permettent de mieux apprécier l’importance du texte, sans porter pour 
autant le moindre jugement. Le texte lui-même est un fait intellectuel 
sinon opérationnel, et il faut l’apprécier comme tel. 
La décision de publier   Il est évident que ce n’est pas RT qui a 
pris la décision de publier, surtout de cette manière si solennelle. 
Pour le coup, il est temps de se rappeler que RT est une organisation 
“publique” russe, comme France24 en France. Par conséquent, la 
publication a été voulue par Poutine, – et cela justifiant notre titre 
“Poutine sort du bois”, parce qu’il décide de mettre sur la table 
l’enjeu final de la guerre.   On doit noter que la publication 
intervient le lendemain d’une séance d’information journalistique 
extrêmement fouillée et ouverte du président de la Fédération de Russie 
sur la “contre-offensive” ukrainienne. Poutine y a montré une extrême 
fermeté et proclamé que les résultats d’une semaine de bataille 
montraient un désastre pour les Ukrainiens et un échec terrible pour 
leur armement otanien. 
Le contenu du texte   Le texte du professeur Karaganov est 
extrêmement précis, notamment sur les conditions d’un éventuel emploi 
(avertissement pour permettre aux populations qui le désirent de fuir) 
et les effets sur l’opinion publique et les directions, notamment des 
pays amis, et particulièrement de la Chine. C’est tout ce qu’on veut 
sauf un “message secret”, une “menace voilée” ou une pompeuse 
“affirmation de puissance”. Les cartes sont dramatiquement posée sur la 
table, en insistant sur le facteur du “moindre des maux”. 
Un effet démonstratif ?   On notera que cette interprétation dite 
du “moindre des maux” (un peu de nucléaire pour éviter la guerre 
générale) rappelle une démarche envisagée en 1944-1945 par certains 
experts US vis-à-vis de la bombe atomique, comme alternative pour éviter
 Hiroshima et Nagasaki : une démonstration dans un lieu désert (en mer, 
au large du Japon ?) de la puissance de l’arme pour éviter son emploi.   Une référence métaphysique & religieuse   Le
 passage le plus inattendue et le plus insolite est celui où le 
professeur Karaganov habille l’armement nucléaire d’une dimension 
métaphysique et religieuse.       « J’ai passé de nombreuses 
années à étudier l’histoire de la stratégie nucléaire et je suis arrivé à
 une conclusion sans équivoque, même si elle n’est pas scientifique. 
L’avènement des armes nucléaires est le résultat de l’intervention du 
Tout-Puissant qui, consterné que l’humanité ait déclenché deux guerres 
mondiales en l’espace d’une génération, coûtant des dizaines de millions
 de vies, nous a donné les armes de l’Armageddon pour montrer à ceux qui
 avaient perdu la peur de l’enfer que l’enfer existait toujours. C’est 
sur cette peur qu’a reposé la paix relative des trois quarts de siècle 
écoulés.    » Mais aujourd’hui, cette peur a disparu. L’impensable en termes de dissuasion nucléaire est en train de se produire... »   Il
 faut se rappeler que de telles références étaient dans l’esprit des 
scientifiques de Los Alamos lors de l’explosion de la première bombe 
atomique, comme par exemple ceci écrit par Oppenheimer :       « Nous
 savions que le monde ne serait plus le même. Certains ont ri, certains 
ont pleuré. La plupart étaient silencieux. Je me suis souvenu d’une 
ligne du texte hindou, le Bhagavad Gita ; Vishnou essaye de persuader le
 Prince de faire son devoir et, pour l‘impressionner, prend son 
apparence aux multiples bras et lui dit : ‘Maintenant je suis la Mort, 
le destructeur des mondes’. Je suppose que nous avons tous pensé cela, 
d’une façon ou d’une autre”. »   Plutôt que d’utiliser le 
titre original (« En utilisant ses armes nucléaires, la Russie pourrait 
sauver l’humanité d’une catastrophe globale »), nous présentons le texte
 sous sa forme la plus sobre et la plus neutre.   dedefensa.org | 
Le texte du professeur Sergei Karaganov
Notre pays et ses dirigeants me semblent confrontés à un choix 
difficile. Il devient de plus en plus évident que notre affrontement 
avec l’Occident ne se terminera pas avec une victoire partielle, – et 
encore moins écrasante, – en Ukraine.
Même si nous libérons complètement les régions de Donetsk, Lougansk, 
Zaporozhye et Kherson, il s’agira d’une victoire minime. Un succès 
légèrement supérieur consisterait à libérer l’ensemble de l’Ukraine 
orientale et méridionale en l’espace d’un an ou deux. Mais cela 
laisserait une partie du pays avec une population ultranationaliste 
encore plus aigrie et bourrée d’armes, – une plaie suppurante, qui 
menacerait d’inévitables complications, comme une nouvelle guerre.
La situation pourrait être pire si nous libérions l’ensemble de 
l’Ukraine au prix de sacrifices monstrueux et que nous nous retrouvions 
avec des ruines et une population qui nous déteste en grande partie. Il 
faudrait plus d’une décennie pour les “rééduquer”.
 “La paix est peu probable dans un avenir proche” : Voici ce que les 
experts russes pensent de la contre-offensive ukrainienne tant annoncée
Chacune de ces options, en particulier la dernière, détournera la 
Russie de l’indispensable déplacement de son centre spirituel, 
économique, militaire et politique vers l’est de l’Eurasie. Nous 
resterons bloqués sur une focalisation inutile sur l’Occident. Les 
territoires de l’Ukraine actuelle, en particulier ceux du centre et de 
l’ouest, attireront des ressources, tant humaines que financières. Ces 
régions étaient déjà fortement subventionnées à l’époque soviétique.
Entretemps, l’hostilité de l’Occident se poursuivra ; elle soutiendra une guerre civile de guérilla à combustion lente.
Une option plus attrayante est la libération et la réunification de 
l’est et du sud, et l’imposition de la capitulation aux restes de 
l’Ukraine avec une démilitarisation complète, créant ainsi un État 
tampon et amical. Mais un tel résultat ne sera possible que si nous 
sommes capables de briser la volonté de l’Occident de soutenir la junte 
de Kiev et de l’utiliser contre nous, en forçant le bloc dirigé par les 
États-Unis à un repli stratégique.
Et j’en viens ici à une question cruciale mais rarement abordée. La 
cause profonde, – et en fait la raison principale – de la crise 
ukrainienne, ainsi que de nombreux autres conflits dans le monde, et de 
l’augmentation générale des menaces militaires, est l’échec 
catastrophique des élites dirigeantes occidentales contemporaines.
Cette crise s’accompagne d’un changement d’une rapidité sans 
précédent dans l’équilibre des pouvoirs dans le monde en faveur de la 
majorité mondiale, sous l’impulsion économique de la Chine et en partie 
de l’Inde, avec la Russie comme point d’ancrage militaire et 
stratégique. Cet affaiblissement exaspère non seulement les élites 
impériales-cosmopolites (le président américain Joe Biden et ses 
semblables), mais effraie également les élites impériales-nationales 
(comme son prédécesseur Donald Trump). L’Occident est en train de perdre
 l’avantage qu’il détient depuis cinq siècles de siphonner les richesses
 du monde entier en imposant son ordre politique et économique et en 
établissant sa domination culturelle, principalement par la force brute.
 Il n’y a donc pas de fin rapide à la confrontation défensive, mais 
agressive, que l’Occident a déclenchée.
Cet effondrement moral, politique et économique se prépare depuis le 
milieu des années 1960. Il a été interrompu par l’effondrement de l’URSS
 mais il a repris de plus belle dans les années 2000 (les défaites des 
Américains et de leurs alliés en Irak et en Afghanistan, et la crise du 
modèle économique occidental en 2008 en ont été les jalons).
Pour ralentir ce mouvement sismique, l’Occident s’est temporairement 
consolidé. Les États-Unis ont fait de l’Ukraine un punching-ball pour 
lier les mains de la Russie, la cheville ouvrière politico-militaire 
d’un monde non occidental libéré des chaînes du néocolonialisme. 
Idéalement, bien sûr, les Américains voudraient simplement faire 
exploser notre pays et ainsi affaiblir radicalement la superpuissance 
alternative émergente, la Chine. Nous avons été lents à agir de manière 
préventive, soit parce que nous n’avons pas réalisé l’inévitabilité de 
l’affrontement, soit parce que nous avons accumulé nos forces. En outre,
 conformément à la pensée politique et militaire moderne, principalement
 occidentale, nous avons été imprudents en relevant le seuil 
d’utilisation des armes nucléaires, imprécis dans l’évaluation de la 
situation en Ukraine, et nous n’avons pas entièrement réussi à lancer 
l’opération militaire actuelle.
En échouant sur le plan intérieur, les élites occidentales ont 
activement nourri les mauvaises herbes qui ont pris racine dans le sol 
de 70 années de prospérité, de satiété et de paix. Il s’agit 
d’idéologies anti-humaines : la négation de la famille, de la patrie, de
 l’histoire, de l’amour entre les hommes et les femmes, de la foi, du 
service aux idéaux supérieurs, de tout ce qui est humain. Leur 
philosophie consiste à éliminer ceux qui résistent. L’objectif est de 
stériliser les gens afin de réduire leur capacité à résister au 
capitalisme “globaliste” moderne, qui devient de plus en plus 
manifestement injuste et nuisible à l’homme et à l’humanité.
Pendant ce temps, les États-Unis affaiblis détruisent l’Europe 
occidentale et les autres pays qui en dépendent, en essayant de les 
pousser à la confrontation qui suivra l’Ukraine. Les élites de la 
plupart de ces pays ont perdu leurs repères et, paniquées par la crise 
de leurs propres positions à l’intérieur et à l’extérieur, mènent 
consciencieusement leurs pays à l’abattoir. En même temps, en raison 
d’un échec plus important, d’un sentiment d’impuissance, de siècles de 
russophobie, d’une dégradation intellectuelle et d’une perte de culture 
stratégique, leur haine antirusse est presque plus intense que celle des
 États-Unis.
Ainsi, la trajectoire de la plupart des pays occidentaux pointe 
clairement vers un nouveau fascisme, que l’on pourrait qualifier de 
totalitarisme “libéral”.
À l’avenir, et c’est le plus important, la situation ne fera 
qu’empirer. Des trêves sont possibles, mais pas de réconciliation. La 
colère et le désespoir continueront à croître par vagues successives. Ce
 vecteur du mouvement occidental est un signe clair de la dérive vers le
 déclenchement de la troisième guerre mondiale. Elle a déjà commencé et 
pourrait éclater en une véritable conflagration, soit par accident, soit
 en raison de l’incompétence et de l’irresponsabilité croissantes des 
cercles dirigeants de l’Occident.
L’introduction de l’intelligence artificielle et la robotisation de 
la guerre augmentent le risque d’escalade involontaire. Les machines 
peuvent agir en dehors du contrôle d’élites confuses.
La situation est aggravée par le “parasitisme stratégique” : en 75 
ans de paix relative, les gens ont oublié les horreurs de la guerre et 
ont cessé de craindre même les armes nucléaires. Partout, mais surtout 
en Occident, l’instinct de conservation s’est affaibli.
J’ai passé de nombreuses années à étudier l’histoire de la stratégie 
nucléaire et je suis arrivé à une conclusion sans équivoque, même si 
elle n’est pas scientifique. L’avènement des armes nucléaires est le 
résultat de l’intervention du Tout-Puissant qui, consterné que 
l’humanité ait déclenché deux guerres mondiales en l’espace d’une 
génération, coûtant des dizaines de millions de vies, nous a donné les 
armes de l’Armageddon pour montrer à ceux qui avaient perdu la peur de 
l’enfer que l’enfer existait toujours. C’est sur cette peur qu’a reposé 
la paix relative des trois quarts de siècle écoulés.
Mais aujourd’hui, cette peur a disparu. L’impensable en termes de 
dissuasion nucléaire est en train de se produire. Un groupe d’élites 
dirigeantes, dans un accès de rage désespérée, a déclenché une guerre à 
grande échelle dans les bas-fonds d’une superpuissance nucléaire.
Ce n’est pas seulement, et même pas tellement, ce à quoi ressemblera 
l’ordre mondial futur qui se décide en ce moment dans les champs de 
l’Ukraine. Il s’agit plutôt de savoir si le monde auquel nous sommes 
habitués sera préservé ou s’il ne restera que des ruines radioactives, 
empoisonnant les restes de l’humanité.
En brisant la volonté de l’Occident d’imposer son agression, nous ne 
nous sauverons pas seulement nous-mêmes en libérant enfin le monde du 
joug occidental de cinq siècles, mais nous sauverons aussi l’humanité 
tout entière. En poussant l’Occident à la catharsis et à l’abandon de 
l’hégémonie de ses élites, nous le forcerons à reculer devant une 
catastrophe mondiale. L’humanité aura une nouvelle chance de se 
développer.
Solution proposée
Bien sûr, il y a un combat difficile à mener. Il est également 
nécessaire de résoudre nos propres problèmes internes, – de se 
débarrasser enfin de la mentalité occidentalo-centriste et des 
occidentalistes de la classe administrative. En particulier les 
compradors et leur mode de pensée particulier. Bien sûr, dans ce 
domaine, le bloc de l’OTAN nous aide, sans le vouloir.
Notre voyage de 300 ans autour de l’Europe nous a donné beaucoup de 
leçons utiles et nous a aidés à former notre grande culture. Chérissons 
notre héritage européen. Mais il est temps de revenir à la maison, à 
nous-mêmes. Commençons, avec les bagages que nous avons accumulés, à 
vivre à notre manière. Nos amis du ministère des affaires étrangères ont
 récemment fait une véritable percée en qualifiant la Russie d’État 
civilisationnel dans leur concept de politique étrangère. J’ajouterais :
 une civilisation de civilisations, ouverte au Nord comme au Sud, à 
l’Ouest comme à l’Est. Aujourd’hui, le développement s’oriente 
principalement vers le sud, le nord et, surtout, l’est.
La confrontation avec l’Occident en Ukraine, quelle que soit son 
issue, ne doit pas nous détourner du mouvement stratégique interne – 
spirituel, culturel, économique, politique, militaire et politique, – 
vers l’Oural, la Sibérie et l’océan Pacifique. Une nouvelle stratégie 
ouralo-sibérienne est nécessaire, une stratégie qui comprend plusieurs 
projets puissants d’élévation spirituelle, y compris, bien sûr, la 
création d’une troisième capitale en Sibérie. Ce mouvement devrait faire
 partie de la formulation indispensable du “rêve russe”, – l’image de la
 Russie et du monde à laquelle on aspire.
J’ai souvent écrit, et je ne suis pas le seul, que les grands États 
qui n’ont pas de grandes idées cessent d’être tels ou disparaissent tout
 simplement dans le vide. L’histoire est jonchée de tombes de puissances
 qui ont perdu leur chemin. Cette idée doit être créée d’en haut et ne 
pas dépendre, comme le font les imbéciles ou les paresseux, de ce qui 
vient d’en bas. Elle doit correspondre aux valeurs et aux aspirations 
les plus profondes des peuples et, surtout, elle doit nous faire tous 
progresser. Mais c’est à l’élite et aux dirigeants du pays qu’il incombe
 de la formuler. Le retard dans la présentation d’une telle vision est 
inacceptable.
Mais pour que l’avenir devienne réalité, il faut vaincre la 
résistance des forces du passé, c’est-à-dire de l’Occident. Si nous n’y 
parvenons pas, il est presque certain que nous assisterons à une 
véritable guerre mondiale. Elle sera probablement la dernière du genre.
J’en arrive ici à la partie la plus difficile de cet article. Nous 
pouvons continuer à faire la guerre pendant encore un an, deux ans ou 
trois ans, en sacrifiant des milliers et des milliers de nos meilleurs 
hommes et des dizaines et des centaines de milliers d’autres déchets 
dans le piège historique tragique de ce qui est aujourd’hui l’Ukraine. 
Mais cette opération militaire ne peut se terminer par une victoire 
décisive sans contraindre l’Occident à une retraite stratégique, voire à
 une capitulation. Nous devons forcer l’Occident à abandonner ses 
tentatives de retour en arrière, à abandonner ses tentatives de 
domination mondiale, et le forcer à faire face à ses propres problèmes, à
 gérer la crise multiforme qu’il traverse actuellement. Pour dire les 
choses crûment, il est nécessaire que l’Occident aille tout simplement 
“se faire voir” et mette fin à son ingérence dans la direction de la 
Russie et du reste du monde.
Toutefois, pour que cela se produise, les élites occidentales doivent
 redécouvrir leur propre sens perdu de l’auto-préservation en comprenant
 que les tentatives d’épuiser la Russie en jouant les Ukrainiens contre 
elle sont contre-productives pour l’Occident lui-même.
La crédibilité de la dissuasion nucléaire doit être rétablie en 
abaissant le seuil inacceptable d’utilisation des armes atomiques et en 
progressant prudemment mais rapidement sur l’échelle de la 
dissuasion-escalade. Les premières mesures ont déjà été prises par le 
biais de déclarations du président et d’autres dirigeants, en commençant
 à déployer des armes nucléaires et leurs vecteurs au Belarus et en 
augmentant l’efficacité au combat des forces de dissuasion stratégiques.
 Il y a pas mal de marches sur cette échelle. J’en compte environ deux 
douzaines. On pourrait même aller jusqu’à avertir nos compatriotes et 
toutes les personnes de bonne volonté de la nécessité de quitter leur 
domicile à proximité des cibles d’éventuelles frappes nucléaires dans 
les pays qui soutiennent directement le régime de Kiev. L’ennemi doit 
savoir que nous sommes prêts à lancer une frappe préventive de 
représailles en réponse à son agression actuelle et passée afin d’éviter
 le glissement vers une guerre thermonucléaire mondiale.
J’ai souvent dit et écrit qu’avec une bonne stratégie de dissuasion 
et même d’utilisation, le risque d’une frappe nucléaire ou autre “en 
représailles” sur notre territoire peut être minimisé. Ce n’est que s’il
 y a un fou à la Maison Blanche qui déteste également son propre pays 
que les États-Unis décideront de frapper pour “défendre” les Européens 
et inviter à des représailles en sacrifiant un hypothétique Boston pour 
un Poznan fictif. Les Américains et les Européens de l’Ouest en sont 
parfaitement conscients, mais ils préfèrent ne pas y penser. Nous aussi,
 nous avons contribué à cette insouciance par nos déclarations 
pacifistes. Ayant étudié l’histoire de la stratégie nucléaire 
américaine, je sais qu’après que l’URSS a acquis une capacité de riposte
 nucléaire crédible, Washington n’a jamais sérieusement envisagé 
d’utiliser des armes nucléaires sur le territoire soviétique, même s’il a
 publiquement bluffé. Lorsque l’utilisation d’armes nucléaires a été 
envisagée, c’était uniquement contre les forces soviétiques “en 
progression” en Europe occidentale. Je sais que les chanceliers Helmut 
Kohl et Helmut Schmidt ont quitté leurs bunkers dès que la question 
d’une telle utilisation a été soulevée lors d’un exercice.
La descente dans l’échelle de l’endiguement-escalade devrait être 
assez rapide. Compte tenu de l’orientation actuelle de l’Occident, – et 
de la déchéance de la plupart de ses élites, – chaque décision prise est
 plus incompétente et plus idéologiquement voilée que la précédente. Et,
 à l’heure actuelle, il ne faut pas s’attendre à ce que ces élites 
soient remplacées par des élites plus responsables et plus raisonnables.
 Cela ne se produira qu’après une catharsis, qui conduira à l’abandon de
 nombreuses ambitions.
Nous ne pouvons pas répéter le “scénario ukrainien”. Pendant un quart
 de siècle, nous n’avons pas été écoutés lorsque nous avons averti que 
l’élargissement de l’OTAN conduirait à la guerre. Nous avons essayé de 
retarder les choses, de “négocier”, ce qui nous a conduits à un grave 
conflit armé. Aujourd’hui, le prix de l’indécision est d’un ordre de 
grandeur plus élevé qu’il ne l’aurait été auparavant.
Mais que se passe-t-il si les dirigeants occidentaux actuels refusent
 de reculer ? Peut-être ont-ils perdu tout sens de l’instinct de 
conservation ? Nous devrons alors frapper un groupe de cibles dans un 
certain nombre de pays pour ramener à la raison ceux qui l’ont perdue.
C’est un choix moralement effrayant, – nous utiliserions l’arme de 
Dieu et nous nous condamnerions à une grande perte spirituelle. Mais si 
nous ne le faisons pas, non seulement la Russie risque de périr, mais 
c’est très probablement toute la civilisation humaine qui s’éteindra.
Nous devrons faire ce choix nous-mêmes. Même nos amis et 
sympathisants ne le soutiendront pas dans un premier temps. Si j’étais 
Chinois, je ne voudrais pas d’une fin abrupte et décisive du conflit, 
car cela ferait reculer les forces américaines et leur permettrait de 
rassembler leurs forces en vue d’une bataille décisive, – soit 
directement, soit, dans la meilleure tradition de Sun Tzu, en forçant 
l’ennemi à battre en retraite sans combattre. En tant que Chinois, je 
m’opposerais également à l’utilisation d’armes nucléaires, car porter la
 confrontation au niveau nucléaire signifie intervenir dans une zone où 
mon pays est encore faible.
De plus, une action décisive n’est pas conforme à la philosophie de 
la politique étrangère chinoise, qui met l’accent sur les facteurs 
économiques (avec l’accumulation de la puissance militaire) et évite la 
confrontation directe. Je soutiendrais un allié en lui fournissant une 
couverture arrière, mais j’agirais derrière lui et n’entrerais pas dans 
la mêlée. (Dans ce cas, peut-être que je ne comprends pas assez bien 
cette philosophie et que j’attribue à mes amis chinois des motivations 
qui ne sont pas les leurs). Si la Russie utilise des armes nucléaires, 
Pékin le condamnera. Mais les Chinois se réjouiraient également de 
savoir que la réputation et la position des États-Unis ont été durement 
touchées.
Comment réagirions-nous si (à Dieu ne plaise !) le Pakistan attaquait
 l’Inde, ou vice versa ? Nous serions horrifiés. Nous serions contrariés
 que le tabou nucléaire ait été brisé. Alors aidons les victimes et 
modifions notre doctrine nucléaire en conséquence.
Pour l’Inde et d’autres pays de la majorité mondiale, y compris les 
États dotés d’armes nucléaires (Pakistan, Israël), l’utilisation d’armes
 nucléaires est inacceptable, tant pour des raisons morales que 
géostratégiques. Si elles sont utilisées “avec succès”, le tabou 
nucléaire, – l’idée que de telles armes ne devraient jamais être 
utilisées et que leur utilisation est une voie directe vers l’Armageddon
 nucléaire – sera dévalorisé. Il est peu probable que nous gagnions 
rapidement des soutiens, même si de nombreux habitants du Sud 
éprouveraient de la satisfaction à voir vaincre leurs anciens 
oppresseurs qui les ont pillés, ont perpétré des génocides et leur ont 
imposé une culture étrangère.
Mais en fin de compte, les vainqueurs ne sont pas jugés. Et les 
sauveurs sont remerciés. La culture politique de l’Europe occidentale ne
 se souvient pas, mais le reste du monde s’en souvient (et avec 
gratitude), de la manière dont nous avons aidé les Chinois à se libérer 
de la brutale occupation japonaise et de nombreuses colonies 
occidentales à se défaire du joug colonial.
Bien sûr, s’ils ne nous comprennent pas au début, ils seront d’autant
 plus incités à s’éduquer. Néanmoins, il est très probable que nous 
puissions gagner et concentrer les esprits des États ennemis sans 
mesures extrêmes, et les forcer à battre en retraite. Au bout de 
quelques années, nous deviendrons les arrières de la Chine, comme elle 
le fait actuellement pour nous, en la soutenant dans sa lutte contre les
 États-Unis. Ce combat pourra alors être évité sans qu’il y ait une 
grande guerre. Et nous gagnerons ensemble pour le bien de tous, y 
compris des peuples des pays occidentaux.
A ce stade, la Russie et le reste de l’humanité traverseront 
toutes les épines et tous les traumatismes pour entrer dans un avenir 
que je vois radieux, – multipolaire, multiculturel, multicolore, – et 
qui donnera aux pays et aux peuples la possibilité de construire leur 
propre destin en plus du destin commun, qui devrait unir le monde 
entier.
Sergei Karaganov