Comment un réseau de propagandistes nazis a contribué à jeter les bases de la guerre en Ukraine blog Le Grand Soir
« L'histoire
n'est pas ce qui s'est passé, mais les récits de ce qui s'est passé et
les leçons qu'ils comportent. La sélection même des histoires à
enseigner dans une société façonne notre vision de la façon dont ce qui
est est arrivé et, à son tour, ce que nous comprenons comme possible. Ce
choix de l'histoire à enseigner ne peut jamais être « neutre » ou
« objectif ». Ceux qui choisissent, soit en suivant un programme établi,
soit en étant guidés par des préjugés cachés, servent leurs intérêts.
Leurs intérêts peuvent être de poursuivre ce monde tel qu'il existe
actuellement ou de créer un nouveau monde. » - Howard Zinn
Au
lendemain de la Seconde Guerre mondiale, bon nombre de ceux qui furent
architectes des pires atrocités de l’histoire ont été secourus et
protégés par les services de renseignement des EU (1). Le rôle manifeste
de scientifiques nazis tels que Wernher von Braun (qui a
personnellement supervisé la torture et le meurtre de travailleurs
forcés) dans le programme spatial étasunien et l’industrie
ouest-allemande est connu depuis des décennies.
Ces dernières années, la fin de la guerre froide a donné lieu à des révélations sur les « gladiateurs » de la CIA, tels que Yaroslav Stetsko et Licio Gelli,
qui ont influencé l’évolution politique du monde par tous les moyens.
De l’Allemagne et de l’Italie au Japon et à la Corée du Sud, il existe
désormais une vaste collection de preuves de l’existence de réseaux
étendus et bien financés de terroristes fascistes qui n’hésitaient pas à
recourir à la violence pour soumettre les peuples « libres » du monde.
Ce
que l’on sait moins, c’est que des milliers d’universitaires fascistes
et anticommunistes ont également été secourus et entretenus par les
États-Unis pour mener une guerre idéologique contre le communisme. Ces
historiens révisionnistes ont passé des décennies à travailler dans
l’ombre de la presse universitaire jusqu’à ce que la chute de l’Union
soviétique leur permette de rentrer chez eux et de réécrire enfin
l’histoire à leur goût. Après des décennies d’efforts, nous pouvons
maintenant voir les résultats de leur travail, les graines plantées il y
a 70 ans portent enfin leurs fruits empoisonnés.
Semer les graines
« Cette
lutte exige une action impitoyable et énergique contre les agitateurs
bolchéviques, les guérilleros, les saboteurs et les Juifs, et
l’élimination totale de toute résistance active ou passive » - Franz Halder, Directives pour la conduite des troupes en Russie.
L’un des premiers et des plus importants de ces historiens n’était pas du tout un historien.
Franz
Halder était un officier d’état-major de carrière, ayant débuté dans la
Reichswehr pendant la Première Guerre mondiale. Il a rejoint le parti
nazi en 1933 et son amitié personnelle étroite avec Hitler lui a permis
de gravir très rapidement les échelons. En 1938, il a été nommé chef
d’état-major général de l’Oberkommando des Heeres
(OKH), ce qui faisait de Halder le chef de la planification de
l’ensemble de l’armée allemande et le second commandant après le Führer
lui-même. Aucun ordre ne pouvait quitter le quartier général de l’OKH
sans l’approbation et la signature de Franz Halder. Cela signifie que
non seulement Halder était intimement conscient des crimes du régime,
mais qu’il en avait planifié la plupart.
Dès l’invasion de la
Pologne en 1939, Halder a personnellement autorisé la liquidation des
« indésirables » tels que les Juifs, les Polonais et les communistes.
Son bureau était responsable
du tristement célèbre Ordre du commissaire et du Décret Barbarossa, qui
permettaient aux soldats nazis d’exécuter des civils à volonté et sans
répercussion. Ces ordres ont conduit à la mort de millions de personnes
en Union soviétique, à la fois par déportation vers des camps et par des
campagnes de représailles brutales dans les territoires occupés.
« Des
mesures collectives drastiques seront prises immédiatement contre les
localités d’où sont lancées des attaques perfides ou insidieuses contre
la Wehrmacht, sur ordre d’un officier ayant au moins le grade de chef de
bataillon et plus, si les circonstances ne permettent pas d’appréhender
rapidement les coupables individuels. » - Décret sur la juridiction de la loi martiale et sur les mesures spéciales des troupes (alias le décret Barbarossa), 13 mai 1941.
Sous
l’euphémisme de « guerre de sécurité », les nazis ont anéanti des
villages et des villes entières dans les territoires occupés. Selon
l’époque et le lieu, les habitants étaient passés par les armes, brûlés
vifs, torturés, violés, leurs biens pillés. Le résultat était toujours
le même. Toute colonie qui aurait pu abriter des partisans présumés
était complètement dépeuplée de tous les hommes, femmes et enfants.
Au
total, un minimum de 20 millions de civils soviétiques ont été tués par
les nazis, mais certains spécialistes russes estiment que le véritable
chiffre est au moins le double.
Halder
était un professionnel accompli ; il se penchait sur les documents
pendant des semaines, les écrivant et les réécrivant pour s’assurer que
son exprssion était aussi précise et sans ambiguïté que possible. Il a
réussi, car ses ordres ont été largement utilisés comme preuves contre
le régime nazi lors des procès de Nuremberg et, aujourd’hui encore, ils
sont spécifiquement cités comme le type d’ordres criminels que les
soldats doivent refuser.
Les Alliés considéraient les ordres de Halder comme si répréhensibles que des nazis tels que Hermann Hoth et Wilhelm von Leeb
furent condamnés pour crimes contre l’humanité simplement pour les
avoir transmis à leurs subordonnés. De nombreux nazis de rang inférieur
ont été pendus pour avoir suivi les ordres de Halder en Union
soviétique. Malgré cela, Halder n’a subi aucune conséquence pour les
avoir émis.
Après que Halder s’est rendu à l’armée des EU, ce pays
a refusé de le juger à Nuremberg. Au lieu de cela, il ne subit qu’un
procès mineur pour « aide au régime nazi » devant un tribunal allemand.
Il nia toute connaissance des crimes qui portaient sa signature
littérale et fut déclaré non coupable. Après la guerre, il mena une vie
confortable en tant qu’auteur, commentateur et « consultant historique »
pour le Centre d’histoire militaire (CMH) de l’armée des EU.
Le
vieux fasciste fut sauvé de la potence pour servir de planificateur en
chef d’une autre guerre. Halder ne planifia plus de vastes batailles et
l’extermination de races, mais il resta à la pointe de la guerre contre
ce qu’il appelait le « judéo-bolchevisme », un terme appris de son
Führer bien-aimé.
Le travail de Halder consistait à réhabiliter le
nazisme au profit de ses nouveaux mécènes étasuniens. Si les nazis
pouvaient être idéologiquement séparés du peuple allemand et de l’armée
allemande, les EU pourraenit utiliser les soldats d’Hitler les plus
utiles dans sa guerre contre l’Union soviétique sans éveiller de
soupçons. Halder a supervisé une équipe de 700 anciens officiers de la
Wehrmacht et a intentionnellement entrepris de réécrire l’histoire pour
présenter l’image d’une Wehrmacht propre et d’un peuple allemand
ignorant de la brutalité nazie. Son adjoint était l’agent de la CIA Adolf Heusinger, un criminel de guerre nazi
qui était en grande partie responsable de la planification des
massacres sans fin de la « guerre de sécurité », et qui a ensuite été
commandant de l’armée allemande et de l’OTAN.
Par la manipulation,
la fabrication et la censure généralisée, Halder et Heusinger ont
réécrit un récit complet d’eux-mêmes et de la Wehrmacht, se décrivant
comme des victimes brillantes, nobles et honorables du fou Hitler plutôt
que comme des monstres ayant massacré un continent.
Halder et
Heusinger ont publié des tonnes de mensonges fantaisistes avec la CMH,
affirmant que la Wehrmacht n’avait commis aucun crime sur le front de
l’Est. Selon Halder et Heusinger, les nazis ont créé des marchés et des
centres culturels pour acheter de la nourriture aux agriculteurs locaux
et organiser des danses et des événements sociaux pour les personnes
reconnaissantes. Halder et Heusinger ne mentionnent que brièvement les
problèmes à l’Est, affirmant qu’ils étaient le fait d’infiltrés
« judéo-bolcheviques » du NKVD et non de la noble Wehrmacht.
Rien
de tout cela n’aurait pu être plus éloigné de la vérité. Sous les ordres
sans équivoque de l’OKH, la Wehrmacht était directement responsable de
la soumission et de l’extermination d’un continent entier dans le cadre
du Generalplan Ost.
Chaque parcelle de l’Europe de l’Est devait être nettoyée par et au
profit de la Wehrmacht, et les soldats ont fait leur devoir.
L’arme principale était la famine. La Wehrmacht se nourrissait
des terres conquises, puisant dans les ressources et la main-d’œuvre en
quantités massives. Des programmes brutaux de réquisition de céréales
et de viande ont tué des millions de personnes, tandis que les autres
travaillaient dur pour nourrir leurs suzerains nazis avec une ration
quotidienne de 420 calories. Lors de la phase de planification de
l’opération Barbarossa, les nazis ont conclu
que la guerre ne pouvait être gagnée que si l’ensemble de la Wehrmacht
était nourrie par les terres soviétiques dès la troisième année. En
1944, les nazis ont réquisitionné plus de 5 millions de tonnes de
céréales et 10,6 millions de tonnes d’autres denrées alimentaires dans
les territoires occupés, dont 80 % ont été consommés par la Wehrmacht.
Les
nazis avaient besoin de plus que de la nourriture pour conquérir le
monde. Ils avaient également besoin d’armes et d’équipements. Pour cela,
l’Allemagne a mobilisé sa puissance industrielle mondialement connue.
Les tristement célèbres camps de concentration contenaient d’énormes
usines et complexes de travail où des millions d’esclaves travaillaient
jusqu’à la mort pour fabriquer les armes et les équipements que la
Wehrmacht utilisait pour les soumettre. Étant donné l’ampleur des
contrats, très peu de sociétés allemandes ont gardé les mains propres,
et même les plus sales n’ont pas eu à rendre tout l’« argent du sang »
après la guerre.
Les deux éléments entretenaient une relation
symbiotique presque parfaite. Le capital allemand servait les intérêts
de l’armée, et l’armée servait les intérêts du capital. À mesure que les
conquêtes nazies se succédaient, les peuples conquis servaient
d’esclaves pour construire davantage d’armes qui étaient ensuite
utilisées pour conquérir et réduire d’autres peuples en esclavage. Le
monstre à deux têtes exploitait les terres conquises avec une efficacité
si féroce que les généraux et les planificateurs économiques nazis
craignaient de manquer d’esclaves.
« Lorsque nous fusillons les
juifs, laissons mourir les prisonniers de guerre, exposons des portions
considérables de la population urbaine à la famine, et dans l’année à
venir, perdons également une partie de la population rurale à la faim,
il reste à répondre à la question : Qui est censé produire de la valeur
économique ? » - Général de division Hans Leykauf
Malgré
l’énormité de ses crimes, l’entreprise de blanchiment de Halder a connu
un succès fou ; avant la chute de l’URSS aucun historien occidental n’a
remis en question ses mensonges.
Même les chercheurs bien
intentionnés se sont laissés prendre au piège de Halder. Celui-ci
jouissait d’un statut spécial, ne divulguant des informations qu’aux
journalistes et historiens les plus privilégiés. Grâce à la légitimité
que lui conféraient son titre, son accès aux informations et le soutien
du gouvernement des EU, le CMH de Halder était considéré comme une
source de référence pour les historiens universitaires et ses
informations étaient très convoitées. Halder s’en servait pour contrôler
soigneusement à qui il communiquait des informations, s’assurant ainsi
d’obtenir un impact maximal.
De 1955 à 1991, ses travaux ont été cités au moins 700 fois
dans des publications universitaires, notamment par des professeurs et
des chercheurs des académies militaires occidentales. Comme les
historiens occidentaux ont été contraints de s’abreuver au puits de
Halder, ils ont transmis le poison à leurs étudiants, et de là, les
mensonges ont fait leur chemin dans la conscience publique. Finalement,
la propagande nazie a été blanchie en vérité par la simple répétition et
le contrôle minutieux des sources.
Bien que l’accès aux archives
soviétiques ait conduit à une résistance croissante à cette propagande,
certains historiens, comme Timothy Snyder de l’université Yale,
s’appuient toujours fortement sur les idées de Halder, ou les recyclent,
pour soutenir ce que l’on appelle la théorie du « double génocide ».
Créée par des néonazis baltes pour dissimuler leur participation à
l’Holocauste et leur collaboration généralisée avec le régime nazi,
cette théorie a langui dans l’obscurité jusqu’à ce que Snyder la mette
au goût du jour avec Bloodlands. Même 70 ans après sa
publication, le poison d’Halder reste un élément-clé dans les tentatives
de dépeindre l’Armée rouge comme rien de plus que des sauvages, et
ainsi de rendre les nazis plus modérés.
L’armée savait que Halder
ne publiait rien d’autre que des éloges, mais c’était le but. Halder est
resté dans l’armée pendant des décennies et fut fréquemment récompensé
pour son travail bien fait. Il a même reçu une médaille pour service civil méritoire en 1961, en l’honneur de son service inlassable dans la cause de la négation des génocides.
« Il
est nécessaire d’éliminer les sous-hommes rouges, ainsi que leurs
dictateurs du Kremlin. Le peuple allemand aura à accomplir la plus
grande tâche de son histoire, et le monde entendra que cette tâche sera
accomplie jusqu’au bout. » - Messages de la Wehrmacht pour les troupes, № 112, juin 1941
Le terreau fertile
« À
l’Est, j’ai l’intention de piller et de saccager efficacement. Tout ce
qui peut convenir aux Allemands de l’Est, doit être extrait et ramené en
Allemagne immédiatement. » - Hermann Goering
Après des
décennies de lutte dans l’ombre, la chute de l’Union soviétique a créé
une opportunité en or pour les universitaires fascistes. Alors que les
professeurs ex-soviétiques partaient, prenaient leur retraite ou étaient
licenciés au cours des tumultueuses années 1990, une génération entière
d’universitaires fascistes formés à l’Ouest était prête à les
remplacer.
Des écoles privées richement financées sont apparues
dans tout l’ancien Pacte de Varsovie, avec un personnel composé de
professeurs fascistes venus du Canada, d’Australie et des États-Unis qui
avaient passé des décennies à réhabiliter leurs prédécesseurs
collaborationnistes nazis.
Grâce au soutien financier quasi
illimité de l’OTAN et d’un éventail vertigineux d’ONG affiliées, les
fascistes peuvent désormais réécrire l’histoire à leur guise et former
une génération entière de nouveaux soldats dans leur guerre idéologique.
À
titre d’exemple, nous pouvons nous concentrer sur la biographie du
correspondant de guerre indépendant de Kiev, Illia Ponomarenko. À
travers lui, nous pouvons voir certains des rouages de la machine.
Illia est né dans la ville de Volnovakha,
dans l’Oblast de Donetsk, en Russie. Cette ville d’environ 20 000
habitants, qui faisait alors partie de l’Ukraine, se trouve à environ 60
kilomètres au nord de Marioupol et de la mer d’Azov.
Fondée en
1881, comme gare sur ce que l’on appelait le « chemin de fer de
Catherine », un grand projet ferroviaire nommé à titre posthume en
l’honneur de l’impératrice régnante, la ville n’a guère connu
d’évolution depuis. Illia a finalement déménagé dans le sud pour aller
étudier à Marioupol , la ville portuaire industrielle qui constituait
l’épine dorsale de l’économie de la région.
Marioupol et ses
environs ont souvent été plongés dans l’histoire tumultueuse de
l’Ukraine. La région a été l’un des principaux points chauds de la
guerre civile russe et a changé de mains à plusieurs reprises au cours
des combats entre l’Armée rouge, les forces tsaristes, les bandits de Makhno et les puissances centrales, avant d’être reprise par les forces soviétiques en 1920.
Au
cours des décennies suivantes, la région a connu une explosion du
développement économique en raison de sa position stratégique sur la mer
d’Azov, à quelques encablures seulement des plus riches mines de fer de
l’URSS. La plus remarquable est la désormais célèbre usine sidérurgique
d’Azovstal, joyau de la couronne du premier plan quinquennal de
Staline. Les fondations de l’usine ont été posées en 1930 et, en 1933,
Azovstal a produit son premier lingot de fonte. La production augmente
rapidement et, en 1939, l’usine établit un record mondial en produisant 1
614 tonnes de fonte brute en une seule journée.
Lorsque les nazis
sont venus asservir l’Ukraine, Marioupol et Azovstal ont tenu bon.
L’usine a produit des blindages pour les chars T-34 jusqu’au bout, les
derniers ouvriers ayant été évacués le jour même de la prise de la ville
par les nazis. En partant, les travailleurs ont détruit les hauts
fourneaux et les centrales électriques pour les soustraire à l’ennemi.
Azovstal est passé sous le contrôle de Krupp, mais les sabotages répétés
des partisans soviétiques ont maintenu l’usine hors service jusqu’en 1945.
Plus
de 6 000 travailleurs d’Azovstal ont combattu les nazis en tant que
partisans ou soldats de l’Armée rouge. Plusieurs centaines d’entre eux
ont été décorés pour leur courage, dont huit ont été nommés Héros de
l’Union soviétique, la plus haute distinction possible pour un soldat de
l’Armée rouge. Malheureusement, des centaines d’entre eux ont payé le
prix ultime dans la guerre contre le fascisme. Un monument a été érigé
en leur honneur à l’extérieur de l’usine, mais le régime de Maidan, qui a
sans doute honte de ce qu’il représente, l’a laissé tomber en ruines
faute d’entretien.
Même cette grande et coûteuse victoire n’a
apporté qu’un sursis à Marioupol. Les habitants de Marioupol ont vécu
pendant des décennies dans la paix et la prospérité, ignorant béatement
ce qui allait suivre. En 1991, moins de 50 ans après la victoire de
1945, les monstres sont revenus pour ravager une fois de plus l’Ukraine
et son peuple.
En 1990,
après une décennie de sabotage économique et au bord de l’effondrement,
l’indice de développement humain de l’URSS était le 25ème plus élevé au
monde, à 0,920. Après l’effondrement un an plus tard, il n’atteindra
plus jamais ce niveau.
En 2019,
dernière année où les données ont été publiées avant la guerre, la
Russie se classait 52ème. Loin de la prospérité que leur promettait
l’Occident, quatre années de régime Maïdan ont encore aggravé la
situation de l’Ukraine, qui est passée du 83ème rang en 2014
au 88ème, en dessous du Sri Lanka, du Mexique et de l’Albanie. L’Iran
et Cuba, écrasés par la guerre de siège que l’Amérique appelle par
euphémisme « sanctions », offrent tout de même un meilleur niveau de vie
à leur population.
En 2022, aucune des anciennes républiques
soviétiques n’avait retrouvé son niveau de 1990. Même lorsque l’URSS
était à quelques mois de sa dissolution, les citoyens soviétiques
jouissaient d’une plus grande prospérité que depuis leur « libération ».
Leur richesse et leur sécurité ne se sont pas évanouies dans l’éther ;
les mêmes capitalistes occidentaux qui avaient pillé le pays une fois
auparavant ont fait main basse dessus.
Il est facile de considérer
ces chiffres comme de simples abstractions, des mesures d’une machine
économique vaste et presque incompréhensible, mais, tout comme dans les
années 1940, cette campagne de pillage systématique a été fatale. Des
études évaluées par des pairs ont conclu à un minimum de cinq millions
de décès supplémentaires dus à la famine, au manque de soins médicaux, à
la toxicomanie et aux privations rien qu’en Russie entre 1991 et 2001.
Si l’on ajoute le reste des anciennes républiques soviétiques, la
facture du boucher dépasse aisément celle de l’Holocauste.
Si cela
s’était produit ailleurs, ou avait été perpétré par quelqu’un d’autre,
on l’aurait appelé par ce que c’était : un génocide. Le fait d’avoir
grandi au milieu de la dévastation causée par la brutalité effrénée de
« l’ordre international fondé sur des règles » ne fait que rendre encore
plus choquante la future collaboration de Ponomarenko.
Ponomarenko s’est installé à Marioupol pour suivre des cours à l’Université d’État de Mariupol
en 2010. Malgré son nom inoffensif, cette université a été fondée en
1991 grâce à des subventions de l’USAID et de George Soros et reçoit
encore aujourd’hui des fonds considérables des États-Unis et de l’UE. La
ligne du collège est ouvertement pro-OTAN, ses professeurs visitent le
siège de l’OTAN et l’université annonce fièrement ses liens avec des
groupes de réflexion atlantistes basés à Washington.
La
MSU n’est pas unique. Des universités comme celle-ci ont vu le jour
dans tout le bloc de l’Est, grâce à l’argent des gouvernements
occidentaux et de leurs groupes de réflexion. La Fondation Open Society,
soutenue par Soros, a été un canal particulièrement important à cet
égard. Non seulement Soros a créé des dizaines de nouvelles universités
dans tout le bloc de l’Est, mais il est allé jusqu’à produire de
nouveaux manuels scolaires pour les écoles primaires et secondaires de la région. Ses écoles comptent parmi leurs anciens élèves des présidents, des membres du parlement et d’innombrables bureaucrates de moindre importance.
Tout
cela est au service de sa guerre contre le communisme, qu’il mène
depuis au moins les années 1970 avec le soutien officiel et officieux du
gouvernement. Il est particulièrement ironique que la droite traite le
féroce anti-communiste George Soros de communiste, d’autant plus que
Soros a personnellement tiré un énorme profit du pillage de l’ancienne
Union soviétique.
Ponomarenko a obtenu son diplôme en 2014, juste à temps pour être emporté par la prochaine tempête qui a frappé l’Ukraine.
La moisson sanglante
« Apparemment,
une de ces bizarreries de la nature humaine permet aux actes de
malveillance les plus inqualifiables de devenir banals en quelques
minutes, à condition seulement qu’ils se produisent assez loin pour ne
pas représenter une menace personnelle. » - Iris Chang
Le
récit que l’on nous vend concernant le coup d’État de Maïdan en 2014 est
simple. On nous dit que les manifestants se sont levés avec un soutien
quasi universel pour se libérer du joug du Parti des Régions de Viktor
Ianoukovitch, illégitime et honni, et donc de la mainmise russe. Après
cela, disent-ils, la transition a été propre et ordonnée, les problèmes à
l’est ne sont apparus qu’à cause de l’infiltration russe et tous les
vrais Ukrainiens se sont rangés derrière le nouveau régime. Aujourd’hui
encore, le régime du Maïdan maintient avec véhémence que le conflit en
Ukraine n’est pas une guerre civile, mais plutôt une invasion étrangère
qui dure depuis huit ans.
Si vous écoutez bien, vous pouvez
presque entendre les échos de Franz Halder et d’Adolf Heusinger dans le
récit approuvé par le Maïdan, et je ne crois pas que ce soit accidentel.
Tout comme à l’époque, le fantasme créé par la propagande de l’OTAN ne
pourrait être plus éloigné de la vérité. Le Maïdan n’a jamais bénéficié
d’un soutien universel, et le processus de mise au pas du pays a été
long et sanglant.
Malgré l’insistance du gouvernement ukrainien à
affirmer le contraire, le conflit est une guerre civile selon toute
définition raisonnable, les séparatistes étaient des citoyens ukrainiens
presque sans exception et ils ont commencé à se battre pour défendre un
gouvernement ukrainien légitimement élu. La plupart des soutiens
étrangers ont pris fait et cause pour le Maïdan, et non Ianoukovitch et
les séparatistes. Dès le début du Maïdan, des groupes comme la Légion
géorgienne de Mamuka Mamulashvili, soutenue par les États-Unis, ont
envoyé des mercenaires sur le terrain pour transformer une manifestation
pacifique en un coup d’État sanglant.
De nombreux miliciens
étaient membres de l’armée ukrainienne, et ont fait défection lorsqu’on
leur a ordonné de tirer sur leur famille, leurs amis et leurs
compatriotes ukrainiens dans le Donbass. Les analystes de l’OTAN
estiment que 70 % des membres de l’armée ukrainienne ont déserté ou
fait défection plutôt que de tuer pour le régime du Maïdan, et qu’ils
ont emporté leurs armes avec eux, un fait qui enfonce un nouveau clou
dans le cercueil du récit du Maïdan sur les infiltrés étrangers.
Le
récit d’une invasion étrangère, plutôt que d’une guerre civile, est
particulièrement important pour le régime du Maïdan. Si nous acceptons
qu’il s’agissait d’une guerre civile, nous devons nous demander pourquoi
ce gouvernement soi-disant « nationaliste » tue tant d’Ukrainiens dans
le Donbass en bombardant quotidiennement des zones résidentielles,
des écoles, des hôpitaux et d’autres cibles civiles. Il serait
impossible de justifier le fait de les qualifier de nationalistes, et
encore moins de libérateurs, avec le sang de tant d’Ukrainiens sur les
mains.
La solution à cette contradiction est simple. Si vous
dépouillez les habitants du Donbass de leur identité et de leur histoire
en tant qu’Ukrainiens, il devient beaucoup plus facile de concilier
leur anéantissement. Dans l’idéologie des « héros de l’Ukraine »
Yaroslav Stetsko et Stepan Bandera, fondatrice de l’extrême-droite
ukrainienne, seul un Galicien est un véritable Ukrainien. La majeure
partie des habitants de la nation sont des « Moskals » et des « Asiatiques » indignes de vivre dans le Reich galicien.
Le fait que la Galicie
ait fait partie de la Pologne ou de l’Autriche, et non de l’Ukraine,
pendant plus d’un millénaire est tout simplement ignoré au profit de
leur fantasme délirant selon lequel eux, et eux seuls, sont de vrais
Ukrainiens en vertu d’un ancien sang viking.
Hier comme aujourd’hui, l’idéologie permet aux fascistes galiciens de justifier facilement le meurtre d’Ukrainiens par milliers.
Lorsque
les manifestations du Maïdan ont commencé en 2014, des
contre-manifestations ont émergé dans tout le pays, des milliers
d’Ukrainiens étant descendus dans la rue pour soutenir le gouvernement démocratiquement élu
de Viktor Ianoukovitch et du Parti des régions. Alors que le Maïdan
devenait de plus en plus violent sous l’influence de l’extrême-droite,
les manifestants anti-Maïdan ont refusé d’être intimidés et ont riposté.
Ils ont fini par se regrouper en milices issues de la grande variété de
militants anti-Maïdan et la résistance est devenue beaucoup plus
organisée.
Craignant une contre-révolution, le gouvernement non élu d’Arseniy Yatsenyuk, trié sur le volet
par les Américains, a créé la Special Tasks Patrol (STP), une police
composée presque exclusivement de néonazis infestant l’Ukraine et dotée
de pouvoirs étendus pour détenir et tuer des Ukrainiens.
Le plus
célèbre d’entre eux était le bataillon Azov. Bien avant leur
repositionnement cynique dans le sillage de l’invasion russe de 2022, le
bataillon Azov de 2014 était une milice ouvertement néo-nazie. Les
soldats qu’Illia Ponomarenko compte comme compagnons d’armes défilaient
sous le même drapeau que leurs ancêtres dans les années 1940.
Les
échos de l’histoire sont faciles à entendre depuis Azov. Appelée à
l’origine « Patriote d’Ukraine », l’organisation a été fondée en 2005
par Andrei Belitsky en tant que coalition de plusieurs groupes néonazis
de Kharkiv, tels que Tryzub (le bras armé du Congrès des nationalistes
ukrainiens de Slava Stetsko, agent de la CIA et collaborateur des
nazis), et l’UNA-UNSO (dirigée par le fils d’un membre du commando de la CIA et auteur de l’Holocauste Roman Shukhevych) et composée de soldats issus des grandes bandes de hooligans d’extrême-droite ukrainiens.
Au
cours de leurs années de formation, les membres de Patriote d’Ukraine
ont travaillé comme hommes de main pour le caïd de la mafia Arsen
Avakov, qui a été élevé au rang de ministre de l’intérieur après le
Maïdan. Avakov a tiré les ficelles pour faire sortir de prison le
lieutenant Belitsky, qui avait battu à mort un gangster rival, et le
jeune nazi talentueux a été chargé de mettre au pas les séparatistes.
À
Marioupol, la boucle est enfin bouclée et le monde a pu voir de ses
propres yeux ce que Halder et Heusinger ont mis tant de temps à
préparer.
Après des mois de protestations, les combats à Marioupol
ont commencé en mai 2014. Selon la version ukrainienne des événements,
le 3 mai, des infiltrés russes se sont approchés d’un poste de contrôle
de la ville avec de la nourriture pour les gardes mélangée à des
somnifères, puis ont pris les soldats et leurs armes après les avoir
rendus incapables. Ce fantasme cache probablement la vérité : les
soldats se sont simplement rendus. Les séparatistes ont érigé des
barricades dans le centre-ville et ont commencé à occuper les bâtiments
administratifs de la ville. La situation échappe rapidement au contrôle
du régime du Maïdan.
Azov a été l’une des premières unités
envoyées par le régime pour reprendre Marioupol. Inséré dans la ville le
7 mai, Azov a commencé à tuer presque immédiatement.
Azov a démantelé les barricades par la force, en tirant sur la foule
des manifestants non armés qui s’y opposaient. Azov a terminé son
travail dans la nuit du 8 mai, et le jour de la Victoire, le 9 mai, ils
ont commencé la phase suivante de leur mission. Alors que la majeure
partie de l’Ukraine commémorait le sacrifice de huit millions d’Ukrainiens
dans la lutte contre les ancêtres d’Azov, les héritiers de Stetsko et
Bandera ont marqué l’occasion à leur manière traditionnelle, en tuant
des Ukrainiens. Lorsque la police locale a fait défection après avoir
reçu l’ordre d’ouvrir le feu
sur la foule, Azov n’a pas hésité. Le jour de la Victoire s’est
transformé en un bain de sang lorsque les terroristes d’Azov ont ouvert
le feu sur la foule.
Des manifestants locaux et des transfuges de
la police ont occupé le quartier général de la police régionale et ont
fait prisonnier le chef de la police. Les militants d’Azov ont tenté de
briser le siège mais, face à la résistance armée, les « cyborgs » ont
été battus à plates coutures. Ils se sont repliés après avoir subi des
pertes et ont été contraints de négocier la libération des prisonniers.
Comme auparavant, la bravade et les prouesses des voyous fascistes se
sont évaporées dès que leurs victimes ont riposté.
Azov a été
vaincu ce jour-là, mais il n’a pas été détruit. Avec le soutien de
l’État ukrainien et des gangsters qui prennent de plus en plus le
pouvoir, Azov est revenu en juin, ses forces étant renforcées par des mercenaires étrangers
et une colonne de véhicules blindés. Après avoir été attaqués par des
drones, les séparatistes ont été contraints de se retirer et les forces
de la RPD ont été chassées de Marioupol, faisant 5 morts et 30
prisonniers. Aucun d’entre eux n’est revenu vivant.
Parmi les
assaillants ce jour-là se trouvaient des hommes portant l’insigne de la
1ère brigade d’aviation de l’armée des EU, une unité chargée de former
les soldats de l’armée aux opérations interarmées. Au vu de leur
participation, la source de la soudaine compétence d’Azov en matière de
drones devient très claire.
Les Azov ne se sont pas reposés sur
leurs lauriers. Avec le reste des unités du STP, Azov est rapidement
retourné à ses racines en tant que ce que les habitants de la région
appelaient autrefois des « punisseurs », faisant respecter l’ordre par
tous les moyens nécessaires. On ne sait pas exactement combien de
personnes ont souffert dans les cachots des STP et du SBU (services de
renseignements ukrainiens), mais la campagne était si étendue que même
le régime du Maïdan a jugé des dizaines d’entre eux coupables de crimes
tels que des viols collectifs (dont au moins un cas
où 8 à 10 membres d’Azov ont violé un handicapé mental jusqu’à ce qu’il
frôle la mort), pillage, torture, meurtre, contrebande et extorsion.
Ils avaient beau porter l’insigne d’une unité militaire, Azov n’avait
guère changé depuis l’époque où ils étaient des tueurs de la mafia.
Pendant
tout ce temps, Azov a été nourri par les États-Unis et ses alliés de
l’OTAN. Des preuves sont apparues d’un entraînement de la CIA au moins à
partir de 2015,
si ce n’est plus tôt. Les marchands d’armes se sont ouvertement vantés
d’avoir transféré des armes antichars et, en 2017, Azov posait pour des
photos avec des conseillers militaires de l’OTAN.
Alors même que
des hommes défilant sous une croix gammée ont une fois de plus taillé
une brèche dans sa maison, Illia Ponomarenko a été l’un de leurs plus
fervents supporters dès le début. Après que le COVID l’a forcé à annuler
un stage prévu aux États-Unis, Illia est allé travailler pour des
journaux financés par l’OTAN, comme le Kyiv Post, puis le Kyiv Independent.
Son
éducation dans les écoles financées par l’OTAN lui a bien servi, et il a
fait un travail exemplaire pour poursuivre celui commencé par Franz
Halder et Adolf Heusinger il y a tant d’années en réhabilitant une fois
de plus les tueurs fascistes qui massacrent les Ukrainiens. Il a
maintenant des millions d’adeptes sur Twitter et fait régulièrement des apparitions dans les grands médias occidentaux, comme la BBC, CNN et Fox News.
Ses années passées à porter de l’eau pour ses amis nazis ont finalement
porté leurs fruits, Illia est passé du statut de personne se trouvant
simplement au bon endroit au bon moment à celui de partie prenante de la
machine.
Ce que nous voyons aujourd’hui en Ukraine n’est pas un
accident : C’est un plan préparé depuis sept décennies. Depuis le tout
début, les États-Unis et l’OTAN s’emploient à réhabiliter l’héritage du
fascisme afin de pouvoir l’utiliser comme une arme. Ces réseaux ne sont
pas seulement en Ukraine ; ils ont des branches partout dans le monde.
Des militants d’Azov ont même été repérés lors de manifestations à Hong Kong,
le dernier front en date de la guerre secrète menée par les États-Unis.
Heureusement, les autorités chinoises ont empêché la ville de subir le
même sort que Marioupol.
Les graines de ce conflit n’ont pas été
plantées en 2014, ni en 1991. Elles ont plutôt été semées le 22 juin
1941, lorsque les troupes nazies ont traversé la frontière pour la
première fois dans le cadre de l’opération Barbarossa de Franz Halder.
Après quatre longues années et des dizaines de millions de morts, les
États-Unis ont absorbé « les meilleurs et les plus brillants » du
Troisième Reich et, pendant 70 ans, ils ont soigneusement entretenu les
jeunes pousses de Halder et Heusinger, attendant l’occasion de prendre
racine.
En 2014, nous avons enfin vu les mauvaises herbes nocives
du fascisme revenir sur la terre qu’elles ont souillée il y a si
longtemps, arrosées une fois de plus dans des rivières de sang
ukrainien.
Evan REIF