Faut il payer les gens à travailler, ou gratuitement?
3 Avril 2023
,
Rédigé par Réveil Communiste
Publié dans
#Economie,
#GQ,
#Qu'est-ce que la "gauche",
#Théorie immédiate,
#Mille raisons de regretter l'URSS
Travail ou allocs ?
Salaire ou revenu universel ?
Voilà qui mérite un examen approfondi !
Il s’agit effectivement de deux perspectives économiques et sociales très opposées.
La
fin du travail, postulées par les gauchistes culturels et politiques
dont la pointe avancée étaient les situationnistes, dès les années 50 et
60, est l’horizon voire même le présent qui est impliqué dans la
revendication du revenu universel (et de ses variantes). Le droit de
vivre sans travailler, dont disposent déjà les rentiers et les riches,
étendu à tous. Avec un revenu suffisant (déterminé comment?). Avec le
risque évident d’aboutir non au pays de Cocagne mais à un compromis sur
un revenu de survie ou même inférieur à cela.
La
plausibilité d’un tel système paraît d’ailleurs géopolitiquement très
faible, dans un ordre mondial où le modèle socialiste de
collectivisation des moyens de production, d’économie planifiée, et de
droit au travail réalisé, rivalisant avec le capitalisme, fourni par
l’URSS et ses alliés (RDA, etc) a quasiment disparu, sauf à Cuba et en
RPD de Corée, où il est miné par les blocus et les sanctions.
Pour
convaincre la bourgeoisie de payer assez d’impôts pour financer un
revenu universel pour que les pauvres puissent vivre sans travailler, il
faut que la bourgeoisie y trouve son intérêt, et ce qui était
incontestablement le cas de 1920 à 1980, environ, quand ce contre-modèle
existait à l’échelle mondiale, ne l’est manifestement plus.
Elle
avait intérêt à utiliser la redistribution partielle des richesses
sociales pour démotiver politiquement et déstructurer la classe ouvrière
et pour l'éloigner du contrôle des moyens de production, et des
quartiers centraux de grandes villes aussi. Ce n’est plus guère le cas
aujourd’hui où les mouvement sociaux sont retombés à un niveau
d'organisation et de conscience comparable aux jacqueries d’Ancien
Régime, comme celui des Gilets Jaunes, et où ils s’effondrent sous leur
propre poids, comme des soufflés. Donc quelque soient les
interpellations colériques de JL Mélenchon, la bourgeoisie ne paiera pas
la facture du revenu universel. Mais pas de panique. Elle continuera
comme avant à entretenir les rangs improductifs d’une petite bourgeoisie
du gauche, et gauchiste, qui a fait la preuve de son incapacité sociale
politique à prendre le pouvoir « à la finance » et de son aptitude à
inventer chaque jour une nouvelle idée pour diviser la classe ouvrière
sur des questions identitaires.
Mais à
supposer que ce soit économiquement et politiquement possible, et
quelque soit le montant du revenu ainsi concédé, de vivre sans
travailler, si la richesse est produite par le travail, ça signifie que
quelqu’un d’autre travaille pour vous. Si on est marxiste, et même si on
n’est que libéral ricardien.
Donc
la base philosophique de la gauche anti-travail est anti-marxiste, elle
contient l’hypothèse, explicitement formulée ou non, que le travail ne
produit pas, ou ne produit plus, la valeur. En général, quand on le
demande des explications aux partisans de cette solution ils supposent
que ce sont les machines qui le font . Que la valeur, de toute manière,
est subjective. Voire que c’est la nature-mère qui y pourvoira
généreusement, si on sait la concilier avec les gestes qu’il faut.
Si on
pense que le point de vue ricardien-marxiste est toujours le bon et que
toute valeur en dernière analyse est produite par le travail (et toute
les richesses par le travail et par la nature) on dira que la
revendication du revenu universel est un leurre, ou pire encore une
trahison : une aristocratie plébéienne des métropoles impérialistes va
se mettre à vivre sur le dos des travailleurs exploités du Tiers Monde,
voire sur le dos des travailleurs immigrés sans-papier à domicile, en se
faisant livrer des pizzas par Uber Eats.
Si un
revenu universel risque d’être de toute manière insuffisant, il risque
aussi d’être moralement dégradant dans une société où l’estime de soi
passe par travail, qui est l’insertion concrète de l’individu dans la
collectivité. Sinon, l’estime de soi dans les masses ne pourra être
atteinte que par la possession de la richesse monétaire et par la
consommation d’ostentation, et on comprendra immédiatement qu’aucun
revenu universel n’y suffira jamais.
Seul
un système de valeur basé sur la reconnaissance morale du travail peut
faire du revenu, apporté par ce travail, un revenu suffisant pour
satisfaire les besoins matériels et intellectuels. Car dans le
capitalisme contemporain, basé sur la loi du désir, l’unique besoin réel
est finalement celui d’avoir plus d’argent que tous les autres et de
pouvoir le montrer.
Mais
qu’en est-il de la réalité observable dans les pays socialistes qui ont
réalisé concrètement le droit au travail, le plein emploi, en
collectivisant les moyens de production, et en planifiant l’économie ?
Et qui ont donc effectivement résolu le dilemme qui nous occupe ici.
La
conclusion souvent inférée des difficultés économiques rencontrées par
le socialisme à partir de 1970 environ, c’est qu’une telle organisation
économique ne stimulait pas du tout la productivité. Cette observation
mérite d’être révisée, le bilan du socialisme tel qu’il a été établi par
ses adversaires, qui sont partout dans la culture, les médias, les
institutions, etc ., n’est évidemment pas fiable du tout.
On a
dit aussi que le plein emploi socialiste était un plein emploi factice
où la plupart des salariés ne travaillaient pas véritablement. En somme
les citoyens de base du bloc socialiste auraient vécu d'allocations
maquillées en salaire et ne travaillaient plus. Avec le recul, si on
examine les performances sociales et économiques de l'URSS et des pays
socialistes sur le temps long, il s'agit là d'une manifeste distorsion
du réel, extrapolée à partir des récriminations qu'on entendait à
l'époque dans les rangs de la bureaucratie, mais elle témoigne en effet
d'une crise de motivation qui s'est développée surtout chez les cadres
et dans "l'intelligenstsia" à partir des années 1970, et dont la racine
fondamentale est dans une perte de moral, dont la raison doit être
recherchée dans le processus arbitraire de la déstalinisation lancée par
Khrouchtchev, qui a détruit la foi en la valeur du système socialiste,
et qui a petit à petit miné le désir des masses de s'investir dans le
travail au service du socialisme.
Si les cadres du socialisme ne croient pas au socialisme, comment demander aux masses de le faire?
Cependant,
considéré dans les résultats d'ensemble les sociétés socialistes ont
été très productives, pour ce qu'il est de réaliser leurs tâches
prioritaires qui s'imposaient nécessairement à elles : développer
l’instruction, la science, l'industrie de base, et la puissance
militaire pour résister au fascisme et à l'impérialisme.
Mais
si on s’en tient aux lieux communs et à l’opinion générale qui sont
restées dominantes après le reflux mondial du socialisme dans les années
1990, la leçon de l'histoire, ou de la "fin de l'histoire" serait que
pour rendre plus productifs les travailleurs, qui seraient
congénitalement paresseux, il faudrait les exploiter impitoyablement, il
faudrait qu'ils se sentent dans la nécessité permanente de travailler
pour leur survie et cela, et non à leur gré mais au gré de leur
employeur. Et lorsque leur employeur est l’État, ou un monopole, il
faudrait pour les réveiller aligner leurs conditions de travail sur
celles des travailleurs les plus précaires.
Alors
ce n’est pas très étonnant si aujourd’hui on entend dire partout qu’il y
a un rejet populaire du travail, une épidémie mondiale de démission, et
un rejet viscéral de l’ennui, et contradictoirement du stress, de la
vie en entreprise. Il y a gros à parier que ce mouvement ne sera que
provisoire, car il n’est vraiment pas durable et soutenable, comme on
dit aujourd’hui.
Il
est vrai qu’il existe une importante couche sociale intermédiaire, qui
existe dans les pays métropolitains du capitalisme, mais pas seulement
dans ceux là, qui peut sans doute survivre sans produire grand-chose
pendant assez longtemps, peut être pendant deux générations, sur la
richesse sociale accumulée par le travail passé et par l’impérialisme
actuel.
Mais
le but ce n’est pas de vivre sans travailler, ou de ne travailler qu’à
ce qu’on « aime faire » et quand on a envie de le faire. Le but est de
s’accomplir dans le travail et d’obtenir la reconnaissance qui n’est
finalement donnée qu’à ceux qui sont socialement utiles. Quelque soit ce
travail, et en sachant que tout travail réel est difficile puisqu'il
doit affronter la résistance du matériaux - et de la durée.
Le
travail manuel, dangereux, pénible, salissant, fatigant, ennuyeux, celui
qui met au contact de la laideur, des déchets et de la souffrance sont
idéologiquement dévalorisés et du coup réservés de plus en plus
exclusivement aux immigrants, dans la droite logique de la division du
travail mondiale imposée par l’impérialisme. Mais ces professions et ces
fonctions stigmatisées dans une logique de caste qui n’est finalement
pas très différente de celle qui est codifiée dans la culture de
l’hindouisme (à cause d’un fond culturel indo-européen partagé par tout
l'Occident?) ne sont dévalorisantes en fait que dans une société qui
glorifie la fréquentation des mythes et des idées considérées en soi
pour la distinction sociale qu'elles procurent, et qui pratique un
éloignement obsessionnel de la nature et du contact concret avec la
matière. Une société qui déifie la technologie tout en la haïssant.
Si je
pars de mon expérience personnelle, je n’ai pas choisi mon travail
d’enseignant du second degré, je m’y suis adapté malgré les difficultés,
et je m’en suis bien trouvé. La très grande majorité des gens se
retrouve dans ce cas. Elle exerce des professions ou des fonctions dont
elle ne connaissait même pas l’existence à l’époque où on lui demandait
de choisir sa voie, dont elle n’avait pas rêvé et pour laquelle elle
n’avait jamais eu le moindre désir, et pourtant elle s’en accommoderait
très bien, si elles procuraient une meilleure rémunération et davantage
de respect social.
La
productivité du travail social est largement liée à cette reconnaissance
psychologique que ne peut pas donner la société bourgeoise, puisque le
but réel des individus qui réussissent dans cette société est en règle
générale d’atteindre à la vie parasitaire et oisive des anciennes
classes de rentiers, suivant en cela un modèle aristocratique de
civilisation bien antérieur au développement du capitalisme. De ce point
de vue, ce mode de production pourrait bien n’être d’ailleurs à
l’échelle de l’histoire longue qu’un système transitionnel entre
féodalisme et socialisme, dont les vices privés sont transformés en
vertus publiques par la magie de l’idéologie.
Certes
les salariés du capitalisme déclinant travaillent dur, mais ils
consacrent paradoxalement une part considérable et croissante de ce
travail à la reproduction directe et indirecte de leur propre force de
travail, et aussi au maintien de leur position, aux dépens de celle de
leurs collègues, dans l’univers interne impitoyable, absurde et
anarchique de l’entreprise capitaliste, ou à tenter d’accomplir les
injonctions paradoxales de leurs chefs dans les décombres des services
de l’État bourgeois. Il pratiquent ainsi un travail au produit négatif
en terme de valeur et leur productivité finale est dans bien des cas
inférieure à zéro. D'où l'illusion croissante que l'on pourra se passer
du travail complètement, que "le seuil de l'abondance est franchi" comme
disait Debord.
C'est une idée complètement en dessous de toute critique. et le réel fera retour pour dissiper définitivement ces illusions.