La présence des dirigeants post-soviétiques au défilé a été une victoire pour la Russie,
par Gevorg Mirzayan
Le fait est que depuis un an, l’Occident tente d’isoler la Russie à
l’échelle mondiale. Et pas seulement pour promouvoir des clichés
politiques : l’isolement devait être un élément important de la
politique de sanctions de l’Occident. Il s’agit de priver Moscou de la
possibilité d’acheter des équipements, des machines et des produits de
haute technologie à l’étranger. Affaiblir les capacités de la Russie
dans la guerre d’usure en cours en Ukraine. Mais non seulement la Chine
qui a un intérêt vital à cela mais l’inde et surtout les pays d’Asie
centrale de l’ex-Union soviétique qui n’ont pas les capacités de
résistance des précédents ont néanmoins répondu présent au défilé de
Moscou, ce qui est une indéniable victoire de Moscou mais qui a été
caché par la propagande occidentale qui continue à présenter ses
triomphes non seulement en s’impliquant directement de plus en plus sur
le terrain militaire mais en inventant un isolement international de La
Russie qui est un mensonge contredits par les faits.
(note de Danielle
Bleitrach, traduction de Marianne Dunlop)
https://vz.ru/opinions/2023/5/10/1211185.html
Gevorg Mirzayan, Professeur associé de sciences politiques à l’Université financière du gouvernement de la Fédération de Russie
10 mai 2023, 11:10
“Poutine a essayé de projeter son pouvoir, mais le défilé à Moscou
n’a fait que démontrer son isolement”. Tel est le titre d’un article de
CNN sur les célébrations du jour de la Victoire dans la capitale russe.
On y apprend que la présidente de la Commission européenne, Ursula von
der Leyen soi-même a fait le déplacement à Kiev ce jour-là, alors que
seule une poignée de dirigeants de pays post-soviétiques se sont rendus à
Moscou.
Certains seront probablement d’accord avec cette thèse. Oui, la
poignée de dirigeants réunis avait de quoi impressionner. Les présidents
Alexandre Loukachenko de Biélorussie, Kassym-Jomart Tokayev du
Kazakhstan, Sadyr Japarov du Kirghizstan, Emomali Rahmon du Tadjikistan,
Serdar Berdymukhamedov du Turkménistan et Shavkat Mirziyev de
l’Ouzbékistan, ainsi que le premier ministre Nikol Pashinyan de
l’Arménie. Cependant, pour ceux qui sont d’accord avec la thèse de CNN,
la principale bureaucrate européenne (ou plutôt, la gardienne américaine
de l’ordre dans la prison européenne des nations) est beaucoup plus
importante et imposante que les dirigeants des États nationaux
post-soviétiques. Tout simplement parce qu’elle vient de l’Europe
éclairée et qu’ils viennent de nulle part. Cependant, beaucoup de gens
ne seraient pas d’accord avec cette hiérarchisation – en premier lieu,
les Américains eux-mêmes. Contrairement à la propagande de CNN, ils
comprennent à quel point ce voyage collectif à Moscou a porté un coup
sérieux aux positions occidentales.
Le fait est que depuis un an, l’Occident tente d’isoler la Russie à
l’échelle mondiale. Et pas seulement pour promouvoir des clichés
politiques : l’isolement devait être un élément important de la
politique de sanctions de l’Occident. Il s’agit de priver Moscou de la
possibilité d’acheter des équipements, des machines et des produits de
haute technologie à l’étranger. Affaiblir les capacités de la Russie
dans la guerre d’usure en cours en Ukraine.
De ce point de vue, il était extrêmement important pour l’Occident
d’impliquer dans cet isolement non seulement les grands États (l’Inde,
par exemple), mais aussi les voisins de la Russie. Ils ont une frontière
avec la Russie et disposent donc de la capacité logistique nécessaire
pour livrer à la Russie les marchandises sanctionnées.
Il est clair que la Chine est un cas à part : Pékin a un intérêt
vital dans le succès de la Russie en Ukraine et est également très fort
pour résister aux pressions occidentales. Le ministère chinois des
affaires étrangères a déjà menacé de prendre des contre-mesures si cette
même Europe devait imposer des sanctions aux entreprises chinoises pour
leur coopération présumée avec des partenaires russes.
Les pays post-soviétiques, en revanche, ne disposent pas de telles
capacités – leurs ressources politiques et économiques sont de plusieurs
ordres de grandeur inférieures à celles de la Chine. C’est pourquoi les
États-Unis et l’Europe ont déployé tant d’efforts ces derniers mois
pour cajoler les voisins de la Russie, que ce soit dans le cadre d’une
thérapie de groupe (par exemple, lors de la visite d’Anthony Blinken en
Asie centrale) ou dans le cadre de conversations privées et bilatérales.
Ils ont cherché à les convaincre par des promesses d’investissement,
les ont menacés par la perspective de sanctions – enfin, tenté de les
effrayer en leur disant que si Moscou réussissait en Ukraine, elle
continuerait à récupérer des terres russes et se chargerait de limiter
les souverainetés des États post-soviétiques.
Il semblerait que cette stratégie ait porté ses fruits : les médias
ont abondamment rapporté que les voisins (tous sauf Alexandre
Loukachenko) refusaient l’un après l’autre tout soutien à la Russie. Ils
s’abstiennent lors des votes dans les organisations internationales
(comme l’ONU), expriment publiquement leur volonté de se conformer aux
sanctions américaines. Et même, comme dans le cas de l’Arménie, ils sont
sur le point d’envoyer des troupes aux exercices de l’OTAN.
Pourquoi alors sont-ils tous venus ? Non seulement ils sont venus,
mais ils ont assisté au discours anti-occidental plutôt dur de Poutine.
Ils ont ainsi fait comprendre à l’Occident qu’ils (ou la plupart d’entre
eux) n’allaient pas se joindre à un quelconque isolement de la Russie.
Il existe plusieurs hypothèses. Certains disent que les dirigeants
post-soviétiques ont été invités par la Chine à tendre avec insistance
une main diplomatique à Moscou. Aucun des pays de la région ne pouvait
repousser deux grandes puissances à la fois – d’autant plus leurs
voisins, d’autant plus leurs principaux partenaires commerciaux.
D’autres assurent que l’aide chinoise n’était pas nécessaire ici. Les
pays de l’espace post-soviétique ont finalement fait leur choix. Et ils
ont adopté à l’égard de Moscou une attitude au moins non hostile, au
plus partenariale.
Qu’est-ce qui les a poussés à agir de la sorte ? Qu’est-ce qui les a
poussés à abandonner le multi-vectorialisme que beaucoup considéraient
déjà comme une couverture pour se tourner vers l’Occident ?
Peut-être les Américains ont-ils forcé la dose ? On raconte que lors
de sa visite en Asie centrale, Anthony Blinken s’est montré très dur
avec les présidents locaux, les menaçant même de soutenir “l’opposition
démocratique” locale. Il convient de rappeler que Moscou, par principe,
ne s’immisce pas dans les affaires intérieures de ses voisins.
Peut-être les dirigeants de l’espace post-soviétique ont-ils regardé
de près ce qui se passait et réalisé que la Russie avait le dessus dans
le conflit. Un pays qui ne s’est pas effondré sous les sanctions, qui
déploie une production militaire, dont la société est déterminée à se
battre jusqu’au bout – contrairement à l’Occident, où les manifestations
anti-guerre se multiplient et où l’on se demande de plus en plus
pourquoi ils soutiennent le régime de Kiev en premier lieu.
Ou peut-être que la phrase d’Alexandre Loukachenko selon laquelle, si
la Russie s’effondre, tous les pays de la CEI (le dirigeant bélarussien
parlait bien sûr de l’OTSC, mais on peut aussi parler de tous les
voisins de la Russie) se retrouveront sous les décombres de la Russie, a
finalement été entendue par nos partenaires post-soviétiques. Comme l’a
bien noté Vladimir Poutine, pour la Russie, ce conflit est de nature
existentielle, ce qui signifie qu’aucun d’entre eux ne survivrait au
chaos qui s’ensuivrait dans l’espace post-soviétique en cas de défaite
russe dans la SVO en Ukraine.
Quoi qu’il en soit, pour Moscou, la visite de ses voisins est une
grande victoire. Nous n’avons pas besoin de Von der Leyen – la doctrine
de la politique étrangère russe indique clairement que nous ne voyons
aucune chance sérieuse de normaliser les relations avec les pays
occidentaux à court terme. Et si cela se produit, ce sera avec les pays,
pas avec les euro-bureaucrates. L’espace post-soviétique était et reste
une zone d’intérêt vital pour nous.