lundi 9 août 2010

ECHOS DE LA GUERRE DU VIET-NAM EN AFGHANISTAN PAR NOAM CHOMSKY

Echos de la guerre du Viet- nam en Afghanistan par Noam Chomsky
9 août 2010 Actualité , Asie , philosophie-idéologie



note et traduction de Danielle Bleitrach pour changement de société.

The War Logs – un ensemble de documents militaires classés qui embrassent six ans de la guerre de l’Afghanistan, lancés dans Internet par l’organisation Wikileaks - raconte une lutte passionnée la plus acharnée, quotidienne, si l’on prend la perspective des États-Unis. Pour les afghans, il s’agit d’une horreur croissante. Bien que ces documents soient précieux, The War Logs peut contribuer à alimenter la croyance désastreuse que les guerres sont seulement une erreur si elles ne sont pas victorieuse – un peu le même sentiment que celui ressenti par les nazis après Stalingrad.

Le mois passé nous assistons à la mise à la retraite forcée du général Stanley A. McChrystal, remplacé comme commandant des forces des EU à l’Afghanistan par son supérieur, le général David H. Petraeus.

Une conséquence probable en sera le relâchement des normes de combat, de façon à ce que il soit plus aisé de tuer civils , et une prolongation de la durée de la guerre dans la mesure où Petraeus emploie son influence sur le Congrès pour obtenir ce résultat.

L’Afghanistan est la guerre principale du président Obama. Le but officiel en est de nous protéger d’Al Qaeda, une organisation virtuelle sans base spécifique – un « réseau de réseaux » et une « résistance sans leaders », comme elle est appelée dans la littérature professionnelle-. Maintenant, encore plus que jamais, Al Qaeda est devenue une série de noyaux relativement indépendants et associés d’une manière distandue autour du monde.

La CIA calcule qu’il peut y avoir entre 50 et 100 activistes de Al Qaeda en Afghanistan, et rien n’indique que les talibans veuillent répéter l’erreur d’offrir un refuge à Al Qaeda. À ce qu’il semble, les talibans sont bien établis dans leur vaste et rude territoire, une grande partie des territoires pastún.

En février,lors du premier exercice de la nouvelle stratégie d’Obama,les marines étasuniens ont conquis Marja, un district mineur de la province de Helmand, un centre principal de l’insurrection. Une fois là, selon un rapport de Richard A Oppel Jr., du The New York Times, » les marines se sont retrouvés avec une identité taliban si répandue qu’elle paraissait une organisation politique intégrée au peuple un parti unique, avec une influence qui embrasse tous … ».

« Nous avons eu à réévaluer notre définition du mot un ennemi », affirme le général Larry Nicholson, un commandant de la brigade expéditionnaire de marine dans la province de Helmand.

« Ici, la majorité des gens est identifiée comme taliban ..Nous avons à réajuster notre manière de penser de façon à ce que nous n’essayions pas d’expulser les talibans de Marja,mais nous attaquer aux vrais ennemis ».

Les marines font front à un problème qui a toujours poursuivi les conquistadors, et qui est très familier aux EU depuis le Vietnam. En 1969, Douglas Pike, l’expert en Vietnam du Gouvernement des EU, se lamentait sur ce que l’ennemi – le Front de Délivrance Nationale (FLN) – « était le parti politique unique avec une adhésion généralisée au Viêt-Nam du Sud ».

Comme a reconnu Pike, n’importe quel effort pour concurrencer politiquement cet ennemi serait d’affronter un conflit entre une sardine et une baleine. En conséquence, nous devions surpasser la force politique du FLN en recourant à notre avantage comparatif, la violence, avec des résultats terribles.

D’autres ont fait front à des problèmes similaires : par exemple, les Russes en Afghanistan pendant les années quatre-vingts, ont gagné toutes les batailles mais ils ont perdu la guerre.

Ou encore une autre invasion américaine – les Philippines, en 1989, Bruce Cumings, un historien spécialisé sur l’ Asie dans l’Université de Chicago, a fait une observation applicable aujourd’hui à la situation de l’Afghanistan : « Quand un marin voit que sa route est désastreuse il change d’une direction, mais les armées impériales enfoncent leurs bottes dans des sables mouvants et continuent de marcher, bien qu’ils soit enlisés, tandis que les hommes politiques ornent l’histoire de phrases sur les idéaux nord-Américains « .

Après le triomphe de Marja, on s’attendait à ce que les forces coalisées avec à leur tête les EU attaquent la ville importante de Kandahar, où, selon une enquête de l’armée américaine, l’opération militaire est repoussée par 95 % de la population et cinq sur six des habitants considèrent les talibans comme « nos frères afghans » – encore une fois, des échos de conquêtes préalables-. Les plans sur Kandahar ont été retardés, en partie grâce au départ de McChristal.

Etant données ces circonstances, il ne faut pas s’étonner que les autorités des EU soient préoccupées parce que l’appui populaire à la guerre à l’Afghanistan érode toujours plus.

En mai dernier, Wikileaks a permis de divulguer un rapport de la CIA sur la manière dont a été entretenue l’appui de l’Europe à la guerre : le sous-titre disait : « Pourquoi compter sur l’apathie n’est peut-être pas suffisant ».

Comme le remarque le dit rapport, « Le Profil bas de la mission en Afghanistan a permis aux leaders français et allemands de faire la sourde oreille à l’opposition populaire et de graduellement augmenter leur contribution aux troupes de la Force de l’Aide à la Sécurité Internationale (ISAF) ». « Berlin et Paris s’entêtent à occuper la troisième et quatrième place des troupes de l’ISAF, malgré l’opposition de 80 % des personnes interrogées allemandes et françaises à de plus grands envois de forces ». Il est nécessaire, en conséquence, « dissimuler les faits » pour « empêcher, ou au moins contenir, un reaction négative”.

Ce rapport doit nous rappeler que les États ont un ennemi interne :leur propre population, qui doit être contrôlée quand la politique étatique se trouve en opposition avec le peuple. Les sociétés démocratiques ne dépendent pas de la force mais de la propagande, en manipulant le consentement au moyen d’une « illusion nécessaire » et une « surimplification avec puissante émotivité « , pour citer le philosophe favori d’Obama, de Reinhold Niebuhr.

Donc la bataille pour contrôler l’ennemi interne continue d’être hautement pertinente. De fait, l’avenir de la guerre à l’Afghanistan peut dépendre d’elle.

Noam Chomsky, distribuido por The New York Times Syndicate